L' archivistique à l'ère du numérique: Les éléments fondamentaux de la discipline
Par Carol Couture et Marcel Lajeunesse
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L' archivistique à l'ère du numérique - Carol Couture
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archivistique est une profession très ancienne. Il y eut des archives et des archivistes quand les administrations de l’Antiquité conservèrent des documents essentiels au fonctionnement de leurs États et quand des institutions voulurent, dès cette époque, sauvegarder des traces de la vie de leurs sociétés. Par contre, l’archivistique est une jeune discipline sur le plan de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il faut noter qu’elle avait profité du fort courant de redécouverte de l’histoire dans la première moitié du XIXe siècle. Cette période a donné lieu notamment à la fondation de plusieurs écoles d’archivistique (l’Autriche avec l’Institut für Österreichische Geschichtsforshung, l’Allemagne avec l’École de Marburg, l’Italie avec plusieurs écoles, les Pays-Bas avec son École rattachée aux Archives nationales et la France avec l’École des chartes créée en 1821). C’est à cette période que sont formulés le principe de respect des fonds et la définition du fonds d’archives qui en découle par l’historien français Natalis de Wailly en 1841. Mais c’est dans la seconde moitié du XXe siècle que des congrès internationaux d’archivistique furent tenus, que des programmes d’archivistique furent créés dans les établissements d’enseignement supérieur et que des recherches furent menées pour approfondir les fondements de cette discipline.
Dans un programme de recherche que nous avons conduit à l’Université de Montréal au cours de la décennie 1990, nous avons voulu cerner alors l’état de la discipline archivistique. Étant persuadés que le développement de l’archivistique est redevable à la législation qui fonde les politiques nationales en matière d’organisation des archives, aux principes et aux fonctions autour desquels s’articule la discipline, et enfin à l’enseignement et à la recherche qui en permettent l’approfondissement, nous avions alors bâti ce programme de recherche en trois volets, chacun étudiant l’un des aspects fondamentaux mentionnés et donnant lieu à des publications (livre, rapports de recherche et articles de périodiques). Les publications du programme de recherche sur les fondements de l’archivistique (1990-2001) sont d’ailleurs présentées en annexe à l’introduction.
Plus de 20 ans s’étant écoulés depuis que ce programme de recherche a été entrepris, il nous a semblé pertinent de « revisiter », de réétudier chacun de ces trois aspects qui déterminent, à notre avis, les traits fondamentaux de la discipline archivistique. Dans nos études antérieures, nous avions constaté l’arrivée et l’utilisation des technologies de l’information et de communication (TIC) dans les programmes de formation des archivistes et dans la pratique quotidienne de la profession. Depuis, nous avons assisté à la révolution et même à la « déferlante » du numérique. Cela a obligé un questionnement et une adaptation des principes archivistiques, a bouleversé l’application des fonctions de la discipline, tout en contribuant à modifier plusieurs aspects des lois sur les archives, à favoriser la révision des programmes de formation et à orienter la recherche des spécialistes de la discipline.
Dans ce livre, nous analysons les principaux changements intervenus en archivistique depuis un quart de siècle, en grande partie sous l’influence des technologies de l’information et de la communication et par les conclusions d’ambitieux projets de recherche internationaux. Le présent ouvrage se veut une contribution à dresser l’état actuel de la discipline archivistique.
ANNEXE I.1. PUBLICATIONS DU PROGRAMME DE RECHERCHE SUR LES FONDEMENTS DE L’ARCHIVISTIQUE (1990-2001)
LES LÉGISLATIONS ARCHIVISTIQUES ET LES POLITIQUES SUR LES ARCHIVES
Couture, Carol (1992). « Fondement juridique de l’organisation des archives », Tabula. Revista de Archiveros de Castilla y Leon, no 1, p. 9-24.
Couture, Carol (1993). « Législation archivistique et politique nationale d’archives », Archivaria, no 35, printemps, p. 144-152.
Couture, Carol et Marcel Lajeunesse (1990). « La législation en archivistique : problématique et état de la question », Archives, vol. 21, no 4, p. 3-40.
Couture, Carol et Marcel Lajeunesse (1991). Législations archivistiques et politiques nationales d’archives : étude comparative, Montréal, Université de Montréal, EBSI, 426 p.
Couture, Carol et Marcel Lajeunesse (1993). Législations et politiques archivistiques dans le monde, Québec, Documentor, 417 p.
Couture, Carol et Marcel Lajeunesse (1994). « Impact of archival legislation on national archives policies : A comparative study », Archives, vol. 21, no 91, p. 1-15.
Couture, Carol et Marcel Lajeunesse (1996). « Champs d’application de la législation : les documents, les organismes et les personnes visées », Actes du Colloque ACCT/BIEF sur la législation archivistique pour le développement du système national d’information, Tunis, 13-16 mai 1994, Ottawa, BIEF, p. 103-113.
LES PRINCIPES ET LES FONCTIONS ARCHIVISTIQUES
Couture, Carol et Marcel Lajeunesse (1993). « Les principes et les fonctions archivistiques : historique du Programme RAMP et analyse des études RAMP », Archives, vol. 25, no 2, p. 17-44.
Couture, Carol et Marcel Lajeunesse (1994a). « L’UNESCO et le développement de l’archivistique : utilisation, diffusion et évaluation des études RAMP », Gazette des archives, no 165, p. 224-252.
Couture, Carol et Marcel Lajeunesse (1994b). Les principes et les fonctions archivistiques : analyse et évaluation du Programme RAMP de l’UNESCO, Montréal, Université de Montréal, EBSI, 491 p.
Roper, Michael et Carol Couture (1993). Impact Evaluation of the Records and Archives Management Program of the General Information Program (PGI), Paris, UNESCO, 62 p.
LA FORMATION ET LA RECHERCHE EN ARCHIVISTIQUE
Couture, Carol (1999). La formation et la recherche en archivistique dans le monde, Montréal, Université de Montréal, EBSI, 339 p.
Couture, Carol (2001). « Education and research in archival science : General tendencies », Archival Science, vol. 1, p. 157-182.
Couture, Carol et Daniel Ducharme (1998-1999). « La recherche en archivistique : un état de la question », Archives, vol. 30, nos 3-4, p. 11-38.
Couture, Carol et Jocelyne Martineau (2000). « La formation en archivistique et le profil de l’archiviste contemporain », Archivum, vol. 45, p. 19-40.
présent chapitre propose une version fortement condensée et entièrement mise à jour de notre étude parue à l’origine sous le titre Législations et politiques archivistiques dans le monde (Couture et Lajeunesse, 1993) ¹. Nous avons cherché à résumer en les réactualisant les résultats de cette étude comparative réalisée au cours des années 1989 et 1990. Pour ce faire, nous examinerons successivement les principaux éléments dont l’impact est déterminant quant au champ d’application de la législation archivistique et au système national d’archives qui en découle. Ces éléments constitutifs de la législation recouvrent l’ensemble des fonctions archivistiques et des interventions de l’archiviste. Chaque aspect est abordé selon un double point de vue normatif (les principes de législation que l’on souhaiterait voir appliquer aux archives) et descriptif (les dispositions qui régissent effectivement les archives dans les différents pays). Le volet descriptif ne se limite pas au contenu de la loi, mais considère aussi ses modalités d’application et l’état de développement de la politique archivistique qui en résulte. Sur les 26 pays et 11 collectivités territoriales choisis à l’origine pour notre enquête, nous avons retenu 20 entités qui comptent parmi les plus importantes et représentatives pour notre propos : neuf pays européens (Allemagne, Angleterre, Belgique, Danemark, France, Italie, Pays-Bas, Russie et Suisse) ; trois pays d’Afrique (Kenya, Sénégal, Tunisie) ; deux pays d’Amérique du Nord (Canada – y compris les provinces de l’Ontario et du Québec, et les États-Unis – y compris la Californie) ; et enfin l’Australie, la Chine et Israël. Nous avons évidemment tenu compte du dernier état des textes législatifs et réglementaires en vigueur dans chaque pays ².
Nous donnerons d’abord un aperçu des principales sources documentaires pour l’étude de notre sujet. L’UNESCO et le Conseil international des archives (ICA) ont été parmi les premiers intervenants à reconnaître le rôle essentiel de la législation archivistique et à susciter une réflexion approfondie sur la question. La compilation des textes de loi du monde entier dans l’organe officiel de l’ICA Archivum, achevée en 1973 (ICA, 1971, 1972a, 1972b et 1973) puis réactualisée dix ans plus tard (ICA, 1982), a fait l’objet d’une nouvelle mise à jour parue au milieu des années 1990 (ICA, 1995 et 1996). Des préoccupations du même ordre ont été abordées lors de nombreux Congrès internationaux des archives et de Conférences internationales de la Table ronde des archives (CITRA), auxquels il sera maintes fois référé par la suite. Une autre contribution d’importance provient du Comité pour les questions juridiques intéressant les archives (ICA/CLM), créé lors du Congrès de Montréal en 1992 et dissous au Congrès de Vienne en 2004. Parmi ses travaux rassemblés en 2006, il faut au moins mentionner les « Principes directeurs pour une loi sur les archives historiques et les archives courantes », élaborés à partir de 1993 et présentés au Congrès de Beijing en 1996 (Choy, 2006). Roper (1999) et Parer (2001)³ ont également développé des modèles de lois types sur les archives qui se situent dans le prolongement des réflexions proposées dans les trois décennies précédentes par des auteurs comme Bautier (1966), Delmas (1974), Mabbs (1977), Carbone et Guêze (1971) et surtout Ketelaar (1986), dont l’ouvrage de synthèse s’impose encore aujourd’hui comme une véritable somme à bien des égards définitive. Poursuivant un idéal d’harmonisation des législations archivistiques, ces différents ouvrages proposent des critères généraux, principes directeurs et normes applicables en ce domaine. En ce qui concerne le droit de l’information, Duchein (1983), Banisar (2006) et Mendel (2008) ont réalisé un travail d’enquête et d’analyse comparative qu’on peut rapprocher de l’étude de Ketelaar sur la législation archivistique.
Avant de passer à l’analyse détaillée des éléments de législation, nous aimerions formuler quelques observations générales en soulignant le rôle et l’importance de la loi, son contexte d’élaboration et ses modalités d’application. Rappelons pour commencer que la publication des lois sur les archives nationales dans Archivum (1971-1973) avait révélé une faiblesse généralisée en ce domaine. Les mises à jour subséquentes dénotent une amélioration sensible et témoignent d’une réelle prise de conscience quant à l’importance de la législation. Sans infrastructure législative, l’organisation des archives relève uniquement de dispositions générales concernant par exemple la défense du patrimoine culturel, des monuments historiques et des découvertes archéologiques, quand ce n’est pas du simple droit administratif. Comment peuvent alors naître et surtout exister des systèmes et des services d’archives ayant quelque chance de réussite ? L’absence de bases juridiques solides aggrave en outre l’incompréhension dont les archives sont victimes de la part des fonctionnaires et du grand public. Il est donc impérieux de fonder en droit l’exercice exclusif des responsabilités archivistiques si l’on veut conférer aux archives le statut d’entité juridique à l’autorité statutaire formellement établie, et non pas simplement celui de dépendance administrative de l’État. De plus, la loi consolide la position de l’archiviste qui pourra ainsi faire valoir ses priorités et réclamer des moyens financiers essentiels à la mise en œuvre d’une politique archivistique viable et efficace. Bien sûr, on pourrait soutenir que, dans un contexte d’application moins rigide, une action purement administrative, plus facile à établir et proposant de simples lignes directrices, serait suffisante. Mais il reste qu’une loi permanente sur les archives sera toujours plus viable à long terme que de simples directives ou procédures. Les archives, pour peu qu’on reconnaisse leur valeur en tant que ressource nationale, doivent pouvoir bénéficier d’une législation appropriée au même titre que les ressources naturelles.
Cependant, la loi sur les archives n’est pas tout. Elle fait partie de l’ensemble de la politique nationale d’archives dont les composantes sont une législation et une réglementation, des ressources (humaines, matérielles et financières) et un programme d’intervention. Pour tout pays, quel qu’il soit, cette politique doit s’inscrire dans le système national d’information qui, à son tour, s’insère dans un plan national de développement. Il faut se rendre à l’évidence que pour organiser et traiter les archives, il en coûte quelque chose. Il faut accepter de payer le prix et la législation fait précisément partie de ces efforts. Toute hésitation en ce domaine trahit la tiédeur relative de la volonté politique et administrative quant aux mesures à prendre.
Pour bien comprendre et appréhender avec plus de justesse le champ d’application et l’impact de la loi sur les archives, nous devons examiner un certain nombre de facteurs qui influencent directement l’ampleur de son champ d’application et les conséquences qu’elle aura sur les documents, les organismes et les personnes. Les particularismes nationaux sont les premiers éléments à prendre en considération. Certes, la diversité des formes juridiques dans le monde recouvre des principes archivistiques fondamentaux très comparables d’un pays à l’autre. Ainsi en va-t-il, par exemple, du principe de respect des fonds, de la notion de fonds qui en découle et du cycle de vie des documents fondé sur les trois âges et sur les notions de valeurs primaire et secondaire. Mais on ne peut, sur cette base, fonder un idéal d’harmonisation trop ambitieux en ce qui concerne la législation. C’est avec raison que plusieurs spécialistes soulignent l’impossibilité d’établir dans l’abstrait un modèle de législation archivistique dont le champ d’application serait partout le même. La loi sur les archives, pour être crédible, applicable et viable, doit être conçue en fonction des conditions existant dans chaque pays considéré : constitution de l’État, pratiques administratives, traditions archivistiques, besoins du milieu professionnel et attentes des utilisateurs. De plus, selon le niveau économique des États et, corrélativement, selon le stade de développement atteint par les infrastructures d’archives déjà en place, la planification archivistique s’attachera à combler les lacunes et à inspirer les développements futurs ou bien revêtira un caractère plus global. Il ne faut pas oublier non plus les graves problèmes que connaissent les pays économiquement défavorisés en ce qui touche à la mise en place d’infrastructures pour les archives. Le degré de centralisation des États doit aussi être considéré. Dans les pays de structure fédérale, les modes de contrôle se répartissent entre la législature de l’État central et celles des composantes de la fédération. Un tel système encourage l’expérimentation de formules législatives et administratives diversifiées et originales, mais en revanche, il en résulte souvent de grandes disparités, voire des incohérences flagrantes dues à un manque de direction centrale et d’orientation d’ensemble. Il faut donc, dans un tel contexte, tendre vers une saine harmonisation des champs d’application tout en respectant les responsabilités de chaque palier de gouvernement et les spécificités de chaque État membre.
Un deuxième élément à prendre en compte est la volonté dont fait preuve le décideur eu égard à l’organisation des archives et les efforts que les archivistes sont prêts à investir pour le convaincre d’aller de l’avant. En effet, pour faciliter l’adoption et l’application d’une nouvelle législation, les gouvernants doivent être convaincus du caractère essentiel d’une politique sur les archives comme outil indispensable à leur action politique, économique et sociale. Même si les dirigeants d’un grand nombre de pays reconnaissent l’intérêt que présentent les archives, il revient donc toujours au milieu archivistique de sensibiliser les autorités gouvernementales aux problèmes inhérents à la gestion des archives et de les aider à préciser le champ d’application de la législation qui les concerne.
Le troisième élément veut que la loi sur les archives s’insère dans une planification stratégique où archivistes et utilisateurs d’archives joueront un rôle essentiel. Toute planification relative à l’information, et ceci comprend les archives, suppose une évaluation préalable de la situation nationale qui devra se fonder sur une solide analyse de besoins. Il est bon que le gouvernement soumette ensuite sa politique provisoire à un processus consultatif par lequel les professionnels et le public se verront associés aux décisions. Cette démarche saura contribuer, d’une part, à la mise en place d’une législation aux bases légitimes et accroître, d’autre part, les chances que celle-ci soit acceptée et appliquée avec tout le sérieux qu’elle mérite. Il est donc hautement souhaitable de prendre l’avis des archivistes qui, grâce à leur connaissance du milieu et de sa problématique, sauront faire des propositions réalistes quant à la planification et à l’organisation des archives. L’expérience a d’ailleurs démontré que les professionnels et les utilisateurs peuvent exercer une influence positive sur la teneur de la législation archivistique et il y a donc lieu de tout faire pour qu’ils puissent être entendus et apporter leur irremplaçable contribution.
Comme quatrième élément, il importe de mentionner le degré d’application de la loi sur les archives. Trop souvent la législation archivistique, une fois adoptée, reste ignorée en dehors de l’institution nationale d’archives. Cela s’explique par l’indifférence des services administratifs, dont les finalités ne se conforment pas toujours de manière évidente aux exigences découlant de la loi sur les archives, ainsi que par l’ignorance des chercheurs ou du grand public, trop hésitants à se prévaloir des droits qu’elle leur garantit pourtant. D’où la nécessité de renseigner à la fois les fonctionnaires sur leurs obligations et la population sur ses droits. Pour les archivistes, la loi sur les archives est certes essentielle, mais elle ne saurait remplacer le dynamisme dont ils doivent faire preuve pour sans cesse revaloriser les interventions archivistiques auprès de leurs collègues et du public en général, ainsi que leur participation active à l’application de ladite loi.
Le cinquième élément concerne les coûts qu’engendre l’application de la loi sur les archives. Même fondée en droit, la position des archives demeure toujours fragile et menacée, car l’existence d’une loi n’en garantit pas automatiquement l’application. La mise en place de mécanismes de contrôle appropriés peut seule assurer le respect des textes de loi. Ces derniers ne sont pas une fin en soi et ne doivent pas être confondus avec l’action concrète. Il faut bien sûr se doter des outils et des moyens financiers proportionnés à l’étendue du champ d’application de la loi, sans quoi les archivistes ne pourront s’acquitter des charges qu’elle leur confie. En définitive, comme nous l’avons mentionné précédemment, la loi sur les archives ne se suffit pas à elle-même ; elle s’insère obligatoirement dans une politique nationale des archives qui comprend les moyens nécessaires pour sa mise en place. Au-delà de la législation, il faut donc qu’on accorde aux interventions archivistiques les ressources indispensables à leur application effective et complète.
Un sixième élément réside dans la nécessité d’harmoniser l’ensemble des mesures législatives qui influent directement ou indirectement sur la création, la gestion et l’utilisation des archives. On pense alors aux nombreuses lois dont le champ d’application recoupe en partie celui de la loi sur les archives proprement dite : celles qui régissent l’organisation du gouvernement et de l’administration, la protection du patrimoine culturel, l’accès à l’information, la protection de la vie privée, le traitement des données informatiques, les technologies de l’information, le droit d’auteur, ainsi que le droit commercial et celui de la preuve. L’archiviste doit forcément tenir compte de ces multiples éléments de législation qui poursuivent des objectifs différents, voire potentiellement conflictuels. Ces derniers pourront même être ressentis comme d’esprit contraire et difficiles à concilier dans la pratique, surtout si le partage des responsabilités entre les diverses instances décisionnelles n’est pas clairement posé. Il s’agira donc d’installer une pratique administrative cohérente qui échappe au cas par cas, à l’arbitraire et à l’empirisme. Pour cela, il est à souhaiter que l’institution d’archives soit érigée en interlocuteur unique pour ce qui est des obligations légales en matière de traitement et de conservation des documents ou, du moins, que l’ensemble des problèmes d’application tombe sous le coup d’une jurisprudence unique.
L’échéancier d’application est le septième élément qu’il nous faut aborder. Il ne serait pas réaliste de s’attendre, sitôt promulguée, à une application immédiate et intégrale de la loi sur les archives. En effet, il n’y a guère de panacée en matière de gestion d’archives et, par conséquent, l’application d’une nouvelle législation ne va pas sans une période de tâtonnement et de rodage. La mise en valeur des infrastructures existantes, l’application des fonctions nouvellement prévues par la loi et, finalement, le parachèvement du système national d’archives ne pourront s’opérer que progressivement. Il faut donc se méfier des calendriers irréalistes d’application et d’exécution qui pourraient décourager les professionnels, miner la crédibilité des interventions archivistiques et réduire la confiance des clientèles que forment les administrateurs, les chercheurs et le public en général.
Un huitième et dernier élément concerne la nature plus ou moins contraignante de la loi et de ses différentes dispositions. Contrairement à beaucoup d’autres sources du droit, la législation archivistique revêt généralement un caractère plus incitatif que coercitif. Cependant, le pouvoir d’intervention de l’institution d’archives variera grandement selon que les organismes et les personnes visées peuvent ou doivent entreprendre certaines actions concernant leurs archives. Les lois sur les archives recourent en effet tantôt à l’une, tantôt à l’autre de ces deux formulations : la suite du présent chapitre montre clairement, dans les textes existants, la coexistence de mesures purement incitatives et de mesures prescriptives assorties de sanctions en cas de non-respect. Il conviendra donc d’assurer autant que faire se peut l’application de la loi sans pour autant susciter la méfiance des producteurs d’archives (administrations, fonctionnaires et personnes privées), de peur qu’un contrôle trop strict n’entraîne la dissimulation, voire la destruction de documents. La recherche d’un tel équilibre sera inévitablement modulée par le contexte constitutionnel, politique et culturel propre à chaque pays, ce qui nous ramène aux particularismes nationaux dont nous avons déjà souligné l’importance déterminante en matière de législation archivistique.
1. LA DÉFINITION DES ARCHIVES
La législation archivistique définit normalement les notions d’archives et de fonds d’archives auxquelles elle s’applique. C’est là un de ses rôles essentiels : en précisant ce qu’elle considère comme faisant partie des archives du pays, la loi délimite le champ d’intervention de l’archiviste et le champ d’application de la politique d’organisation et de traitement des archives. Dans cette optique, il faut toujours tenter de se donner une définition la plus large possible de la réalité que recouvrent les archives. Toutefois, « la définition des archives dans les textes en vigueur varie énormément selon les hypothèses de départ » (Ketelaar, 1986, p. 9). Celles-ci reflètent souvent les difficultés conceptuelles et terminologiques suscitées par la dichotomie entre le contenu (information) et le contenant (document ou support d’information), entre l’origine publique ou privée des archives, entre les archives courantes et intermédiaires et les archives définitives.
Certaines définitions font référence à l’organisme détenteur ou à la propriété d’État, comme dans la notion du Commonwealth Record (Australie) ou l’ancien concept de « fonds d’archives d’État » soviétique. La loi californienne se réfère ainsi aux documents qui se trouvent en la possession du bureau du gouverneur. On peut même dire que la définition kenyane repose exclusivement sur un critère de cette nature. Les archives publiques de ce pays regroupent en effet « tous les documents publics et autres documents détenus ou conservés aux Archives nationales ou qui sont regardés comme faisant partie des archives publiques » : définition quelque peu circulaire, dont l’imprécision n’est levée que par l’énumération des organismes producteurs figurant en annexe de la loi. En Belgique, les archives englobent notamment les « documents entrés dans le domaine de l’État belge et de ses prédécesseurs en droit ». La loi suisse réserve le critère de l’organisme détenteur (Archives fédérales) aux seules archives définitives, contrairement à la loi israélienne qui évoque plutôt les documents en la possession d’institutions gouvernementales, ou la loi néerlandaise qui concerne l’ensemble des documents destinés à être conservés soit par l’administration productrice, soit par un dépôt d’archives. La loi anglaise combine également les deux éléments susmentionnés, puisqu’elle vise à la fois les documents conservés par le Public Record Office (PRO) et les documents détenus par les organismes publics énumérés en annexe. Mais en définitive, il vaut sans doute mieux considérer que la loi s’applique à tous les documents, quel que soit leur lieu de conservation (France) et « indépendamment de leur propriété » (Russie).
Les lois russe, suisse et chinoise mettent l’accent sur la valeur intrinsèque que les archives présentent pour l’État, la société et les citoyens. Cette notion générale comporte deux volets auxquels le droit fait plus précisément référence dans de nombreux pays, à savoir les valeurs primaire et secondaire des archives. Le projet de loi d’archives type (PLAT) de Carbone et Guêze (1971) réunit d’ailleurs les deux conceptions en associant l’idée de patrimoine historico-archivistique à celle de patrimoine archivistique sic et simpliciter (archives administratives). Les lois danoise, française, suisse et tunisienne rappellent la valeur administrative et juridique des archives en soulignant leur importance pour la justification des droits et obligations des personnes physiques et morales. La Disposal of Records Act américaine en fait aussi mention, tout comme la réglementation belge. De nombreuses lois soulignent en même temps la valeur de témoignage ou de commémoration des archives et leur importance pour la recherche historique (Australie, Danemark, États-Unis, France, Israël, Suisse, Tunisie). La loi chinoise tient les archives pour synonymes de « documents historiques », ce à quoi fait écho la notion américaine d’« historical materials » (Loi sur la National Archives and Records administration – NARA). En Russie, le Fonds d’archives de la Fédération de Russie (FAFR) n’inclut par définition que les documents à valeur permanente qui font dès lors partie du patrimoine historique national, à quoi s’ajoute la notion de « documents particulièrement précieux » dotés d’une valeur culturelle, historique et scientifique durable. C’est encore la valeur secondaire que met en exergue la Constitution italienne, fondement du droit italien des archives, en affirmant que la République protège le patrimoine historique de la nation⁴. Il peut cependant être utile de préciser que les archives sont à prendre en compte, quelle que soit leur date (Belgique, France, Tunisie, Québec), ce qui évitera de mettre l’accent trop exclusivement sur leur valeur seconde. Aux Pays-Bas, on trouve des mesures réglementaires sur l’évaluation des archives qui invoquent à la fois leurs valeurs primaire et secondaire. Un autre élément de définition souvent rencontré réside dans la valeur d’information dont les documents sont porteurs, notamment en Angleterre, en Russie, en Suisse, au Kenya, en Australie, au Canada (Québec compris) et aux États-Unis (Disposal of Records Act).
Toutefois, c’est bien le principe du respect des fonds qui doit être considéré en premier lieu comme constituant le fondement théorique de la discipline, dont la législation doit nécessairement respecter l’esprit. Par conséquent, « seules les définitions qui incluent parmi les attributs des documents d’archives leur qualité essentielle de produit de l’activité d’un organe donné (critère de provenance) paraissent acceptables en archivistique moderne » (Ketelaar, 1986, p. 9). Il y aurait d’ailleurs quelque illogisme, pour le législateur, à ignorer un principe aussi fondamental pour en confier le soin aux textes d’application. L’expérience belge témoigne pourtant d’une telle évolution : la loi de 1955 se contente en effet d’énumérer les producteurs d’archives soumis à la juridiction de l’État, d’où un manque de définitions claires qui n’en ont évidemment pas facilité la compréhension et l’exécution. Ce n’est finalement qu’en 2010 que le principe du respect des fonds s’est vu défini par arrêté royal avec toute la rigueur et la netteté souhaitables. La plupart des autres lois font heureusement appel à cette notion intellectuellement satisfaisante, car conforme à la doctrine archivistique (France, Pays-Bas, Suisse, Sénégal, Tunisie, Chine, Ontario, Québec). Le droit américain définit de façon comparable les notions de « records » (Disposal of Records Act), « presidential records » (Presidential Records Act) ou « public records » (Californie). Il en va de même pour les lois chinoise et russe sur la transparence administrative, dans leur définition du concept d’information gouvernementale. Les définitions anglaise et italienne paraissent plus ambiguës lorsqu’elles désignent les « documents de l’État » ou ceux « des organismes publics », l’emploi de la préposition de pouvant ici s’interpréter par référence au critère de l’organisme détenteur. Cependant, la loi italienne pose en principe que les fonds doivent être conservés dans leur intégrité et non pas fractionnés, comme le font aussi les lois québécoise et tunisienne. Le principe de territorialité, dérivé du principe de respect des fonds, se trouve rarement explicité si ce n’est dans certaines politiques administratives sur la gestion des documents inactifs et l’acquisition d’archives privées (Québec). Seule en son genre, la définition israélienne récuse formellement toute notion de territorialité, puisqu’elle englobe tout le patrimoine archivistique du peuple juif, diaspora comprise, sans égard au lieu d’origine. Sans aller aussi loin, les législations française, kenyane, russe et tunisienne prévoient tout de même la collecte d’archives d’intérêt national se trouvant à l’étranger, notamment celles qui concernent la présence coloniale de la France outre-mer.
On relève par ailleurs, depuis le début des années 1980, une nouvelle tendance à « inclure les archives dans une législation plus vaste englobant l’ensemble du patrimoine culturel et documentaire du pays » (Duchein, 1982b, p. 22). Conçues dans cet esprit, les lois canadienne et québécoise ont récemment créé de nouveaux organes de direction responsables non seulement des archives, mais aussi des publications assujetties au dépôt légal. Plus globalisant encore, les droits français (Code du patrimoine) et italien (Code du patrimoine culturel et paysager) regroupent depuis 2004 les dispositions auparavant dispersées qui concernent les archives, les bibliothèques, les musées, l’archéologie et les monuments historiques – évolution amorcée en Italie par le Texte consolidé de la législation sur les biens culturels et environnementaux sanctionné par décret-loi en 1999. Une pareille conception permet de consolider l’autorité de l’institution d’archives, qui devient alors partie intégrante d’une politique culturelle nationale cohérente. Il importe cependant de préserver les distinctions qui s’imposent entre archives et services culturels « voisins » de peur qu’ils n’en viennent à perdre leur identité propre. À cet égard, on peut privilégier la solution française consistant à regrouper les articles relatifs aux archives dans un Livre distinct, là où la codification italienne, plus dispersée, tend plutôt à brouiller les frontières. Le modèle québécois nous semble également préférable au modèle canadien dans la mesure où il comporte deux lois au lieu d’une seule, la première à caractère administratif qui régit l’organe de direction unique, la deuxième antérieure à la fusion Bibliothèque/Archives et portant spécifiquement sur la gestion d’archives. Par ailleurs, le rattachement des archives à la catégorie « Biens culturels » ou au patrimoine documentaire coexiste dans tous ces pays avec une définition fondée essentiellement sur le principe du respect des fonds ou, au Canada, sur la notion d’information. Nous voyons par ces exemples que la notion de patrimoine documentaire possède avant tout une valeur classificatoire et ne contredit pas la définition préalablement appliquée aux archives. Nous ne croyons donc pas que l’archiviste, devant cet élargissement tendanciel du cadre juridique, doive craindre pour l’intégrité des principes sous-jacents à son travail. La Suisse témoigne d’une évolution inverse qui, dans le recueil du droit fédéral, a fait passer la Loi sur l’archivage de la rubrique « Archives. Bibliothèques. Musées » à la rubrique « Libertés d’opinion et d’information ».
La définition des archives doit rester valable indépendamment de la forme ou du support, toute énumération des formes possibles ayant tendance à se périmer à plus ou moins brève échéance. Mais en même temps, il importe qu’elle soit conforme à l’état actuel et à la diversité des techniques. La meilleure solution consiste sans doute à formuler une définition de caractère général applicable à tout contenu d’information, quitte à développer ensuite par voie réglementaire une énumération non limitative des divers matériels concernés. Sauf en Allemagne, au Danemark et en Italie, les lois sur les archives analysées englobent tout document, quels qu’en soient la nature, la forme, le support, les caractéristiques matérielles ou le procédé d’enregistrement⁵. Plusieurs lois d’accès à l’information proposent aussi des définitions de cette nature (France, Israël, Canada, Ontario, Québec, États-Unis, Californie). Ce type de formulation, procédant par compréhension plutôt que par énumération, « permet d’inclure tous les nouveaux supports
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