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La THESE: Un guide pour y entrer... et s'en sortir
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Livre électronique551 pages6 heures

La THESE: Un guide pour y entrer... et s'en sortir

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À propos de ce livre électronique

La thèse… on l’aborde comme une aventure, on la vit comme un voyage, on la quitte comme un songe. Passé le cap des généralités, chaque expérience est singulière et il y a autant de raisons d’entreprendre une thèse qu’il y a d’étudiants inscrits au doctorat. Si les motivations sont innombrables, les difficultés et les joies de la trajectoire se ressemblent et ceux qui les ont connues peuvent faire de leur expérience un guide pour les autres.
Comment choisir un directeur de thèse ? Qu’y a-t-il au début et à la fin du tunnel ? Que faut-il faire pour s’en sortir indemne ? Ce livre rassemble les expériences d’étudiants qui ont, pour l’essentiel, soutenu leur thèse au cours des cinq dernières années, dans l’un ou l’autre champ des sciences sociales et humaines. Il aborde différents aspects pratiques du projet doctoral, depuis sa conception aux choix personnels et professionnels qui suivent sa réalisation. Il manquait un ouvrage sur les conditions matérielles, personnelles et relationnelles de la thèse, le voici !

Emmanuelle Bernheim est titulaire d’une double formation en sciences sociales et en droit. Elle est professeure au Département des sciences juridiques de l’Université du Québec à Montréal et chercheure au Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales (CRÉMIS).
Pierre Noreau est professeur titulaire à la Faculté de droit de l’Université de Montréal et chercheur au Centre de recherche en droit public. Il est politologue et juriste de formation et oeuvre dans le domaine de la sociologie du droit.
LangueFrançais
Date de sortie19 sept. 2016
ISBN9782760636866
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    Aperçu du livre

    La THESE - Emmanuelle Bernheim

    INTRODUCTION

    La thèse… On l’aborde comme une aventure, on la vit comme un voyage, on la quitte… comme un songe. Passé le cap des généralités, chaque expérience est singulière. Rien ne semble ressembler à rien, et pourtant. Les difficultés et les joies de la trajectoire se ressemblent et ceux qui les ont connues peuvent faire de leur expérience un guide pour les autres. C’est l’objet de cet ouvrage collectif.

    Il y a autant de raisons d’entreprendre une thèse qu’il y a d’étudiants inscrits au doctorat. Si ces motivations sont innombrables, c’est la conviction qu’on ne peut pas vivre sans l’avoir terminée qui explique qu’on arrive à l’achever. Ainsi, un jour, on lève les mains du clavier, la tête encore bourdonnante de mots: «Oh là là! Que d’amours splendides j’ai rêvées!» C’est terminé!

    Sur le moment, on ne se souvient plus des angoisses et des difficultés du parcours. Pourtant, tout cela a bien eu lieu. Puis, par touches successives, on se remémore les étapes une à une. Au-delà de la spécificité des disciplines, des choix théoriques et des conflits de méthodes, les embûches que rencontrent les doctorants sont souvent les mêmes. C’est pourquoi l’ouvrage que nous proposons aujourd’hui est structuré à partir de l’expérience d’étudiants1 et présente un ensemble de textes courts qui abordent les différents aspects pratiques et souvent problématiques du projet doctoral, depuis sa conception jusqu’aux choix personnels et professionnels qui suivent sa réalisation. Les auteurs sollicités ont pour la plupart soutenu leur thèse au cours des cinq dernières années, dans l’un ou l’autre champ des sciences sociales et humaines.

    L’ouvrage est d’abord destiné à un public nord-américain. Plusieurs ouvrages récents traitent des mêmes questions en contexte européen2. Il aborde des questions qui, à un moment ou un autre, s’imposent au candidat qui envisage la thèse ou y est déjà engagé: Qu’y a-t-il au début et à la fin du tunnel? Comment s’en sortir indemne? Il manquait un ouvrage sur les conditions matérielles, personnelles et relationnelles de la thèse. On a tenté ici de rapporter l’expérience de ceux qui ont connu les difficultés et les joies du travail intellectuel au troisième cycle, sans pour autant verser dans l’autobiographie. Il s’adresse d’abord aux étudiants comme aux directeurs et directrices de thèse les plus expérimentés, parce qu’il traite, en définitive, de la condition étudiante contemporaine. Les étudiants de deuxième cycle pourront eux aussi en tirer profit, alors qu’ils rédigent leur mémoire de maîtrise.

    On a voulu éviter les développements de nature épistémologique, parce qu’ils sont souvent propres à chaque discipline et dépendent de choix qui ne peuvent se faire que dans le cadre d’échanges continus avec le directeur ou la directrice de thèse.

    Il s’agit essentiellement d’un ouvrage de référence, qu’on peut lire dans le désordre. Le plan de l’ouvrage suit cependant le cours des questions qui se succèdent généralement pendant la démarche doctorale. Il est composé de trois parties qui traitent successivement de la thèse en tant que projet de vie, de la thèse telle qu’elle se fait, et de la thèse une fois terminée, la thèse… et puis après.

    La première partie de l’ouvrage, «Un projet de vie», traite de dimensions trop rarement abordées, qui pourtant traversent de part en part la vie de la majorité des étudiants. Plusieurs de ces questions se posent avant même l’entrée de l’étudiant au troisième cycle: pourquoi faire une thèse, quels grands choix sa réalisation implique-t-elle, notamment sur le plan des compétences, du calendrier et des ressources de ceux qui s’y engagent? Comment choisir un directeur de thèse ou s’intégrer dans un contexte universitaire nouveau, voire étranger? Comment passer sans trop de heurts du monde de la pratique professionnelle au milieu universitaire? Comment financer ses études doctorales et répondre aux exigences matérielles de la vie courante? À quelles conditions peut-on combiner thèse et parentalité et poursuivre la rédaction d’une œuvre importante tout en répondant aux exigences de la vie familiale? Comment envisager l’isolement auquel tout doctorant doit inévitablement faire face? Toutes ces questions peuvent être abordées à l’avance ou à n’importe quel moment de la trajectoire doctorale. Dans tous les cas, l’expérience de ceux qui ont eu à y répondre peut servir à ceux qui se les posent aujourd’hui.

    La seconde partie de l’ouvrage, «La thèse telle qu’elle se fait», traite du cœur même de la démarche doctorale. Encore ici, les questions soulevées se posent dans le cours normal de la recherche et de la rédaction. À quoi reconnaît-on une bonne thèse et que cherche le lecteur exigeant? Comment construire une question de recherche structurante pour l’ensemble de la démarche doctorale, et exploiter de façon à la fois critique et productive la littérature de votre domaine de recherche? Quels sont les avantages et les inconvénients de la thèse par articles par rapport à la thèse «classique»? Comment se discipliner dans l’écriture et vaincre le syndrome de la page blanche? Comment travailler avec le directeur de thèse que l’on a choisi? Comment parvenir à écrire sa thèse dans une autre langue, à mener à bien la rédaction d’une thèse multidisciplinaire ou qui combine à la fois les exigences de l’analyse et de la création artistique? Et alors que l’aventure tire à sa fin, comment franchir la dernière étape du parcours et réussir sa soutenance de thèse?

    La troisième partie de l’ouvrage, «La thèse… et puis après», projette le doctorant vers l’avenir. Existe-t-il une vie après la thèse, et pour quoi faire? Lorsqu’on abandonne la thèse, est-ce qu’on tombe de haut? Comment l’impossible peut-il devenir une réalité? Et lorsqu’on la termine, que trouve-t-on devant soi? Le marché du travail nous attend-il quelque part et comment s’y préparer? Peut-on envisager de travailler hors du monde universitaire, en milieu de pratique? Lorsqu’on a réalisé une thèse mobilisant plusieurs disciplines, comment éviter de se retrouver en plein no man’s land professionnel et institutionnel?

    Cet ouvrage reste inévitablement incomplet. Plusieurs autres thèmes pourraient encore être exploités utilement: les stratégies de publication de la thèse, la coopération scientifique et la propriété intellectuelle, la thèse en contexte de recherche-action, les stratégies de passage à la carrière universitaire, la poursuite d’une carrière au collégial, etc. Il est fort probable que la parution de cet ouvrage suscitera la suggestion de nombreux autres thèmes.

    ***

    Les statistiques sur la destinée des titulaires d’un diplôme doctoral laissent entrevoir qu’on continuera longtemps à compter plus de doctorants que de postes de professeur d’université ou de chercheur de haut niveau. Se pose ainsi le problème de la pertinence des études doctorales pour plusieurs de ceux qui s’y engagent aujourd’hui. Cette conception comptable des choses est cependant oublieuse d’aspects beaucoup plus profonds. Le travail doctoral ne se justifie pas par le fait qu’il permet à l’institution universitaire de se perpétuer en formant une nouvelle génération d’universitaires pareils à l’identique. Il trouve plutôt son sens dans la construction intellectuelle des doctorants et le renouvellement continu des connaissances. La thèse est l’une des dernières grandes aventures dans lesquelles un esprit singulier peut s’engager. Le thésard s’y confronte à lui-même, à ses limites et à ses possibilités. Pour celui qui s’engage en thèse, le but à atteindre est bien celui-ci: aller au bout de soi-même. Bien sûr, il faut reconnaître les dimensions collectives du savoir. Mais nous savons tous que les idées germent quelque part. Il arrive de temps en temps qu’on rencontre un étudiant inquiet de s’être engagé un peu inconsciemment à vaincre l’Annapurna, mais on ne rencontre jamais un docteur en sciences sociales ou en sciences humaines se plaindre d’y être parvenu.

    Se demander si le nombre des étudiants au doctorat est trop élevé aujourd’hui, c’est comme se demander si une société peut compter trop de personnes capables de réfléchir systématiquement à un problème ou à une question. Dès lors que cette question survient, tout est perdu.

    Enfin, nous sommes convaincus que tous les auteurs de cet ouvrage s’associeront à nous pour remercier le Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC) pour sa collaboration dans la recherche d’auteurs récemment diplômés capables de généraliser et d’objectiver leur propre expérience pour la rendre utile à d’autres. Un merci particulier à Normand Labrie, directeur scientifique du FRQSC au cours des dernières années, dont la complicité a été essentielle. Des remerciements également aux Presses de l’Université de Montréal et plus particulièrement à Nadine Tremblay pour son ouverture, sa détermination et son savoir-faire. Tous ses conseils nous ont été utiles.

    1. Dans le présent ouvrage, le masculin, neutre, inclut le féminin, malgré le fait que les étudiantes sont en nombre supérieur aux étudiants dans la plupart des domaines.

    2. On consultera notamment: Moritz Hunsmann et Sébastien Kapp (dir.), Devenir chercheur. Écrire une thèse en sciences sociales, Paris, Éditions EHESS, 2013, 360 p. Lire également: Michel Beaud et coll., L’art de la thèse. Comment préparer et rédiger un mémoire de master, une thèse de doctorat ou tout autre travail universitaire à l’ère du Net, Paris, La Découverte, 2006, 208 p.

    PREMIÈRE PARTIE

    La thèse en devenir

    CHAPITRE 1

    Pourquoi faire une thèse?

    Christelle Lison et Annick Bourget

    Le 8 avril 1998, l’Université de Montréal invitait Hubert Reeves à prononcer la conférence de clôture du colloque sur les études supérieures. Au cours de celle-ci, l’illustre scientifique a déclaré:

    Il fallait être mourant pour sécher un cours. Quand nous étions fiévreux ou grippés, nous nous bourrions d’amphétamines et nous allions à l’université. Je me souviens que nous allions faire du ski avec nos professeurs le samedi. Au sommet, il nous arrivait de discuter de certains problèmes de physique ou de mathématiques. Nous sortions nos papiers et en débattions sur-le-champ. J’avais l’impression d’être dans une version contemporaine de l’agora grecque. Peut-être à cause du nom de la montagne: Greek Peak. (Sauvé, s. d., s. p.)

    Probablement nombreux sont les étudiants qui ont des papillons dans le ventre en lisant cette citation… Pourquoi? Sans doute parce que pour plusieurs d’entre nous, doctorants ou docteurs, tout ne s’est pas toujours déroulé avec autant de passion que pour le célèbre doctorant de Cornell. En repensant à nos propres parcours, nous avons découvert que nos motivations respectives étaient fort différentes. L’une d’entre nous, Québécoise de souche, était installée dans une vie de famille agréable. L’autre, tout juste débarquée de son Europe natale, venait découvrir le Nouveau Monde. Pourtant, nous avons toutes deux pris le même chemin pour arriver somme toute à la même destination… Enfin, presque!

    Dans ce texte, nous amènerons les étudiants à se questionner sur deux des trois grands moments de l’aventure doctorale, soit «l’avant» et «le pendant». D’abord, «avant» d’amorcer des études aux cycles supérieurs, il importe de comprendre ce qui nous pousse à entreprendre un doctorat3. Ensuite, «pendant» la période plus ou moins longue et plus ou moins sinueuse qui mène à la soutenance de thèse, il devient par moment indispensable de se rappeler quel est le moteur qui nous motive à poursuivre. Finalement, bien que nous n’abordions pas explicitement ce troisième moment dans le présent chapitre, et ce, quoique la question se pose assez tôt dans le cheminement, il s’avère essentiel de se projeter «après» le doctorat, en énumérant les possibilités d’avenir que permet le diplôme de Philosophæ Doctor (Ph. D.)4.

    D’apparence simpliste, ces trois moments sont charnières et méritent une réflexion approfondie pour quiconque souhaite se lancer dans l’aventure doctorale. Au sens littéraire, une aventure est «une entreprise comportant des difficultés, une grande part d’inconnu, parfois des aspects extraordinaires, à laquelle participent une ou plusieurs personnes» (Larousse, s. d., s. p.). Nous considérons que l’exercice en vaut la peine, car le parcours doctoral influencera inévitablement la carrière professionnelle et, indirectement, la vie personnelle de toute personne qui l’entame. Nous proposons des extraits d’entrevues semi-dirigées menées auprès de doctorants5 et de docteurs aux parcours multiples ainsi que quelques éléments issus d’écrits scientifiques sur le thème de la motivation6 aux études supérieures.

    Avant: pourquoi se lancer dans un doctorat?

    Qu’est-ce qui vous pousse à entreprendre un doctorat? Vos parents sont-ils des «académiques», pour qui les études doctorales vont de soi… ou êtes-vous la première personne de votre famille à accéder à ce niveau de scolarité? Votre plan de carrière est-il clair et vous inscrivez-vous avec conviction au doctorat? Ou, au contraire, vous n’avez aucune idée de ce que vous ferez dans la vie, alors vous poursuivez tout bonnement vos études? Vous avez des enfants et vous estimez que le fait d’être aux études vous accordera la flexibilité nécessaire7 ou, au contraire, sans enfant, voire sans conjoint, vous estimez que le moment est idéal pour vous investir à fond dans les études? Vous êtes jeune et sans expérience et vous cherchez à développer une expertise ou, au contraire, vous faites un retour aux études pour mettre à profit votre expérience ou réorienter votre carrière? La liste de telles dichotomies est infinie et les nuances sont également innombrables.

    Afin de maximiser les chances d’aller jusqu’au bout du processus, il est important que le doctorant se pose des questions dès le départ, probablement même avant son inscription en thèse, et qu’il comprenne les conséquences de ses choix. Comme le mentionne Vanessa, «[l]e doctorat, c’est aussi une posture intellectuelle […] je me rends compte que je suis trop utilitariste. Je trouvais ça bien intéressant de travailler sur une auteure québécoise du 20e siècle, mais je n’ai jamais su vraiment à quoi cela allait me servir. Je n’avais pas de projet professionnel, tout ce que je voulais, c’était apprendre.» Cette réflexion illustre le type de motivation que peut avoir un étudiant. Si la question de l’orientation a été étudiée par plusieurs auteurs sur l’entrée à l’université, peu de recherches se sont penchées sur la poursuite d’études aux cycles supérieurs. L’une des hypothèses que nous posons pour expliquer cette situation est celle de la réussite dans le système scolaire, présente chez la plupart des personnes rencontrées dans le cadre des entrevues semi-dirigées: «Si j’avais eu un parcours difficile, j’aurais peut-être pris plus de temps pour y réfléchir. Mais là, on dirait que les choses sont allées de soi, presque malgré moi» (Fanny). Cette question, que l’on pourrait voir sous l’angle de l’engagement, nous semble déterminante.

    Afin de comprendre le genre de motivation nécessaire à la réalisation d’un doctorat, il semble utile de faire un tour du côté de la psychologie du développement humain, une discipline qui explore notamment les relations entre les changements et la continuité dans une trajectoire de vie. Le choix d’entreprendre ce parcours doctoral s’inscrit évidemment dans cette trajectoire. Chercher à comprendre en quoi ce parcours s’inscrit dans la continuité de qui nous sommes et, en parallèle, quels changements celui-ci engendrera pour nous permettre de poursuivre notre développement personnel et professionnel constitue un exercice initial pertinent et utile.

    «Le principe des études supérieures, c’est qu’on y apprend à apprendre», souligne Hubert Reeves en conclusion de son intervention au colloque mentionné plus haut. C’est sans le moindre doute vrai. Peut-être est-ce pour cette raison que certains étudiants prennent le chemin du doctorat sans se poser beaucoup de questions: «Je dois bien avouer que je ne savais pas vraiment quoi faire avec une maîtrise en biologie, alors j’ai décidé de poursuivre mon doctorat. Aujourd’hui, avec le recul, je prends conscience que j’ai toujours été intéressée par la recherche, mais je ne suis pas certaine que j’avais pris en considération tous les tenants et les aboutissants de ma décision. […] Si je n’étais pas devenue professeure, j’avoue que je ne sais vraiment pas ce que j’aurais fait.» (Fanny) Si cette absence de projet professionnel n’est pas surprenante, nous devons souligner qu’elle peut avoir des conséquences plus ou moins heureuses sur l’étudiant. «Clairement, je me suis lancée dans une thèse parce que je ne trouvais pas de job. Mais je ne pourrais pas dire que c’était une vocation, loin de là!» (Vanessa) Et c’est peut-être l’une des causes de l’abandon de son doctorat en littérature, parce que comme le souligne Schlanger (1997, p. 77), quand «on a une vocation, on la suit, on s’y consacre, on la remplit, on lui est fidèle, on ne la trahit pas, on lui sacrifie tout». Mais peut-on réellement parler de vocation quand on commence un doctorat?

    Je n’irais pas jusque-là. Mais je pense que c’est tout de même une croyance forte en soi et en ses compétences pour y arriver. Je me souviens que tout au long des séminaires que j’ai suivis pendant ma thèse, j’étais un peu surpris de voir que certains étudiants venaient là un peu par dépit ou par hasard, sans trop savoir pourquoi. Je ne dis pas qu’il faut se fixer un seul objectif et ne jamais en déroger, mais je pense que cela prend une certaine conviction. (Nicolas)

    Ou du moins une certaine réflexion, pourrait-on ajouter. Aujourd’hui, Nicolas poursuit sa carrière dans le secteur privé. «Je n’ai jamais eu pour ambition de devenir professeur. Je ne pense pas que c’est la seule raison de se lancer dans un doctorat. En fait, je crois même que si c’est la seule motivation de quelqu’un, il prend un sacré risque.» Si de nombreux étudiants semblent s’inscrire dans un programme de troisième cycle, soit le doctorat, pour devenir des «académiques», il demeure important d’avoir un «plan B»8.

    Dans mon domaine, la communication, je sais qu’il n’y aura pas forcément de place pour tous les gens qui souhaitent embrasser la carrière universitaire. Considérant cela, il est essentiel d’avoir d’autres portes de sortie ou d’autres avenues qui nous conviennent. Sinon, à moyen terme, on risque de trouver la vie difficile». (Christophe, actuellement étudiant au doctorat)

    Cette question est sans le moindre doute liée à celle de l’entrée sur le marché du travail. En effet, à l’heure actuelle, même avec un doctorat, les gens ne peuvent être assurés de trouver aisément un emploi dans leur domaine. Sébastien, un doctorant en génie qui est déjà engagé comme professeur dans une faculté québécoise, considère même qu’en fonction du domaine, ça peut être complètement l’inverse: «Comme ingénieur, tu n’as pas besoin d’avoir un doctorat. Si la compagnie qui t’engage n’a pas de branche recherche et développement, elle peut très bien considérer que tu es surqualifié. Dans ce cas-là, ton doctorat, c’est presque un handicap.» Évidemment, la surqualification ne touche pas uniquement les étudiants ayant un doctorat et cette situation a finalement peu évolué depuis vingt ans, malgré ce qui est parfois véhiculé dans les médias.

    Il y a donc de multiples raisons pour lesquelles un étudiant peut décider d’entreprendre des études doctorales. Par ailleurs, cette formation pourrait même avoir des effets positifs inattendus: «Selon Grossman (2006), les connaissances qu’un individu acquiert au cours de sa formation influencent ses décisions, que ce soit par rapport à son travail, à sa santé, à ses activités de loisirs, à sa sexualité et à ses relations avec ses enfants» (Litalien, 2014, p. 4). Et la société en tant que telle bénéficie elle aussi de retombées non négligeables. Évidemment, rares sont les étudiants qui invoquent la société comme bénéficiaire directe. «C’est pour moi que j’ai choisi de faire un doctorat. Je voulais me prouver que j’étais capable de le faire» (Nicolas). En fait, ce jeune professionnel considère avec le recul qu’il disposait des qualités requises pour faire des études de cycle supérieur, et ce, sans trop savoir de quelles qualités il s’agit: «C’est difficile de nommer précisément ce qu’il faut; je me répète, mais je crois que ce qu’il faut avant tout, c’est y croire!» Dans cet extrait, Nicolas fait, d’une certaine manière, allusion au carburant qui nous alimente tout au long de la réalisation du doctorat: la motivation…

    Si la question de la motivation nous paraît essentielle, nous considérons que la conscience des enjeux en est une autre d’importance! Les nouveaux étudiants au doctorat envisagent souvent le Ph. D. comme un magnum opus, un projet de recherche brillant qui culmine dans un grand travail9. En repensant à nos parcours respectifs, nous avons constaté que nous ne savions pas précisément au départ ce qu’était faire un doctorat ou être doctorant. Et c’était le cas de toutes les personnes que nous avons rencontrées: «… faire de la recherche» (Fanny); «… continuer à travailler avec mon directeur» (Magalie); «… travailler sur une auteure qui me passionnait» (Vanessa); «… avant tout, une étape vers autre chose» (Nicolas)… Bref, la plupart des personnes que nous avons interrogées n’avaient pas de réelles idées du processus à suivre ni du produit final. Ce point nous semble pourtant essentiel.

    Pendant: les facteurs internes

    et externes influençant la motivation

    Qu’est-ce qui alimente l’envie de poursuivre et de terminer un doctorat? Est-ce par goût d’étudier, de faire de la recherche, par passion pour une discipline ou un sujet en particulier? Par besoin de spécialisation, d’approfondissement des connaissances, de compréhension d’un phénomène précis? Pour obtenir une promotion? Pour satisfaire un désir de valorisation personnelle ou de prestige? Pour accéder à un milieu de travail stimulant? Pour faire carrière dans le milieu universitaire, en recherche en entreprise ou dans le secteur public? Par exigence pour pratiquer une profession? Pour réaliser un plan de carrière ou, plus simplement, pour accroître les chances de dénicher un emploi?

    Comme nous l’avons mentionné précédemment, s’engager dans un cheminement doctoral constitue une aventure, généralement heureuse et fructueuse, mais non sans longueurs, sans périodes de stress, sans surprises, sans moments de découragement, et parfois même non sans déceptions10. Ainsi, il est important de déterminer quel facteur constituera notre phare pour maintenir beau temps mauvais temps le cap sur la destination. Dans les écrits scientifiques, différents modèles se rapportent au concept de la motivation. Aux études supérieures, comme à tous les niveaux de scolarité, la motivation est influencée par des facteurs internes comme

    la reconnaissance de la part de l’individu de la valeur d’une activité spécifique et le fait que l’activité soit satisfaisante en elle-même. La motivation vient du plaisir venant de l’activité elle-même de sorte qu’une personne motivée intrinsèquement n’aura pas besoin d’une récompense ou d’un incitatif externe pour se mettre en action. Ainsi, un étudiant intrinsèquement motivé poursuit ses études supérieures dans un objectif de satisfaction et d’accomplissement personnels. (Knutsen, 2011, p. 45, notre traduction)

    À l’opposé,

    la motivation extrinsèque consiste en une motivation créée par un stimulus externe. L’individu est motivé à agir en fonction d’objectifs ou d’incitatifs externes au comportement lui-même. Ces objectifs ou ces incitatifs sont les récompenses qui servent de motivation à atteindre l’objectif principal. (Knutsen, 2011, p. 45, notre traduction)

    Les doctorants et les docteurs qui ont accepté de faire part de leur expérience ont mis le doigt sur divers facteurs internes (autonomie, objectifs personnels et professionnels, conscience des défis liés au doctorat, habiletés de gestion du temps et habiletés de communication à l’oral et à l’écrit, etc.) et externes (équipe de direction11, information sur les enjeux liés au doctorat, accès à des ressources, notamment financières…) ayant influencé leur cheminement. Parmi ces différents facteurs, la mise à l’épreuve de l’autonomie de l’étudiant semble incontournable12:

    C’est pour cette raison que j’ai lâché le doctorat. J’avais l’impression d’être seule dans mon bateau, de faire une thèse pour faire une thèse. J’en suis même arrivée au point de me dire que je m’accrochais pour mon directeur, parce qu’il croyait en moi et qu’il m’avait aidée à obtenir une bourse. Mais au final, je ne la voulais pas vraiment cette thèse. Aujourd’hui, j’enseigne la discipline que j’ai choisie dans une école et cela me convient parfaitement. (Magalie)

    Reconnaissons qu’il n’est pas toujours facile de savoir pourquoi on se lance dans des études supérieures et moins encore dans un doctorat, ni de comprendre pourquoi on persévère. Au fil de conversations anodines avec nos collègues professeurs, nous avons pu constater qu’eux non plus ne savaient pas toujours exactement ce qui les avait poussés dans cette direction. Mais ce fait peut allonger les études, ce qui est l’une des causes d’abandon du doctorat. Soulignons d’ailleurs que parmi les personnes qui entreprennent un doctorat, «seulement la moitié […] obtiendront le diplôme convoité» (Litalien, 2014, p. 1), et que celles qui l’abandonnent le font en général après plusieurs années d’études.

    C’est parfois en cours de route que les étudiants découvrent ce qui est attendu d’eux: «J’avoue que je ne savais même pas que j’avais des cours à faire. Je pensais que c’était beaucoup plus individuel que ça» (Sébastien). En effet, selon les disciplines, les étudiants auront un parcours plus ou moins balisé. Mais dans tous les cas, les personnes s’inscrivant en doctorat doivent y consacrer le temps nécessaire. «Si ta thèse c’est un peu comme ton hobby, tu ne la finiras jamais», a souligné Vanessa. Cette affirmation, qui peut sembler choquante, est pourtant bien vraie. La première qualité d’une bonne thèse est d’être finie… ce qui ne signifie pas que l’on doive la terminer envers et contre tout. Abandonner son doctorat ne veut pas dire que l’on n’est pas capable de le réaliser, mais parfois en cours de chemin, on comprend que ce n’est pas ce que l’on souhaite faire réellement13: «Et ce n’est pas plus grave que ça. Personne dans mon entourage proche ne m’a jugée. Mon père m’a dit: ce qui compte, c’est que tu fasses quelque chose qui te plaise. La thèse ça ne me plaisait plus, ce n’est pas plus compliqué que ça» (Vanessa).

    Parmi les qualités nécessaires pour maintenir sa motivation, retenons la capacité de gérer le temps (et la planification du parcours)14, critère d’ailleurs mentionné par les directions de thèse. Et que dire des capacités cognitives et métacognitives attendues de tout doctorant, de même que des aptitudes de communication tant orale qu’écrite. En fait, si nous devions faire ici la liste de toutes les qualités requises, il est probable qu’aucun étudiant ne pourrait, ou ne souhaiterait, s’inscrire dans un programme de doctorat! Il ne s’agit donc pas de cocher, dans une liste des qualités requises, celles que l’on pense avoir, mais plutôt de se questionner sur la motivation et les moyens dont on dispose pour s’engager dans une telle aventure et la mener à terme. En ce sens, le doctorat sera une occasion de mettre à profit ses qualités, de mettre en lumière ses limites et de rebondir sur celles-ci afin de développer de nouvelles compétences.

    Il importe également de considérer les aspects concrets, comme le financement ou la réputation de l’université dans laquelle on souhaite s’inscrire15. En effet, les universités ne s’équivalent pas toutes. Par exemple, les conditions de réalisation d’un doctorat en chimie peuvent varier fortement d’une université à l’autre et ne renvoient pas nécessairement à la même spécialisation, au même encadrement, à la même qualité d’enseignement ou aux mêmes facilités en ce qui a trait à la disponibilité des ressources humaines, matérielles et financières: «Avec le recul, je ne regrette pas du tout mon choix d’université et de programme, mais j’avoue que j’aurais pu ou même dû magasiner un petit peu plus» (Nicolas).

    D’autres facteurs, internes et externes, sont mentionnés dans les écrits en lien avec la motivation envers les études supérieures. À l’interne, il y a le sentiment d’auto-efficacité ou l’autodétermination, le degré de maturité, les traits de personnalité ou les attitudes individuelles. À l’externe, mentionnons la période d’adaptation nécessaire pour s’intégrer à la vie universitaire ou encore les expériences professionnelles antérieures16. L’expérience d’apprentissage semble également constituer un facteur externe important. Celle-ci inclut, par exemple, les méthodes pédagogiques mises en place par les professeurs, leur disponibilité, la qualité de leur supervision17 ou encore le soutien institutionnel offert en lien avec l’accès aux ressources comme la bibliothèque, l’accès en ligne ou encore les infrastructures. Le facteur de motivation intrinsèque le plus important est la possibilité de croissance personnelle (to advance my personal growth) alors que le facteur de motivation extrinsèque le plus important serait l’augmentation du degré d’employabilité de l’étudiant (to increase my job opportunities). Ce tour d’horizon ne se veut bien évidemment pas exhaustif. Néanmoins, il invite à prendre le temps de bien cerner les objectifs personnels et professionnels poursuivis. Tout ne doit pas être déterminé à l’avance: les objectifs peuvent changer en cours de route. Nous évoluons, les aléas de la vie nous amènent à prendre des décisions, à faire des choix et parfois à y renoncer. Néanmoins, chaque succès et chaque épreuve que l’étudiant rencontrera devraient lui permettre de se questionner sur son niveau de motivation, son engagement, et de facto, alimenter sa persévérance.

    ***

    Aujourd’hui, d’une certaine manière, le doctorat peut être vu comme un rite de passage au sens où l’entend Van Gennep, un chemin obligatoire pour devenir quelqu’un parmi les pairs «académiques». Ce ne fut pas toujours le cas, et selon les disciplines, ce ne l’est pas encore. Oui, le processus doctoral est un passage, et quoi qu’il arrive, qu’on l’abandonne ou le termine, rapidement ou à la suite d’une longue période de temps, on peut être assuré d’en sortir transformé.

    Se lancer dans cette aventure, c’est accepter de ne plus jamais regarder le monde avec les mêmes lunettes. Le parcours doctoral étant avant tout un apprentissage, il est normal de ne pas tout maîtriser dès l’entrée dans son programme et de trouver certains moments plus difficiles que d’autres. C’est le rôle de la direction de recherche d’aider les étudiants et d’autres doctorants, en partageant les façons qu’ils ont trouvées pour traverser les périodes plus délicates, peuvent aussi aider.

    Quel que soit le parcours, c’est en le suivant qu’on le découvre. Aucun de ceux que nous avons rencontrés ne referait exactement la même chose, «parce que c’est toujours après que l’on sait ce que l’on aurait dû faire» (Fanny).

    3. Le terme de doctorat est utilisé tout au long de ce chapitre dans le sens du parcours menant au titre de Philosophæ Doctor.

    4. Voir le chapitre de Jean Gabin Ntebutse dans cet ouvrage pour le troisième moment.

    5. Les noms employés dans le présent chapitre sont fictifs afin de préserver la confidentialité des participants.

    6. Nous ne souhaitons pas ouvrir le débat sur le fait de savoir s’il faut parler de la motivation ou des motivations. Nous utiliserons ici le concept au singulier en considérant que la motivation peut se décliner au pluriel. Voir le chapitre d’Élias Rizkallah et Shirley Roy dans cet ouvrage.

    7. Voir les chapitres d’Isabelle F.-Dufour et de Dominique Tanguay dans cet ouvrage.

    8. Voir les chapitres de Jean Gabin Ntebutse et de Sophie Couture dans cet ouvrage.

    9. «Entering students often think of a PhD as a magnum opus, a brilliant research project culminating in a great work» (Petre et Rugg, 2012, p. 2).

    10. Voir les chapitres de Christine Vézina et de Virginie Mesguich dans cet ouvrage.

    11. Voir le chapitre de Christelle Lison dans cet ouvrage.

    12. Voir le chapitre de Louise Boisclair dans cet ouvrage.

    13. Voir le chapitre de Virginie Mesguich dans cet ouvrage.

    14. Voir le chapitre d’Élias Rizkallah et Shirley Roy dans cet ouvrage.

    15. Voir les chapitres d’Emmanuelle Bernheim et de Nanette Neuwahl dans cet ouvrage.

    16. Voir le chapitre de Dalia Gesualdi-Fecteau dans cet ouvrage.

    17. Voir les chapitres de Christelle Lison et de Pierre Noreau dans cet ouvrage.

    CHAPITRE 2

    Dynamique des paramètres décisionnels

    pour la réalisation d’une thèse

    Élias Rizkallah et Shirley Roy

    Tout étudiant qui entreprend une thèse de doctorat est d’abord animé par le désir d’approfondir sa connaissance d’un sujet et, ce faisant, de contribuer au débat d’une communauté scientifique. Parce qu’il s’agit d’un projet de recherche, ni l’issue ni le sentier à emprunter ne sont parfaitement prévisibles; c’est probablement pour cela qu’il s’agit d’une aventure passionnante. Est-ce à dire, pour autant, que la personne qui fait le choix d’amorcer une thèse de doctorat doit faire table rase de ce qui existe? Que les paramètres de l’aventure ne se dessinent que chemin faisant? Même si certains seraient tentés de répondre affirmativement à ces questions, nous pensons, au contraire, qu’il y a certains paramètres communs en ce qui a trait aux décisions à prendre, tout en admettant que la réalisation d’une thèse comporte à la fois du nouveau et de l’ancien, des découvertes et des reprises de thèmes déjà partiellement explorés, des allers-retours, de l’emballement et du découragement.

    Mettant ici volontairement en suspens les facteurs environnants (p. ex., la [co]direction de la thèse, les cours à suivre, les interactions entre les pairs, le soutien familial et amical, le réseautage, les publications), notre réflexion portera sur ce que nous nommons des foyers de décisions cruciales à la réalisation de la thèse et qui se veulent des dimensions

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