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La Fonction de général et l'art de l'amirauté
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Livre électronique1 028 pages14 heures

La Fonction de général et l'art de l'amirauté

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À propos de ce livre électronique

Cette collection, qui regroupe des essais redigés par des officiers des Forces canadiennes et par d’éminents auteurs et universitaires canadiens, fait état de l’expérience canadienne unique et donne un aperçu des changements dont le commandement au sein des forces armées a fait l’objet. Ce livre examine tout particulièrement le travail des généraux - à l’aide d’un certain nombre d’éléments tels que l’expérience historique, la nature du commandement, les operations récentes, les relations entre les civils et les militaires y compris celles avec les médias, les rôles et les responsabilités fonctionnelles liées au travail des généraux.

LangueFrançais
ÉditeurDundurn
Date de sortie1 nov. 2001
ISBN9781459712959
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    Aperçu du livre

    La Fonction de général et l'art de l'amirauté - Bernd Horn

    Défense

    INTRODUCTION

    Il est toujours difficile de s’analyser. Même s’ils ne sont pas les seuls dans cette situation, les militaires sont réputés pour leur conservatisme, leur fermeture au monde extérieur et leur répugnance à l’auto-examen. À la fin des années 1950, l’écrivain et journaliste Pierre Berton a fait une critique de la suffisance de l’Église chrétienne dans son ouvrage The Comfortable Pew. Les Forces canadiennes (FC) affichaient à bien des égards une suffisance analogue à la fin des années 1980. Chose certaine, on se plaignait de l’insuffisance du budget de la Défense, du vieillissement de l’équipement et de ce que l’effectif laissait quelque peu à désirer par comparaison à ce qu’il avait été pendant les «glorieuses» années 1950 (alors que la Force régulière comptait presque, au total, 120 000 militaires).

    Pourtant, ces années avaient pour les forces armées quelque chose de «confortable» (ou, à tout le moins, de rassurant). Chacun connaissait sa place. Même si le Pacte de Varsovie présentait des signes de fatigue, la guerre froide se pour-suivait et donnait à la Marine, à l’Armée de terre et à la Force aérienne leur principale raison d’être. La 4e Brigade demeurait le plus beau fleuron de l’Armée de terre, et tant qu’il y aurait des politiciens alliés comme Helmut Schmidt, la nécessité de préserver la réputation du Canada au sein de l’OTAN aurait fini par procurer au moins de l’équipement neuf à l’Armée. Les engagements envers l’OTAN soutenaient également la Marine et étaient, avec le NORAD, le principal sujet de préoccupation de la Force aérienne. Compte tenu du caractère cyclique des immobilisations et des dépenses au titre de la défense, chaque élément finissait par avoir le dessus tous les dix ans – les des chasseurs CF-18 succédaient aux chars Leopard, et les frégates de patrouille, aux CF-18. Les FC ne pouvaient pas prétendre être à jour dans tous les domaines, mais elles demeuraient un membre apprécié de l’équipe. En tant que membre de l’équipe, le Canada laissait volontiers la réflexion stratégique et opérationnelle aux plus puissants. Nous n’avions pas à penser par nousmêmes.

    Le maintien de la paix était également devenu une affaire de routine, particulièrement pour l’Armée de terre. Les unités se succédaient sur la ligne verte, à Chypre et au Moyen-Orient, participant à tour de rôle à des déploiements qui étaient généralement prévisibles. Il y avait bien des surprises de temps en temps, mais jamais rien de terriblement nouveau, et les FC tiraient fierté (sans trop y réfléchir) de leur réputation en tant que force ayant la plus grande expérience et la meilleure connaissance du maintien de la paix au monde.

    Puis sont arrivés les changements et les chocs. La fin de la guerre froide et le retrait des Forces canadiennes d’Europe ont infirmé de vieilles vérités stratégiques: le Canada et les Forces canadiennes allaient se trouver obligés de définir eux-mêmes leur place dans le monde. Des opérations de maintien de la paix résolument non conventionnelles dans les Balkans, au Rwanda et, pis encore, en Somalie ont été à l’origine d’incidents qui ont eux aussi infirmé de vieilles vérités du maintien de la paix et soulevé parallèlement des questions au sujet des normes d’éthique des Forces canadiennes. De nouvelles compressions budgétaires spectaculaires ont suivi, le ministère de la Défense nationale (MDN) a été restructuré, l’effectif de la Force régulière a continué de diminuer et les forces armées ont apparemment perdu la confiance des Canadiens.

    Cela n’était jamais arrivé auparavant. Le pays avait peut-être considéré que les efforts des forces armées allaient de soi la majeure partie du temps – et il ne les avait pas pris très au sérieux le reste du temps, du moins en temps de paix –, mais une telle perte de confiance ne s’était jamais vue avant. La première réaction du ministère de la Défense nationale et des Forces canadiennes a été d’adopter une attitude défensive, mais certains ont compris que le statu quo ne tenait plus et, comme l’avaient fait les forces armées américaines après le Viet Nam, qu’il était temps d’envisager un renouveau professionnel qui aille bien audelà des changements organisationnels. Ces personnes ont vu qu’il y avait de réels enseignements à tirer de la Somalie, des Balkans et de la guerre du Golfe et que l’avenir appelait un renouvellement de l’engagement envers la profession et le professionnalisme, voire une réforme. Elles ont compris qu’il fallait pour cela penser à l’avenir en tenant compte du passé et que le corps des officiers généraux devait se trouver à l’avant-garde du changement dans les années à venir si on voulait que des changements en profondeur se fassent. Ce sont en effet les généraux qui ont l’autorité morale voulue pour traduire en actions concrètes des prescriptions (ou des espoirs) théoriques.

    Chefs de guerre: points de vue sur les chefs militaires canadiens et La fonction de général et l’art de l’amiral: points de vue sur les chefs militaires supérieurs du Canada font partie de ce processus de renouvellement de l’engagement envers la profession militaire au Canada et de réforme des valeurs militaires. On y examine l’expérience d’amiraux et de généraux canadiens, en temps de guerre et en temps de paix, et on y fait ressortir leurs similitudes et leurs différences, pour nous aider à comprendre nos origines et l’évolution de la profession militaire au Canada; et on y envisage enfin le présent et l’avenir, pour nous aider à mieux voir l’avenir et la voie à suivre.

    Dans Chefs de guerre, notre intention était de réunir des articles sur des chefs du passé pour tirer des leçons de leurs expériences et d’examiner les différents styles de leadership pour apprécier leur intérêt dans un contexte donné. Dans La fonction de général et l’art de l’amiral, notre point de vue est quelque peu différent. Cet ouvrage se divise en cinq parties thématiques. Pour commencer, nous étudions le passé afin de donner un aperçu historique de la fonction d’officier et de général au Canada, en termes très généraux. Nous nous arrêtons ensuite à la nature du haut commandement. Il nous arrive souvent de lancer des termes comme leadership, commandement et fonction de général en prenant à tort qu’ils ont le même sens pour tous. Même si ces termes paraissent avoir quelque chose d’absolu, chacun les interprète à sa façon. Qui plus est, ils sont souvent mal utilisés ou dénaturés. Cette deuxième partie de l’ouvrage est consacrée à ce problème et à d’autres questions qui intéressent le haut commandement: l’éthique, l’autoréglementation et l’adaptation au changement, notamment.

    La troisième section de l’ouvrage porte sur des opérations et sur les enseignements qu’on peut en tirer. Les auteurs des chapitres sont des officiers et d’anciens officiers; ils ont abordé des sujets allant du NORAD et de l’OTAN pendant la guerre froide au Rwanda et aux Balkans pendant la tumultueuse après-guerre froide.

    L’ouvrage brosse ensuite un tableau des relations civilo-militaires du point de vue du haut commandement militaire, question qui n’a pas toujours été bien comprise dans le passé. Le volume se termine par un examen des responsabilités et des rôles fonctionnels des officiers généraux des Forces canadiennes.

    Nous espérons que l’ouvrage va stimuler la réflexion et les échanges sur l’avenir de la profession militaire au Canada – non pas tant sur des aspects précis de la politique de défense, mais plutôt sur le sens profond de la fonction de général au Canada. Être nommé général ne devrait pas être interprété comme une simple promotion à un grade mieux rémunéré, mais plutôt comme l’accession au cadre des officiers supérieurs du pays, avec toutes les obligations et les responsabilités que cela signifie.

    Nous lançons ce débat en sachant pertinemment qu’il y a des divergences de points de vue au sujet des nombreuses questions abordées dans cet ouvrage. Nous espérons qu’on permettra une discussion libre de ces questions et même qu’on l’encouragera. Les lecteurs doivent comprendre que, à défaut de transparence – et de volonté d’auto-analyse sans contrainte –, il ne peut pas y avoir de débat critique, ni par conséquent d’amélioration et d’avancement de l’institution ou du Corps des officiers. Pour se préparer à un avenir imprévisible, les forces armées devront se livrer à ce débat critique. Comme le lieutenant-général (à la retraite) R.A. Dallaire l’a dit succinctement: «plus jamais dans l’ignorance».

    LA FONCTION DE GÉNÉRAL ET L’ART DE L’AMIRAUTÉ — UNE PERSPECTIVE HISTORIQUE

    CHAPITRE 1

    QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LES FONCTIONS DE GÉNÉRAL AU FIL DES SIÈCLES

    Hal Klepak

    Il y a quelque chose de vaguement prétentieux au fait qu’un universitaire, même historien, exprime son point de vue sur les fonctions de général ou l’art de l’amirauté. Bien qu’une personne puisse consacrer sa vie à l’étude de la guerre ou même de l’administration militaire supérieure, et qu’un spécialiste puisse consacrer sa vie à l’étude des fonctions de général uniquement, il se peut que ni l’un ni l’autre n’ait jamais été «sur le terrain». Toutefois, souvent quelqu’un qui étudie le sujet n’a jamais expérimenté cette combinaison de grand danger et d’énorme responsabilité de la nécessité et ce besoin d’une analyse rapide et exacte de la situation et de la prise de décision, qui, selon Jomini et Clausewitz, constitue le pivot des fonctions de général.

    Ces deux étudiants enthousiastes de la guerre ont senti, toutefois, que l’étude de l’histoire militaire était non seulement valable, mais aussi essentielle aux fonctions de général et même à la compréhension de l’art du commandement. Il en découle qu’en dépit du besoin d’une grande modestie dans l’approche du sujet, un historien peut peut-être le faire sans trop avoir à en rougir.

    INTRODUCTION

    L’approche adoptée ici est loin d’être uniquement universitaire. Les éditeurs de cet ouvrage ont demandé quelques réflexions sur l’évolution des fonctions de général et l’art de l’amirauté au fil des siècles. Il s’agit bien sûr d’un contrat de taille. Nous tenterons ici de voir ce que les siècles nous apprennent sur les fonctions de général au sens officiel mais souvent utile du dictionnaire, puis nous ferons un survol rapide de ce que quelques penseurs importants ont déclaré sur cet art, et nous terminerons par la section la plus longue, celle qui tente de donner une très brève idée de l’évolution actuelle des fonctions de général.

    Pour entreprendre ce dernier effort, l’auteur examinera les origines de la pièce maîtresse des fonctions de général et de l’art de l’amirauté – la stratégie et tentera de voir si le fait d’en esquisser les éléments clés en relation avec cet art et ses praticiens, peut nous aider à comprendre l’évolution qui fait l’objet de notre étude. Ce faisant, nous ne devons jamais perdre de vue le concept grec ancien de strategos – le général ou l’amiral, et l’idée que nous avons de ce que lui et d’autres avant lui ont fait durant plusieurs millénaires. Nous reviendrons à cette question après avoir examiné une ou deux définitions et plusieurs réflexions des maîtres.

    LE DICTIONNAIRE

    Les dictionnaires peuvent être, comme le veut le vieil adage, les «grands ennemis de la compréhension» mais ils peuvent également être terriblement utiles lorsqu’on aborde un sujet d’une telle importance. Et le Concise Oxford Dictionary nous donne une définition fascinante des fonctions de général: «état de général; stratégie, compétence militaire; gestion habile . . .» et ajoute, pour mieux nous intriguer «. . . tact, diplomatie.» Il dit, d’une façon qui ne sert pas nos intérêts, que le mot «général» signifie «officier qui se situe juste sous le feld-maréchal dans la hiérarchie» et aussi «officier d’un grade supérieur à celui de colonel», pour ajouter «commandant de l’armée; tacticien, stratège.»

    Le Concise Oxford est, bien sûr, un ouvrage britannique; on ne doit donc pas se surprendre qu’on ne passe pas complètement sous silence «les fonctions d’amiral» comme dans quelques autres ouvrages qui se veulent de vrais dictionnaires. Même s’il faut un peu de travail pour bien saisir la définition, on y mentionne qu’il est en fait «(un amiral) . . . statut, état, honneur . . . durée d’un mandat, compétence (d’un amiral)». Et un amiral est «commandant en chef de la marine d’un pays, officier de marine le plus haut gradé, commandant d’une escadre ou d’un escadron».

    VOYONS CE QU’EN DISENT LES SPÉCIALISTES.

    C’est un début, bien sûr, mais ce n’est pas tout à fait satisfaisant. Il s’avère important dans ce cas de s’adresser aux érudits (dont quelques-uns, contrairement à l’universitaire que je suis, ont eu l’honneur de détenir le grade et d’exercer les fonctions de général ou d’amiral) qui ont étudié le sujet de plus près. La liste de ces gens est longue, bien sûr, et comprend quelques-uns des esprits les plus brillants de tous les siècles et de toutes les régions du monde. L’art de la guerre est tellement important, de même que les conséquences de sa pratique réussie ou non, qu’il est au cœur de l’évolution de la plupart des cultures.

    Platon consacre la majeure partie de son temps, spécialement dans son ouvrage La République, à discuter de sécurité, bien qu’il le fasse en abordant seulement superficiellement les généraux et leur art. L’Art de la guerre de Machiavel, de même que la plupart de ses écrits traitent plus spécifiquement de la question qui nous occupe. C’est aussi le cas non seulement pour des penseurs spécialistes des questions militaires comme Sun-Tzu, Thucydide, Jomini, Clausewitz, Liddell Hart, mais aussi pour des analystes de questions plus générales comme Winston Churchill.

    Tous sont d’accord que le choix du commandant est d’une importance cruciale. Jomini mentionne que si un prince ne possède pas les compétences militaires, sa tâche la plus importante consiste à bien choisir le commandant de ses armées. En cela il traduit la pensée de Sun-Tzu, exprimée deux millénaires auparavant en Chine. Frédéric le Grand parle de la difficulté de trouver ou de former un grand général:

    Pour former un général parfait, il faut concilier le courage, la fermeté et l’activité de Charles XII, le regard pénétrant et la politique de Marlborough, les plans énormes et l’art d’Eugène, les stratagèmes de Luxembourg, la sagesse, l’ordre et la perspicacité de Montecuccoli, et le grand art que possédait Turenne, de saisir le moment critique. Il sera difficile d’engendrer un tel phoenix.¹ [Trad.

    Jomini nous donne, dans le style qui lui est propre, les caractéristiques d’un bon général:

    Les qualités les plus essentielles pour un général d’armée seront toujours: Un grand caractère, ou courage moral qui mène aux grandes résolutions; puis le sang-froid, ou courage physique qui domine les dangers. Le savoir n’apparaît qu’en troisième ligne, mais il sera un auxiliaire puissant, il faudrait être aveugle pour le méconnaître; au surplus, comme je l’ai déjà dit ailleurs, on ne doit pas entendre par là une vaste érudition, il faut savoir peu mais bien, et surtout se pénétrer fortement des principes régulateurs. À la suite de toutes ces qualités viendront celles du caractère personnel: un homme brave, juste, ferme, équitable, sachant estimer le mérite des autres au lieu de le jalouser, et habile à le faire servir à sa propre gloire, sera toujours un bon général.²

    Avec sa minutie habituelle, Clausewitz nous amène dans le vif du sujet dans De la guerre. Après nous avoir rappelé que la «guerre est la sphère du danger» et que, par conséquent, le «courage est la vertu guerrière par excellence», il ajoute que ce courage est de deux sortes – physique devant le danger et moral devant la nécessité d’accepter la responsabilité.³ Il poursuit avec sa fameuse analyse de la guerre en tant que domaine de l’effort et de la souffrance physique et de l’incertitude; il conclut qu’il faut donc «qu’une intelligence subtile et pénétrante sache y discerner et apprécier d’instinct la vérité.»⁴

    Ceci l’amène à sa plus fameuse conclusion:

    Or, pour traverser sans dommage ces conflits incessants avec l’imprévu, deux qualités sont indispensables: d’abord, un esprit qui même au sein de cette obscurité accrue ne perd pas toute trace de la clarté interne nécessaire pour le conduire vers la vérité; ensuite, le courage de suivre cette faible lueur. Le premier a été désigné au figuré par l’expression française de «coup d’œil»; l’autre est la résolution.

    Il préconise la détermination comme moyen de dissiper le doute, mentionne que chez un commandant en chef «un esprit fort est préférable à un esprit brillant» et juge que l’esprit est crucial puisqu’il permet de dominer l’imprévisible en temps de guerre. Un commandant principal doit réagir promptement face au danger, posséder une très bonne intuition, être un homme d’État, sans cesser d’être général. En résumé, le commandant doit posséder:

    . . . la capacité de synthèse et la capacité de jugement élevées, au niveau d’une merveilleuse vue de l’esprit qui effleure et écarte dans son vol mille conceptions obscures qu’une intelligence ordinaire aurait tout le mal du monde à mettre au jour . . . une fusion de l’âme et de l’esprit . . . aux cerveaux pondérés plutôt qu’ardents.

    Les demandes qui selon Jomini et Clausewitz influent sur le travail d’un grand commandant sont donc intimidantes, en fait. Le premier souligne un point de grande importance dans les années récentes. «Après de longues paix, il pourrait arriver qu’aucun général européen n’eût commandé en chef.»⁷ Durant une longue période de paix, qui est le mieux placé pour décider qui pourrait le mieux remplir la fonction de commandant en chef? Il suffit de penser aux discussions qui ont eu lieu au Royaume-Uni concernant qui devrait commander la force de travail dépêchée aux îles Malouines en 1982.

    Il n’y a pas ici de quoi surprendre un Sun-Tzu ou un Thucydide qui écrivaient, plus de deux millénaires auparavant, dans un contexte tout à fait différent. Les exigences de réussite quant aux fonctions de général sont-elles, par conséquent, constantes au fil du temps?

    L’ÉVOLUTION DES FONCTIONS DE GÉNÉRAL

    Nous pouvons maintenant revenir à la discussion de l’évolution réelle des fonctions de général dans le contexte de la stratégie, tel que proposé au début du présent chapitre. Traditionnellement, et avant la guerre moderne ou la guerre totale, la stratégie a souvent été définie comme «la gestion (ou la direction) des hommes et du matériel jusqu’au champ de bataille», les tactiques étant «la gestion des hommes et du matériel dans le champ de bataille». Par conséquent, le général chargé de la stratégie doit se procurer les troupes et le matériel nécessaires pour la conduite proprement dite de la guerre à l’endroit où ont lieu les hostilités, et ceci comprend inévitablement le rassemblement, le mouvement, la conduite de la campagne, entre autres. De façon similaire, la stratégie de l’amiral comprend les efforts de préparation et de planification, les déplacements et les opérations qui mènent au combat naval où les tactiques prennent la relève. Dans la Grèce ancienne, bien sûr, les stratèges responsables de conduire une campagne terrestre à un moment pouvaient être appelés à diriger une campagne navale la fois suivante.

    Si nous voulons discuter de l’évolution des fonctions de général, nous devons garder en mémoire, comme Martin van Creveld nous le rappelle, que le «commandement ne peut être compris de façon isolée» et doit être étudié de pair avec la technologie, les renseignements, les armes, la formation, la discipline, le génie de la guerre, la politique et bon nombre d’autres facteurs.⁸ [Trad.] L’évolution des fonctions de général va de pair avec l’évolution (et parfois les révolutions) dans le domaine de la technologie, de l’armement et du génie de la guerre qui prévalent. Il en va de même pour les renseignements et la politique. Et même s’il est vrai que la formation et la discipline n’évoluent pas de la même façon, il ne fait aucun doute cependant que les conditions qui les animent varient énormément selon la période, l’endroit et les conditions de leadership.

    Si nous nous en tenons à notre définition du terme stratégie, toutefois, nous serons peut-être en mesure de mieux comprendre en quoi a consisté cette évolution. Ici nous tenons pour acquis que les fonctions de général, et spécialement l’art de l’amirauté, ont trait essentiellement au combat à des niveaux importants avec notamment une planification, une préparation, un mouvement, une complexité du combat importants. Par conséquent, pour les besoins de notre étude, nous n’aborderons pas le thème de la guerre tribale, bien que cela pourrait s’avérer important pour d’autres éléments d’une telle étude.

    Le premier ouvrage écrit dans ce qu’on peut toujours appeler le monde occidental est l’Iliade d’Homère, et nul ne sera surpris d’apprendre que cet ouvrage portait sur la guerre et comprenait de vastes images et descriptions du leadership et des leaders. Mais les éléments de la guerre tribale y abondent. La force d’invasion qui attaque Troye est un fouillis qui, bien qu’il ait été impressionnant, n’en a pas moins été terriblement divisé, mal organisé et maintenu par une menace. La confusion au sein de la chaîne de commandement, les divisions au sein des forces de la ville-état, les jalousies et les intrigues douteuses parmi les généraux nous rappellent l’adage de Napoléon: «un mauvais général en vaut deux bons». Heureusement pour les Grecs, la prise de la ville a pu avoir lieu grâce à la ruse.

    Notre impression sur les fonctions de général à l’époque en est une de chamailleries sans importance et de suffisance, combinées à un style personnel et à un courage exemplaire. La lutte entre les commandants de l’époque semble avoir été au centre des affrontements. C’est loin du commandement que nous connaissons aujourd’hui, ou de celui qu’il allait devenir dans l’ancien monde méditerranéen dans les siècles qui ont suivi la guerre de dix ans de Troye. Néanmoins, pour poursuivre notre idée de «jusqu’au champ de bataille» et des «hommes et du matériel», il existait clairement une fonction aristocratique et de commandement qui consistait à amener les navires et les hommes à Troye et à s’occuper ensuite des tactiques telles qu’elles étaient, une fois sur place. L’aspect logistique peut avoir consisté principalement à effectuer des raids sur les villes et les villages avoisinants, mais cela ne s’applique pas seulement aux premières années de la Grèce, et peut très bien s’appliquer à certains combats de notre époque.

    Les armées des villes-états grecques à une période ultérieure, spécialement dans les 5e et 3e siècles av. J.C. semblent beaucoup plus modernes. Une forme de conscription, au moins au sein des biens nantis, a produit de petites armées, mais compétentes, avec des hommes qui ont passé la majeure partie de leur vie à servir sous les armes. Bien qu’il n’existe à ce moment aucune méthode officielle pour entraîner les commandants principaux de l’Armée de terre et de la force navale (encore les stratèges), leur élection ou nomination, sauf exception, semblait basée sur leur réussite dans des campagnes précédentes et, par conséquent, du moins la plupart du temps, sur leur habileté dans leur spécialité.

    Les noms des commandants prestigieux de cette époque sont nombreux et s’imposent à nous pour étude à partir d’ouvrages comme celui de Plutarque. Bien que les tactiques et le matériel soient loin d’être impressionnants sous divers aspects, bon nombre d’entre eux se sont avérés de bons tacticiens et même d’excellents stratèges. Les commandants de la force navale ont démontré de grandes habiletés dans un certain nombre de combats dans la Grèce ancienne. Et les commandants de l’Armée de terre ont dû mener leurs troupes à destination et organiser au moins une partie des éléments de leur déploiement, de façon à donner à leurs phalanges la meilleure des chances dans l’affrontement inévitable qui devait se produire sur le champ de bataille.

    Trônant au-dessus de ces commandants on trouve, bien entendu, Alexandre le Grand et son père, Philippe de Macédoine. Il serait sûrement juste de dire que ces deux hommes ont construit l’armée d’hommes et de matériel qui leur a permis de maîtriser en premier la Grèce, et ensuite la majorité du reste du monde connu. En modifiant les armes, les tactiques, les méthodes de déploiement, l’armement, le système de discipline, le génie et la structure en premier lieu de l’armée macédonienne et ensuite de l’armée internationale commandée par Philippe, suivi d’Alexandre, les deux ont ajouté l’ingrédient essentiel d’un leadership de qualité exceptionnelle.

    Leur planification était faite à long terme et détaillée. Leur entendement était passablement bon. L’inspiration qu’ils ont communiquée à leurs hommes et leur mobilisation de l’État de la Macédoine, puis des États grecs, et finalement d’une grande partie du monde connu, dans leurs guerres a servi de modèle pour l’avenir. Philippe a légué à son fils Alexandre une armée (et un État) préparé à la guerre. Flexible, quoique centrée sur la phalange de l’infanterie lourde, mais avec toutes sortes d’auxiliaires qui assuraient son équilibre, l’armée macédonienne d’Alexandre, puis ensuite sa force internationale, a détruit tout ce qui était important sur son passage tout au long de la route des Indes. Mais la responsabilité première de son succès repose sur le leadership de son armée. Il était courageux, homme de principe, toujours à l’avant de ses troupes, et connaissait son armée et son potentiel mieux que bon nombre de chefs d’une force importante auparavant ou depuis. Il n’est sans doute pas superflu de dire qu’il est devenu un modèle, ou le modèle, de la plupart des commandants qui ont suivi, et peu d’entre eux peuvent s’y comparer.

    Comme dans bien d’autres domaines, Rome a copié les idées des Grecs (son système militaire ressemblait à plusieurs points de vue au leur) et des Macédoniens qui leur ont plu et les ont adaptées à leurs besoins. Chez les Romains, les fonctions de général des Romains mettent aussi l’emphase sur la planification, l’organisation, le courage, la discipline à un degré exceptionnel, et sont basées sur une armée de grand prestige. Le leadership demeure remarquablement personnel ici comme ailleurs dans le monde ancien et cela devait avoir un prix en termes de guerres civiles au moment où la République faisait place à l’Empire et où l’organisation de la force conscrite devenait de plus en plus professionnelle et non-romaine.

    Quoi qu’il en soit, les généraux romains disposent d’un instrument superbe au tout début avec leurs légions. Et bien que la Marine ait pris beaucoup plus de temps à se développer, et après la défaite de Carthage, n’ait plus jamais réussi à dominer la pensée impériale, même son développement a démontré la capacité de Rome à improviser et à triompher. Et le matériel des deux services a bénéficié d’une exposition à une vaste partie du monde, de même que de l’incorporation des progrès de beaucoup d’autres États. Les engins de la guerre et l’artillerie se sont développés plus vite à ce moment qu’ils ne le feront ensuite durant de nombreux siècles.

    Ces commandants doivent commander dans des guerres aussi distantes que celle de l’Écosse et de la Perse et parcourir de grandes distances à un rythme accéléré. On se soucie peu du fait que leurs forces peuvent développer des loyautés personnelles à ces pays, si loin de Rome et si souvent oubliés par la métropole. Les commandants qui ont réussi ont sauvé la vie de leurs soldats, leur ont fait des dons, ou ont augmenté leur solde, et les ont conduits à la victoire (souvent la source des deux).

    Avec la chute de Rome, tout cela s’évapore. Et bien que des érudits modernes aient démontré que notre attachement aux questions militaires médiévales et aux fonctions de général est souvent trop extrême, lorsqu’on les compare à l’époque qui a précédé la chute de Rome ou à celle de la Renaissance et des années qui ont suivi, leur réaction n’est pas sans fondement.

    Néanmoins, le leadership dans les siècles des ténèbres et l’époque médiévale pouvait être exceptionnel, même si de nombreux autres éléments des fonctions de général semblent s’être atrophiés durant cette période. Sauf durant les guerres carolingiennes et les Croisades, l’Europe de l’Ouest présentait une image navrante sur le plan des développements militaires. De petits États, essentiellement coupés de l’héritage romain, ont fait la guerre de leur mieux, avec peu de ressources – sur le plan financier, de la main-d’œuvre, technologique ou autre. En même temps, ils ont produit des chefs doués d’un courage remarquable, qui ont accompli des prouesses sur le plan du combat individuel et qui, à l’occasion, ont aussi démontré des habiletés militaires de plus haut calibre. Mais en dépit de la renommée de personnages comme William le Conquérant, Richard cœur de lion, le Cid et plusieurs autres, cette réputation tend à démontrer un retour de l’importance du commandement individuel illustré dans l’Iliade. Le chef, à la tête d’une poignée de guerriers (des chevaliers maintenant, plutôt que les princes de la Grèce et de Troye) et d’une armée populaire fait la guerre de son mieux en s’attachant fermement à des principes d’honneur personnel et de gloire partagés par ses ancêtres.

    La Renaissance devait bien sûr changer tout ça avec le temps. Sur le plan militaire également, on assiste à une «renaissance», les Européens étant de nouveau capables de voir comment les anciens avaient fait la guerre. Le fameux ouvrage de Machiavel L’Art de la guerre, étudie en détail, en 1521, les armées de Rome au sommet de leur gloire, l’époque de leur suprématie (spécialement le Traité de l’art militaire de Végèce) pour découvrir les secrets des remarquables exemples de réussite des ancêtres. Le monde occidental moderne commence à mettre à la disposition des hommes d’État des ressources importantes, spécialement des fonds, premièrement en Italie et ensuite dans les nouveaux États nationaux. Ces fonds sont d’abord distribués aux mercenaires tellement populaires dans les armées européennes, au grand dam des troupes qui connaissaient réellement leur «métier».

    Machiavel a seulement été l’un parmi plusieurs penseurs qui ont souligné les faiblesses évidentes des forces militaires dont les marges de profit n’augmentent que si les guerres s’étirent indéfiniment plutôt que d’être gagnées immédiatement par leur employeur. Les princes voient graduellement les avantages de posséder des armées dominées principalement par des soldats sincèrement loyaux envers eux et leur État. Nous n’en sommes pas encore au nationalisme moderne, mais certains de ses éléments sont visibles et la cohésion des armées et de la marine n’est pas seulement un résultat mais aussi un facteur qui contribue à la création de ces nationalismes.

    La technologie a fait d’énormes percées dans la société mais nulle part de façon plus spectaculaire que dans les forces armées. L’artillerie devient moins coûteuse et plus facile à fabriquer, moins lourde et par conséquent plus facile à manœuvrer. Les percées sur le plan de la métallurgie aident également, avec une production moins coûteuse et plus rapide de nouvelles armes, y compris les armes à feu. La navigation s’améliore graduellement, tout comme la construction et le conception de navires.

    Les généraux et les amiraux commencent à avoir sous leur commandement des instruments militaires à une échelle jamais vue en Occident depuis avant la chute de Rome, plus d’un millénaire auparavant. Et tandis que la modernisation militaire est lente sous divers aspects, elle est relativement stable et stimulée par des conflits aiguillonnés par la fondation d’États modernes et leur lutte pour le territoire, le pouvoir et l’influence. Les aristocraties nées au Moyen-Âge désirent maintenir, et dans une grande proportion, réussissent à maintenir leur leadership sur le plan militaire, comme ils pensent avoir le devoir, la rigueur et l’honneur de le faire.

    Le commandement est généralement le lot de la bourgeoisie, et les questions dynastiques font en sorte que les familles royales également sont bien représentées dans les rangs des commandants principaux. L’intérêt des têtes couronnées est trop grand pour qu’elles cèdent rapidement le commandement militaire à d’autres. Il faudra plus de temps et cela ne se fera que bien longtemps après que les militaires professionnels ou du moins les corps d’officiers deviennent la règle. Encore au 19e siècle, Jomini pouvait encore prétendre que le meilleur chef militaire serait un prince à la tête de sa propre armée, combinant ainsi en une seule et même personne la source et l’exécutant de la pensée stratégique nationale. Même s’il divergeait d’opinion sur diverses autres questions, Clausewitz n’était pas loin de faire la même analyse traditionnelle.

    Le siècle des Lumières apporte un plus grand progrès dans le sens de petites armées professionnelles dirigées par des officiers de plus en plus professionnels. Les armées européennes deviennent de plus en plus semblables. Constituées de soldats de carrière, hautement (et souvent férocement) disciplinés, possédant des armes, une formation et des tactiques semblables, ces armées dépendent plus que celles de nombreuses générations, de la qualité de leur leadership. Il n’est pas surprenant de constater que des généraux, même ceux qui ne descendent d’aucune souche royale notable, sont plus respectés, choisis avec plus de soin, plus célèbres pour leurs stratégies, et sans doute mieux récompensés pour leurs victoires.

    Si la Guerre de trente ans (1618-1648) met en lumière des noms comme Gustave-Adolphe et Wallenstein, les guerres à portée limitée du siècle et demi qui a précédé 1792 nous apportent des douzaines de personnages semblables à Eugène, Frédéric, Marlborough, Montecuccoli, Pierre le Grand, Saxe, Turenne, et même Wolfe et Montcalm. Les concepts des fonctions de général et de stratégie sont de nouveau liés, et peut-être d’une façon plus spectaculaire que jamais auparavant. Et si la flotte aérienne espagnole et d’autres campagnes navales importantes du 16e siècle nous ont apporté des amiraux comme Barberousse, Drake et Raleigh, tous de vrais marins; au 18e siècle on en compte littéralement des douzaines, notamment Anson, Boscawen, Collingwood, Hawke, Howe, Jervis, Rodney, Tourville, et le jeune Nelson – des officiers de la marine et des amiraux dont le professionnalisme est reconnu par tous.

    Les armées deviennent des machines complexes, exigeant une logistique massive pour assurer leur bon fonctionnement et les mener au combat et qui y arrivent sans vivre du pays, une pratique impensable dans ce nouveau type de conduite de la guerre. Le commandant ennemi est un professionnel de la guerre dans la plupart des cas, même s’il est toujours de souche aristocratique. La planification devient essentielle et les guerres de manoeuvres, visant à couper l’ennemi de ses approvisionnements, exigent une préparation minutieuse à tous les niveaux. Les écoles militaires sont fondées pour assurer la disponibilité d’officiers compétents. Et tandis que les enjeux dans des guerres à portée tellement limitée sont habituellement limités, les coûts du maintien d’armées sont considérables et plus encore lorsqu’on doit perdre ces guerres. Tous les éléments visent à mettre plus d’emphase sur le général qui non seulement doit conduire son armée au combat, mais aussi la diriger lors des combats. L’administration militaire devient partie intégrante des fonctions de général à un degré jamais vu auparavant.

    La marine est aussi coûteuse et exige une plus grande spécialisation. Ça prend du temps et de l’argent pour former un soldat compétent capable d’affronter les rigueurs de la campagne et surtout le champ de bataille lui-même. Mais ça prend encore plus de temps et d’argent pour former un marin compétent dans la navigation complexe et le travail à bord des navires de l’époque. Et au moins dans le cas de la Grande Bretagne, où son armée relativement petite et inefficace peut perdre un combat important pendant que le royaume survit et prospère même, on ne peut en dire autant de la guerre en mer. Une défaite sur ce plan peut entraîner instantanément un désastre pour l’État insulaire. Ce fait n’a pas échappé aux Britanniques, comme l’Amiral Mahan le mentionne si clairement, sauf en de rares occasions, toujours dangereuses.⁹ [Trad.] Les amiraux professionnels, soit les commandants de formations de navires bien entraînés à leur maniement sont indispensables. La formation et l’expérience sont indispensables à l’atteinte d’un tel but.

    LA RÉVOLUTION FRANÇAISE ET NAPOLÉON

    Puis vient Napoléon comme pour nous rappeler que toute la formation du monde ne fait pas un excellent général. Cela peut aider cependant. L’histoire militaire peut aider aussi, donnant comme elle le fait une profondeur à l’étude de la guerre qu’un général doit entreprendre s’il prend son travail au sérieux. Mais ce n’est pas tout. Pour qu’un grand général soit un grand général, il doit avoir du génie. Ici encore Jomini et Clausewitz partagent le même avis. Leur admiration pour Napoléon n’est pas typique de leur propre génération et leurs préoccupations nationales ont fait qu’ils ont passé la plupart de leurs carrières en combattant le «monstre». Mais des générations d’analystes et de soldats qui les ont suivis ont appuyé leur évaluation de Napoléon comme un «génie» et un «météore» dans les ténèbres de la guerre.

    D’une façon semblable à Alexandre, Napoléon prend la tête de l’armée de son «père» (la Révolution plutôt que Philippe de Macédoine dans ce cas) et la transforme grâce à son propre leadership et à son génie. La levée en masse donne à Paris un vaste approvisionnement de main-d’œuvre nécessaire dans une Europe où presque tous sont prêts à écraser la France. Le gouvernement révolutionnaire est passé maître dans l’art d’utiliser la propagande, la politique fiscale, l’intrigue étrangère et l’invasion, et plus encore pour fournir à cette armée presque tout ce dont elle a besoin pour faire la guerre au reste de l’Europe – un sens de l’identité, une motivation idéologique et nationaliste, le nombre, les fonds, la liberté de vivre du pays, et plus encore. Mais seulement un homme de génie pouvait transformer cette armée en une armée pleinement victorieuse.

    Grâce à une compréhension exceptionnelle et à une application rigoureuse des principes de la guerre, et grâce à un style de commandement marqué par la ruse mais aussi par la maîtrise, Napoléon s’approprie l’instrument dont il a hérité de la France révolutionnaire. Des tactiques sont conçues pour s’adapter à ses points forts (l’élan, la vitesse, le nombre, la capacité de concentration, l’absence relative de désertion, etc.) de même qu’à ses faiblesses (manque de discipline au sein des conscrits plus jeunes, rejet par les populations locales, etc.). On cherche à développer des stratégies visant à atteindre ces buts.

    La colonne en masse se développe en grande partie à partir de son modèle révolutionnaire. On ajoute de l’artillerie en quantités qui tirent avantage des forces de la France dans ce domaine, tout en essayant de convaincre le conscrit que tout va pour le mieux dans le champ de bataille. On perfectionne la cavalerie. On fait souvent appel à des contingents étrangers et à des forces spécialisées engagées par l’Armée impériale pour leurs avantages et la meilleure flexibilité qu’elles apportent (les lanciers polonais en constituent sans doute le meilleur exemple). Tout comme sous Alexandre, l’armée devient internationale non seulement grâce à la conquête (Belges, Danois, Écossais, tous les types d’Allemands et d’Italiens, Espagnols, etc.), mais aussi grâce à l’intégration bénévole comme celle des Mamelouk ou de quelques régiments suisses.

    Peu d’amélioration technique est nécessaire ou disponible. Ce qui prévaut c’est le leadership et le génie dans la conduite de la guerre. Et cette combinaison – armée et leadership – donne à la France la plus extraordinaire série de victoires qu’elle, ou un autre État européen, a jamais connu, ou devait connaître à l’avenir. Même les premières années du blitzkrieg ne peuvent s’y comparer.

    Après Napoléon, l’art de la guerre est imprégné de son ombre, malgré sa défaite éventuelle et son exil. Jomini aurait pu mettre l’emphase sur la façon de vaincre son espèce si cela devait se reproduire. Et Clausewitz aurait pu exagérer la vitesse à laquelle sa façon de faire la guerre est devenue la norme. Mais tous deux étaient d’avis qu’il constituait en lui-même le phénomène d’un génie de la guerre.

    Les futurs généraux le prennent comme modèle, tout comme les successeurs d’Alexandre ont été fascinés par son personnage durant des siècles, pour des raisons semblables. Chacun avait formé une armée à son image et une stratégie et des tactiques adaptées à cette armée.

    Avec la défaite de Napoléon, l’Europe retourne sous divers aspects au monde militaire qu’elle avait connu avant la Révolution. Les petites armées professionnelles sont de nouveau à l’honneur dans un continent dont les dirigeants n’ont pas l’intention d’armer la population de nouveau. La règle des guerres à portée limitée pour des objectifs limités refait surface avec une entente tacite que cela doit être le cas, un trait caractéristique de toutes les politiques étrangères.

    La Guerre civile des États-Unis (1861-1865) et la Guerre franco-prussienne (1870-1871) démentent cependant les espoirs que les conflits limités demeureraient la règle. Les enjeux sont ou deviennent si grands durant ces guerres qu’il semble impossible de les considérer comme des affaires de moindre importance. Au contraire, les deux conflits ramènent la conscription, un nouveau déploiement des armées de masse et la défaite totale de l’ennemi (de même que son humiliation) devient une pratique courante. Le grand nombre de blessés rend difficile, sinon impossible, la modération de la politique (démocratie oblige) et ouvre grande la voie à la revanche et la haine.

    En outre, ces guerres ont toutes deux bénéficié de la Révolution industrielle qui battait son plein à ce moment et l’ont stimulée, et on trouve de nombreux exemples de l’industrie et de l’esprit d’invention tournés vers la guerre, contribuant ainsi à rendre plus efficace la tuerie. Les mitrailleuses font leur apparition, tout comme les fusils à tir rapide (que l’on charge maintenant par la culasse) et l’artillerie. Les chemins de fer conduisent les hommes plus loin et plus rapidement qu’on n’aurait pu l’imaginer auparavant. Le télégraphe leur envoie des ordres instantanément. Et la marine dirige de plus en plus des navires propulsés par une vapeur de charbon malpropre plutôt que par les vents de la nature, et cuirassés comparativement aux parois de bois d’Athènes (ou même de la Grande-Bretagne). Ajoutées aux enjeux des guerres modernes, ces nouvelles inventions rendent la guerre totale plus plausible et plus susceptible d’être horrible.

    Les fonctions de général et l’art de l’amirauté ont peu de choix, sinon de relever ces défis, bon gré mal gré. En règle générale, les généraux ne les aiment pas. Les amiraux aussi, peut-être, mais dans une moindre mesure. On ne peut tout simplement pas nier cette «révolution dans les affaires militaires». Mais on peut la retarder par une combinaison de conservatisme militaire et un retour aux guerres de moindre envergure, largement coloniales cette fois-ci, dans les années qui précèdent la Première Guerre mondiale. Et même si certaines d’entre elles comme la Guerre des Boers (1899-1902) ou la Guerre russo-japonaise (1904-1905) ne peuvent être perçues comme de faible envergure, elles ont lieu loin de l’Europe et ne semblent pas faire partie des affaires militaires du continent.

    Lorsque les mitrailleuses, l’artillerie, les fusils à tir rapide et les nombreux autres instruments de la panoplie moderne de guerre dominent les champs de bataille durant ces deux conflits, pour ne pas mentionner les autres dans les colonies, les quartiers-généraux en Europe en prennent note. Mais ils omettent d’intégrer entièrement ce que les longs tracés de tranchées de l’Asie du Nord ou les avances lamentablement lentes de l’infanterie de l’Afrique du Sud signifient pour l’avenir de la guerre en Europe. Seule la Première Guerre mondiale et dans une certaine mesure les préparatifs de son déclenchement entraînent des changements exceptionnels dans les perceptions militaires en matière de stratégie et de tactiques, et de la compétence requise des généraux. Dans bon nombre de domaines, comme le rôle de la nouvelle aéroplane, les officiers supérieurs des autres pays rejoignent la pensée de leurs collègues français selon laquelle «tout ça c’est du sport».

    La marine tente très lentement de remplacer le charbon par la voile, comme on a remplacé les navires de bois par les cuirassés. La tradition de Nelson du grand combat naval menant à une victoire décisive demeure solide en dépit des incessantes et moins spectaculaires demandes de paix instaurée par les Britanniques. Les commandants de l’Armée de terre réduisent le rôle de la baïonnette, de l’assaut et du soldat professionnel lui-même avec beaucoup de réticence, tressaillant à l’idée d’armées populaires, d’engins de guerre, du déclin du cheval, et quoi encore.

    La guerre mondiale met fin à presque tout ça. Quatre années et plus de tueries et la paralysie de l’Europe de diverses façons oblige les commandants à s’ajuster au moment où ils le désirent le moins. La guerre refait la guerre. À la fin de cette dernière, la force aérienne bombarde tout naturellement des cibles civiles, la guerre sous-marine sans limite fracasse bon nombre des traditions navales et maritimes les plus sacrées, et le taux de blessés dans l’Armée de terre (spécialement chez les officiers) a asséné un dur coup à la structure sociale et politique de la civilisation européenne.

    Les généraux conduisent des millions d’hommes sur des centaines et même des milliers de kilomètres de distance et aux fronts. La guerre éclate dans les tranchées du Front occidental ou le mouvement relativement libre du Front oriental, mais dans tous les cas les engins de guerre commencent à exiger leur part dans le conflit. L’aéronef, le char d’assaut et le sous-marin en constituent des exemples spectaculaires. On pourrait dire que telle était l’horreur et la durée illimitée de la guerre de tranchées qu’à compter de maintenant les généraux et autres penseurs stratégiques tenteront de l’éviter ou de triompher en ayant des idées originales. L’avance à travers les barbelés, le tir de mitrailleuse, le tir rapide de l’artillerie et le reste semblent impossible.

    On parle de plus en plus de l’imminence de la guerre. Giulio Douhet, un général, propose la puissance aérienne comme solution. Concentrez la défense nationale dans les airs, en bombardant la force de riposte de l’ennemi, tout comme son «centre de gravité». Ensuite bombardez votre cible, et vous n’aurez pas à affronter les tranchées la prochaine fois. Guderian, un autre général, déclare que la solution réside toujours dans l’Armée de terre. On devrait s’efforcer non pas de détruire l’ennemi physiquement, mais plutôt de l’embrouiller, de le terroriser, de le paralyser. Cela exige des forces blindées capables d’agir rapidement, de créer un effet surprise, un effet de choc. Le char d’assaut a montré la voie. Même les amiraux de marines déchues et quelques amiraux de marines victorieuses pourraient défendre une nouvelle façon de faire. Si la Marine royale contrôle les mers en surface, passez au-dessous et attaquez la marine marchande de l’ennemi avec des sous-marins. Privez-la du nerf de la guerre ou privez-la «tout court».

    Les enjeux de la guerre étaient désormais si énormes que la pression sur les généraux et les amiraux était forte comme on l’avait peu vu durant les siècles précédents. Car la guerre moderne n’était plus dynastique et n’était certainement pas «à portée limitée». Les enjeux étaient maintenant la survie elle-même; en tant que puissances, nations, économies et systèmes idéologiques. Et on devait plus que jamais miser sur la science pour vaincre, principalement parce que ces enjeux étaient si énormes. Les idées «communistes» comme l’impôt sur le revenu pouvaient être justifiées par le besoin de faire la guerre et de survivre. Amener les femmes à joindre la main-d’œuvre, sans égard au coût social, pouvait être justifié de la même façon, tout comme l’abandon au profit de la guerre des traditions civilisées qui, bien que souvent laissées pour compte, avaient servi dans une certaine mesure à en limiter les horreurs par le passé. On se préoccupait peu (et pas seulement l’Allemagne) que les armes nucléaires fassent leur apparition dans la prochaine guerre, tout comme on se préoccupait peu du bombardement en masse des villes, et de la guerre sous-marine sans limite.

    Les généraux qui participent à la Seconde Guerre mondiale sont généralement d’une toute autre lignée que leurs prédécesseurs de la Première Guerre mondiale. Ils ont servi eux-mêmes dans les tranchées et ont, peut-être plus que les militaires du rang, été contrariés de voir les officiers d’état-major à l’arrière. Ils veulent être vus à l’avant avec les troupes; faciles d’approche et ils veulent être ouverts aux nouvelles idées. Les formations blindées démentent la répartition traditionnelle des unités en unités d’infanterie, de cavalerie ou d’artillerie. Les opérations amphibies deviennent monnaie courante, bien qu’elles ne soient pas faciles, du moins pour les Alliés. La collaboration entre la marine, l’armée et la force aérienne est indispensable à la victoire. Les généraux du grade de brigadier deviennent vraiment des brigadiers-généraux, ayant plus de forces «générales» sous leur commandement que c’était le cas auparavant. Déjà ébauché au cours de la Première Guerre mondiale, cela devient effectivement la règle durant la Seconde Guerre mondiale.

    Au même moment, la guerre de coalition devient aussi la règle, du moins pour les Alliés. Tandis que la capacité des puissances de l’Axe de coordonner leurs efforts doit être perçue comme exécrable, les Alliés, en lutte contre l’Allemagne, ne peuvent se permettre ce luxe. À leur grand déplaisir, les Britanniques et les Américains doivent travailler ensemble. Ce n’était pas vrai que le problématique V-1 était l’ «arme idéale des États-Unis», tuant, comme elle l’a fait, des Nazis au départ et des marins britanniques à l’arrivée. Le Commonwealth britannique ne pouvait gagner la guerre sans les États-Unis, et cette dernière puissance, malgré toute sa force, ne pouvait pas, du moins à un coût abordable, y arriver sans la Grande-Bretagne. Et les deux devaient accepter que l’Union soviétique avait été un allié essentiel durant la guerre, peu importe leur réticence à faire confiance à cette puissance énigmatique.

    Les généraux et les amiraux devaient s’habituer à travailler non seulement les uns avec les autres, mais aussi avec leurs homologues étrangers. Cela semblait plus facile pour la Marine peut-être parce que, comme on se plaît à le dire sur un ton railleur, en bout de ligne toutes les marines sont britanniques. Mais malgré ce fait, ça n’avait rien d’une promenade dans le parc. Pour l’armée c’était difficile en fait. Les difficultés de Patton et de Montgomery font tout simplement partie de l’histoire complexe de la méfiance qui existait entre les généraux britanniques et américains durant la guerre.

    Quoi qu’il en soit, en général, ils y sont arrivés. L’alliance avec les Soviétiques a tenue, peut-être simplement parce que cela devait être le cas. La querelle entre les Britanniques et les Américains en est restée là, et le pilier central de l’alliance contre Hitler a finalement donné de remarquables résultats, lorsqu’on le compare avec tout ce qui s’est produit dans l’histoire de la guerre de coalition. Le crédit en revient aux généraux des deux pays qui ont vu le besoin d’une approche conjointe, même s’ils ne le faisaient pas de bon cœur.

    Ainsi nous avons eu, au cours de la Seconde Guerre mondiale, du moins à l’échelon des officiers supérieurs, un général plus politique que dans les récentes années. Mais même ici, il serait facile d’exagérer. La guerre de coalition éveille chez les généraux une sensibilité politique nécessaire pour vaincre. Et la guerre de coalition est actuellement la norme en Occident, même si les États-Unis ne voient pas les choses de cette façon.

    Depuis la guerre, les États-Unis ont été confrontés à ce fait dans leurs relations avec le monde, même s’ils font les choses à leur façon. Depuis la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis sont perçus comme la puissance incontestée sur la scène mondiale. On sait maintenant dans quelle mesure l’URSS était une superpuissance par courtoisie même si ce commentaire doit être nuancé. L’URSS n’était pas dans la même ligue que les États-Unis, mais elle avait en main depuis le tout début, les armes nucléaires.

    Quoi qu’il en soit, depuis 1945 les États-Unis ont été obligés, du moins à l’extérieur de leur propre hémisphère de s’engager fréquemment dans des guerres de coalition. En fait, cette façon de faire la guerre est devenue la norme. Seule la Guerre du Viêtnam, toujours avec nuance, fait exception. La Guerre de Corée a été une affaire de coalition des Nations Unies dirigée par les États-Unis.

    Plus récemment, la Guerre du Golfe persique de 1991 et le conflit plus récent au Kosovo ont été des guerres de coalition. En fait, même dans les Amériques, les États-Unis ont démontré une forte préférence pour l’Organisation des États américains ou d’autres collaborations multinationales (et légitimation) pour leurs actions militaires dans l’hémisphère en République dominicaine en 1965, à Grenade en 1983, à Panama en 1989 et à Haïti en 1995. Et bien que cela n’ait pas toujours été évident ou très impressionnant, le besoin était vraiment senti à Washington.

    Même la Guerre du Viêtnam s’est déroulée avec un allié important à Saigon même, sans mentionner les contingents de troupes qui été envoyés éventuellement par l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Corée, etc. Ce qui a été différent c’est la mesure dans laquelle une telle guerre de coalition a vraiment imposé des contraintes à la capacité des États-Unis d’établir des politiques et d’agir pratiquement seuls et par conséquent, le besoin pour leurs généraux et amiraux de travailler dans un contexte de coalition internationale réel ou dans un contexte qui voulait paraître comme tel aux yeux du monde entier. Cela a bien sûr varié d’une guerre à l’autre, mais on doit dire qu’en général les conflits étaient menés plus dans une tradition impériale que dans une tradition de pure coalition.

    De l’autre côté de la médaille, les généraux et les amiraux des autres pays ont dû orienter leur pensée davantage sur la coalition (un cynique parlerait «d’esprit colonial»), étant donné que leur capacité à conduire d’autres types de guerre a décliné. Aucune de ce qu’on peut encore appeler les «grandes puissances» n’a participé elle-même à une guerre «d’envergure» depuis des décennies. Suez a été une affaire de coalition, bien que limitée, en 1956. À part cela, les Britanniques et les Français, à l’exception notable et totalement surprenante de la Guerre des Malouines de 1982, ont participé à des guerres de coalition exclusivement depuis la Guerre des Boers d’une part, et la Guerre franco-prussienne d’autre part. Autrement, leurs guerres ont toutes été essentiellement coloniales. Les Russes ont participé seulement à des conflits «près de chez-eux» durant de nombreuses années et n’ont combattu personne depuis (vous avez le choix) soit la guerre avec la Pologne durant la guerre civile de la Russie ou la Guerre russo-japonaise. Et la Chine n’a pas combattu personne entièrement seule depuis qu’elle a affronté diverses puissances européennes (et le Japon) au 19e siècle.

    Par conséquent, les généraux et les amiraux d’États plus petits que les États-Unis ont longtemps été accoutumés à une guerre de coalition et au besoin de réagir sur le plan politique au niveau inter-étatique. Les forces armées des dominions britanniques peuvent en fait posséder le plus d’expérience en ce sens parce qu’elles ont, bien avant de perdre ce statut et d’intervenir dans un monde dominé par les États-Unis, été accoutumées à une guerre d’alliance en tant que membres de l’Empire britannique et ensuite du Commonwealth. Les généraux et les amiraux de ces pays ont toujours dû réfléchir sur des questions plutôt impériales lorsqu’ils songeaient à la défense nationale. Des questions politiques étaient toujours en face. Et bien que cela ne s’applique pas nécessairement à tous ces officiers, ce fut le cas de ceux des dominions tôt dans leur carrière. L’expérience avec les missions de maintien de la paix dans les décennies plus récentes ne peut qu’avoir intensifié l’expérience à long terme, spécialement pour des forces armées comme celles du Canada.

    Les considérations d’ordre politique ne sont pas le seul élément qui vient de plus en plus affecter les tâches normales des officiers supérieurs. La technologie n’a pas stagné depuis la Seconde Guerre mondiale, pas plus que le changement social. Le personnel des forces armées n’est plus le même que celui que dirigeaient les généraux et les amiraux il y a seulement quelques décennies. Et la technologie qu’ils utilisent a été l’objet de l’accélération de la révolution qui a débuté il y a environ deux décennies, à un point tel que maintenant on parle d’une autre «révolution dans les affaires militaires».

    Si nous abordons l’aspect social en premier lieu, les forces armées occidentales, ne sont presque plus reconnaissables si nous les comparons à leurs homologues traditionnels. Dans la plupart de nos pays, les femmes jouent divers rôles dans les affaires militaires, ce qui aurait dans la plupart des cas été impensable il y a trente ans. Les questions de préférences sexuelles qui auraient été primordiales à ce moment ne constituent plus un problème dans tous les pays membres de l’OTAN, à l’exception des États-Unis, et même ces derniers devront tôt ou tard s’ajuster au reste de l’Occident. Les droits du personnel ont désormais préséance sur leurs tâches avec les procédures d’appel dont sont submergés de nombreux pays. Les attentes des membres des forces armées sont plus grandes qu’à n’importe quel moment dans l’histoire.

    Au même moment, on revient graduellement aux forces professionnelles après les longues années «d’armées de masse» clausewitziennes. Dans la plupart des pays occidentaux et dans bon nombre d’autres pays, on préfère la qualité à la quantité, non seulement en raison de la réduction de la menace qui a accompagné la victoire dans la guerre froide, mais aussi parce que des tactiques, du matériel et de l’armement de plus en plus sophistiqués exigent d’être manipulés par des militaires de carrière. Tous les pays membres de l’OTAN ont au moins envisagé les conséquences de forces entièrement professionnelles. Le Canada et les Nations Unies qui sont traditionnellement des pays bien disposés ont été rejoints en premier lieu par les États-Unis à la fin de la Guerre du Viêt-nam, et par un certain nombre d’autres pays après la guerre froide. Même la France, avec sa tradition bien ancrée de levée en masse, joint la tendance. Par conséquent dans bon nombre de pays, les généraux, et dans une plus faible proportion les amiraux, accoutumés à conscrire les forces, reviennent à leurs traditions premières dont ils n’ont souvent pas fait l’expérience depuis des décennies. Les militaires de carrière génèrent d’autres types d’exigences pour les officiers supérieurs et, bien sûr, offrent également de nombreux avantages.

    Les liens entre ces questions et la technologie ne s’arrêtent pas à ceux qui concernent les forces professionnelles. Le matériel et les armes deviennent très rapidement plus sophistiqués et c’est évident surtout dans des éléments liés au commandement et au contrôle. Les généraux et les amiraux doivent évaluer un plus grand nombre de renseignements de nature plus complexe que leurs prédécesseurs auraient jamais pu l’imaginer. Et bien que cela ait un aspect positif, on y trouve aussi un aspect négatif: la capacité du commandant de digérer cette information et de prendre les mesures qui s’imposent s’en trouve contrariée. Un commandant de brigade doit désormais composer non seulement avec l’infanterie, la force blindée et l’artillerie, mais aussi avec des signaleurs, des ingénieurs, des éléments aériens, des bataillons de service complexes et plus encore. Sa capacité de faire appel à d’autres éléments est grande. La possibilité que les quartiers généraux supérieurs «et les chefs de gouvernement» fassent appel à ses services semble grande également.

    Il semble aussi vrai que les forces armées modernes, du moins en temps de paix, sont aux prises avec des masses d’écrits administratifs. Partout dans le monde on s’entend sur le fait qu’on est englouti par la bureaucratie, qu’on laisse peu de place à l’initiative, que les commandants consacrent plus de temps à des questions administratives mineures qu’aux tâches importantes de leur profession. En fait, la plainte n’est pas nouvelle et remonte probablement à l’organisation des armées modernes à la fin de la Renaissance et au Siècle des lumières, et jusqu’à Rome elle-même, semble-t-il. Mais il ne fait aucun doute que l’ère moderne et ses méthodes comptables et l’énorme complexité des forces armées et des tâches à accomplir entraînent un surplus de responsabilités administratives pour les commandants plus qu’à n’importe quel moment auparavant. Les commandants qui réussissent ont appris à organiser judicieusement leur temps et celui de leur personnel pour éviter «d’être envahis» par ce problème.

    QUE DOIT-ON RETIRER DE CETTE PERSPECTIVE HISTORIQUE?

    L’histoire militaire, et spécialement l’étude du leadership militaire, est un champ d’étude extraordinaire. Elle traite de la vie et de la mort de nations et de bon nombre d’autres groupements politiques, de même que de leurs combats pour se défendre ou attaquer les autres. Elle est importante dans le cas qui nous occupe en raison de la nature vitale de l’esprit de nécessité en temps de guerre. Les fonctions de général en constituent l’élément central. Il est essentiel que les généraux comprennent à quel point leur emploi est important, comme tous les grands analystes de la guerre depuis Sun Tzu lui-même, l’ont mentionné.

    Une perspective historique sur les fonctions de général nous montre un certain nombre de choses à propos de l’art de la guerre et de son application aux échelons supérieurs. Les fonctions

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