Refus global: Histoire d'une réception partielle
Par Sophie Dubois
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À propos de ce livre électronique
Dans ce récit au carrefour de la littérature, de l’histoire et de la sociologie, l’auteure cherche notamment à comprendre les phénomènes de réceptions partielles ou parallèles qui peuvent sauver de l’oubli certaines œuvres. Elle examine les facteurs qui influencent la construction de « l’autoroute de la mémoire culturelle » et confirme l’intérêt qu’il y a, parfois, à jeter un œil à ses angles morts. En déconstruisant le récit commun au fondement du mythe, et en désengorgeant le discours critique, cet ouvrage essentiel ouvre grand les pistes pour de nouvelles lectures de cette époque charnière de l’histoire du Québec.
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Aperçu du livre
Refus global - Sophie Dubois
Sophie Dubois
REFUS GLOBAL
Histoire d’une réception partielle
Les Presses de l’Université de Montréal
Placée sous la responsabilité du Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises (CRILCQ), la collection Nouvelles études québécoises accueille des ouvrages individuels ou collectifs qui témoignent des nouvelles voies de la recherche en études québécoises, principalement dans le domaine littéraire: définition ou élection de nouveaux projets, relecture de classiques, élaboration de perspectives critiques et théoriques nouvelles, questionnement des postulats historiographiques et réaménagement des frontières disciplinaires y cohabitent librement.
Directrice:
Martine-Emmanuelle Lapointe, Université de Montréal
Secrétaire:
Hélène Hotton, Université de Montréal
Comité éditorial:
Gilles Dupuis, Université de Montréal
Daniel Laforest, Université de l’Alberta
Karim Larose, Université de Montréal
François Paré, Université de Waterloo
Nathalie Watteyne, Université de Sherbrooke
Comité scientifique:
Bernard Andrès, Université du Québec à Montréal
Patrick Coleman, University of California
Jean-Marie Klinkenberg, Université de Liège
Lucie Robert, Université du Québec à Montréal
Rainier Grutman, Université d’Ottawa
François Dumont, Université Laval
Rachel Killick, University of Leeds
Hans Jürgen Lüsebrinck, Universität des Saarlandes (Saarbrücken)
Michel Biron, Université McGill
Mise en pages: Yolande Martel
ePub: Folio infographie
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Refus global: histoire d’une réception partielle
(Nouvelles études québécoises)
Présenté à l’origine par l’auteur comme thèse (de doctorat – Université de Montréal), 2014.
Comprend des références bibliographiques.
Publié en formats imprimé(s) et électronique(s).
ISBN 978-2-7606-3805-1
ISBN 978-2-7606-3806-8 (PDF)
ISBN 978-2-7606-3807-5 (EPUB)
1. Borduas, Paul-Émile, 1905-1960. Refus global. 2. Manifestes (Arts) – Québec (Province) – Histoire et critique. 3. Esthétique de la réception. I. Titre. II. Collection: Collection Nouvelles études québécoises.
ND249.b6d82 2017 759.114 C2017-941161-6
C2017-941162-4
Dépôt légal: 3e trimestre 2017
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
© Les Presses de l’Université de Montréal, 2017
www.pum.umontreal.ca
Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de la Fédération des sciences humaines de concert avec le Prix d’auteurs pour l’édition savante, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.
Les Presses de l’Université de Montréal remercient de leur soutien financier le Conseil des arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).
Table des matières
AVANT-PROPOS
INTRODUCTION
Quel «Refus global»?
Genèse et composantes de Refus global
Le titre: source d’ambiguïté
Refus global: un manifeste?
Réception et occultation de Refus global
Faire l’histoire de la réception
Envisager les obstacles
Corpus et chronologie
La métaphore de l’autoroute
Liste des abréviations
L’Horizon d’attente
CHAPITRE 1
Répondre aux attentes
Débats sur l’art au Quartier latin
Autour de Prisme d’Yeux
Les critères de légitimation
La peinture de Prisme d’Yeux
La réception de Prisme d’Yeux: reflet de la critique moderne
Les Automatistes avant Refus global
Les premières manifestations des Automatistes
Les Automatistes: une fierté nationale
Ce qui attend Refus global
La «bombe» Refus global
Réussir l’épreuve de la première réception (1948-1949)
CHAPITRE 2
Faire les frais de la présentation
La matérialité
L’hétérogénéité
L’horizon d’attente littéraire
Le manifeste
Le livre d’artistes
CHAPITRE 3
Intégrer le(s) champ(s)
La frontière poreuse entre champ culturel et champ du pouvoir
Lecture politique: les liens au communisme
Lecture éthique: valeurs nationales ou art autonome
La pluridisciplinarité à contre-courant de l’autonomisation
Les conséquences de l’autonomisation
La question de la compétence
Les champs émergents
CHAPITRE 4
Être pris au sérieux
L’incompréhension
La minoration
L’évaluation qualitative: les défauts de l’œuvre
L’épreuve de la comparaison
Le statut des auteurs
La moquerie
Caricatures, citations et autres railleries
Les pastiches d’Odette Oligny
CHAPITRE 5
Subir les conséquences
Borduas et l’École du meuble
La déviation du discours critique
La réduction du discours
L’ouverture du discours
La mythification
Glorification
Victimisation
Résurrection
CHAPITRE 6
Composer avec la critique
Le goût pour la polémique
Description des polémiques
Le statut de Refus global dans les polémiques
L’arrogance des Automatistes
La réputation des Automatistes
L’éthos du polémiste
La fin de l’impossible dialogue
CONCLUSION PRÉLIMINAIRE
Savoir recevoir
Le renvoi de Borduas: un événement
Les derniers miles de la première réception
Ce qui a été retenu, dit et non dit
Relativiser l’onde de choc
Les dérapages de la communication
La réception subséquente (1950-2008)
CHAPITRE 7
Suivre six décennies de discours
Les étapes de la réception
Le creux des années 1950 (1950-1957)
La redécouverte des années 1960 (1958-1967)
Artistes et spécialistes: les années 1970 (1968-1977)
Pour ou contre Refus global: les années 1980 (1978-1987)
La stagnation du discours: les années 1990 (1988-1997)
Enflure et lassitude: les années 2000 (1998-2008)
La topique du récit commun
De nouveaux obstacles à la réception
CHAPITRE 8
Exister
Les éditions de référence
Rééditions du texte éponyme
«Refus global» et Borduas au sommaire des anthologies
«Refus global» dans les écrits de Borduas
«Refus global» dans les ouvrages sociopolitiques
Rééditions et autres modes de diffusion du recueil
Les rééditions du recueil
Autres modes de diffusion du recueil
CHAPITRE 9
Être «discipliné»
Segmentation des lectures
Segmentation disciplinaire et stratégies d’appropriation
Discipliner: faire entrer dans le cadre du récit
Justifier la discipline
La réception multi- et interdisciplinaire
La réception multidisciplinaire
La réception interdisciplinaire
Chapitre 10
Être commenté
Quand les auteurs s’en mêlent
L’épopée gauvréenne au cœur de la réception
L’ambivalence du discours des signataires
Quand la critique s’impose
Pierre Vadeboncœur
François-Marc Gagnon
La réception étrangère: le salut hors du récit commun
La réception européenne
La réception anglophone
Ray Ellenwood
CHAPITRE 11
Survivre à l’ombre des mythes
Du mythe Borduas au mythe «Refus global»
Borduas: l’hommage posthume
Le mythe «Refus global»: le texte-choc
«Refus global», la Grande Noirceur et la Révolution tranquille
«Refus global» et la construction du récit historique
«Refus global», construction du récit historique
La démythification
Lire les composantes marginales: sortir du mythe, relire l’histoire
CHAPITRE 12
Entrer dans la mémoire
«Refus global» comme lieu de mémoire
Récupérer: réutiliser et recycler «Refus global»
Réutiliser: «Refus global» comme intertexte
Recycler: «Refus global» comme hypotexte
Inspirer: la réception productive
Le récit commun à l’intérieur de la fiction
Déconstruire le récit commun par la fiction
S’initier à l’automatisme par la fiction
CONCLUSION PRÉLIMINAIRE
Franchir les obstacles et sortir des limbes
CONCLUSION
Des réceptions et des œuvres
Récit commun et angles morts
Emprunter les voies parallèles et les routes secondaires
La survie du recueil: polysémie, relais et actualisation
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE1
Liste des éditions (en ordre chronologique)
A. Éditions complètes du texte «Refus global»
B. Éditions partielles du texte «Refus global»
C. Éditions du recueil Refus global
Textes, ouvrages et numéros de revue traitant des Automatistes et de Refus global
Ouvrages et articles théoriques et méthodologiques
table des matières
Dans la collection nouvelles études québécoises
Titres parus aux Presses de l’Université de Montréal
Titres parus chez Fides
À ma mère, outre-tombe
AVANT-PROPOS
Ce livre est issu d’une thèse de doctorat soutenue à l’automne 2014 à l’Université de Montréal. Pour les besoins du présent ouvrage, ont été retranchés: l’ensemble des données quantitatives et tableaux statistiques, l’appareil théorique et méthodologique, les bibliographies du corpus d’analyse et des sources théoriques, ainsi que la dernière partie portant sur les réceptions autonomes. Le lecteur intéressé à consulter ces données peut se référer à la thèse originale disponible en ligne sur Papyrus, le dépôt institutionnel numérique de l’Université de Montréal1.
Pour leur soutien à un moment ou à un autre du processus conduisant à ce livre, je tiens à remercier Micheline Cambron, Martine-Emmanuelle Lapointe, Marie Beaulieu, Mathieu Bertrand, Richard Gingras, Lauren Kratzer, Gilles Lapointe, Brigitte Louichon et André Mercier. Un merci tout particulier à Daniel Beaudoin pour le soutien moral et technique.
Mes recherches doctorales ont reçu l’appui financier du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada et de diverses bourses du Département des littératures de langue française et de la Faculté des arts et sciences de l’Université de Montréal, ainsi que du groupe de recherche La vie littéraire au Québec. Je tiens aussi à les remercier sincèrement.
1. Sophie Dubois, «Quand Refus global devient Refus global
: l’histoire d’une réception partielle», Montréal, Université de Montréal, Département des littératures de langue française, 2014.
INTRODUCTION
Manifestum est («Il est manifeste»). De ces deux mots latins utilisés par les gouvernements pour amorcer leur déclaration de guerre provient la première définition du genre «manifeste1». De nos jours, le manifeste se définit comme l’instrument de revendication d’un groupe artistique, social ou politique. Or, son caractère polémique le rattache encore à son origine guerrière. Le manifeste incarne une prise de position, souvent violente, en regard d’une situation donnée. Doté d’un aspect dialogique (il répond à un événement spécifique), il possède la particularité de s’inscrire dans l’actualité sociale et discursive de son époque, d’où le fait que, comme le souligne Yolaine Tremblay, «son champ d’action est circonscrit et son action, ponctuelle» et que «les essais de ce type sont susceptibles de vieillir2». Une fois séparés de leur contexte initial, les manifestes perdraient de leur pertinence et de leur efficacité. Ils seraient donc, par nature, éphémères, voués à l’oubli. Aussi, lorsqu’une œuvre manifestaire survit à l’épreuve du temps, mérite- t-elle d’être considérée comme une forme d’exception permettant de mettre en cause tant le genre du manifeste que le processus de réception des œuvres.
Au Québec, un manifeste a – semble-t-il – réussi à se dégager de la contingence de l’actualité pour s’inscrire dans l’histoire: il s’agit du manifeste automatiste «Refus global 3» paru en 1948. Plus qu’une simple prise de position ponctuelle, «Refus global» est aujourd’hui considéré comme une œuvre charnière marquant le passage de la société québécoise à l’ère de la modernité culturelle. Selon plusieurs, il est devenu, «à n’en pas douter, […] un classique de la Bibliothèque québécoise, lu et relu par des générations d’étudiants4». Une affirmation aussi catégorique, attribuant de façon paradoxale le statut de «classique» à une œuvre du genre manifestaire – réputé éphémère –, soulève des questions: quel est ce «Refus global»? Est-il réellement un manifeste? Et est-il réellement «lu»?
Quel «Refus global»?
D’entrée de jeu, il convient de distinguer Refus global, recueil de textes et d’illustrations paru en 1948, de «Refus global», texte d’ouverture de ce recueil. C’est en effet ce texte, rédigé par Paul-Émile Borduas et cosigné par quinze artistes du groupe automatiste, qui a été élevé au fil des ans au rang de «classique», alors que le reste du recueil a connu une réception beaucoup plus restreinte, semblant même, à certains égards, sombrer dans l’oubli. Cette première distinction permet d’ores et déjà de nuancer le statut généralement octroyé à l’œuvre en soulignant la double voie qu’a empruntée sa réception: consécration du texte éponyme, d’une part, et, d’autre part, occultation du mode de publication en recueil et, par le fait même, des autres composantes contenues dans ce recueil.
Par l’analyse de la réception critique de «Refus global» de 1948 à 2008, il s’agira, dans cet ouvrage, de mettre en évidence les facteurs ayant conduit à la réception partielle de l’œuvre automatiste; partielle à la fois parce que seule une partie de l’œuvre a connu une véritable, et presque constante, réception, mais aussi parce que le recueil et ses composantes ne sont pas totalement, ni constamment, exclus du discours critique. Plus largement, l’étude de la réception permettra de faire ressortir la diversité des points de vue critiques dont a été l’objet «Refus global», diversité néanmoins soluble dans le grand récit de la Révolution tranquille qui aura pour effet non seulement d’effacer le recueil de la mémoire collective, mais aussi de voiler la plurisémie du texte lui-même. L’objectif est donc de faire voir la manière dont s’est construit le récit commun autour de «Refus global», tout en redonnant une visibilité à des lectures de l’œuvre aujourd’hui oubliées et en nuançant certains a priori sur le manifeste le plus célèbre – et le plus célébré – du Québec.
Genèse et composantes de Refus global
Lancé le 9 août 1948 à la Librairie Tranquille5, Refus global constitue un moment phare dans l’histoire du groupe des Automatistes, formé autour du peintre Paul-Émile Borduas, professeur à l’École du meuble de Montréal. Le mouvement automatiste s’inscrit dans la filiation du surréalisme français dont il poursuit les explorations, lui empruntant notamment l’idée d’une écriture automatique – littéraire et plastique – non régie par la raison et permettant d’atteindre l’inconscient. Il pousse toutefois cette idée plus loin grâce à l’abstraction qui accentue la portée non intentionnelle du geste pictural6. Dès 1942, Borduas, quelques-uns de ses étudiants et d’autres élèves provenant de l’École des beaux-arts travaillent à développer et à faire accepter l’art vivant au Québec. Amorcé dans le domaine des arts visuels, le mouvement s’étend bientôt à d’autres domaines en raison de la présence dans le groupe d’artistes et d’intellectuels comme Claude Gauvreau (poète et dramaturge), Françoise Sullivan (danseuse et chorégraphe) et Bruno Cormier (futur psychiatre).
À l’origine de la rédaction du manifeste «Refus global» se situent les événements dont Fernand Leduc et Jean-Paul Riopelle sont témoins à Paris à l’été 1947, alors qu’ils fréquentent les membres du mouvement surréaliste. C’est en effet à cette époque que se déroule le débat sur les relations des surréalistes avec le Parti communiste, lesquelles conduiront à la rédaction, coup sur coup, des manifestes Pas de quartier pour la révolution des surréalistes belges, La cause est entendue des surréalistes révolutionnaires et Rupture inaugurale du groupe Cause. Si les deux premiers visent à réaffirmer l’appui des signataires au Parti communiste et aux idéaux relevant du matérialisme dialectique, le dernier au contraire consomme la rupture avec le Parti et proclame l’absence de toute politique partisane au sein de sa faction. Par l’entremise de la correspondance de Leduc et de Riopelle avec les membres des Automatistes à Montréal, des discussions ont eu lieu, à ce moment, pour que ceux-ci joignent leurs signatures au manifeste du groupe Cause, ce que fera d’ailleurs Riopelle. Quant à Leduc, il hésite, affirmant notamment que ce manifeste ne contient «rien pour ce qui regarde les œuvres7». L’idée d’une signature collective des Automatistes est alors rejetée et ce ne sera qu’au retour de Riopelle au Québec à la fin de l’année 1947 que celle d’un «texte original reflétant la situation locale, un manifeste canadien8» sera évoquée.
Le texte éponyme qui ouvre le recueil aurait en effet été rédigé par Borduas entre la fin de décembre 1947 et le début de février 1948. Ayant d’abord fait l’objet de discussions au sein du groupe (conduisant notamment à une réécriture), il aurait ensuite circulé dans un réseau plus large, afin d’obtenir des appuis sous forme de signatures9. Le projet de recueil serait postérieur à l’écriture du texte, Borduas ayant soumis au groupe l’idée d’y joindre d’autres productions afin d’«étoffer l’acte collectif10». Prenant en compte les œuvres (et non seulement le contexte sociopolitique, comme le reprochait Leduc aux surréalistes) et représentant l’aspect pluridisciplinaire du mouvement, le recueil Refus global regroupe ainsi des textes et des illustrations produits par plusieurs auteurs provenant de disciplines diverses et utilisant différents médiums. Outre le texte éponyme qui constitue à la fois une prise de position artistique et une critique de l’élite québécoise dite «obscurantiste», le recueil comprend: «En regard du surréalisme actuel», un autre texte de Borduas dont le titre signale la visée de positionnement artistique et qui a d’ailleurs fait l’objet d’une dissension au sein du groupe11; «Commentaires sur des mots courants», un lexique, non signé, du vocabulaire automatiste; «Au cœur des quenouilles», «Bien-Être» et «L’ombre sur le cerceau», trois objets dramatiques et poétiques de Claude Gauvreau; «L’œuvre picturale est une expérience», un texte de Bruno Cormier qui dépeint, du point de vue de la psychanalyse, l’expérience du peintre et du spectateur devant une toile; «La danse et l’espoir», le texte d’une conférence de Françoise Sullivan; et «Qu’on le veuille ou non», un texte sous forme de tract de Fernand Leduc. De plus, le recueil contient sept lithographies d’œuvres automatistes et neuf photographies prises par Maurice Perron des productions du groupe (expositions, mise en scène et chorégraphies). Enfin, les deux volets de la couverture réalisée par Jean-Paul Riopelle et Claude Gauvreau, mêlant poésie et aquarelle sur le mode de l’association libre, constituent une composante à part entière du recueil.
Parmi les différentes œuvres contenues dans le recueil, il convient d’opérer une distinction entre le texte éponyme, appartenant pleinement à l’histoire, et les autres composantes dont la réception fut lacunaire. Ces dernières seront dès lors qualifiées de «marginales», la marginalité définissant à la fois le statut de ces productions à l’intérieur du recueil et la position qu’elles occupent dans l’histoire littéraire, artistique ou plus largement culturelle au Québec.
Le titre: source d’ambiguïté
En plus de la distinction des composantes entre elles, il convient de porter une attention particulière à la distinction entre le tout et sa partie, d’autant qu’une relation d’éponymie unit le recueil Refus global et le texte «Refus global». La graphie flottante des journaux de la fin des années 1940, de même que la concentration rapide du discours critique autour du texte éponyme (qui se voit promu à l’italique) rendent souvent difficile la saisie du référent derrière la locution «refus global». Afin d’éviter toute confusion liée à cette indistinction, il apparaît donc essentiel d’adopter, dans cet ouvrage, l’usage de graphies distinctes. Aussi, en accord avec la convention bibliographique, l’italique sera-t-il réservé à l’œuvre complète (le recueil Refus global), tandis que la partie (le texte «Refus global») sera indiquée par des guillemets, tout comme les autres composantes du recueil («Bien-être», «La danse et l’espoir»…)12. Plus qu’un simple outil heuristique permettant de résoudre le problème de l’indistinction, la graphie du titre se révèle également, lorsqu’on y porte attention à l’intérieur des textes critiques étudiés, un signe de la confusion régnant dans la réception de l’œuvre, confusion dont elle est à la fois cause et symptôme: d’une part, l’usage de l’italique pour traiter du texte comme d’une œuvre complète et indépendante contribue à l’occultation de la parution originale en recueil; d’autre part, l’usage de l’italique est lui-même le résultat de la concentration du discours autour du texte auquel le statut d’éponyme confère une importance accrue.
L’éponymie, forme particulière de l’homonymie, lie, par une relation d’interdétermination, deux signifiés partageant un même signifiant. En raison de cette relation étroite, l’éponymie est propice à ce que le linguiste Henry G. Schogt nomme la «collision homonymique», soit l’apparition d’une confusion «au moment où deux signifiés, appartenant à une même zone d’intérêt, correspondent à un signifiant unique [et que] la situation extralinguistique n’arrive pas à éliminer l’ambiguïté13». La confusion lexicale, outre les difficultés méthodologiques qu’elle pose, peut aussi avoir un effet sur la réception de l’œuvre puisque, comme le signale Schogt, lorsque ces «situations où les deux signifiés donnent des sens également acceptables sont trop nombreuses, la paire homonymique devient gênante et un des deux homonymes disparaît14». Pour faciliter la communication et éviter la confusion, l’usage exerce une pression sur les homonymes et tend à préférer l’un des signifiés à l’autre. Dans le cas de «Refus global», l’étude du parcours de réception montre que c’est le signifié-texte, en tant qu’éponyme, qui agit comme référent dominant au détriment du signifié-recueil. Or, si, comme le souligne Schogt15, la marginalisation d’un homonyme tel l’adjectif «gai» (heureux) au profit de «gai» (homosexuel) réduit les chances de confusion en privilégiant l’usage de synonymes (heureux, content, enthousiaste…), il en va autrement pour un nom propre qui, par nature, possède un référent unique et ne peut avoir d’équivalent lexical. L’éponymie contribue donc, certes, à donner une importance accrue au texte éponyme à l’intérieur du recueil, mais elle constitue aussi un facteur de l’occultation du recueil par le discours critique: la fixation du syntagme «refus global» au référent «texte de Borduas» conduisant graduellement à l’effacement du référent «recueil pluridisciplinaire».
Dans un rapport qui n’est plus simplement celui de l’homonymie ou de l’éponymie, mais celui de la synecdoque, il s’opère, entre 1948 et 2008, non seulement un effacement du recueil, mais une substitution du tout par sa partie: Refus global devient «Refus global» – voire «le Refus global», l’italique et l’article défini signalant l’autonomie de l’œuvre et la particularisation du discours, assignation qui fixe le syntagme à un référent jugé unique.
Refus global: un manifeste?
Enfin, il convient de régler la question de l’appartenance générique de «Refus global». Un simple coup d’œil sur la réception fait en effet apparaître une absence de consensus quant à l’œuvre (texte ou recueil) pouvant être qualifiée de «manifeste». De même, la désignation auctoriale révèle que les Automatistes eux-mêmes ne sont pas fixés: pour Claude Gauvreau, le manifeste correspond au recueil16, tandis que, pour son frère Pierre, il s’agit du texte17.
Devant un tel flottement, une étude générique comme celle proposée par Julie Gaudreault18 s’avère plus que bienvenue. Bien que le discours critique ait souvent octroyé la qualité de manifeste au texte éponyme, Gaudreault pose plutôt le recueil comme le véritable représentant du genre. Considérant, avec Jeanne Demers et Lyne McMurray, que le manifeste implique «trois gestes essentiels: rejeter radicalement le passé, claironner un avenir comme seul acceptable, exposer/expliquer les rouages du nouveau système19», elle conclut que «Refus global
ne remplit pas toutes les conditions de réalisation de la rhétorique manifestaire [que seul] le contexte recueillistique complète20». En effet, si le texte «Refus global» remplit les deux premiers gestes correspondant aux phases déclarative et explicative du manifeste, les autres composantes du recueil accomplissent la troisième phase, la phase démonstrative, en donnant des exemples concrets de l’automatisme en peinture, en poésie ou en danse. Par sa fragmentation, le recueil s’apparente d’ailleurs aux manifestes composites, pluridisciplinaires et parataxiques des surréalistes français, ce qui légitime son assimilation au genre du manifeste artistique pratiqué par les disciples d’André Breton. Dans une perspective plus pragmatique, liée à la production et à la réception de l’œuvre, ajoutons que le bandeau publicitaire «MANIFESTE» entourant le recueil à sa publication et l’usage du terme «manifeste» par les premiers critiques pour qualifier celui-ci concourent à faire du recueil le représentant du genre manifestaire.
Dans ces conditions, le postulat concernant le caractère éphémère du manifeste, énoncé en début d’introduction, se trouverait en quelque sorte confirmé: le recueil-manifeste (et non le texte) ayant, de fait, sombré dans l’oubli, à tout le moins partiellement.
Réception et occultation de Refus global
En sa qualité de recueil pluridisciplinaire, Refus global peut être envisagé comme un microcosme de la production culturelle. Dans cette perspective, l’étude de sa réception rend possible à la fois l’observation du processus de consécration d’une œuvre par la mémoire et celle du processus de sélection opéré par l’histoire. Autrement dit, elle permet d’éclairer les processus historiographiques sous-jacents à la hiérarchisation des œuvres. Davantage que dans une histoire littéraire relevant de l’herméneutique, la réflexion proposée ici s’inscrit donc dans une histoire culturelle tirant profit des études de réception. Étudier la réception du recueil Refus global n’est pas en effet étudier Refus global; il s’agit plutôt d’en cerner les représentations (au sens où l’entend l’histoire culturelle21) dans le discours critique à son sujet.
Faire l’histoire de la réception
Concevant la réception d’une œuvre en fonction du processus d’accumulation et de concurrence des discours à son sujet, Daniel Chartier soutient que, «prises dans leur ensemble, les critiques semblent s’organiser et former une structure dans laquelle les éléments sont liés les uns aux autres22» pour constituer une chaîne de réception. Dans le processus, certains discours critiques, ne trouvant pas d’échos chez des commentateurs postérieurs, sombrent dans l’oubli, alors que d’autres sont repris (cités, commentés…) dans la réception subséquente et en viennent à constituer le discours dominant qui s’imposera dans l’histoire.
Faire l’histoire de la réception d’une œuvre, déceler les chaînes de réception qui unissent certains discours, c’est donc mettre à jour le métarécit (chacun des discours sur l’œuvre se présentant déjà comme un récit, au sens où l’entend Paul Ricœur, soit comme le résultat d’une refiguration de l’œuvre par le critique23) qui s’est constitué par le processus d’accumulation et de concurrence des discours. Ce métarécit – ou récit de réception – s’organise selon une logique configurante qui rappelle la démarche historienne24, laquelle opère, dans la masse des faits historiques, une sélection, un classement, une hiérarchisation. Bref, il s’agit de concevoir la réception comme une mise en série de lectures s’agençant de manière à former une «intrigue» cohérente qui leur confère une interlisibilité. Or, une fois l’intrigue formée, l’exigence de cohérence restreint la possibilité de lectures discordantes; celles-ci se trouvent dès lors écartées du récit ou réduites à un aspect susceptible de contribuer au discours dominant sans en rompre l’unité. C’est ce processus de constitution du récit de réception – lequel comporte une part obligée d’oubli – qui m’intéressera dans le cas de Refus global, de même que la possibilité qu’il existe, à côté de ce que je nommerai le récit commun, des récits parallèles à même de prendre en charge le recueil et ses composantes marginales.
Cette prise en compte de la réception à partir de la formation d’un récit commun sur l’œuvre a pour avantage de contrer la critique fréquemment adressée aux études de réception concernant l’indéfinition des lecteurs. En effet, dans le processus de concurrence des discours, ce qui détermine l’impact d’une critique dans le récit de réception, c’est d’abord sa reprise par des commentateurs subséquents. Par conséquent, aucune distinction ne sera faite, de prime abord, entre le discours du chroniqueur et celui de l’auteur d’une lettre d’opinion, ou entre le point de vue de l’universitaire et celui de l’artiste; ceci en fonction du postulat selon lequel l’influence d’un jugement critique découle de sa visibilité dans l’ensemble du discours et non d’une légitimité liée à son cadre de production – bien que l’un soit bien souvent garant de l’autre.
Envisager les obstacles
Jetant un regard large sur l’ensemble du discours critique, j’entreprends donc ici de faire le métarécit de la réception de Refus global. Or, ce métarécit, en prenant le recueil et non le texte comme objet premier, s’intéressera surtout aux obstacles et aux détours de la réception qui, loin d’être une longue route tranquille, est plutôt constituée de voies parallèles, de routes secondaires et d’angles morts qui, au-delà du récit commun formé par le discours dominant, offrent à l’œuvre marginalisée certaines possibilités de survie. Il s’agira en somme de faire voir comment et pourquoi Refus global a été écarté du récit dominant, mais aussi comment il a pu être saisi ponctuellement, parfois dans son entièreté, parfois de façon partielle.
Mon objectif n’est donc pas de déplorer un processus inévitable dans l’histoire ni même d’en critiquer les critères mais de tenter une explication des mécanismes de sélection – et de leur pendant négatif, ceux d’occultation –, tout en demeurant consciente du fait que la réception d’une œuvre est souvent parsemée d’aléas, d’embûches ponctuelles, bref, d’accidents de parcours. Je ne prétends pas, en ce sens, faire du cas de Refus global un modèle généralisable; tout au plus figure-t-il un cas exemplaire d’ouvrage composite, pluridisciplinaire et manifestaire permettant de poser à l’historiographie de la culture des questions sur sa capacité à intégrer ce type d’œuvre hétérogène.
On l’aura compris, mon but n’est pas non plus de proposer une nouvelle interprétation de Refus global, bien qu’il m’arrivera de signaler certaines potentialités sémantiques présentes dans le discours critique, mais qui n’ont pas été exploitées dans l’histoire de la réception du recueil. Aussi les nouvelles lectures qui se dégageront de mes analyses émergeront-elles des failles de la réception qui peuvent apparaître comme des voies pertinentes pour renouveler la lecture de l’œuvre. La mise en évidence de la réception critique permettra par ailleurs de reconsidérer, à rebours, la construction du discours sur «Refus global» et d’en comprendre la portée historique: au-delà de la simple occultation du recueil, c’est une façon de lire l’histoire québécoise – et les textes qui y sont rattachés – que révèle la mise en place du récit de réception entourant ce manifeste.
Corpus et chronologie
L’analyse de la réception de Refus global proposée ici s’étend sur 60 années – de 1948 à 2008. Étudier la réception critique d’une telle œuvre sur une aussi longue période pose, il va sans dire, des défis en matière de constitution du corpus et de traitement des données. Une brève recherche dans les bases de données et catalogues de bibliothèques suffit à constater que «Refus global» a connu une réception plus qu’abondante. Ceci s’explique notamment par la position qu’occupe l’œuvre au carrefour de plusieurs histoires: celle du mouvement automatiste, celles de ses principaux créateurs et, plus largement, celles de la société, de la littérature et de l’art québécois. Aussi le corpus de réception est-il à la fois imposant et épars. Un long travail de dépouillement, accompagné de recherches ciblées pour débusquer la part marginale de la réception25, a finalement permis de constituer un corpus de 639 documents qui, sauf exception26, sont des textes, publiés au Québec et proposant une lecture de l’œuvre27. Sans être exhaustif (ce qui semble utopique dans le cas de «Refus global»), ce corpus, par son ampleur et la diversité de ses sources, peut néanmoins prétendre à la représentativité.
L’analyse de la réception se déroulera en deux temps: les deux premières parties s’arrêteront sur la principale étape du parcours de réception, soit le moment de la parution de l’œuvre (1948-1949), précédé d’un bref regard sur l’horizon d’attente qui oriente la réception; les troisième et quatrième parties porteront sur la réception subséquente (1950-2008), laquelle fait voir l’émergence et la constitution du récit commun autour de certains topoï sur l’œuvre, tout en ménageant des voies parallèles permettant au recueil de survivre à l’écart du discours dominant.
Concernant le découpage interne de la période 1948-2008, une seule division a donc été jugée pertinente et elle survient l’année suivant la parution du recueil. Si ce partage peut étonner, il est justifié par la nature distincte des deux réceptions et par la problématique qui m’importe ici. Comme on le verra en effet, le sort du recueil est en quelque sorte déjà scellé en 1949; par la suite, les enjeux se déplacent: le discours dominant s’étant resserré autour du texte éponyme, la réception du recueil emprunte des voies parallèles, l’œuvre réapparaissant à des moments ponctuels ou dans des lieux de discours marginaux. Il s’agira donc alors de faire voir à la fois l’effet de la constitution du discours dominant sur la lecture de l’œuvre et les possibilités de survie des composantes marginales. Davantage que par la stricte chronologie, les analyses présentées seront d’abord guidées par les obstacles empêchant la saisie du recueil dans l’histoire. J’adopte en cela une perspective similaire à celle employée par Martine-Emmanuelle Lapointe dans son analyse de la réception de romans emblématiques de la Révolution tranquille, laquelle justifie ainsi son choix d’étudier d’abord la première réception puis, de façon plus générale, la critique ultérieure:
La multiplicité des interprétations, des voix et des points de vue permet difficilement de reconstruire de manière linéaire et chronologique l’évolution de la critique savante, enfin sans donner l’impression de dresser un inventaire. Il m’a semblé plus pertinent de privilégier les regroupements thématiques et les réseaux qui témoignent plus nettement des oppositions, des conflits et des similitudes entre les diverses lectures proposées28.
Le renoncement à la chronologie n’est cependant pas total: seul son aspect systématique est mis de côté. Dans les faits, le chapitre 7 propose un portrait diachronique de la réception de 1950 à 2008, lequel met en évidence les étapes de la constitution du discours dominant et les moments de l’apparition de certains contre-discours, donnant ainsi à voir les fluctuations dans les réceptions du texte et du recueil. La chronologie est également respectée dans l’ordre de présentation des divers obstacles en fonction de leur apparition dans le discours critique, bien que ceux-ci agissent le plus souvent de façon parallèle. Certains événements baliseront en outre les étapes de la réception. Ainsi, bien que des textes critiques appartenant à des époques distinctes puissent témoigner d’une même difficulté dans l’appréhension de l’œuvre, la déviation du discours critique causée par un événement comme le renvoi de Borduas ne peut être ignorée: il y a bien un avant et un après le renvoi qui inscrit la réception dans la chronologie. De même, certaines lectures sont marquées par les idéologies de l’époque ou par des tendances théoriques dans le milieu savant. Aussi le renoncement à la stricte chronologie ne signifie-t-il pas une négation de la succession des modes de réception ni une absence de considération pour le contexte de production de la réception; il signifie surtout la liberté de ne pas confiner la réception à l’intérieur de divisions pouvant s’avérer arbitraires.
Cette problématique m’empêche également de fonder mon analyse sur l’étude de moments clés de la réception comme l’ont fait certains chercheurs avant moi. En s’appuyant sur l’étude des commémorations ou sur la parution d’ouvrages importants, Brigitte Deschamps, Patricia Smart et Gilles Lapointe en viennent, en fait, à enregistrer les étapes qui ont fait de «Refus global» un lieu de mémoire29, un mythe30 ou un classique31. Or, mon objectif se situe à rebours de cette démarche puisque je cherche plutôt à examiner le non-dit, l’occultation ou la minoration – ce, aux dépens de quoi s’est érigé le mythe.
La métaphore de l’autoroute
Ce que je propose ici, c’est d’envisager la réception d’une œuvre, régie par le processus d’accumulation et de concurrence des discours, comme une autoroute sur laquelle circulent les discours critiques comme autant de véhicules d’une lecture de l’œuvre. Ces discours se relaient et empruntent plusieurs voies. Or, au fur et à mesure qu’un discours attire dans sa voie les discours subséquents, celle-ci tend à s’imposer, à se condenser et à s’unifier. Les autres discours se retrouvent alors dans ce que j’appellerai les angles morts de la réception, constitués de discours qui n’ont pas trouvé de relais chez des critiques ultérieurs et dont les lectures sont occultées, dont la vue est obstruée, par un aspect du discours dominant.
Mon étude a donc pour but de retracer le parcours de réception qui a permis au texte éponyme d’en intégrer la voie principale et de repérer les obstacles qui ont bloqué la voie au recueil. En chemin, un regard sur les angles morts pourrait rendre possibles la réalimentation de certaines lectures et le déblaiement de nouvelles voies parallèles et de chemins secondaires32. Ce regard dans le rétroviseur de la réception, au-delà du discours canonique, peut en effet s’avérer pertinent, surtout lorsque, comme c’est le cas du récit commun sur «Refus global», le discours empruntant la voie centrale semble stagner et se réifier, victime d’une trop grande concentration – d’un engorgement.
Liste des abréviations
BÊ «Bien-être»
CMC «Commentaires sur des mots courants»
CQ «Au cœur des quenouilles»
DE «La danse et l’espoir»
OC «L’ombre sur le cerceau»
OPE «L’œuvre picturale est une expérience»
PY «Prisme d’yeux»
QV «Qu’on le veuille ou non…»
RG «Refus global»
RSA «En regard du surréalisme actuel»
1. Voir Daniel Latouche et Diane Poliquin-Bourassa, «Introduction. Ces Québécois qui ont pris la parole», Le Manuel de la parole: manifestes québécois, Sillery, Boréal Express, 1977, tome I, p. 15.
2. Yolaine Tremblay, Du Refus global à la responsabilité entière: parcours analytique de l’essai québécois depuis 1948, Sainte-Foy, Le Griffon d’argile, 2000, p. 108.
3. Sur la double graphie (italique et guillemets), voir infra «Le titre: source d’ambiguïté».
4. Gilles Lapointe, «Refus global au seuil de l’âge classique: autour de quelques lectures contemporaines du manifeste», dans Ginette Michaud et Élisabeth Nardout-Lafarge (dir.), Constructions de la modernité au Québec, Montréal, Lanctôt éditeur, 2004, p. 90. Je souligne.
5. Le lancement a effectivement lieu chez Tranquille, mais la critique a tendance à employer un raccourci faisant de Tranquille le seul distributeur. Or, «le tirage était de 400 exemplaires, dont 50 hors commerce, 50 répartis entre les librairies Deom, Ménard et Pony, et le reste à la Librairie Tranquille.» (Paul-Émile Borduas, Écrits II, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, «BNM», 1997, tome I, p. 284, note 219.)
6. Pour plus d’informations sur le groupe, son esthétique ou sa philosophie, je renvoie le lecteur aux ouvrages de François-Marc Gagnon (Chronique du mouvement automatiste québécois, 1941-1954, Outremont, Lanctôt éditeur, 1998) et de Ray Ellenwood (Egregore. A History of the Montréal Automatist Movement, Toronto, Exile, 1992; Égrégore: une histoire du mouvement automatiste de Montréal, traduction de Jean Antonin Billard, Montréal, KÉTOUPA Édition/Outremont, Les éditions du passage, 2014.)
7. Cité dans François-Marc Gagnon, op. cit., p. 362.
8. Ibid., p. 439. Les versions diffèrent toutefois quant au réel initiateur du projet. Alors que Robert Bernier soutient que c’est Riopelle «qui insiste pour que Borduas rédige un manifeste» (Un siècle de peinture au Québec: nature et paysage, Montréal, Éditions de l’Homme, 1999, p. 169), Lise Gauvin affirme qu’il «n’est pas à l’origine du projet de manifeste – car l’idée même d’un texte collectif avait été lancée par Fernand Leduc», mais que «c’est bien lui qui, en 1947, expédie à Borduas un nouveau texte, Rupture inaugurale» qui ravivera l’idée d’un manifeste («Riopelle au temps de Refus global», Le Devoir, 9-10 mai 1998, p. E10). Or, René Viau affirme, quant à lui, que, «contrairement à ce qui a été dit, c’est Leduc, et non Riopelle, qui, le premier, fait parvenir à Montréal, un exemplaire [de ce] manifeste» (Jean-Paul Riopelle, Québec, Musée du Québec, 2003, p. 25).
9. Voir François-Marc Gagnon, op. cit., p. 421, 456-457, 462, 478.
10. Propos de Borduas cités dans Claude Gauvreau, «L’épopée automatiste vue par un cyclope», La Barre du jour, nos 17-20, janvier-août 1969, p. 71.
11. Fernand Leduc et Jean-Paul-Riopelle étaient en effet en désaccord avec les reproches adressés par Borduas au surréalisme. Voir à ce sujet, François-Marc Gagnon, op. cit., p. 440-448 et Gilles Lapointe, «Filiations et ruptures: la correspondance Borduas-Riopelle», Études françaises, vol. 34, nos 2-3, 1998, p. 193-216.
12. Lorsque le propos concerne les deux objets ou lorsque l’ambiguïté persiste malgré le contexte d’énonciation, la double graphie (italique et guillemets) sera utilisée. La graphie originale sera toutefois maintenue dans les citations.
13. Henry G. Schogt, Sémantique synchronique: synonymie, homonymie, polysémie, Toronto, University of Toronto Press, 1976, p. 98.
14. Ibid.
15. Ibid., p. 99.
16. «C’est ainsi que le manifeste complet inclut, en plus du Refus global proprement dit, deux autres textes de Borduas». (Claude Gauvreau, «L’épopée automatiste vue par un cyclope», La Barre du jour, nos 17-20, janvier-août 1969, p. 71. Je souligne.)
17. «L’important, c’était le manifeste; il était majeur. On s’est dit qu’on en profiterait pour faire passer d’autres choses aussi. Claude a pu publier des pièces en un acte; […]» (Michel Desautels, Pierre Gauvreau: les trois temps d’une paix. Entretiens, Montréal, L’Hexagone, 1997, p. 48. Je souligne.)
18. Julie Gaudreault, Le recueil écartelé. Étude de Refus global, Québec, Nota bene, 2007, p. 73-81.
19. Jeanne Demers et Lyne McMurray, L’enjeu du manifeste, le manifeste en jeu, Longueuil, Le Préambule, «L’univers des discours», 1986, p. 80.
20. Julie Gaudreault, op. cit., p. 81.
21. Voir notamment Pascal Ory, L’Histoire culturelle, Paris, Presses universitaires de France, 2011 [2004], p. 8.
22. Daniel Chartier, L’émergence des classiques. La réception de la littérature québécoise des années 30, Montréal, Fides, «Nouvelles études québécoises», 2000, p. 28.
23. Voir Paul Ricœur, Temps et récit. 1. L’intrigue et le récit historique, Paris, Seuil, 1983, p. 136-162.
24. À ce sujet, voir notamment Antoine Prost, «Mise en intrigue et narrativité», Douze leçons sur l’histoire, Paris, Seuil, 1996 et Paul Veyne, Comment on écrit l’histoire, Paris, Seuil, 1971.
25. La recherche bibliographique traditionnelle, notamment la consultation des sources compilées dans les ouvrages marquants, tend en effet à faire apparaître les références formant le discours dominant sur une œuvre, au détriment de lectures qui, au contraire, n’auraient pas été relayées.
26. Par exemple, bien qu’il ne s’agisse pas de textes écrits, les caricatures ont été retenues en raison de leur qualité d’écriture graphique et du dialogue qu’elles entretiennent avec des textes parus dans les journaux. De même, certains textes parus en Ontario ou en France, mais diffusés au Québec ont pu intégrer le corpus en raison de l’impact qu’ils ont eu sur la réception québécoise.
27. Trois critères de sélection ont ainsi été retenus: la forme du support, le lieu de parution et la présence d’une «lecture» définie par le potentiel herméneutique du texte critique: l’interprétation qui y est proposée de l’œuvre doit y être suffisamment dense ou étoffée pour donner prise à un travail d’analyse discursive.
28. Martine-Emmanuelle Lapointe, Emblèmes d’une littérature. Le Libraire, Prochain épisode et L’Avalée des avalés, Montréal, Fides, «Nouvelles études québécoises», 2008, p. 12.
29. Brigitte Deschamps, «Refus global: de la contestation à la commémoration», Études françaises, vol. 34, nos 2-3, automne-hiver 1998, p. 175-190.
30. Patricia Smart, Refus global: genèse et métamorphoses d’un mythe fondateur, Montréal, Programme d’études sur le Québec, Université McGill, «Les Grandes Conférences Desjardins», 1998.
31. Gilles Lapointe, «Refus global au seuil de l’âge classique», dans Ginette Michaud et Élisabeth Nardout-Lafarge (dir.), Constructions de la modernité au Québec, Montréal, Lanctôt éditeur, 2004, p. 89-105.
32. C’est d’ailleurs ainsi que procède Hans Robert Jauss qui, faisant fi du discours dominant sur l’Iphigénie de Goethe, revient à la source de la réception et dévoile une lecture de l’œuvre (celle de Hegel) qui, faute de relais, «ne s’était pas imposée dans l’histoire de l’œuvre sous la forme d’une concrétisation» («De l’Iphigénie de Racine à celle de Goethe», Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, «Tel», 1978, p. 257.)
L’Horizon d’attente
Dans son ouvrage L’émergence des classiques, Daniel Chartier soutient que, pour qu’une œuvre devienne un classique, elle doit réussir l’épreuve de la première réception. Chartier décrit ce processus d’insertion dans l’histoire littéraire comme un mécanisme de réduction et de concentration des diverses critiques produites au moment de la parution:
par un effet de concurrence entre les discours (mais aussi entre les critiques eux-mêmes, entre les lieux où ils choisissent de publier leurs textes, etc.) et par un effet d’accumulation de ces discours, certaines énonciations critiques dominent les autres. De nouvelles interprétations ne peuvent s’inscrire qu’en réaction à ce discours dominant en l’alimentant ou en le critiquant1.
L’inscription d’une œuvre dans l’histoire est alors fonction, d’une part, du jeu de pouvoir entre les critiques et, d’autre part, de la capacité des discours à se constituer en un discours unifié, dominant prenant la forme d’un récit de réception. Cette unification résulte d’un processus de sédimentation faisant en sorte que certaines lectures de l’œuvre à sa parution sont retenues et relayées, et d’autres non.
Selon la thèse de Chartier, le parcours de réception idéal d’une œuvre, celui qui lui assurerait un laissez-passer pour l’histoire, se déroulerait de la sorte: «les critiques à la parution proposent une orientation, l’accumulation