Le Pèse-Nerfs – Fragments d’un Journal d’Enfer – L’Art et la Mort
Par Antonin Artaud
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À propos de ce livre électronique
L’Art et la Mort se compose de textes parus, pour la plupart, dans la Revue Surréaliste. Avec fièvre, Artaud évoque les thèmes de la Mort, de la castration (Abélard) et du suicide qui en composent l’essentiel et poursuivent l’idée d’une autre perspective du corps et de l’esprit. Dans cette période proche des surréalistes, il nous propose une écriture de l’hyper-intime transcendant le « moi ».
Antonin Artaud
Antonin Artaud was a French dramatist, poet, essayist, actor, and theatre director, widely recognized as one of the major figures of twentieth-century theatre, literature and the European avant-garde. He is best known for conceptualizing the Theatre of Cruelty.
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Aperçu du livre
Le Pèse-Nerfs – Fragments d’un Journal d’Enfer – L’Art et la Mort - Antonin Artaud
edition
LE PÈSE-NERFS
….......
J’ai senti vraiment que vous rompiez autour de moi l’atmosphère, que vous faisiez le vide pour me permettre d’avancer, pour donner la place d’un espace impossible à ce qui en moi n’était encore qu’en puissance, à toute une germination virtuelle, et qui devait naître, aspirée par la place qui s’offrait.
Je me suis mis souvent dans cet état d’absurde impossible, pour essayer de faire naître en moi de la pensée. Nous sommes quelques-uns à cette époque à avoir voulu attenter aux choses, créer en nous des espaces à la vie, des espaces qui n’étaient pas et ne semblaient pas devoir trouver place dans l’espace.
J’ai toujours été frappé de cette obstination de l’esprit à vouloir penser en dimensions et en espaces, et à se fixer sur des états arbitraires des choses pour penser, à penser en segments, en cristalloïdes, et que chaque mode de l’être reste figé sur un commencement, que la pensée ne soit pas en communication instante et ininterrompue avec les choses, mais que cette fixation et ce gel, cette espèce de mise en monuments de l’âme, se produise pour ainsi dire AVANT LA PENSÉE. C’est évidemment la bonne condition pour créer.
Mais je suis encore plus frappé de cette inlassable, de cette météorique illusion, qui nous souffle ces architectures déterminées, circonscrites, pensées, ces segments d’âme cristallisés, comme s’ils étaient une grande page plastique et en osmose avec tout le reste de la réalité. Et la surréalité est comme un rétrécissement de l’osmose, une espèce de communication retournée. Loin que j’y voie un amoindrissement du contrôle, j’y vois au contraire un contrôle plus grand, mais un contrôle qui, au lieu d’agir se méfie, un contrôle qui empêche les rencontres de la réalité ordinaire et permet des rencontres plus subtiles et raréfiées, des rencontres amincies jusqu’à la corde, qui prend feu et ne rompt jamais.
J’imagine une âme travaillée et comme soufrée et phosphoreuse de ces rencontres, comme le seul état acceptable de la réalité.
Mais c’est je ne sais pas quelle lucidité innommable, inconnue, qui m’en donne le ton et le cri et me les fait sentir à moi-même. Je les sens à une certaine totalité insoluble, je veux dire sur le sentiment de laquelle aucun doute ne mord. Et moi, par rapport à ces remuantes rencontres, je suis dans un état de moindre secousse, je voudrais qu’on imagine un néant arrêté, une masse d’esprit enfouie quelque part, devenue virtualité.
Un acteur on le voit comme à travers des cristaux.
L’inspiration à paliers.
Il ne faut pas trop laisser passer la littérature.
Je n’ai visé qu’à l’horlogerie de l’âme, je n’ai transcrit que la douleur d’un ajustement avorté.
Je suis un abîme complet. Ceux qui me croyaient capable d’une douleur entière, d’une belle douleur, d’angoisses remplies et charnues, d’angoisses qui sont un mélange d’objets, une trituration effervescente de forces et non un point suspendu
– avec pourtant des impulsions mouvementées, déracinantes, qui viennent de la confrontation de mes forces avec ces abîmes d’absolu offert,
(de la confrontation de forces au volume puissant)
et il n’y a plus que les abîmes volumineux, l’arrêt, le froid, –
ceux donc qui m’ont attribué plus de vie, qui m’ont pensé à un degré moindre de la chute du soi, qui m’ont cru plongé dans un bruit torturé, dans une noirceur violente avec laquelle je me battais,
– sont perdus dans les ténèbres de l’homme.
En sommeil, nerfs tendus tout le long des jambes.
Le sommeil venait d’un déplacement de croyance, l’étreinte se relâchait, l’absurde me marchait sur les pieds.
Il faut que l’on comprenne que toute l’intelligence n’est qu’une vaste éventualité, et que l’on peut la perdre, non pas comme l’aliéné qui est mort, mais comme un vivant qui est dans la vie et qui en sent sur lui l’attraction et le souffle (de l’intelligence, pas de la vie).
Les titillations de l’intelligence et ce brusque renversement des parties.
Les mots à mi-chemin de l’intelligence.
Cette possibilité de penser en arrière et d’invectiver tout à coup sa pensée.
Ce dialogue dans la pensée.
L’absorption, la rupture de tout.
Et tout à coup ce filet d’eau sur un volcan, la chute mince et ralentie de l’esprit.
Se retrouver dans un état d’extrême secousse, éclaircie d’irréalité, avec dans un coin de soi-même des morceaux du monde réel.
Penser sans rupture minime, sans chausse-trape dans la pensée, sans l’un de ces escamotages subits dont mes moelles sont coutumières comme postes-émetteurs de courants.
Mes moelles parfois s’amusent à ces jeux, se plaisent à ces jeux, se plaisent à ces rapts furtifs auxquels la tête de ma pensée préside.
Il ne me faudrait qu’un seul mot parfois, un simple petit mot sans importance, pour être grand, pour parler sur le ton des prophètes, un mot témoin, un mot précis,