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Savoir enseigner dans le secondaire: Didactique générale
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Livre électronique262 pages3 heures

Savoir enseigner dans le secondaire: Didactique générale

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À propos de ce livre électronique

Des réponses aux questions que peuvent se poser les jeunes enseignants et les moins jeunes à propos de la manière d'enseigner, du processus d'apprentissage, des compétences, de l'évaluation…

- Comment, au collège et au lycée, enseigner de façon à ce que les élèves apprennent?
- Quelles sont les connaissances actuelles sur les processus d’apprentissage ?
- Qu’est-ce qu’un savoir ?
- Quelles compétences faire acquérir par les élèves et comment ?
- Que savons-nous aujourd’hui sur les difficultés scolaires des élèves ?
- Quels problèmes pose l’évaluation ?

De multiples recherches ont été conduites, ces dernières années, sur ces questions. Ce livre offre une synthèse de leurs résultats à l’usage des jeunes enseignants et des moins jeunes.

À PROPOS DE LA COLLECTION LE POINT SUR... PÉDAGOGIE

Destinée aux étudiants en sciences de l'éducation, aux futurs enseignants et aux enseignants du terrain, de la maternelle au supérieur, cette nouvelle collection fait le point sur les recherches et les pratiques en pédagogie.
- Des synthèses précises et ancrées dans les recherches les plus récentes.
- Des thèmes classiques qui constituent des incontournables.
- Des problématiques communes aux pays de la francophonie...
LangueFrançais
Date de sortie17 mars 2017
ISBN9782804168643
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    Aperçu du livre

    Savoir enseigner dans le secondaire - Vincent Carette

    confiance

    Introduction

    Enseigner est un métier difficile. Ceux qui le contestent sont rares. Mais l’essentiel est que ceux qui en conviennent saisissent bien les conséquences de ce constat. La première d’entre elles est qu’on ne peut enseigner sans avoir été formé à ce métier. L’idée, longtemps tenue pour une évidence, selon laquelle il suffisait de bien connaître un savoir pour être d’emblée capable de l’enseigner, ne peut plus aujourd’hui être sérieusement défendue. La difficulté à faire accéder des adolescents à des savoirs a fait désormais l’objet d’assez de témoignages, d’articles, de livres et de films pour que l’opinion publique en soit convaincue.

    Mais ce qui est ainsi rendu public, ce sont surtout les aspects relationnels de ce métier : comment mettre au travail des adolescents, comment obtenir d’eux qu’ils obéissent à un minimum de règles, comment amener chacun d’eux à respecter les autres, comment affirmer son autorité. Ce qui est moins mis en scène dans le spectacle public, c’est ce qui est pourtant l’essentiel : comment faire pour que les élèves apprennent, c’est-à-dire s’approprient réellement un ensemble de savoirs difficiles, qu’il s’agisse d’histoire, de chimie, de géologie, de mathématiques, de biologie, etc. ? Comment faire aussi pour qu’ils développent des compétences très exigeantes telles que comprendre et parler une ou plusieurs langues étrangères, lire et comprendre des textes de différents types, résoudre des problèmes de mathématiques, de physique, etc., analyser et commenter des documents, rédiger des textes argumentatifs ou narratifs, des résumés, des synthèses, des rapports d’observation ? Car l’école n’aurait aucune légitimité à faire peser, dans la durée, de lourdes contraintes sur les enfants et les adolescents, si elle n’avait pour mission de transmettre des savoirs et des compétences, c’est-à-dire une culture et, plus encore, de faire que cette culture soit émancipatrice et débouche sur la faculté de penser par soi-même.

    Et du coup, comment faire pour que cette culture soit transmise à tous les élèves, et non pas seulement à ceux qui sont de « bons » élèves ? Si on veut que l’école soit autre chose qu’une machine à fabriquer des inégalités ou à les reproduire, la mission de l’enseignant est d’arriver à ce que tous les élèves qui lui sont confiés apprennent.

    C’est cette mission que le présent ouvrage entend prendre au sérieux. Bien entendu, cela passe par la formation initiale et continue des enseignants. Celle-ci est l’objet d’une abondante littérature. On y admet généralement que le futur enseignant doit recevoir une formation approfondie sur le ou les savoirs qu’il aura à enseigner. On estime également qu’une mise en pratique du futur enseignant, sous la forme de stages, est indispensable, car c’est la pratique et la réflexion sur elle qui sont susceptibles d’engendrer l’indispensable savoir d’expérience. Pour notre part, nous sommes évidemment d’accord avec ces deux exigences.

    Mais nous pensons également que le futur praticien doit s’être approprié un savoir spécifique sur l’enseignement et les conditions d’apprentissage, savoir qui ne peut pas être construit par l’apprenti enseignant sur la base de sa courte expérience. Ce savoir comprend évidemment la didactique de la discipline scolaire que le professeur enseignera, mais pas seulement. Il comporte également des considérations issues de la psychologie, de la sociologie, de la philosophie, de l’histoire de l’enseignement et, bien entendu, des connaissances accumulées par les praticiens et qu’on appelle la pédagogie. Que ce savoir soit indispensable, qu’il soit nécessairement composite, qu’il doive être exposé en liaison avec les recherches qui l’ont engendré, voici les trois points sur lesquels nous voudrions nous expliquer :

    1) Tout d’abord, ce savoir sur l’enseignement dont nous disons qu’il est indispensable à la formation des professeurs n’est pas à notre sens un savoir d’action ni ce qu’un praticien peut tirer de la réflexion sur son expérience. Il est bien un savoir au sens le plus classique du terme, c’est-à-dire un ensemble de discours sur la réalité qui ont été mis à l’épreuve de la recherche. En affirmant cela, nous ne rejoignons pas l’idée selon laquelle une pratique pourrait se réduire à être l’application de règles qu’un savoir déterminerait d’une manière univoque. Il y a trop d’hétérogénéité entre discours et action pour qu’il en soit ainsi (cf. Rey, 2000) et un professionnel est celui à qui, face à chaque situation singulière, il appartient de juger de l’opportunité de mettre en œuvre telle règle ou telle autre. Cependant, des savoirs sont indispensables, non pas en ce qu’ils disent ce qu’il convient de décider à chaque moment de la pratique, mais parce qu’ils apportent au professionnel une catégorisation de la réalité. Toute compétence exige une interprétation des situations. Pour interpréter l’erreur d’un élève, les difficultés récurrentes d’un autre, le désintérêt d’une classe pour un cours, pour interpréter aussi sa propre façon de conduire une leçon, le professeur a besoin d’un système de catégories.

    Celles-ci peuvent être empruntées à la pensée commune ou pénétrées des conceptions et des préjugés que possède à titre individuel l’enseignant. Nous trouvons préférable qu’elles proviennent des recherches scientifiques : telle est la raison d’être de ce petit livre qui voudrait livrer aux futurs professionnels les savoirs indispensables sur l’enseignement. Comme le fait remarquer Bourdoncle (1993), un professionnel est quelqu’un qui peut « professer » les raisons des décisions qu’il prend dans son activité, c’est-à-dire en rendre compte publiquement en s’appuyant sur un savoir.

    2) Mais ce savoir est nécessairement composite, car il doit emprunter à plusieurs champs scientifiques. Tout savoir scientifique procède d’une réduction de la réalité : il consiste à retenir d’elle les seuls aspects qui peuvent s’énoncer selon la logique d’un texte (Rey, 2003). Ainsi, il rend compte de lignées causales qui sont forcément limitées. La réalité de l’enseignement est toute autre : n’importe quelle situation s’explique par une multiplicité de facteurs et y est surdéterminée, ou plutôt peut se laisser découper selon des régimes de conceptualisation qui sont divers sans s’exclure mutuellement. Ainsi, toute situation dans laquelle des élèves tentent d’apprendre appelle une lecture relevant de la psychologie cognitive ; mais, parce qu’elle discrimine souvent les élèves selon leur origine sociale, elle a des implications sociologiques ; elle est aussi la tentative heureuse ou malheureuse pour mettre en œuvre une stratégie didactique ; prise dans une institution qui est l’école, elle est dépendante de l’histoire de celle-ci et de la forme scolaire ; elle s’explique aussi par la finalité qui lui est assignée, acquisition d’un savoir ou d’une compétence et, comme telle, elle engage des considérations sur ce qu’est une action adéquate ou une pensée vraie ; elle est sous-tendue par des prises de position sur la mission de l’école et des choix de valeur, etc. Ainsi le savoir sur l’apprentissage et l’enseignement que nous entendons exposer ici sera nécessairement multidimensionnel, car pour en rendre compte une multiplicité de champs conceptuels est nécessaire. Nous le marquerons en parlant indifféremment de savoir ou de savoirs.

    3) Enfin, les savoirs que nous présenterons ici seront systématiquement rattachés à la recherche. Il ne s’agira pas de présenter les résultats de celle-ci comme s’ils étaient absolument véridiques et stabilisés pour l’éternité. Au contraire, nous nous attacherons à montrer en quoi le contenu de ces savoirs est dépendant des problématisations et des méthodologies à partir desquelles il a été construit. Nous n’éluderons pas les incertitudes et les incomplétudes qui lui sont propres. Nous soulignerons les divergences entre les différents champs scientifiques et les controverses au sein de chacun d’entre eux. Si l’idée de rendre universitaire la formation de tous les enseignants a bien pour but d’en améliorer la qualité et non pas d’en réduire les coûts, alors c’est bien celui de mettre en contact les futurs enseignants avec la recherche, c’est-à-dire avec une pratique de réinterrogation incessante. Ces savoirs qui doivent prendre leur place dans la formation des enseignants n’ont pas pour but de former des militants. Au contraire, l’exposé que nous allons en tenter ici vise à susciter chez eux une attitude de défiance vis-à-vis d’eux-mêmes et de l’opinion première, de la pensée qui se veut définitive alors qu’elle n’est que le produit de la mode.

    Il n’est pas question pour nous de juxtaposer, dans une présentation successive, des exposés propres à chaque champ scientifique sollicité. Nous partirons au contraire de quelques grandes questions qui sont au centre de la pratique enseignante et que nous développerons en trois chapitres :

    – Le premier sera consacré à faire un état des savoirs et des problèmes concernant le processus d’apprentissage en milieu scolaire et les conditions qui lui sont favorables.

    – Le deuxième chapitre tentera une approche de la notion de compétence, qui est une des formulations possibles pour définir ce que l’école a mission de transmettre. Nous examinerons ses ambiguïtés ainsi que les possibilités et les difficultés qu’elle ouvre sur le plan didactique.

    – Dans le troisième chapitre, nous explorerons la notion de savoir, autre grande catégorie sous laquelle on définit ce que l’école doit faire acquérir. Nous l’envisageons d’abord d’une manière générale, puis sous la forme spécifique des disciplines scolaires.

    Chapitre I

    Conceptions de l’apprentissage

     et pratiques d’enseignement

    SOMMAIRE

    1 La conception constructiviste

    2 La conception « socioconstructiviste »

    3 Les apports du cognitivisme

    Les conceptions de l’apprentissage que nous allons évoquer ci-dessous sont multiples et nettement différentes les unes des autres. Mais elles ont en commun de remettre en cause ce qu’on pourrait appeler la conception ordinaire du processus d’apprentissage, celle qu’on se fait communément et spontanément en dehors d’une approche savante.

    Cette conception, même si elle est rarement formulée d’une manière explicite, consiste à penser qu’une personne « apprend » lorsqu’elle reçoit des informations, c’est-à-dire lorsqu’elle accueille dans son esprit des indications qui ne s’y trouvaient pas auparavant. Ainsi, en lisant le journal, on peut « apprendre » qu’un tremblement de terre a eu lieu dans tel pays ; en consultant le mode d’emploi d’un objet technique, on peut « apprendre » la fonction de telle touche de l’appareil, etc. Sur ce modèle, beaucoup de gens estiment qu’on peut « apprendre » un savoir (et notamment un savoir scolaire) en accueillant dans son esprit, par la lecture ou par l’écoute, un exposé de ce savoir.

    Ce qui est sous-jacent à cette représentation courante à laquelle s’opposent les conceptions que nous allons présenter, c’est la métaphore du transport ou du remplissage. L’esprit de l’élève est assimilé à un récipient ou un lieu de stockage, les connaissances sont vues comme des objets qui, au cours de l’apprentissage, passeraient de l’extérieur à l’intérieur de l’esprit. Quant à l’enseignant, sa fonction serait d’apporter ces objets que sont les connaissances et de les déposer dans l’esprit des élèves. Une certaine terminologie scolaire vient conforter cette conception : ainsi, pour désigner les disciplines scolaires, on parle parfois de « matières ». De même, tout un vocabulaire incite à saisir les connaissances comme une substance quantifiable : on dit d’un élève qu’il « manque » de connaissances et on mesure les acquis des élèves sur une échelle numérique de 0 à 20, etc. Une telle conception a des implications pédagogiques : si apprendre c’est recevoir, l’élève doit écouter et regarder, le maître doit parler ou montrer.

    Il est difficile d’échapper à cette conception courante de l’apprentissage, ce qui fait que tout enseignant a tendance à y adhérer souvent à son propre insu ; car elle correspond à l’image classique du métier, selon laquelle un professeur est quelqu’un qui parle à des élèves si possible attentifs et à la représentation du savoir par une quantité de matières qui se mesure au nombre de lignes dans le programme officiel ou au nombre de pages dans le manuel. Nous allons voir en quoi le constructivisme, le socioconstructivisme et les remarques qu’on peut tirer du cognitivisme remettent en cause cette représentation spontanée.

    1 La conception constructiviste

    Le « constructivisme » auquel adhèrent beaucoup de didacticiens aujourd’hui et que nous allons examiner maintenant, considère l’apprentissage, non plus comme l’apport d’informations primitivement extérieures à l’esprit du sujet apprenant, mais plutôt comme une réorganisation mentale. De ce fait, il consisterait non pas en une réception passive, mais en un processus en lequel le sujet apprenant interviendrait activement.

    Les sources théoriques de la conception constructiviste de l’apprentissage

    Les origines de cette conception constructiviste de l’apprentissage sont nombreuses et très diverses. L’une d’elles, non des moindres, est à chercher dans le courant de « l’éducation nouvelle », auquel se rattache un grand nombre de pédagogues de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, tels que John Dewey, Maria Montessori, Ovide Decroly, Adolphe Ferrière, Célestin Freinet et bien d’autres. Très influencés par la philosophie pragmatiste qui considère la connaissance comme issue de l’action, ces pédagogues ont estimé que, pour apprendre, un élève devait être en activité et ont prôné les « méthodes actives ».

    Mais nous insisterons ici sur deux autres sources du constructivisme, les idées empruntées au philosophe Gaston Bachelard et celles tirées des travaux du psychologue Jean Piaget, parce que ce sont elles qui permettent de saisir la spécificité de cette conception.

    A. Des idées empruntées à Bachelard

    L’œuvre de Bachelard se partage entre une réflexion sur l’imaginaire et un travail de philosophie des sciences. C’est dans le cadre de ce deuxième volet qu’il a élaboré une idée qui a eu, plusieurs décennies plus tard, un retentissement important sur les didactiques contemporaines. C’est cette idée que nous allons présenter ici, en l’isolant du reste de sa philosophie qu’il n’est pas dans le projet de ce livre d’exposer.

    Cette idée est issue de son interrogation sur le développement progressif de la pensée scientifique dans l’histoire humaine. Or son premier constat concerne la lenteur et la difficulté avec lesquelles se construit la connaissance scientifique de la nature. Songeons par exemple au cheminement tortueux qui, d’Aristote à Galilée puis à Newton, conduit à dégager la loi de chute des corps ; ou bien à la difficulté du passage du géocentrisme à l’héliocentrisme, autrement dit du passage de l’idée selon laquelle la terre est immobile au centre du monde à la connaissance de son double mouvement sur elle-même et autour du soleil ; ou bien encore aux résistances à l’idée d’évolution des espèces, etc.

    On pourrait penser que ces difficultés et ces lenteurs sont dues à la complexité des phénomènes naturels, à leur caractère éphémère ou encore à l’imperfection des organes sensoriels humains. Mais Bachelard estime qu’elles tiennent plutôt à des obstacles internes à l’esprit humain : « C’est en termes d’obstacles qu’il faut poser le problème de la connaissance scientifique » (Bachelard, 1972, pp. 13-14).

    Mais d’où viennent ces obstacles à la connaissance, que Bachelard appelle « obstacles épistémologiques », et quelle est leur nature ? La réponse est que lorsque l’esprit humain s’applique à comprendre scientifiquement la réalité qui l’entoure, il n’est pas vierge, il est au contraire habité d’une multitude d’idées préconçues et de préjugés : « Quand il se présente à la culture scientifique, l’esprit n’est jamais jeune. Il est même très vieux, car il a l’âge de ses préjugés » (ibid.). Ces idées préconçues ont des origines multiples. Elles peuvent tenir à des croyances collectives, aux explications traditionnelles précocement inculquées aux enfants. Certaines tiennent au poids de l’imaginaire, lui-même sous-tendu par des causes psycho-affectives : c’est ainsi qu’on a pu saisir, à une certaine époque, les phénomènes magnétiques qui font que des corps s’attirent comme du même type que le désir amoureux.

    Certaines sont le produit de généralisation abusive : Bachelard (ibid., p. 62 sqq.) évoque cette période où, ayant découvert le phénomène de la fermentation, certains ont voulu expliquer par ce processus l’ensemble des phénomènes naturels qu’ils soient chimiques ou biologiques. Certains obstacles viennent des données perceptives immédiates : la vision du soleil qui se lève à l’est, parcourt le ciel et se couche à l’ouest accrédite le géocentrisme ; de même nous n’avons aucune sensation du mouvement de la terre sous nos pieds. D’autres viennent de la pratique quotidienne : chacun a éprouvé que, même sur une surface plate et lisse, un véhicule doit être soumis à une force pour pouvoir avancer ; ce savoir pratique ne favorise pas la compréhension du principe d’inertie.

    Bachelard évoque encore « l’intuition familière » ; ainsi lorsqu’on tente d’enfoncer un morceau de bois dans l’eau, on a l’impression qu’il résiste, ce qui empêche d’attribuer la résistance à l’eau. Bachelard conclut : « Il est dès lors assez difficile de faire comprendre le principe d’Archimède dans son étonnante simplicité mathématique si l’on n’a pas d’abord critiqué et désorganisé le complexe impur des intuitions premières. En particulier sans cette psychanalyse des erreurs initiales, on ne fera jamais comprendre que le corps qui émerge et le corps complètement immergé obéissent à la même loi. » (Ibid., p. 19)

    Par suite l’accès à la connaissance scientifique du monde qui nous entoure exige d’abord une élimination de ces idées préconçues. La connaissance commence par une rupture : « Accéder à la science, c’est, spirituellement rajeunir, c’est accepter une mutation brusque qui doit contredire un passé. » (Ibid., p. 14)

    Cette exigence de rompre avec la pensée immédiate et commune, que Bachelard appelle la « rupture épistémologique », est présentée dans le cadre de la pratique scientifique, celle des chercheurs. Mais dans un passage bref, mais suggestif, de l’ouvrage La formation de l’esprit scientifique, il évoque un prolongement pédagogique de sa pensée avec cette remarque très corrosive à l’égard de la pratique courante de l’enseignement : « J’ai souvent été frappé du fait que les professeurs de sciences, plus encore que les autres si c’est possible, ne comprennent pas qu’on ne comprenne pas. » (Ibid., p. 19) Et il poursuit : « Ils n’ont pas réfléchi au fait que l’adolescent arrive dans la classe de Physique avec des connaissances empiriques déjà constituées : Il s’agit alors, non pas d’acquérir une culture expérimentale, mais bien de changer de culture expérimentale, de renverser les obstacles déjà amoncelés par la vie quotidienne. »

    Cette idée qu’avant de construire les connaissances dans l’esprit des élèves, il importe préalablement de déconstruire leurs préconceptions, a été non seulement adoptée par les didacticiens des sciences dans les années 1980 et 1990, mais aussi progressivement étendue aux didactiques des autres disciplines scolaires. Mais elle est loin d’être encore répandue auprès des professeurs du secondaire. Beaucoup d’entre eux ne soupçonnent pas l’impact ni même l’existence des idées préconçues de toute sorte qui habitent l’esprit des élèves à propos des réalités dont ils parlent dans leurs cours. Ils croient que l’exposé du savoir, pourvu qu’il soit clair et bien organisé, va s’imposer d’emblée et d’une manière pérenne aux élèves. Dès lors, à leurs yeux, si un élève ne comprend pas, c’est qu’il n’a pas été suffisamment attentif au discours professoral.

    Or Bachelard nous prévient : « Toute vérité est une erreur rectifiée. » Car dès lors qu’on prend en compte les préconceptions, l’erreur apparaît comme une étape normale et première dans le processus d’apprentissage. Cette idée est au départ d’une attitude nouvelle, prônée par les didactiques actuelles, vis-à-vis des erreurs, comme on le verra plus loin. Elle implique également que le dépassement de l’erreur passe par un processus concerté de rupture avec les fausses connaissances antérieures.

    Il arrive fréquemment qu’un enseignant retire des échanges qu’il a avec sa classe la certitude que les élèves ont bien compris tel développement ou telle notion ; et pourtant, quelques jours plus

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