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Pour une histoire des femmes bibliothécaires au Québec: Portraits et parcours de vies professionnelles
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Pour une histoire des femmes bibliothécaires au Québec: Portraits et parcours de vies professionnelles
Livre électronique325 pages3 heures

Pour une histoire des femmes bibliothécaires au Québec: Portraits et parcours de vies professionnelles

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À propos de ce livre électronique

Contrairement à celles des États-Unis et du Canada anglophone, les bibliothèques québécoises ont connu un développement tardif, principalement après la Seconde guerre mondiale et surtout à partir de la décennie 1960, pendant la Révolution tranquille; les femmes ont été peu présentes aux postes de direction au XIXe et au début du XXe siècle.

À différentes périodes du XXe siècle, sept femmes ont œuvré dans les bibliothèques québécoises et y ont exercé une influence remarquable, tant dans les bibliothèques publiques (Éva Circé-Côté, Marie-Claire Daveluy, Mary Sollace Saxe, Hélène Carbonneau, Louise Guillemette-Labory) et scolaires (Hélène Grenier) qu’universitaires (Céline Robitaille-Cartier), de même que dans l’enseignement de la bibliothéconomie à l’université (Paule Rolland-Thomas). La vie et la carrière de ces femmes sont dépeintes dans le présent ouvrage.

En exposant ces portraits, ce livre est novateur par sa mise en valeur de femmes d’exception qui se sont distinguées dans leur profession. Ouvrant un chantier sur le rôle significatif joué par les femmes dans les bibliothèques du Québec, il amorce une recherche sur des problématiques dans ce domaine qui ont déjà donné lieu à des publications aux États-Unis et en France.

Ce livre s’adresse aux professionnels de l’information, mais aussi aux personnes intéressées par la place historiquement occupée par les femmes dans les institutions culturelles québécoises. Il pourrait également être utile à la formation des bibliothécaires, en montrant des carrières exemplaires.

Marcel Lajeunesse a été professeur de carrière à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information (EBSI) de l’Université de Montréal de 1970 à 2006 et professeur associé depuis 2006. Ses recherches et ses publications portent particulièrement sur l’histoire du livre et des bibliothèques, de même que sur les aspects comparés et internationaux de l’information.

E?ric Leroux est professeur agrégé à l’EBSI de l’Université de Montréal. Ses recherches concernent l’histoire du livre et de l’imprimé, principalement les aspects sociaux et culturels touchant les ouvriers des métiers du livre ainsi que l’histoire des bibliothèques et des bibliothécaires au Québec.

Marie D. Martel est professeure adjointe à l’EBSI de l’Université de Montréal. Ses travaux portent sur le rôle social des bibliothèques publiques, le design des services publics, l’inclusion sociale et numérique, la bibliothèconomie critique féministe et les communs numériques.
LangueFrançais
Date de sortie22 janv. 2020
ISBN9782760552531
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    Aperçu du livre

    Pour une histoire des femmes bibliothécaires au Québec - Marcel Lajeunesse

    Introduction

    Le présent ouvrage rassemble les portraits de sept femmes qui ont eu des parcours d’exception, que ce soit dans les bibliothèques publiques, scolaires, universitaires ou encore dans le milieu de l’enseignement de la profession de bibliothécaire au Québec. Grâce au leadership qu’elles ont exercé au sein de leurs établissements respectifs, ces femmes ont marqué leur profession et leur époque.

    Divisé en sept chapitres, l’ouvrage présente de manière chronologique les carrières d’Éva Circé-Côté, première bibliothécaire de la Ville de Montréal, de Mary Sollace Saxe, qui a développé la Bibliothèque publique de Westmount, de Marie-Claire Daveluy, qui a fait une longue carrière à la Bibliothèque municipale de Montréal, d’Hélène Grenier, de la Commission des écoles catholiques de Montréal, de Paule Rolland-Thomas, qui a enseigné à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Montréal, de Céline Robitaille-Cartier, qui a notamment été gestionnaire de la Bibliothèque de l’Université Laval, et de deux femmes qui ont travaillé dans les bibliothèques publiques de Montréal, l’une comme bibliothécaire, Hélène Charbonneau, l’autre comme bibliothécaire et gestionnaire, Louise Guillemette-Labory.

    À ce jour, aucune étude produite au Québec n’a porté sur le rôle joué par les femmes au sein des bibliothèques, que ce soit dans une perspective historique ou contemporaine. Au fil du temps, les recherches québécoises ont principalement mis l’accent sur une histoire institutionnelle des bibliothèques. Or diverses recherches ont été menées sur ce sujet aux États-Unis, en Angleterre et en France depuis plusieurs années déjà.

    Aux États-Unis, les femmes sont présentes dans les bibliothèques publiques depuis le milieu du XIXe siècle en grande partie grâce au Public Library Movement et aux dons du mécène Andrew Carnegie, lesquels ont permis le développement d’un vaste réseau de bibliothèques publiques. Ce sont d’ailleurs des femmes, issues d’associations littéraires ou de cercles de lecture, qui ont souvent été le fer de lance de la création des bibliothèques Carnegie dans les différentes régions des États-Unis et du Canada anglais.

    Aux États-Unis, les femmes représentent 66 % de la main-d’œuvre dans ce milieu en 1878, 78,5 % en 1910 et 90 % en 1920 (Garrison, 1979, p. 173). Cependant, elles sont pratiquement absentes des postes de direction jusqu’au début du XXe siècle. Considérées comme de la main-d’œuvre à bon marché, elles sont le plus souvent aides-bibliothécaires : « The low cost of hiring women, who were notoriously low-paid, was perhaps the most important reason the male library leaders welcomed women assistants. » (Garrison, 1979, p. 174) Pourtant, ce sont les femmes qui se professionnalisent dès l’apparition des premières écoles de bibliothéconomie. À la School of Library Economy du Columbia College de New York, la première cohorte en 1887 compte dix-sept femmes et seulement trois hommes.

    Le portrait est différent en Grande-Bretagne et en France où l’on retrouve peu de femmes travaillant dans les bibliothèques avant le début du XXe siècle. Selon Mary Niles Maack (1983 ; 2000, p. 60), une pionnière dans le domaine de la recherche sur l’histoire des femmes bibliothécaires, à l’extérieur de l’Amérique du Nord, on ne compte pratiquement pas de femmes dans les bibliothèques au XIXe siècle. En Angleterre, par exemple, les statistiques démontrent que c’est à partir du début du XXe siècle que les femmes font leur entrée dans ce milieu de travail : on passe de 293 femmes travaillant dans les bibliothèques publiques en 1900 à près de 700 en 1912. La très grande majorité occupe des postes d’aides-bibliothécaires puisqu’on ne compte qu’une trentaine de femmes à la tête de bibliothèques (chief librarians) et encore, elles dirigent très souvent des bibliothèques situées dans de petites communautés (Baggs, 2000, p. 42).

    Au XIXe siècle, la situation semble comparable au Québec où les bibliothèques engagent très peu de femmes. L’exception réside dans les bibliothèques des communautés religieuses et dans les bibliothèques paroissiales, où les femmes agissaient généralement à titre de bénévoles. Durant la même période, on ne retrouve pas de femmes employées à la bibliothèque de l’Institut Canadien de Montréal, ni à celle de l’Institut de Québec, ni à celle de l’Assemblée législative du Québec. À la bibliothèque de l’Institut Fraser, une aide-bibliothécaire est présente depuis la création de la bibliothèque en 1885. Lorsque Pierre Boucher de Crèvecoeur prend la direction de la bibliothèque en 1901, il s’adjoint lui aussi les services d’une assistante, Annie McDougall, qui occupait ce poste depuis 1893. En 1930, Annie McDougall deviendra bibliothécaire en chef jusqu’à son départ en 1945 (Moodey, 1977, p. 91, 212). Dirigée durant plus de cent ans par des hommes, la bibliothèque du Mechanic’s Institute, fondée en 1828, a peut-être aussi compté des femmes parmi ses employés au cours du XIXe siècle. En 1940, la bibliothèque est composée d’une équipe de cinq aides-bibliothécaires sous la direction d’une bibliothécaire en chef, Anne G. Ryan.

    À l’instar de la situation aux États-Unis et en Europe, il faut attendre le début du XXe siècle pour voir des femmes occuper progressivement des postes de direction dans les bibliothèques publiques au Québec. C’est le cas, par exemple, d’Éva Circé-Côté qui est nommée conservatrice de la Bibliothèque municipale de Montréal en 1903 – jusqu’à sa rétrogradation en 1909. À Westmount, c’est d’abord Beatrice Glen Moore qui occupe le poste de bibliothécaire en 1898, puis Mary Sollace Saxe en 1901. Lorsque la Bibliothèque publique juive est fondée à Montréal en 1914, le poste de bibliothécaire échoit à Dora Selinger. À Québec, Joséphine Lortie est engagée en 1906 à titre d’aide-bibliothécaire à la bibliothèque de l’Institut Canadien et elle devint bibliothécaire en chef en 1916 (Lebel, 1998, p. 51). Il faut dire que ces cas représentent davantage l’exception que la norme. C’est surtout à partir des années 1940 et 1950 que le nombre de femmes occupant des postes de direction ira en augmentant.

    Quelques cas documentés nous permettent de mieux comprendre la place occupée par les femmes dans certaines bibliothèques. En 1915, Ægidius Fauteux demande l’embauche d’une dizaine d’aides-bibliothécaires pour l’ouverture de la bibliothèque Saint-Sulpice. Dix ans plus tard, Fauteux produit un document, Raison d’être du personnel, qui nous éclaire sur la division des tâches au sein de l’établissement. On y apprend que, sur un total de seize personnes, neuf femmes travaillent à la bibliothèque, dont huit comme aides-bibliothécaires et une comme secrétaire. Parmi les aides-bibliothécaires, quatre sont affectées au comptoir de prêt, trois travaillent au service de catalogage et une répartit son temps entre le comptoir de prêt, le catalogage et la réparation des livres brisés. Fauteux précise que le travail de ces femmes est avant tout technique et même routinier et qu’elles ne sont pas autorisées à prendre des décisions. Les tâches liées à la sélection des documents, à la classification, à la référence et à l’aide aux lecteurs sont toutes sous la responsabilité du conservateur Fauteux ou de son assistant, Félix Leclerc. Même le travail de catalogage des documents est principalement effectué par l’assistant Leclerc comme le précise Fauteux : « C’est lui qui prépare tout le travail des catalogueuses, n’en [sic] laissant guère à ces dernières que la partie mécanique. » Il est évident que le travail de ces femmes se limite à des tâches de bureau peu exigeantes et répétitives. En 1932, le salaire de Fauteux s’élève à 5 000 $ par année tandis que les aides-bibliothécaires touchent moins de 800 $ annuellement (Lassonde, 1987, p. 184-186).

    À la Bibliothèque de l’Assemblée législative à Québec, on compte seulement six employés en 1912 et il n’y a aucune femme parmi eux. La première femme est engagée en 1921. En 1960, elles sont majoritaires (14 sur 27) et elles le sont toujours en 2001 (38 sur 67) (Bernier, 2002, p. 13). Hélène Galarneau sera la première femme nommée à la direction de la bibliothèque en 2010.

    La présence des femmes laïques se fait également rare dans les bibliothèques de collèges et d’universités, qui demeurent des milieux d’hommes jusqu’au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. À McGill, Marianne Scott est bibliothécaire à la bibliothèque de droit de 1955 à 1973. En 1975, elle devient directrice des bibliothèques de cette université, poste qu’elle occupe jusqu’à son départ en 1984, année où elle est embauchée par la Bibliothèque nationale du Canada.

    À l’Université Laval, la bibliothèque générale connaît une croissance importante de ses effectifs seulement à partir du milieu des années 1950. En effet, la bibliothèque recense 8 employés en 1948, 26 en 1958 et 42 en 1959 : « La plupart étaient des femmes travaillant comme commis de bureau et commis au comptoir de prêt. » (Dufour, 2018, p. 29) En 1962, la bibliothèque compte un seul bibliothécaire professionnel, Marcel Hudon. Il est fort probable que les premières femmes bibliothécaires aient fait leur entrée à l’Université Laval au milieu des années 1960, au moment de l’embauche d’une vingtaine de bibliothécaires professionnels (Dufour, 2018, p. 53).

    Ce portrait semble se répéter dans l’ensemble nord-américain puisqu’en 1969, 96 % des gestionnaires de bibliothèques de collèges et d’universités aux États-Unis sont des hommes, et on ne recense aucune femme à la tête de l’une ou l’autre des cinquante bibliothèques universitaires les plus importantes (Fennell, 1983, p. 207). En 1978, Céline Robitaille-Cartier sera la première bibliothécaire professionnelle nommée à la tête d’une bibliothèque universitaire francophone au Québec, celle de l’Université Laval.

    Ce rapide survol permet de tirer trois constats : premièrement, les femmes sont absentes ou quasi-absentes des bibliothèques durant le XIXe siècle, sauf aux États-Unis, où leur présence se manifeste vers le milieu du siècle ; deuxièmement, c’est au XXe siècle que les femmes occupent une place importante au sein de ces institutions ; et troisièmement, on rencontre surtout les femmes confinées dans des postes de subalternes, pour ensuite les voir gravir les échelons de la structure hiérarchique pour assumer des fonctions de dirigeantes.

    Or, malgré une présence marquée au cours du siècle dernier, que ce soit comme assistantes ou, plus tardivement, comme chefs ou directrices, les femmes bibliothécaires ont très peu été l’objet de recherches au Québec. Nous espérons que la publication de ce livre permettra d’ouvrir le chantier de la reconnaissance du rôle significatif joué par les femmes dans les bibliothèques du Québec.

    BIBLIOGRAPHIE

    BAGGS, C. (2000). « The worthing connection : Marian Frost, pioneer women librarian, and the two committees of women librarians 1913-15 », dans E. Kerslake et N. Moody (dir.), Gendering Library History, Liverpool, Liverpool John Moores University, p. 40-56.

    BERNIER, G. (2002). « La Bibliothèque de l’Assemblée nationale : les crédits, le personnel et les services d’hier à demain », Bulletin de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale, vol. 31, nos 1-2 (mars), p. 9-15.

    DUFOUR, R. (2018). Bibliothèque de l’Université Laval. 165 ans d’histoire. 1852-2017, Québec, Presses de l’Université Laval.

    FENNELL, J. C. (1983). « The women academic-library administrator : A career profile », dans K. M. Heim (dir.), The Status of Women in Librarianship, New York, Neal-Schuman Publishers, p. 207-241.

    GARRISON, D. (1979). Apostles of Culture. The Public Librarian and American Society, 1876-1920, New York, The Free Press.

    LASSONDE, J.-R. (1987). La bibliothèque Saint-Sulpice, 1910-1931, Montréal, Bibliothèque nationale du Québec.

    LEBEL, J.-M. (1998). « Gardiens et bibliothécaires de jadis », Cap-aux-Diamants, hors-série « L’Institut canadien de Québec. 150 ans d’histoire », p. 51.

    MAACK, M. N. (1983). « Au service des lecteurs : l’action des premières bibliothécaires françaises », Bulletin d’information de l’Association des diplômés de l’École de bibliothécaires documentalistes, vol. 22 (novembre), p. 3-16.

    MAACK, M. N. (2000). « Telling lives : Women librarians in Europe and America at the turn of the century », dans E. Kerslake et N. Moody (dir.), Gendering Library History, Liverpool, Liverpool John Moores University, p. 57-81.

    MOODEY, E. C. (1977). The Fraser-Hickson Library. An informal history, London, Clive Bingley.

    CHAPITRE 1

    Éva Circé-Côté, première bibliothécaire de la Ville de Montréal

    Andrée Lévesque

    Quand, en août 1903, les membres de la Commission de la Bibliothèque de la Ville de Montréal et l’Association Saint-Jean-Baptiste se mettent d’accord pour établir une bibliothèque publique au Monument-National, la personne choisie pour assumer les fonctions de bibliothécaire et de conservatrice est une Montréalaise de 32 ans déjà connue dans le monde des lettres. Vu qu’elle est longtemps tombée dans l’oubli, il convient d’en faire une courte biographie avant d’aborder sa conception de la bibliothèque et sa carrière de bibliothécaire.

    Née en 1871, Éva Circé fait ses études chez les Sœurs de Sainte-Anne jusqu’à l’âge de 17 ans. Aucune trace écrite de sa vie entre sa sortie du couvent et l’année 1900 n’a été retrouvée à ce jour. Cependant, certaines entrevues accordées à des journaux de l’époque nous apprennent qu’elle a pratiqué la peinture, appris la musique, et joué lors de concerts pour des œuvres de bienfaisance. Elle se fait connaître comme poète lorsqu’elle fait parvenir des extraits de ses écrits au rédacteur du journal Les Débats, Louvigny de Montigny. Bien qu’il soit de cinq ans son cadet, il sait tout de même reconnaître son talent et l’invite à collaborer régulièrement à son journal. Elle signera « Colombine » ou « Musette » des textes souvent lyriques, légers, qui avec le temps porteront de plus en plus sur des sujets sociaux. En 1903, Éva Circé a déjà publié plus d’une centaine de chroniques dans quatre journaux, dont L’Étincelle, qu’elle a fondé et qui paraît de décembre 1902 à février 1903. Quelques mois avant sa nomination, en avril, elle publie Bleu, Blanc, Rouge, un recueil de poèmes et d’essais. En mai, on joue sa pièce Hindenlang et Delorimier au Théâtre National Français. Éva Circé rayonne sur la scène culturelle quand elle présente sa candidature à la nouvelle bibliothèque.

    Elle n’est pas la seule candidate : deux hommes et trois femmes, dont la comédienne et professeure d’élocution Idola Saint-Jean, convoitent le même poste. Les membres de la Commission municipale de la bibliothèque portent leur choix sur la poète-journaliste et lui offrent 33,32 $ par mois, soit 400 $ par année, à partir du 1er septembre. Par ailleurs, le poste semble temporaire puisque le journal La Presse (12 août 1903) rapporte à ce sujet que, « plus tard, lorsque les besoins du service l’exigeront, on nommera un homme ».

    Désormais, Éva Circé mène de front deux carrières : celle de bibliothécaire et celle de journaliste, dans le cadre de laquelle, pendant quarante ans, elle soumet régulièrement des chroniques sous différents pseudonymes, dans plusieurs journaux d’opinion. En progressiste de son époque, elle mise sur l’éducation pour réformer la société, une éducation obligatoire, laïque et gratuite. Elle défend particulièrement l’éducation des filles qu’elle souhaite égale à celle des garçons, avec plus de sciences et moins d’arts d’agrément. En 1908, elle met ses principes en pratique quand elle fonde, avec sa collègue journaliste Gaëtane de Montreuil (Georgina Bélanger), un « lycée de jeunes filles » dans une grande maison de la rue Saint-Denis. On y enseigne les matières de base : français, mathématiques, sciences et anglais, et aussi des matières pratiques comme la sténographie et le commerce, ainsi que la musique, la peinture et la danse. Son but est de donner pendant trois ans une formation aux étudiantes qui leur permettent de gagner leur vie. Pour diverses raisons, le Lycée devra fermer ses portes au bout de deux ans, non sans avoir formé des dizaines d’élèves (Lévesque, 2010, p. 77-81).

    Figure 1

    ÉVA CIRCÉ AVANT 1903

    Source : Quéry Frères.

    L’année 1909 est sans doute l’une des plus difficiles dans la vie de Circé-Côté. En 1905, elle épouse Pierre-Salomon Côté, un médecin du quartier Saint-Jean-Baptiste surnommé le « médecin des pauvres ». Un an plus tard, ils ont une fille, Ève. Ils forment alors un couple aux idées avancées et défendent un monde moderne. Circé continue à travailler hors du foyer et avec son époux, elle fréquente le milieu franc-maçon. Tous leurs projets seront interrompus quand Pierre-Salomon Côté contracte la tuberculose et décède à la fin décembre de l’année 1909. Libre-penseur, il exprime le souhait, avant sa mort, d’être incinéré et d’avoir des funérailles civiques, c’est-à-dire sans service religieux et sans enterrement dans un cimetière catholique. Ses funérailles, même si on compte entre 400 et 600 personnes dans le cortège, font scandale : l’archevêque demande aux journaux de ne pas publier le nom des membres du cortège, la presse conservatrice se déchaîne et on va même jusqu’à accuser Éva Circé-Côté d’avoir imposé ses volontés à son mari (Lévesque, 2010, p. 83-92).

    Une autre affaire vient éclabousser sa réputation en novembre 1908 : le journal The Standard dénonce une voyante de la rue Saint-Laurent et écorche au passage le Dr Côté et sa femme Colombine : on les dit adeptes de spiritisme (The Standard, 14 novembre 1908). L’accusation est grave et ironique. Même si elle a plus d’une fois dénoncé les superstitions et les diseuses de bonne aventure, Circé-Côté est atteinte dans sa réputation. Avec l’aide de son ami, l’avocat Gonzalve Desaulniers¹, elle intente une poursuite au civil de 5 000 $ en dommages contre le propriétaire du journal qui a publié des lignes « fausses, injustes, mensongères et malicieuses et de nature à [lui causer] un tort considérable dans ses affaires, dans son honneur, dans sa sensibilité et dans sa réputation » (Eva Circé et vir vs Geo. Murray Publishing, 30 novembre 1908, Montréal, Cour Supérieure, #323). Trois ans plus tard, le juge rend son jugement en faveur de Circé-Côté : celui-ci stipule que l’article était diffamatoire. Cependant, la veuve Côté n’obtiendra que 200 $, car elle ne peut prouver que l’article a causé ses congédiements (Dame Eva Circé-Côté vs The George Murray Publishing Company Ltd, juge Bruneau, 28 décembre 1911). En effet, elle doit abandonner la direction du Lycée et pendant quelques mois, elle perd son poste à la bibliothèque. Elle y reprend son travail après quelques mois d’interruption, mais elle doit céder son poste de conservatrice au journaliste Lorenzo Prince qui vient d’être embauché. Elle maintient son poste de bibliothécaire pour la moitié de son salaire, mais il atteindra à nouveau 600 $ par an en 1910, soit l’équivalent de ce qu’elle gagnait en 1908.

    Quatre jours après les obsèques de son mari, Éva Circé-Côté retrouve son poste à la bibliothèque tout en poursuivant son travail de journaliste. Un ami de la famille, le journaliste Godfroy Langlois, membre de la loge maçonnique Force et Courage, fonde le journal Le Pays en janvier 1910 et invite Circé-Côté à y collaborer. Dissimulée sous de nouveaux pseudonymes, Fantasio, Paul S. Bédard, Arthur Maheu et quelques autres, elle y publiera régulièrement jusqu’à la fermeture du journal en 1921. En 1916, un autre ami des Côté, Gustave Francq, fonde un journal syndical, Le Monde ouvrier, et offre à Circé-Côté une autre tribune pour ses chroniques. Cette fois, c’est sous le nom de Julien Saint-Michel, le nom de son grand-père, que la journaliste écrira pendant plus de vingt ans. Entre son travail à la bibliothèque, la rédaction de centaines de chroniques et l’éducation de sa fille, elle écrit deux autres pièces de théâtre, dont un grand drame historique, Maisonneuve, qui sera joué au His Majesty’s en 1921. En 1924, elle publie un livre sur Louis-Joseph Papineau et la société de son époque. En 1927, elle a deux livres en chantier : un roman, Les Quatre Demoiselles Lépine, ainsi qu’un ouvrage sur L.-O. David et les Hommes proéminents de son temps, dont elle lit des extraits à la Société des auteurs canadiens (Harrison, 1936, p. 849).

    En 1921, Éva Circé-Côté accueille à la Bibliothèque municipale les trente fondateurs de la section française de l’Association des auteurs canadiens qui se donne pour mission de défendre les livres canadiens-français. C’est ainsi qu’en novembre de la même année, elle participe à l’organisation de la Semaine du livre canadien avec, entre autres, Anne-Marie Gleason (Madeleine), Victor Morin et Ægidius Fauteux. L’année suivante, elle est élue première vice-présidente de l’Association qui prend le nom de Société des auteurs canadiens, présidée par Victor Morin. La bibliothécaire joue un rôle actif dans l’organisation de soirées littéraires, l’attribution de prix et la défense des droits d’auteur (Lévesque, 2010, p. 165-169).

    Figure 2

    ÉVA CIRCÉ-CÔTÉ VERS 1921

    Pendant les années 1920-1930, Éva Circé-Côté est reconnue comme une femme de lettres présente dans plusieurs sphères de la vie culturelle montréalaise. Elle demeure un personnage controversé, une femme aux idées avancées qui a fréquenté le milieu franc-maçon et s’est mis à dos le clergé en militant pour la séparation de l’Église et de l’État. Elle est moderne, féministe, irrévérencieuse envers

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