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Le rôle de l'université dans le développement local: Expériences brésiliennes et québécoises
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Le rôle de l'université dans le développement local: Expériences brésiliennes et québécoises
Livre électronique481 pages5 heures

Le rôle de l'université dans le développement local: Expériences brésiliennes et québécoises

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À propos de ce livre électronique

Ce livre illustre la capacité innovante des universités en regard de la troisième composante de leur mission : l’extension universitaire et les services à la collectivité. Il apporte une contribution originale au nécessaire débat sur le rôle des universités dans le développement des collectivités qu’elles desservent, par une collaboration entre des chercheurs québécois et brésiliens.
LangueFrançais
Date de sortie2 avr. 2012
ISBN9782760533189
Le rôle de l'université dans le développement local: Expériences brésiliennes et québécoises

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    Aperçu du livre

    Le rôle de l'université dans le développement local - Gaëtan Tremblay

    Canada

    Ce livre sur le rôle des universités dans le développement local, dans la perspective d’une approche systémique, écologique et territoriale, vient couronner un cycle de recherches collectives étendu sur quelques années (de 2005 à 2010) qui a constitué à plusieurs égards une expérience novatrice, stimulante et enrichissante. Son objet même, l’extension universitaire ou les services à la collectivité, la troisième composante de la mission universitaire avec – mais venant trop souvent après – la formation et la recherche, est relativement peu étudié, peu considéré. À peine quelques articles et de rares ouvrages lui ont-ils été consacrés au fil des ans. Il est pourtant de plus en plus au cœur des interrogations sur la place et le rôle des universités dans la société.

    Création originale de l’Occident, née au XIIe siècle, en continuité avec les écoles cathédrales, l’université a longtemps été réduite à quelques facultés : théologie, arts, médecine et droit (Vauchez, 2009). Au fil des siècles, et surtout à partir de la révolution industrielle, elle s’est enrichie de nouvelles disciplines et de nouveaux champs du savoir. Traversant crises et transformations répétées, elle s’est maintenue jusqu’à nos jours comme une institution dédiée principalement à la formation supérieure et à la recherche.

    Souvent qualifiée de tour d’ivoire, vivant en marge du monde, elle a tout de même intégré depuis près d’un siècle une fonction d’extension, comme on le disait au Québec jusqu’aux années 1970 et comme on le dit encore maintenant au Brésil. Édouard Montpetit, le père de la formation en science économique au Québec, n’écrivait-il pas, dès 1931, dans un article sur le rôle des universités, repris ultérieurement dans un recueil de ses textes :

    À la recherche s’ajoute un moyen de vulgarisation développé depuis quelque temps : l’extension universitaire qui porte l’enseignement au-dehors et jusqu’au peuple. Pour les sciences sociales, ce mode est particulièrement intéressant. C’est une diffusion d’un autre genre que l’échange des professeurs allant d’une université à l’autre, ou dans des écoles internationales, dire les résultats de leurs travaux et faire bénéficier les étrangers de leur savoir (Édouard Montpetit, 1942, p. 78).

    Mais, dès 1939, Gonzalve Poulin se plaignait du peu d’importance accordé à cette mission : « Sans doute, chacune de nos universités possède son département d’Extension universitaire ; mais le travail de cet organisme s’est limité à quelques conférences publiques, sans rien de systématique et d’adapté aux classes populaires » (dans Corbo et Ouellon, 2001, p. 180). Et de plaider pour la création de véritables départements d’éducation populaire, dirigés par un comité mixte de membres de la communauté universitaire et de représentants des milieux syndicaux et associatifs comme on en trouve en Angleterre et en Scandinavie. En France également, et dès la fin du XIXe siècle, des intellectuels au rang desquels on compte Auguste Comte ont proposé diverses formules d’éducation populaire. Et le Brésil, qui a emprunté sa devise à ce dernier, est la terre qui a vu naître Paulo Freire, le père de la pédagogie des opprimés (Freire, 1977).

    D’une certaine manière, l’Université du Québec à Montréal (UQAM) a répondu au vœu de Gonzalve Poulin en créant à la fin des années 1970 son Service aux collectivités. Mais le vœu n’a été exaucé que partiellement parce que la fonction d’extension, comme on le verra à la lecture de cet ouvrage, reste toujours relativement marginale dans les préoccupations et les activités universitaires. À l’échelle internationale, le Centre pour la recherche et l’innovation dans l’enseignement de l’OCDE a organisé en 1980, à la suite d’une vaste recherche auprès des universités des pays membres, une rencontre internationale sur le thème de « L’enseignement supérieur et la collectivité : Nouvelles formes d’échanges et de coopération ». Dans la foulée, l’OCDE a publié en 1982 un ouvrage intitulé L’université et la collectivité, une problématique nouvelle. Y sont abordées maintes questions concernant les relations de l’université et de son environnement, de la variété des modèles institutionnels rencontrés jusqu’à la redéfinition de la liberté académique en passant par la prise en compte de la dimension régionale. Quelque 30 ans plus tard, plusieurs de ses recommandations ont conservé toute leur pertinence. Celle-ci, par exemple, pour remédier au peu d’engagement de la majorité des professeurs dans des projets de services à la collectivité :

    Peut-être le principal avantage des travaux de l’OCDE résidera-t-il dans le fait qu’il fera comprendre aux universités qu’elles devraient d’urgence remplacer leurs systèmes de récompenses par d’autres, propres à inciter leurs professeurs à accorder à l’enseignement et aux recherches fondés sur des problèmes, aux relations avec la collectivité et aux services rendus à celle-ci, exactement la même importance que celle qu’ils accordent actuellement à leurs travaux et à leurs ouvrages d’érudition. Nous sommes fermement persuadés que si les universités réformaient ainsi leurs systèmes de récompenses, leur corps enseignant se consacrerait davantage à l’étude des problèmes complexes du monde contemporain […] pour le plus grand bien de la société et des universités (OCDE, 1982, p. 104-105).

    Il est triste de constater que, quelques décennies plus tard, les critères de promotion de la carrière universitaire font encore si peu de cas des services à la collectivité et qu’il reste toujours plus valorisant pour les professeurs de se consacrer exclusivement à leurs enseignements réguliers, à leurs recherches académiques et à leurs publications dans des revues scientifiques. Malgré un développement indéniable au cours des trois dernières décennies, les services d’extension universitaire et les services à la collectivité, structurellement fragiles et dotés de faibles ressources, restent toujours les parents pauvres des institutions universitaires.

    La publication de l’OCDE adopte une perspective très large qui englobe tout autant la formation professionnelle en réponse aux besoins des industries que la formation permanente et l’éducation des adultes. À l’opposé, l’approche du présent ouvrage cible davantage les projets orientés vers les communautés défavorisées, ayant traditionnellement peu d’accès aux ressources universitaires, les autochtones, les groupes de femmes, les ouvriers, les villages éloignés, les groupes de quartiers et les associations sans but lucratif. Il ne traite pas des services d’enseignement et de recherche aux entreprises. Il n’aborde pas non plus la formation aux adultes dispensée sur les campus. Il se concentre exclusivement sur les expériences sur le terrain, réalisées en collaboration avec des groupes sociaux plus ou moins organisés.

    L’approche théorique élaborée pour notre recherche fait une large place aux questions environnementales et sociales, auxquelles elle accorde autant d’importance qu’aux contraintes économiques. Épousant les vues de l’écodéveloppement, elle dessine un cadre d’analyse et d’évaluation des projets qui inclut des critères sociaux, économiques et environnementaux. Elle se démarque donc des courants dominants du développement durable qui soit assujettissent l’écologie à l’économie, soit ignorent les besoins sociaux des collectivités concernées. Mais, en raison de la relative marginalité des préoccupations environnementales, il n’a pas été possible de repérer beaucoup de projets réalisés au cours des dernières décennies qui poursuivaient explicitement des objectifs écologiques. Même s’il a fallu assez souvent poser un diagnostic d’absence, il a semblé essentiel aux chercheurs de maintenir intégralement leur cadre d’analyse et d’en réaffirmer la pertinence et la validité dans le premier chapitre rédigé par Jean-Marc Fontan et Paulo Freire Vieira ainsi que dans la conclusion, qui prend presque des allures de manifeste, rédigée au nom de tout le groupe de chercheurs par Paulo Freire Vieira, Normand Brunet, Pierre Girard et Gaëtan Tremblay.

    Le développement local dont il est question dans le titre de l’ouvrage, c’est d’abord et avant tout celui du territoire où vivent l’université et la collectivité qu’elle dessert. Deux concepts entrent donc en jeu, celui de développement et celui de territoire, en résonance avec celui du rôle social de l’université. Expression valise que celle du développement, chargée de tant d’histoire et de sens divers qu’il nous a semblé indispensable d’en rappeler à grands traits le parcours. Charmain Levy s’est acquittée de cette tâche dans le chapitre 2. Le territoire méritait également arpentage, ce dont Cleonice Alexandre Le Bourlegat s’est chargée au chapitre 3.

    Suivent cinq chapitres comme autant d’études de cas, analytiques autant que descriptives. Dans le chapitre 4, Antonio Jacó Brand et Marcelo Marinho présentent les travaux que poursuivent des universitaires de l’Universidade Católica Dom Bosco (UCDB) avec des autochtones Kaiowá/ Guarani depuis plusieurs années et le modèle d’échanges réciproques qui les inspire. Renato A. Tagnin et Lourdes Alves de Souza décrivent pour leur part, au chapitre 5, le fonctionnement du réseau d’apprentissage et d’interactions, mis en place par le SENAC de São Paulo, qui réunit un ensemble de petites villes de l’État de São Paulo. Gaëtan Tremblay et Véronique Covanti introduisent dans le chapitre 6 le Service aux collectivités de l’UQAM, qui œuvre depuis trois décennies avec des syndicats, des groupes de femmes et des organismes communautaires. Au chapitre 7, Paulo Freire Vieira présente une expérience concrète de zone atelier de développement du territoire dans l’État de Santa Catarina. Suit enfin au chapitre 8 la présentation par Normand Brunet du Centre d’écologie urbaine de Montréal et de sa culture de collaboration, notamment avec le milieu universitaire.

    Avant la conclusion-manifeste évoquée antérieurement, le chapitre 9, rédigé conjointement par Pierre Girard, Charmain Levy et Gaëtan Tremblay, offre, à la lumière des principaux concepts de notre cadre théorique, une lecture croisée des expériences brésiliennes et québécoises et tente d’en cerner les similitudes et les différences.

    Originale par son objet, notre recherche l’a également été par sa démarche. Une étude comparative entre l’institution universitaire d’un pays du Nord, le Canada, et celle d’un pays du Sud, le Brésil, peut apparaître bien téméraire. Deux pays du Nouveau Monde, certes, mais ô combien différents par leur histoire, leurs langues, leurs cultures, leurs systèmes social et politique, leurs niveaux de développement économique ; leur comparaison relevait du pari. Dans un monde qui se globalise, le jeu en valait pourtant la chandelle et s’est avéré instructif pour tous les participants. En publiant ce livre, nous estimons qu’il sera également profitable à d’autres.

    Ce livre résulte d’un processus de collaboration relativement complexe, puisqu’il a engagé huit chercheurs de cinq institutions brésiliennes de formation supérieure¹ et une dizaine de chercheurs de trois universités québécoises². Il a été mis en place et coordonné par le Centre d’études et de recherches sur le Brésil (CERB) de l’UQAM. La recherche a d’abord réuni en 2005 une poignée de chercheurs appartenant à diverses disciplines et champs d’études (sciences de la communication, sciences de l’environnement, sciences administratives, relations internationales) motivés par leur intérêt commun pour le Brésil. Les chercheurs québécois ont bientôt convié en 2006 leurs collègues brésiliens de Belo Horizonte, Florianópolis, São Paulo, Cuíaba et Campo Grande, appartenant tous au réseau BRACERB³, à participer à des séminaires mensuels par vidéoconférences, grâce au soutien financier du Fonds de développement académique du réseau (FODAR) du réseau de l’Université du Québec. Ces séminaires ont été le creuset de l’élaboration et de la conduite du programme de recherche. Ils nous auront permis de faire connaissance, d’échanger de l’information de base, de préciser nos champs de compétence, de confronter nos perspectives, de choisir nos thèmes, d’affiner nos concepts et nos hypothèses ; bref, de faire tout le travail préalable nécessaire à la définition d’un projet de recherche⁴, de guider notre collecte de données et de préparer les deux colloques de présentation et de discussion de nos résultats, le premier à Diamantina au Brésil en avril et mai 2008 et le second à Montréal, au Québec, en avril et mai 2009.

    La complexité d’un tel projet s’est manifestée de diverses manières. Elle comportait, en premier lieu, une dimension technique incontournable. Interconnecter cinq, parfois six ou sept sites différents au Brésil et au Québec pour mener à bien un séminaire interactif par vidéoconférence représente un défi de taille, même à l’ère d’Internet, que les techniciens en audiovisuel et en informatique de nos différentes institutions ont su relever avec compétence, malgré une infrastructure parfois déficiente.

    La complexité se manifestait également en matière linguistique. Nos séminaires ont fait alterner le français et le portugais au gré des séances et des compétences de chacun, alternance facilitée à l’occasion par l’aide de Maria Apparecida de Almeida, linguiste et directrice adjointe du CERB de 2001 à 2010, qui a participé à presque toutes nos séances de travail.

    Complexité culturelle, enfin, qui a nécessité une familiarisation progressive avec les particularités des territoires, des populations et des institutions en cause dans notre étude. Pour établir des comparaisons valables, il faut se méfier des fausses similitudes et des particularités identitaires superficielles. Les mots identiques eux-mêmes ne prennent pas toujours le même sens d’un contexte à l’autre.

    Ce livre, enfin, est le résultat d’un véritable travail collectif. L’articulation et l’intégration de la pensée y sont poussées bien au-delà de la publication d’actes de colloques. Les signatures conjointes de la plupart des chapitres constituent un indice révélateur de l’importance qu’a revêtue le travail en équipe dans le déroulement de cette recherche. Qu’il me soit permis ici de féliciter et de remercier chaleureusement chaque chercheur pour la qualité de sa participation, tant sur le plan de l’accomplissement professionnel que des relations humaines. Pour la plupart individus ne se connaissant guère au départ, ils ont progressivement formé une équipe unie de chercheurs et d’amis qui ont essayé de répondre honnêtement à l’appel que lançait aux universitaires, il y a déjà plus de 50 ans, le grand sociologue québécois Guy Rocher :

    Ils doivent d’abord faire un grand effort de lucidité et d’honnêteté dans la recherche de leur rôle social, en tant qu’enseignants et que chercheurs, et du rôle social de l’université. L’égoïsme de classe des universitaires, leur manque de vision sociale, tout autant que l’égoïsme institutionnel des universités ont été causes de scandale. La poursuite de l’excellence scientifique ne doit pas être un alibi pour un non-engagement social qui n’est souvent qu’une illusion et un leurre. Les universitaires doivent vouloir exceller en tant que citoyens aussi bien qu’en tant qu’hommes de science (Rocher, 1969, p. 96).

    Souhaitons que ce livre contribue au nécessaire débat sur le rôle des universités dans le développement des collectivités qu’elles desservent au Brésil et au Canada, mais également ailleurs dans le monde, en ces temps où l’humanité doit relever d’immenses défis pour préserver la qualité de son environnement et en répartir la jouissance équitablement⁵.

    Bibliographie

    Centre pour la recherche et l’innovation dans l’enseignement – CERI (1982). L’université et la collectivité, une problématique nouvelle, Paris, Organisation de coopération et de développement économiques.

    Corbo, C. et M. Ouellon (2001). L’idée d’université, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal.

    Freire, P. (1977). Pédagogie des opprimés ; suivi de Conscientisation et révolution, Paris, Maspero.

    Montpetit, É. (1942). La conquête économique, Montréal, Valiquette, tome 3.

    Organisation de coopération et de développement économiques – OCDE (1982). L’université et la collectivité, une problématique nouvelle, Paris.

    Rocher, G. (1969). « Idéologies et engagement de l’université d’aujourd’hui et de demain », dans Association des universités et collèges du Canada (dir.), Réunion annuelle. Délibérations, Ottawa, p. 91-96. Texte reproduit dans Corbo et Ouellon, p. 342.

    Vauchez, A. (2009). « L’université médiévale vue d’aujourd’hui », dans Académie des inscriptions et belles-lettres, <http://www.canalacademie.com/L-universite-medievale-vue-d.html>.


    1 L’Universidade Federal de Minas Gerais, l’Universidade Federal de Santa Catarina, l’Universidade Federal do Mato Grosso, l’Universidade Católica Dom Bosco et le SENAC de São Paulo.

    2 L’Université du Québec à Montréal, l’Université du Québec àTrois-Rivières et l’Université du Québec en Outaouais.

    3 Le réseau BRACERB regroupe depuis 2005 une douzaine d’universités brésiliennes et l’UQAM. Voir .

    4 Nous remercions le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) du Canada, le programme FODAR de l’Université du Québec, la Chaire canadienne itinérante d’études brésiliennes, le ministère des Relations internationales du Québec, le SENAC de São Paulo et nos universités brésiliennes et québécoises pour leur soutien financier.

    5 Nous remercions chaleureusement Catherine Rodriguez pour la traduction des textes portugais et son aide à l’édition.

    Nous habitons une biosphère en évolution, un monde régi par la loi de l’entropie, composé d’écosystèmes fragiles et de « ressources » épuisables. Il est désormais évident que la biosphère subit des pressions importantes liées à l’accroissement des moyens d’action de l’homme sur ses écosystèmes et paysages. Cette réalité rend compte d’un faible niveau de conscience et de responsabilité de notre part par rapport à l’ampleur des destructions en cours. Nous agissons comme si les macroproblèmes socioenvironnementaux d’aujourd’hui – pollution, érosion accélérée de la biodiversité (et de la sociodiversité), désertification, désordres climatiques, urbanisation chaotique, exclusion sociale et pauvreté endémiques – ne représentaient qu’une simple turbulence intempestive et temporaire, des maux qui seraient susceptibles de traitements ponctuels à court terme. Une conception figée, étroite et technocratique de la planification du développement et une quête infinie de puissance semblent commander la dynamique « contreproductive » (Illich, 1973) des sociétés contemporaines.

    Les actions correctrices se sont montrées jusqu’à présent ambiguës, fragmentées et peu capables de rendre compte de la complexité des efforts à déployer pour proposer tant une réduction des inégalités, un contrôle démocratique des risques liés à l’évolution technique que la création de rapports symbiotiques authentiques et durables avec la nature. En outre, les modes de pensée fondés sur une « rationalité indolente » (Santos, 2008) et sur le paradigme « analytico-réductionniste » ou « cartésien » (von Bertalanffy, 1968) sont encore très dominants dans nos institutions, dont les établissements d’enseignement et de recherche. Ces modes de pensée sont loin de nous offrir les meilleurs instruments pour bien comprendre le monde et surtout pour prendre les décisions politiques requises et agir. En réalité, les conceptions courantes contribuent largement à la dégradation généralisée de l’environnement biophysique et humain. Elles valident ou passent sous silence l’aggravation dramatique de la fracture présente entre les riches et les pauvres dans les deux hémisphères. Découpant la complexité du monde en éléments simples, elles n’arrivent pas à rendre compte ni des interactions écosystémiques, ni de leur évolution à long terme. Ici, comme nous rappelle James Lovelock (1993, 2010), le facteur temps est décisif car, pour assurer une gestion effective des menaces qui pèsent actuellement sur la biosphère, il nous faut tenir compte des temps de réponse des écosystèmes, dont certains sont très longs.

    Les initiatives qui se bornent à un aspect isolé de cette « problématique » complexe ne peuvent conduire à des solutions effectives à long terme. Dans la mesure où les problèmes environnementaux ne se posent pas en matière de spécialisation mono ou pluridisciplinaire, il nous faut un point de vue alternatif, considérant le processus coévolutif « société-nature » sous tous ses aspects. En d’autres termes, le phénomène qui nous occupe relève non pas de la juxtaposition de facteurs disciplinairement isolés, mais de leur interdépendance au sein d’un système global constitué précisément par ces interactions elles-mêmes. Plutôt que de réduire de manière fragmentée les phénomènes complexes à tel ou tel aspect, l’approche systémique s’efforce au contraire de les considérer dans leur intégralité et dans leur contextualité.

    Du point de vue analytique et idéologique, l’enjeu est donc de réunifier les dimensions biologiques et socioculturelles par le biais d’une prise de conscience engagée du rôle des interactions écosystémiques. À notre avis, la systémique (von Bertalanffy, 1968 ; Buckley, 1968 ; Händle et Jensen, 1974 ; Rosnay, 1975 ; Durand, 1979 ; Passet, 1979 ; Laszlo, 1981 ; Vester, 1983 ; Barel, 1970 et 1989 ; Le Moigne, 1984 ; Lapierre, 1992 ; Morin et Le Moigne, 2000) peut nous aider à mieux comprendre les mutations, les dangers et les incertitudes de notre temps et à mieux y faire face. Au cours des dernières décennies, une synthèse de niveau supérieur a été accomplie par les sciences de la complexité, regroupant ce qu’on appelle aujourd’hui la « théorie de l’auto-organisation » (Morin et Piattelli-Palmarini, 1974 ; Atlan, 1979 ; Varela, 1989). Elle jette un regard neuf sur les systèmes physiques, chimiques, biologiques, sociaux ou écologiques, permettant de mieux comprendre la complexité et de mieux choisir les stratégies de gestion planétaire des rapports prenant place entre l’Humanité et la Nature. Comme le rappelle si lucidement Pierre Dansereau (1994, p. 10), « il nous appartient donc de créer un nouveau modèle de solidarité biologique à l’échelle planétaire. Un tel projet repose sur les sciences de l’environnement, elles-mêmes unifiées par une pensée écologique. »

    Cette nouvelle grille d’analyse transdisciplinaire nous amène à voir et à répondre autrement

    […] aux questions éternelles de notre origine, de la signification de la vie, des conséquences de notre action, de notre destinée. C’est dans ce contexte global que ces questions s’éclairent d’une lumière tout autre. Elle ne veut plus – et ne peut plus – séparer l’objet du sujet. Séparer la certitude des faits expérimentaux accumulés patiemment par la science, de la signification et de la finalité de l’action consciente et créatrice qui transforme le monde (Rosnay, 1975, p. 238).

    En même temps, la pensée écologique nous amène à une redécouverte des potentialités, des richesses, des particularismes et de la force des initiatives de développement local par rapport à l’avancée de l’effet d’homogénéisation et de déterritorialisation économique et culturelle induit par l’idéologie marchande et moderniste de la croissance économique prédatrice.

    L’ouverture à une représentation systémique-complexe du monde et à la création d’une forme alternative d’organisation de la vie à l’échelle planétaire commence à peine à être incorporée dans nos conceptions et pratiques de développement et d’éducation pour le développement. Tout au long de cet article, nous tenterons de cerner les pistes à suivre pour un renouvellement paradigmatique des idées et des approches du développement local. Nous le ferons en tenant compte des limites écologiques globales de la croissance matérielle. Ce renouvellement se fait sous la toile de fond de questions historiquement inédites et complexes qui mobilisent des acteurs sociaux du monde entier dans une contre-offensive autour de réflexions et de pratiques porteuses d’éléments concrets et novateurs. Le modèle de croissance pour l’enrichissement individuel et sa contrepartie en termes de misère généralisée à plus des deux tiers de la population mondiale sont au cœur de ce nœud gordien à dénouer, un nœud tissé de contradictions entre riches et pauvres qui partagent la même utopie d’un accomplissement de soi dans et par la croissance illimitée des capacités productives des sociétés.

    1. Notre objectif

    L’hypothèse de travail guidant notre réflexion repose sur une proposition de changement d’épistémè dans et par l’innovation culturelle. L’analyse qui découle des processus et des dynamiques nécessaires à l’adoption et au déploiement de cette nouvelle configuration mondiale nous fait dire que la simple voie du réformisme ne suffit pas. S’impose une révolution culturelle du type de celle qui a marqué le passage de l’Ancien au Nouveau Régime à la fin du XVIIIe siècle en sol européen.

    Dans un premier volet de notre argumentaire, nous interrogerons directement le rôle des institutions vouées à l’enseignement, à la recherche et au transfert de connaissances. Au premier rang, nous remettrons en question le rôle joué par les universités. La montée de la crise planétaire nous pousse tout d’abord à gagner la bataille de la production et de la diffusion sociale de connaissances pertinentes, ajustées à l’urgence d’une compréhension plus approfondie – ou systémique-complexe – de ce qui se passe. En ce sens, le concept même de « croisement des savoirs, des pratiques et des pouvoirs » proposé par ATD Quart Monde nous semble approprié¹. Nous l’utiliserons dans le sens d’un « dialogue entre détenteurs de savoirs et de pouvoirs ». À notre avis, l’enseignement et la recherche sur la dynamique des systèmes socioenvironnementaux, la conception de systèmes techniques écologiquement prudents et socialement acceptables et le dialogue de savoirs forment un système intégré et finalisé. Nous défendrons aussi l’idée d’implanter une dynamique et des processus de recherche centrés sur des approches transdisciplinaires entre types et milieux et aussi entre sociétés. En même temps, nous mettrons en lumière le concept clé d’éducation relative à l’environnement. Le défi reposera alors sur l’engagement critique des citoyens dans des actions créatrices de nouveaux savoirs, de nouvelles pratiques et de nouvelles formes organisationnelles du vivre et de l’être ensemble à l’échelle locale/territoriale. Enfin, nous ferons l’éloge d’une démarche socioéducative constructiviste vouée au renforcement du pouvoir d’agir des communautés locales.

    En d’autres termes, nous suggérerons une mise en dialogue faisant appel à la diversité des contextes socioécologiques, à la logique des besoins fondamentaux (par opposition à la logique marchande et productiviste-consumériste), à la coévolution du rapport « société-nature », à l’équité, à la décentralisation, à l’autodéveloppement et à la prudence écologique. Cette mise en dialogue inspirera l’exercice d’une « nouvelle radicalité » (Benasayag et Scavino, 1997) dans la production et l’utilisation de savoirs mobilisés pour contrer une crise globale qui s’intensifie chaque jour.

    Dans un deuxième volet de notre argumentaire, notre préoccupation sera de faire ressortir dans quelle mesure une ligne de réflexion plus approfondie et transgressive sur l’économie plurielle est en train de nourrir le débat académique sur la viabilité et la légitimité de nouvelles stratégies intégrées de développement local endogène (ou bottom up), socialement équitable, écologiquement responsable et basé sur une nouvelle conception d’efficacité économique. Ici, nous revisiterons de façon critique le terme développement durable, qui fut monopolisé par le débat social suscité par le Sommet de la Terre. Pour cela, nous rejoindrons la trajectoire réflexive découlant de l’approche dite d’écodéveloppement. Il s’agit alors de cerner la cohérence et l’originalité de ce concept, mis en discussion dans le contexte de préparation de la Conférence de Stockholm (1972). Nous considérons également que le nouveau paradigme systémique-complexe appliqué au domaine de l’écologie humaine fournit un cadre solide de recherche et de réflexion aux tenants de l’écodéveloppement, non seulement dans une perspective politique, mais également épistémologique, théorique et éthique.

    La démarche d’éducation relative à l’environnement doit être envisagée comme une composante à part entière de l’approche écodéveloppementale : car « il n’y a pas d’écodéveloppement sans éducation pour l’écodéveloppement » (Sachs, 1980, p. 48-50). L’intention sera de renforcer le point de vue selon lequel l’incorporation récente des notions comme « l’incertitude contingente dans la dynamique de systèmes complexes », la « résilience écosystémique », la « cogestion adaptative du patrimoine naturel et culturel de l’humanité » et l’économie plurielle traduisent un cheminement complexe d’évolution de la démarche d’écodéveloppement, à partir des formulations classiques issues des travaux d’Ignacy Sachs et des chercheurs attachés au Centre international de recherches sur l’environnement et le développement (CIRED) en France. Ce cheminement passe par la diffusion du courant du développement territorial vers la fin des années 1980 et aboutit aux innovations contemporaines associées aux nouvelles politiques territoriales, orientées par la création de ressources territoriales et de modalités élargies, multiéchelles ou territorialisées de gouvernance (Vieira, Cazella et Cerdan, 2006).

    Nous terminerons par un bilan sur le débat théorique concernant l’économie plurielle et l’émergence de nouvelles pratiques solidaires et écologiques susceptibles de nourrir les processus conduisant à l’innovation culturelle nécessaire à la fondation d’un nouvel épistémè. L’article associe ce changement d’épistémè au design d’un projet alternatif de société et de civilisation fondé sur le Projet local. Nous le considérerons comme une métamorphose du cadre normatif de la modernité capitaliste. L’obéissance passive et résignée aux orientations culturelles diffusées dans la mouvance de la configuration mondiale hégémonique serait remplacée par un nouvel imaginaire nous invitant à penser en matière de renaissance de la capacité de se développer par et dans un vivre ensemble solidaire et écologiquement responsable.

    En guise de conclusion, l’article offre des jalons pour une démarche innovatrice de construction conjointe de connaissances entre collectivités locales et institutions universitaires, en mettant en lumière la promotion de zones ateliers de développement territorial durable.

    2. Les universités par rapport à la crise globale de l’environnement : pour une science citoyenne

    Aujourd’hui s’impose une forte remise en question des modalités hégémoniques de développement socioéconomique et des modes de vie. Une remise en question qui interroge en profondeur les politiques publiques de développement scientifique et technologique, l’organisation des systèmes d’enseignement (formel et informel) et les approches hégémoniques de transmission de connaissances aux communautés locales.

    En fait, un nouveau scénario d’innovation culturelle devrait être conçu explicitement en vue de son aptitude à assurer la souplesse de changement qu’exige une situation de crise socioécologique globale, dans laquelle on attend de la communauté scientifique la définition d’un nouveau référentiel de changement culturel à grande échelle. En règle générale, nous nous faisons les architectes des changements de cap en poursuivant des objectifs de croissance économique selon des principes de politique et des orientations d’action collective qui tendent à consolider, d’un point de vue conservateur, les structures inhérentes aux systèmes sociaux dominants. Dans la mesure où nous ne comprenons pas suffisamment les objectifs stratégiques à atteindre à long terme, nous ne savons pas très bien dans quelle direction orienter nos efforts de réorganisation de la vie en société. S’inquiétant des symptômes, les agents de changement tendent à négliger l’action sur les causes structurelles des problèmes. Comment éviter à la fois les utopies inefficaces et les réformismes qui finissent par reproduire la dynamique des systèmes qu’ils prétendent transformer ?

    D’un côté, la plupart des spécialistes disposent déjà d’un accès privilégié à des chaînes de plus en plus globalisées d’échange d’informations techniques. De l’autre, il y a un nombre important de spécialistes qui se montrent visiblement démotivés à s’investir dans la recherche de voies concrètes de sortie effective de la crise du sens qui s’est profondément enracinée dans les sociétés contemporaines (Barel, 1973 et 1989). En plus, le rôle

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