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Le leadership militaire canadien francais: Continuite, Efficacite, et Loyaute
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Le leadership militaire canadien francais: Continuite, Efficacite, et Loyaute
Livre électronique487 pages13 heures

Le leadership militaire canadien francais: Continuite, Efficacite, et Loyaute

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À propos de ce livre électronique

Les Canadiens francais ont une longue et fière tradition de service envers leur pays. Cette tradition est plus que manifeste au sein de la profession de armes. Déjà du temps des premières colonies, les Canadiens francais ont marqué leur nouveau pays en le défendant. Ils ont joué un rôle critique comme combattants contre des autochtones hostiles et les autres puissances européennes colonisatrices. A la suite de la Conquête, ils ont continué, quoique sous une allégeance différente, à défendre le Canada. Ainsi, ce livre met en lumière le dévouement et les contributions d’un certain nombre de leaders canadiens francais envers leur pays en temps de paix, de crise et de guerre, de l’époque de la Nouvelle-France a la fin du vingtième siècle.

LangueFrançais
ÉditeurDundurn
Date de sortie28 févr. 2007
ISBN9781554882069
Le leadership militaire canadien francais: Continuite, Efficacite, et Loyaute

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    Aperçu du livre

    Le leadership militaire canadien francais - Roch Legault

    Canada.

    INTRODUCTION

    Le leadership militaire canadien français: exploits du passé et sujet d’étude de l’avenir

    Des études sur le leadership peuvent être retracées au beau milieu de la Seconde Guerre mondiale, dans le domaine de la psychologie militaire aux États-Unis. De la psychologie, l’intérêt du sujet a gagné le cercle des spécialistes – militaires et civils – de la gestion et des changements organisationnels. Les publications sur le leadership dans le monde des affaires ont franchi des pas de géant et demeurent toujours populaires en Amérique du Nord. Sur le terrain de l’histoire, le secteur militaire aux États-Unis n’a jamais abandonné l’étude des chefs¹, un genre étroitement associé au leadership.

    Au Canada, l’étude du leadership militaire suscite dernièrement un vif intérêt aussi. Ce développement est attribuable notamment à l’Institut de leadership des Forces armées canadiennes et à ses activités de publication depuis 2002. Inutile de revenir sur l’origine de l’Institut, créé par le ministère de la Défense nationale à la suite de ce qu’il convient d’appeler «la crise somalienne». Les autorités gouvernementales et militaires avaient alors estimé qu’il fallait redresser la culture des forces canadiennes². À partir de ce moment, psychologues, politicologues, sociologues et historiens se sont mis à la tâche d’enrichir notre savoir en matière de leadership. Les Forces canadiennes se sont alors vues en mesure d’inscrire dans leur doctrine une nouvelle dimension, spécifiquement dédiée au leadership³.

    Le présent ouvrage vient s’ajouter aux travaux récents et entend combler un vide dans l’étude du leadership militaire au Canada: retracer le leadership canadien français, individuel ou de groupe, à travers l’histoire depuis la Nouvelle-France jusqu’à nos jours⁴. En plus d’en faire état, nous avons voulu saluer la ténacité et exposer la nature de ce leadership. Il s’agit d’une question d’histoire militaire qui met de l’avant une contribution positive et significative des Canadiens français dans les conflits. À cette observation, nous l’aurons compris rapidement, s’ajoute une autre: cet angle d’observation du groupe de militaires francophones permet d’échapper au blâme collectif qu’une partie de l’élite canadienne a tenu, pendant des décennies, à faire porter à un des groupes ethniques fondateurs du Canada.

    L’histoire écrite et publiée en français ayant pour thématique la défense et la sécurité a progressé à une vitesse remarquable ces dernières années et ses questionnements s’avèrent de plus en plus originaux. C’est en partie cette évolution de l’historiographie qui a permis d’envisager une étude sur le leadership militaire des Canadiens français. Le nombre d’historiens a atteint un seuil critique qui permet de mobliser les énergies dans un cadre d’analyse particulier. Nous n’avons toutefois pas voulu enfermer les auteurs dans des balises trop rigides, d’où l’adoption consciente d’une définition floue du leadership. L’erreur la plus fréquente consiste à confondre la question du commandement en l’associant à celle du leadership. Chez les auteurs anglo-saxons, il est maintenant admis que commandement fait référence à la place de l’individu dans une organisation hiérarchique alors que leadership évoque plutôt des qualités de chef ou de meneur. Une récente contribution aux travaux d’histoire a d’ailleurs souligné cette différence. Pamela Stewart écrit en effet que le leadership fait partie de la fonction du commandement⁵. Certains commandants auront un talent plus marqué pour mener les troupes à la bataille, et d’autres posséderont plutôt des qualités organisationnelles. Il n’est pas exclu que des commandants n’aient pas de talent de leadership ou qu’ils occupent une place qui ne correspond pas au type de leadership qu’ils sont en mesure de fournir, mais c’est là un sujet que nous nous garderons d’aborder!

    Nous avons voulu présenter le leadership canadien français sous plusieurs angles et sur toute la période historique depuis la Nouvelle-France jusqu’à la fin du XXe siècle. La période pré-confédérative de notre collectif comprend trois textes. Le premier débusque les origines de la pensée tactique canadienne. À travers l’histoire militaire de la Nouvelle-France et de son fier défenseur Samuel de Champlain, René Chartrand souligne la contribution de la famillel Hertel dans l’édification et la mise en pratique d’une façon proprement canadienne de mener les hommes aux combats. L’article de Bernd Horn confirme la consolidation d’une tradition de leadership originale en exposant les exploits de Joseph Marin de La Malgue et de Jean-Baptiste Levreault de Langis de Montegron dans la défense, une défense paradoxalement caractérisée par une offensive coûte que coûte, de la Nouvelle-France au XVIIIe siècle. Après la cession du Canada à la couronne britannique, les Canadiens français ont plus de difficulté à occuper l’avant-scène de la défense de la colonie. Ils n’en restent pas moins présents, en particulier dans la milice, même si celle-ci ne joue plus le rôle actif qu’elle a connu sous le régime français. Pour la région de Montréal, les historiens Christian Dessureault et Roch Legault dressent un portrait de groupe des leaders de la milice et tentent de découvrir les raisons pour lesquelles ils ont été nommés à des postes de commandant de bataillon.

    Les contributions dans la deuxième partie de cet ouvrage présentent des figures historiques qui soulignent le leadership canadien français depuis la Confédération jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Desmond Morton nous convie à reconsidérer le rôle du ministre Adolphe Caron dans la suppression de la rébellion métis du Nord-Ouest en 1885, rôle nettement plus important que l’historiographie le laissait entendre jusqu’à maintenant. Michel Litalien et John McFarlane exposent chacun les carrières d’Oscar Pelletier et de François-Louis Lessard. Les deux historiens montrent qu’au début du XXe siècle, les Canadiens français continuaient de faire preuve de leadership sur le plan militaire alors que le sort de ce jeune pays était encore intimement lié à l’orgueilleux, puissant et vaste Empire britannique. Dans les chapitres suivants, les auteurs décrivent deux formidables leaders dans le domaine de l’action et du combat. Dans le contexte de la Première Guerre mondiale, Marcelle Cinq-Mars rapporte les expériences de Thomas-Louis Tremblay, en mettant à contribution son journal personnel. Yves-Tremblay nous donne une excellente illustration de l’art du leadership chez Jacques Dextraze, depuis ses premiers faits d’armes jusqu’à la fin de sa vie professionnelle dans le monde de l’administration.

    La dernière partie de l’ouvrage renferme deux textes qui traitent du leadership des Canadiens français dans les services autres que l’armée de terre. Le leadership canadien français dans l’environnement maritime n’est pas un sujet très exploité et il faut saluer ici l’effort de Jean-François Drapeau qui nous dresse le portrait de quelques leaders canadiens français au combat et dans leur fonction de gestionnaire basé à terre. Ce leadership, souligne l’historien, se pratique dans des conditions difficiles pour les Canadiens français. La carrière du major-général Claude Lafrance caractérise pour Serge Bernier le contexte de l’aviation. L’historien relève chez son sujet la pratique de deux types de leadership, en succession rapide, au fil des changements d’affectation.

    Enfin, nous avons repris un texte de Carol Off pour souligner cette immense contribution au leadership canadien français que fut celle de Roméo Dallaire. Le texte n’est pas original mais il vaut la peine de le reconsidérer à la lumière des autres chapitres. Au vrai, l’expérience de Dallaire prend tout son sens dès lors que l’on peut la remettre dans son cadre général, celui du leadership militaire canadien français.

    À travers l’étude des groupes de leaders et l’exposé de plusieurs cheminements individuels, nous espérons piquer la curiosité des chercheurs et des lecteurs. Beaucoup reste à faire en effet. Le présent ouvrage aura atteint son but si les historiens professionnels, les amateurs et les représentants actuels du leadership militaire québécois et canadien français se lancent dans ce même type de projet. Le fruit de leurs entreprises s’avérerait un puissant outil qui aiderait à ce que l’on se souvienne.

    NOTES

    1 L’un des ouvrages de base en est à sa 5e édition. Il s’agit de Robert Taylor et William E. Rosenbach, Military leadership. In Pursuit of Excellence. Cambridge (Mass.), Westview Press, 2005. La première édition est parue en 1984, avec plusieurs révisons en 1992, 1996 et 2000. Pour une bibliographie en ligne du leadership militaire, voir la liste hébergée sur le site Internet de l’Institut de leadership des Forces canadiennes: http://www.cda-acd.forces.gc.ca/cfli/frgraph/leadership/conceptual/references_f.asp.

    2 Voir Rapport au Premier ministre sur le leadership et l’administration des Forces canadiennes, 25 mars 1997. Disponible sur le site Internet du ministre de la Défense à l’adresse suivante: http://www.forces.gc.ca/site/minister/fr/PM/mndfr.html.

    3 Ministère de la Défense nationale, Le leadership dans les Forces canadiennes-Leadership in the Canadian Forces, Doctrine, Ottawa, 2005, n° de IDDN A-PA-005-000/Ap-003, disponible sur le site Internet de l’Académie canadienne de défense, à l’adresse suivante: http://www.cda-acd.forces.gc.ca/CFLI/frgraph/leadership/doctrine/toc_f.asp. Une deuxième publication d’une série prévue de trois est déjà parue. Il s’agit de Le leadership dans les Forces canadiennes-Leadership in the Canadian Forces, Fondements conceptuels, Ottawa, 2005, n° de IDDN A-PA-005-000/Ap-004, disponible également sur le site Internet de l’Académie canadienne de défense: http://www.cda-acd.forces.gc.ca/CFLI/frgraph/leadership/conceptual/toc_f.asp.

    4 Il faut quand même souligner que la biographie et l’étude des chefs militaires ne manquent pas de précédents. Il suffit de songer à Guy Frégault, Iberville le conquérant. Montréal, Société des Éditions Pascal, 1944; Le grand marquis; Pierre de Rigaud de Vaudreuil et la Louisiane. Les études de l’Institut d’histoire de l’Amérique française, Montréal, Fides, 1952; Serge Bernier, Mémoires du général Jean V. Allard. Boucherville (Québec), Éditions de Mortagne, 1985; Roch Legault, Une élite en déroute, Montréal, Athéna éditeur, 2002; Pierre Vennat, Général Dollard Ménard de Dieppe au référendum. Montréal, Art global, 2004. Également, sont parus dans le collectif de Bernd Horn et Stephen Harris, Chefs guerriers. Perspectives concernant les militaires canadiens de haut niveau. Toronto, Dundurn Press, 2002, quelques autres articles biographiques de leaders militaires canadiens français.

    5 Pamela Stewart, Stategic Studies, Université de Calgary, «The Power of Situational Leadership and the Human Dynamic», conférence donnée au Collège militaire royal du Canada, mars 2005; article soumis à la Revue militaire canadienne.

    CHAPITRE I

    Doctrine tactique et tacticiens au Canada durant le XVIIIe siècle

    RENÉ CHARTRAND

    Durant la plus grande partie du XVIIe siècle, la jeune colonie française établie sur les bords du fleuve Saint-Laurent fait face à de grandes difficultés. La sécurité même des petits établissements est continuellement sous la menace d’attaques sournoises pouvant survenir en tout temps et quasiment en tout lieu.

    Québec, la place la plus forte de la colonie, est plus à l’abri des raids car son emplacement favorise sa sécurité. Trois-Rivières, fondé en 1634, est plus exposé et sera même parfois totalement bloqué. Quant à Montréal, l’endroit est quasiment assiégé depuis sa fondation en 1642, étant au confluent des rivières fréquentées par l’ennemi. Dès l’année suivante, six colons montréalais sont tués dans des embuscades. Cette situation d’insécurité permanente ne favorise évidemment pas le commerce des fourrures et l’implantation des colons dans la nouvelle colonie.

    À l’époque de l’arrivée des Français, au début du XVIIe siècle, les Amérindiens pratiquent deux sortes de combat. L’un consiste en un affrontement en terrain ouvert entre deux groupes de guerriers vêtus d’armures confectionnées en bois, portant des boucliers en bois, et armés de lances, gourdins, arcs et flèches. C’est dans ce type de bataille qu’apparaît, dès 1609, le fondateur de Québec et premier gouverneur de la colonie, Samuel de Champlain qui, avec ses compagnons, porte des armes à feu et des pièces d’armures européennes en métal; chacun porte un «corselot de piquier» et une arquebuse¹.

    Le gouverneur de la Nouvelle-France, Samuel de Champlain, avec des alliés indiens, victorieux des Iroquois près de la ville actuelle de Ticonderoga (New York), le 30 juillet 1609. À l’époque de l’établissement de la nouvelle colonie canadienne, les militaires français portaient des casques de style européen et une armure qui ressemblait à celle des piquiers, mais ils portaient en guise d’arme l’arquebuse.

    Gravure historique, collection R. Chartrand

    Durant les années 1610, Champlain et ses compagnons aident leurs alliés autochtones à combattre leurs adversaires avec succès grâce aux avantages que procurent les armes et les métaux européens. Les batailles demeurent essentiellement en terrain ouvert, ce que les Français peuvent comprendre et, même en très petit nombre, dominer grâce à leur avantage technologique. Cependant, les Amérindiens du nord-est de l’Amérique pratiquent une autre façon de combattre qui, elle, est tout à fait étrangère aux militaires européens. Il s’agit de se tenir à l’affût et d’attaquer l’ennemi par surprise en semant le plus de terreur et de confusion possible, de faire le plus de dommages et de victimes, et de disparaître immédiatement. Ce genre de combat peut se produire en tout temps, en tout lieu et être le fait de seulement quelques guerriers ou bien d’un groupe important. Il n’y a aucun avertissement et tous — hommes, femmes et enfants — sont menacés sans distinction. Le sort des non-combattants est sensiblement le même que celui des guerriers. Le raid parfait est celui qui sème le plus d’effroi et d’insécurité chez l’ennemi. Ce type de guerre s’inspire de la chasse et fait essentiellement appel aux mêmes principes et techniques, particulièrement le silence, le camouflage, l’attaque à la rapidité de l’éclair.

    Face aux armes européennes, c’est la «petite guerre» de raid — qui s’apparente grandement à la guérilla moderne — que choisissent les autochtones ennemis des Français au fil des ans. Pour ces derniers, comme pour tout militaire européen, cette façon de combattre est tout à fait barbare et déloyale. Règle générale, on tente en Europe de sauver les non-combattants sans défense des pires affres de la guerre, car on les considère surtout comme d’innocentes victimes. Rien de toutes ces notions n’existe au Canada, et tous les Amérindiens — alliés ou ennemis — s’adonnent à ce genre de guerre de raid permanente et sans merci².

    Durant les premières décennies de la colonie, les quelques soldats de métier avec leurs «compagnons» répliquent aux tactiques amérindiennes en adaptant quelque peu leur armement et leur équipement à la nouvelle réalité. Pour se protéger des flèches et des lances, les Français portent des cuirasses et des casques en métal comme les piquiers dans l’armée métropolitaine. Mais, au lieu de porter des piques, ils se munissent surtout d’arquebuses, car ces dernières sont plus légères que les mousquets. C’est une première adaptation tactique de l’armement aux conditions changeantes du combat dans la jeune colonie.

    En 1619, Champlain demande que soient envoyés à Québec «40 mousquets avec leurs bandolières, 24 piques, 4 harquebuzes à rouet» avec des munitions. Ce qu’il reçoit deux ans plus tard consiste en 12 hallebardes «le manche en bois blanc, peintes de noir», 2 arquebuses, 50 piques, 64 cuirasses de piquiers «sans brassards», deux «armets de gendarmes», c’est-à-dire des armures plus complètes pour des officiers, et pas de nouveaux mousquets. Il dispose de peu de mousquets et l’on n’en compte que 15 dans l’inventaire de 1629. D’ailleurs, les piques ne peuvent que rester dans l’entrepôt, cette arme étant quasiment inutile au Canada contre des ennemis amérindiens. Ils serviraient plutôt pour se défendre contre des adversaires européens. Mais quand les corsaires anglais, menés par les frères Kirk, apparaissent aux limites de Québec, le petit poste français et ses occupants, très mal armés, jugent qu’il vaut mieux capituler³.

    Québec est remis à la France en 1632. La menace la plus immédiate à la sécurité des Français qui s’y établissent alors provient des Amérindiens ennemis. Les idées de Champlain sur la tactique à adopter pour combattre et vaincre ces ennemis demeurent résolument européennes. En 1633, il propose l’organisation militaire idéale afin d’aller attaquer l’ennemi. Il s’agit d’une troupe de soldats se composant de 80 hommes armés de carabines de cavalerie, 10 armés d’épées, 10 piquiers, 10 hallebardiers, quatre mineurs, quatre charpentiers, quatre serruriers et deux chirurgiens. Chacun de ces 120 hommes doit en outre être armé d’un pistolet et protégé par une sorte d’armure en forme de cotte d’armes (ou de mailles) formée de petites lames d’acier descendant jusqu’aux jarrets. Si cette proposition innovait en ce qui a trait aux carabines de cavalerie et aux pistolets, armes plus courtes et plus légères que les lourds mousquets des fantassins européens, il demeure que les soldats de cette troupe étaient très alourdis par le port de la longue tunique en lames d’acier, l’équivalent de la lourde cotte de mailles médiévale. Qui plus est, les 30 hommes armés d’épées, de piques et de hallebardes auraient bien du mal à rattraper des ennemis presque nus alors qu’ils sont, eux, vêtus de tuniques en lames d’acier. Enfin, l’efficacité des armes d’hast — les piques et les hallebardes — contre des autochtones insaisissables est très discutable. Ces armes sont conçues pour se défendre contre des Européens⁴.

    La proposition de Champlain n’a pas de suite. La raison principale en est qu’un nombre aussi élevé de soldats constitue une dépense insoutenable. D’autre part, l’armement et l’équipement suggérés ne sont pas adaptés, ce qui révèle sans doute une certaine interrogation quant à la tactique de combat qu’il fallait promouvoir au Canada face à l’ennemi autochtone. Enfin, l’escouade de soldats envoyée à Québec en 1633 est vue par le père Le Jeune «armez de piques [et] de mousquets» marchant au «tambour battant». Ces soldats sont donc armés et sans doute équipés et habillés tout à fait comme en France. Pourtant, des ennemis farouches les guettent plus fréquemment à l’orée des bois⁵.

    Ces ennemis si redoutables sont les Amérindiens de la confédération des Cinq Nations appelés les Iroquois. Leurs territoires sont au sud de la colonie française, dans l’actuel état américain de New York, allant des rivières Hudson et Mohawk jusqu’au lac Érié. Cette confédération, formée graduellement du milieu du XVe siècle à la fin du XVIe siècle, regroupe les nations des Mohawks (Agniers), des Onondagas (Onontagués), des Oneidas (Oneiouts), des Cayugas (Goyogouins) et des Senecas (Tsonontouans). Les Iroquois sont un peuple très guerrier et forment l’une des plus puissantes nations amérindiennes du nord-est de l’Amérique du Nord⁶.

    Depuis leur arrivée au Canada, les Français se sont fait des alliés amérindiens. Il s’agit des Algonquins et des Montagnais, et surtout des Hurons. Tous sont des ennemis de longue date des Iroquois. Leurs méthodes de combat sont les mêmes que celles de leurs adversaires, de sorte qu’il y a égalité entre eux en ce qui a trait à la tactique et à l’armement. Conscients de la supériorité que les armes à feu leur procurent, les Français en interdisent le commerce avec les Amérindiens alliés — seuls quelques privilégiés, le plus souvent des «néophytes» comme on nomme ceux qui sont convertis au christianisme, peuvent en recevoir. Les colons anglais font habituellement de même en Virginie et au Massachusetts.

    Les Hollandais établis le long de la rivière Hudson voient les choses autrement. À leurs yeux, les armes à feu sont convenables pour le commerce avec les Iroquois qui sont au nord de leurs établissements. Ainsi, à compter des années 1620, les guerriers iroquois qui se rendent au fort Orange (aujourd’hui Albany, NY) pour y porter des fourrures en reviennent souvent avec des armes à feu.

    Plusieurs années passent avant que les Français et leurs alliés ressentent les conséquences de ce commerce d’armes entre les Hollandais et les Iroquois mais, à terme, l’acquisition d’armes à feu par ces derniers sera un désastre pour la petite colonie française. Au début, les armes à feu ne constituent pas un grand avantage pour les Iroquois. Les arquebuses et les mousquets de l’époque sont habituellement mis à feu par une mèche, ce qui rend l’arme inutile par temps pluvieux. De plus, ces armes produisent une grande quantité de fumée quand elles font feu, ce qui révèle la position du tireur embusqué. Mais, graduellement, les guerriers autochtones maîtrisent tous les aspects du maniement des armes à feu. Vers la fin des années 1630, ce type d’arme n’a plus de secret pour eux, et ils l’ont adapté à leur façon de combattre. Par exemple, en embuscade, ils changent d’endroit pour se camoufler aussitôt le coup tiré.

    Soldat de la Compagnie des Cent-Àssociés, vers l’an 1650. L’armure ne s’utilisait plus, et le mousquet était devenu l’arme que l’on privilégiait pour les soldats au Canada.

    Reconstitution de Michel Pétard, Direction Histoire et patrimoine (DHP)

    Les Français tentent de s’adapter à cette nouvelle réalité: les Iroquois sont armés comme eux. Les balles des mousquets pouvant transpercer les cuirasses, les militaires dans la colonie délaissent les cuirasses et les casques à cette époque. D’autre part, ils attachent dorénavant plus d’importance à une mobilité accrue, ce qui les amène à abandonner les armures. Désormais, ils ne portent que l’habillement en tissu, sont armés de mousquets ou d’arquebuses, et portent habituellement l’épée.

    Bien qu’il y ait des accrochages entre les Français et les Iroquois durant les années 1630, ces derniers se préoccupent surtout d’affaiblir les Hurons. À compter de 1641 cependant, le conflit larvé se transforme en guerre totale et les guerriers iroquois remontent la rivière Richelieu pour attaquer les Français. C’est pourtant à cette époque qu’un groupe de colons français, inspirés par la propagation de la foi, fonde un nouvel établissement au Canada. Il s’agit de Montréal, fondé en 1642 et originalement nommé Ville-Marie. Sa situation au confluent du fleuve Saint-Laurent et de la rivière des Outaouais en fait un endroit stratégique important. Étant l’établissement le plus à l’ouest, Montréal est le plus exposé aux attaques iroquoises.

    Les défenses françaises sont faibles car on ne dispose que d’une vingtaine de militaires dans la garnison. Avec les volontaires, ceci ne constitue «qu’une poignée d’hommes» qui sont, et c’est là le drame, «peu expérimentés dans les bois», relate le chroniqueur Dollier de Casson.

    Le gouverneur Huault de Montmagny pense bloquer l’accès des Iroquois en construisant un fort à l’embouchure de la rivière Richelieu. Les Français croient les intimider en tirant du canon sur leurs canots, ce qui les empêchera d’aller plus loin. Le fort Richelieu, situé sur le site de l’actuelle ville de Sorel, est un moyen de défense typiquement européen pour répondre à la tactique iroquoise. Loin de refouler l’ennemi, le fort devient la cible favorite des guerriers. Sa construction n’est pas terminée qu’ils surgissent pour harceler les Français avec leurs arquebuses. Ils n’attaquent pas en montant à l’assaut comme le feraient des soldats européens mais se tiennent à l’affût tout autour; ainsi, la petite garnison devient la proie à la moindre imprudence. Des soldats montant la garde sont abattus à bout portant par des tireurs invisibles, d’autres disparaissent mystérieusement sans laisser de traces . . . En canot, les guerriers iroquois passent à la faveur de la nuit ou contournent l’embouchure de la rivière par portage, de sorte que les alentours de Montréal demeurent toujours aussi périlleux.

    À l’automne 1643, le gouverneur de Montréal, Paul Chomedey de Maisonneuve, décide de poursuivre l’ennemi dans les bois à la tête de trente hommes. Cette initiative frise le désastre car les Français tombent dans une embuscade. Un détail, anodin en soi, révèle cependant les débuts d’une certaine adaptation en tactique. On rapporte que, lors de l’attaque, Maisonneuve «plaça ses gens derrière les arbres ainsi que faisaient les ennemis et alors on commença à tirer à qui mieux [mieux]». Les Français parviennent à résister par ce moyen, mais, à court de munitions, doivent éventuellement battre en retraite. Plusieurs sont tués et le gouverneur Maisonneuve lui-même s’échappe de justesse. Sans le stratagème inspiré des Amérindiens de se couvrir derrière les arbres, un grand nombre de Français aurait certainement péri dans cette embuscade. Cependant, les Français ne peuvent se mesurer à leurs ennemis furtifs. On recommande aux habitants de Montréal de ne sortir de chez eux que bien armés de pistolets et d’épées, et ceci en tout temps⁷.

    Beaucoup plus à l’ouest, sur les rives du lac Huron, se trouve l’établissement missionnaire de Sainte-Marie-parmi-les-Hurons qui, lui aussi, subit des pressions de la part des ennemis des Français durant les années 1630. Les Iroquois, ennemis jurés des Hurons, entreprennent de les éliminer durant les années 1640 car ces derniers sont de plus en plus affaiblis par les épidémies causées par les virus transmis par les Européens. La présence des missionnaires français provoque aussi des divisions parmi les Hurons. Les Iroquois sont moins affectés par les épidémies et ne tolèrent aucun missionnaire dans leurs villages. Surtout, ils sont mieux armés grâce aux armes obtenues des Hollandais. Malgré les raids sur Montréal, les Français reconnaissent que l’effort de guerre principal des Iroquois porte sur la Huronie. En 1645, quelques soldats français sont envoyés en renfort jusqu’à Sainte-Marie, mais ils sont bien impuissants contre des centaines de guerriers iroquois. Déjà, le père missionnaire Lallemand considère la Huronie «comme investis et assiegez de tous costez». Après des années de harcèlement sans merci, l’assaut général est donné par quelque 1 200 guerriers iroquois en 1649. Les guerriers hurons ne peuvent soutenir l’attaque et battent en retraite. À Sainte-Marie, il n’y a que huit soldats français, témoins impuissants au désastre; l’année suivante, la Huronie n’existe plus⁸.

    La Huronie détruite, les Iroquois dirigent leurs attaques vers les établissements français de la vallée du Saint-Laurent. Ils bloquent déjà le fleuve par leur occupation des rives du lac Saint-Pierre. Le fort Richelieu, devenu inutile, est abandonné depuis 1646. Trois-Rivières et surtout Montréal deviennent les cibles de choix des guerriers ennemis.

    Les colons français se protègent du mieux qu’ils peuvent en érigeant des palissades autour de leurs habitations. Cependant, pour mettre l’ennemi iroquois en échec, il faut l’attaquer. Le problème est épineux pour les Français car ils se savent en infériorité numérique et, qui plus est, ils sont mal adaptés aux tactiques de combat en forêt. Néanmoins, l’idée d’organiser un «camp volant» apparaît vers cette époque. Un «camp volant» en Europe est un petit groupe de soldats qui se déplace plus rapidement que l’ensemble de l’armée; ce genre de formation se retrouve habituellement dans les avant-postes d’une armée en campagne.

    Un «camp volant» de 40 hommes est donc organisé au Canada en 1648. Il se compose de soldats réguliers et de volontaires. Si on espère tenir les Iroquois à distance par cette mesure, c’est peine perdue. Ils sont beaucoup plus rapides que les soldats français et savent bien se camoufler. Cependant, le «camp volant» n’est pas inutile car il donne aux Français une certaine mobilité tactique. En 1651, le «camp volant» est augmenté à 70 hommes, sans doute parce que jugé trop faible pour affronter efficacement un contingent iroquois musclé. Cependant cette augmentation est très coûteuse de sorte que, l’année suivante, le «camp volant» est dissous. La colonie se retrouve alors dans une situation de défense statique. Les ennemis attaquent de plus belle, concentrant leurs raids sur Trois-Rivières. Afin de prêter main-forte à la petite garnison trifluvienne, le «camp volant» renaît en 1653, sous le commandement d’Eustache Lambert. L’urgence passée, il est de nouveau dissous à la faveur d’une paix, qui sera de courte durée, conclue avec les Iroquois.

    L’expérience du «camp volant» coïncide avec l’apparition d’un nouveau genre d’hommes dans la colonie: les «coureurs de bois». Jusqu’alors, le commerce des fourrures au Canada se fait de la façon traditionnelle: les Indiens se rendent à un fort occupé par les Français afin d’y échanger les pelleteries contre des objets européens. À compter de 1653 cependant, les commerçants français décident de se rendre au cœur des nations amérindiennes alliées ou amies afin d’y commercer. Ce changement de stratégie commerciale provoque l’apparition de nombreux jeunes hommes pour qui la vie dans les bois ainsi que les mœurs et coutumes des Amérindiens n’a plus de secrets. Ce sont des «coureurs de bois». Leur influence sur le type de combat pratiqué au Canada n’est pas immédiatement perceptible au milieu du XVIIe siècle, les idées sur la tactique étant encore ancrées principalement sur les pratiques européennes. Cependant, l’apparition de ces hommes rompus à la vie dans les bois sera éventuellement déterminante sur l’évolution de la tactique en Amérique du Nord⁹.

    L’apparition du fusil transforme également l’armement des combattants au Canada. Grâce à son mécanisme de mise à feu à l’aide d’une pierre «à fusil» en silex, cette nouvelle arme est plus fiable que les mousquets et les arquebuses habituellement dotés de mécanismes de mise à feu au moyen d’une mèche. À calibre égal, le fusil est plus léger que le mousquet et plus maniable. Quelque peu boudé dans les armées européennes du XVIIe siècle, le fusil est manifestement accueilli avec enthousiasme par les soldats et les habitants du Canada. On en trouve mention dès le milieu des années 1640 et, durant la décennie suivante, le fusil devient manifestement l’arme à feu portative prépondérante dans la colonie. Ce progrès dans l’armement des Français par rapport à leurs ennemis iroquois n’est cependant que temporaire car on note bientôt que ces derniers s’en procurent eux aussi par le truchement des postes hollandais¹⁰.

    Une autre arme européenne dont l’utilité est remise en doute dans un combat dans les forêts canadiennes est l’épée. Dans la pratique, les soldats et les volontaires s’équipent de petites haches, les «tomahawks», et de couteaux au lieu des longues et encombrantes épées qui s’accrochent dans les branchages. Il reste que l’utilité de l’épée dépasse, et de loin, sa fonction d’arme portative: c’est une arme empreinte de symbolisme, insigne par excellence identifiant l’homme qui la porte comme étant un militaire. Depuis le Moyen-Âge, il est même interdit aux roturiers de porter l’épée, privilège réservé aux nobles, aux gentilshommes et aux soldats. Ainsi, bien qu’inutile dans les bois du Canada, l’épée fera quand même partie de l’armement officiel du soldat dans la colonie durant tout le Régime français mais ne sera pas vraiment utilisée au combat.

    Dans l’immédiat, la petite colonie est quasiment assiégée en permanence depuis la reprise des hostilités avec les Iroquois en 1657-1658. Durant les années suivantes, la situation dans la vallée du Saint-Laurent devient des plus précaires pour les colons français. Les Iroquois surgissent de nulle part, frappent et disparaissent aussitôt. Les Français ripostent du mieux qu’ils peuvent. En 1658, le gouverneur Voyer d’Argenson se lance à la poursuite des Iroquois à la tête d’une centaine d’hommes. Son intention est de les traquer afin de les affronter dans une «bataille rangée» à l’européenne, pour les annihiler. Bien entendu, les Iroquois ne lui en donnent pas l’occasion et semblent se volatiliser dans la nature dès que paraissent les hommes du gouverneur. Ainsi, depuis un demi-siècle que les Français sont établis au Canada, à peu près aucun progrès ne semble avoir été fait en ce qui a trait aux tactiques de combat.

    À cette carence tactique s’ajoute la faiblesse des effectifs français. Il faut donc se contenter de mesures strictement défensives. On ne peut qu’encourager les habitants à se regrouper dans des villages fermés et fortifiés, ce qui contribue à une mentalité d’état de siège. En 1660, survient l’incident où le jeune commandant de la garnison de Montréal, Adam Dollard des Ormeaux, et 16 compagnons sont tués au Long-Sault, sur la rivière des Outaouais, quand leur fortin est pris d’assaut par les Iroquois. Quelques renforts sont envoyés de France au Canada, mais c’est sans effet et les raids meurtriers redoublent sans qu’il n’y ait aucune façon de les contenir. C’est dans cette atmosphère de siège que s’organise en 1663, à Montréal, le premier corps de volontaires de la colonie. Cette «Milice de la Sainte-Famille Marie-Jésus-Joseph» compte 139 hommes divisés en vingt escouades pour patrouiller les abords de la ville¹¹.

    Le salut pour le Canada arrive en 1665 avec les 1 200 fantassins que le jeune roi Louis XIV envoie dans la colonie. Il s’agit du Régiment de Carignan-Salières, fort de 20 compagnies composée chacune 50 hommes et de quatre compagnies détachées des Régiments de Lignières, de Chambéllé, de Poitou et d’Orléans. Il y a également une petite compagnie de 20 hommes qui sert d’escorte au gouverneur général, le marquis de Tracy. Ces fantassins arrivent habillés comme en Europe, portant des uniformes bruns doublés de gris et coiffés de chapeaux ornés de rubans beige et noir. Les gardes de Tracy portent la même tenue que les Mousquetaires du Roi dans le palais royal. Le Canada ne commande donc aucun changement dans la tenue vestimentaire. Mais sur le plan de l’armement, une adaptation se fait remarquer. Contrairement à un régiment européen dans lequel environ le quart des soldats est armé de longues piques, les fantassins envoyés au Canada portent tous des armes à feu. Qui plus est, au moins 200 soldats sont armés de fusils, arme interdite en faveur des mousquets dans l’armée métropolitaine.

    L’arrivée de ces nombreuses troupes met les Iroquois sur la défensive. La tactique de Tracy est simple et directe: envahir le territoire ennemi, détruire ses bourgs et ses cultures afin de réduire les autochtones hostiles à la famine. Après quelques escarmouches, une importante expédition de 300 soldats et 200 volontaires canadiens quitte la colonie en plein hiver de 1666 vers les territoires iroquois du sud. L’aventure hivernale risque de tourner au désastre et les villages iroquois ne sont pas atteints ni détruits. Cependant, l’été suivant, quelque 700 soldats français et 400 volontaires canadiens sont de nouveau en marche vers

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