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Le Glaive et le Bouclier
Le Glaive et le Bouclier
Le Glaive et le Bouclier
Livre électronique312 pages4 heures

Le Glaive et le Bouclier

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À propos de ce livre électronique

Ce roman-documentaire relate les activités des officiers de la Stasi (services de renseignement de l'ex-RDA) chargés d'infiltrer les institutions des Pays Occidentaux (police, armée etc...) dans le but de se livrer à des activités d'espionnage. La formation, les méthodes, le quotidien des agents clandestins devenus citoyens ordinaires y sont décrits lors de leurs missions dont certaines reposent sur des faits authentiques.
LangueFrançais
Date de sortie28 oct. 2011
ISBN9782312006024
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    Le Glaive et le Bouclier - Dany Kuchel

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    Le Glaive et le Bouclier

    Dany Kuchel

    Le Glaive et le Bouclier

    (Das Schwert und der Schild)

    Une histoire de la Stasi, en France.

    Les services d’espionnage est-allemands

    dans la Police française.

    LES ÉDITIONS DU NET

    70, quai Dion Bouton – 92800 Puteaux

    "Chers Camarades, nous sommes le glaive et le bouclier de l’État socialiste allemand, du Parti

    Socialiste unifié (SED), de la République

    Démocratique Allemande"

    Erich Mielke,

    (Ministre de la Sécurité d’État de la RDA de 1957 à 1989)

    © Les Éditions du Net, Paris, 2011

    ISBN : 978-2-312-00602-4

    Chapitre 1

    Paris – Préfecture de Police, automne 1988.

    Le Directeur des Renseignements Généraux scrute le ciel gris de la capitale, il forme une chape de plomb. Est-ce un présage ? Il attend, l’air soucieux, un jeune inspecteur de sa direction qu’il a convoqué dans son bureau.

    Le jeune homme entre, salue très respectueusement son Directeur, les deux hommes s’assoient sur un geste de M. Norens-Sourgues qui déclare d’un ton embarrassé qu’ils doivent se rendre dans les locaux de la DST. Le jeune policier est quelque peu interloqué.

    Sans autre forme de procès, Le haut fonctionnaire quitte son bureau suivi du jeune inspecteur, ils descendent à pied l’escalier reliant le premier étage au rez-de-chaussée puis ils se retrouvent dans la cour du 29 août 1944 où de nombreux véhicules de police banalisés sont stationnés.

    Le chauffeur ouvre la porte droite à son Directeur puis la gauche au jeune policier, la limousine sombre quitte la préfecture de police à une allure soutenue, direction le 15ème arrondissement, en empruntant les quais de Seine, donnant ainsi à ce convoi son unique agrément.

    09 heures 15, Eric est surpris, il entre dans les locaux du Ministère de l’Intérieur, une haie d’hommes en complets gris lui font un accueil glacial. L’un d’eux, le regard vif aussi tranchant que les angles de son visage, se présente : je suis le Commissaire Basin. Il invite Eric à le suivre. Eric suit donc cet homme au costume gris d’une tristesse comparable à un ciel de pluie.

    Les policiers de la DST prennent congé du Directeur des R.G. après un court conciliabule.

    Ils pénètrent dans le hall du bâtiment. Un sol imitation marbre sur lequel il est préférable d’éviter les faux pas, enfin, après avoir franchi une porte vitrée gardée par deux policiers en uniforme, assis derrière un bat-flanc, les deux hommes arrivent face à une batterie d’ascenseurs.

    L’homme se présente une nouvelle fois, aimablement, d’une voix neutre. Il s’agit du Commissaire Basin, Eric l’avait bien compris, commissaire de police de la D.S.T., la Direction de la Surveillance du Territoire, c’est évident. Il est encadré de trois adjoints, dont le rôle ou les fonctions, ne sont pas précisées. Eux ne se présentent pas. Ils conservent un visage fermé qui se veut énigmatique.

    Certainement dans le but d’impressionner Eric. Ou alors, se croient-ils investis d’une mission divine. Peut-être les deux. Le jugement dernier.

    Au risque d’être un peu didactique, mais cela est nécessaire, la DST est un service de police dépendant du Ministère de l’Intérieur, chargé du contre-espionnage. Les hommes et les femmes qui travaillent dans cette direction un peu particulière sont des policiers, comme ceux que vous rencontrez dans vos commissariats. Toutefois, ils sont sélectionnés sur des critères rigoureux ou des compétences particulières. Il faut qu’ils aient un profil bien conforme aux souhaits de la DST, disciplinés, discrets jusqu’à en devenir paranoïaques. Certains cultivent même le mystère auprès de leurs proches, menant presque une double vie, d’autres revêtent un sacerdoce. La majorité possède de réelles qualités intellectuelles, un sens du devoir et du patriotisme. Nombreux sont ceux qui ont des qualifications particulières, bilingues ou possédant la connaissance de langues étrangères ou régionales. La DST se charge aussi de missions antiterroristes contre ETA, les nombreux groupuscules d’indépendantistes corses et tous les agités de la bombinettes qu’ils soient à barbe et à turbans ou non. Enfin, certains sont des as de l’informatique, de téléphonie, d’électronique. L’essentiel reste, cependant, de posséder un sens aigu de la rédaction des fiches d’information sur les personnes, les groupes ou organisations surveillés. Nombreux sont les talents et les compétences des fonctionnaires affectés dans ce service.

    Nos policiers de la DST travaillent en collaboration, souvent à sens unique, avec leurs collègues des Renseignements Généraux. Cela signifie qu’ils consultent fréquemment les archives des R.G mais en revanche, ils sont moins généreux quand il s’agit d’ouvrir les leurs. La DST entretient des relations sadomasochistes avec les militaires de la DGSE (les services français d’espionnage) qui se sont illustrés lors du sabotage du Rainbow Warrior. Le bateau de Greenpeace coulé en 1983, dans le port d’Auckland, en Nouvelle Zélande, causant la mort d’un photographe. Ils vivent dans le camp retranché du Boulevard Mortier dans le 20 arrondissement, caserne plus connue sous le nom de piscine en raison de sa proximité de la piscine du Boulevard Mortier. Et puis, c’est plus discret de dire, je vais à la piscine que de crier, je vais à la DGSE, les professionnels auront compris.

    Enfin, ils nouent des liens avec tous les services des armées ou des administrations chargés de collecter des informations de toute nature, tels que les Renseignements Militaires. La DST se chargeant de lutter contre l’espionnage militaire, économique et politique. C’est déjà pas mal !

    Mais revenons à nos moutons car, vous l’avez compris nous n’avons pas affaire à des agneaux.

    Ces quatre hommes et Eric s’engouffrent dans un ascenseur qui s’est annoncé par une sonnerie brève. Un jeu étrange s’instaure. Arrêt de l’ascenseur à différents étages puis descente à un autre étage puis remontée pour aboutir dans un long couloir. Nouvel ascenseur, descentes, remontées, défilés de couloirs. Ces pérégrinations n’amusent pas Eric. Il sait qu’elles ont vocation à l’empêcher de se repérer dans les lieux et d’en dresser un plan fusse-t-il mental. Tous les couloirs du Ministère de l’Intérieur se ressemblent. Surtout dans la tour de la rue Nélaton dans le 15ème arrondissement de Paris où ses trouvent la quasi-totalité des services du Ministère. Mais, les policiers de la DST aiment s’entourer de mystères même quand ceux-ci sont dévoilés depuis longtemps. Ou encore, comme disait Cocteau, si ces mystères nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs.

    Eric a perdu son sourire, habituellement jovial, il mesure la gravité de l’instant à l’aune des précautions qui l’entourent. Ce voyage s’achève dans un autre couloir, plus sombre que les précédents, le long duquel sont alignés des bureaux dotés d’une vitre épaisse, transparente.

    Les hommes de la D.S.T. l’entraînent dans l’un de ces bureaux. Eric remarque que ce bureau est capitonné, il réprime un sourire car cette histoire pourrait paraître être une histoire de fous et ce fou, c’est lui. Une chambre pour aliéné. La seule différence est la présence d’une immense vitre sans tain.

    Eric devine toutefois qu’il se trouve dans les sous-sols du Ministère de l’Intérieur, près d’un parking, une forte odeur de dioxyde de carbone empoisonne l’atmosphère, la crasse épaisse et noire qui couvre les vitres conforte son opinion. Cela rend d’autant plus ridicule ces pérégrinations dans les couloirs, car Eric se fiche de la configuration des locaux de la DST, il les connaît déjà pour avoir rencontré des collègues de la DST qui parlaient volontiers de leur service ou de leurs missions.

    L’un des fonctionnaires referme la porte du bureau, l’atmosphère est tout aussi chargée, cette fois-ci, ce n’est plus l’oxyde de carbone mais l’ambiance devient pesante. Les quatre agents de la DST fixent Eric d’un regard lourd, interrogateur ou plutôt dubitatif. Ils lui demandent de s’asseoir. La marche, ça use.

    Eric a le pressentiment qu’une rude partie va commencer, mais précisément, une partie de quel jeu, s’agit-il d’un jeu ? Non, ni le lieu ni le contexte ne sont ludiques. Face à lui, le Commissaire Basin qui n’a pas quitté Eric d’un centimètre, son adjoint et un troisième homme, visiblement un subalterne.

    Chacun se défie du regard, aucun mot n’a encore été échangé. Alors le Commissaire Basin décide de rompre le silence, tandis que son adjoint indique au troisième homme d’introduire des procès-verbaux vierges, dans une machine à écrire Olympia. Aussitôt ses doigts s’agitent sur les touches remplissant la pièce d’un crépitement aussi métallique que le bureau derrière lequel l’homme s’est installé.

    Apparemment, les rôles sont répartis, le Commissaire et ses adjoints poseront des questions, Eric devra y répondre tandis que le quatrième immortalisera ces échanges sur du papier administratif introduit dans la fameuse machine à écrire tout aussi administrative, ce qui signifie qu’elle est à bout de souffle prête à se pendre au bout de son ruban dés que l’occasion se présentera.

    Eric connaît tout cela, il a occupé chacun de ces rôles, car Eric, voyez-vous est un Inspecteur des Renseignements Généraux. Cette scène surréaliste oppose des policiers de la DST à un policier des Renseignements Généraux. Il y travaille depuis des années, à la Section des Pays de l’Est, nous sommes encore en pleine guerre froide. Eric a un profil peu commun, il parle allemand et russe, de surcroît, il possède un bon niveau d’anglais. Son goût pour l’Europe orientale peut naturellement attirer la suspicion. Certains prétendent même que, dans les dîners mondains, il est intarissable sur les sciences politiques, le marxisme, en particulier.

    En effet, en cette fin d’année 1988, bien sûr la tension n’est plus la même, depuis quelques années, Mikhaïl Gorbatchev a été élu Secrétaire Général du parti communiste de l’URSS. Il a remplacé le ravissant et sémillant Tchernenko qui, momifié depuis déjà plusieurs années, a enfin été mis au tombeau. On entend des mots tels que Perestroïka (reconstruction), glasnost (transparence). En fait, le nouveau secrétaire général s’est aperçu de la misère de son peuple et du retard économique de son pays. Les économistes diraient plutôt que l’URSS est au bord de la banqueroute, que son industrie est archaïque. Une bonne partie sinon la totalité des richesses est mal exploitée. Sans compter que les dirigeants communistes s’en mettent plein les poches, ou plutôt plein leurs comptes secrets suisses. De quoi faire retourner Lénine dans son mausolée. L’URSS est à l’agonie, le peuple exsangue.

    En France, c’est le bonheur dans la presse. Sauf dans le Figaro. François Mitterrand vient d’être réélu, Michel Rocard est premier ministre face à une assemblée nationale à forte majorité de gauche. La France voit une nouvelle fois la vie en rose s’il n’y avait cette tâche rouge, affreuse, de l’affaire du sang contaminé.

    Eric, bien que tendu, se trouve dans un climat psychologique étrange, il ne sait quoi penser de cette situation. Il est sorti de cette léthargie par une question du Commissaire Basin, question simple en apparence mais le ton adopté renferme à la fois une forme de pompe et d’ironie.

    -Quels sont vos noms, vos prénoms, vos dates et lieux de naissance ?

    Eric sursaute. Il aurait envie de rire mais ce sentiment est immédiatement réprimé, car la gravité du ton ne laisse aucune place à la plaisanterie.

    Non, Eric, n’a vraiment pas envie de rire, cette scène, il l’a déjà vécue, il ferme les yeux, son cerveau semble se déconnecter de la réalité. Ses pensées se figent. Un épais voile noir obscurcit ses yeux.

    Ses souvenirs revivent. Les odeurs, les sons puis les images reviennent. Cela s’agite dans tous les sens. Il a le sentiment qu’un tourbillon balaie son cerveau.

    Chapitre 2

    Il fait froid, ce jour-là, il faut dire que nous approchons de Noël 1970. La région de Dresde est souvent balayée par les vents froids, pourtant le petit Volker attend son Papa, désespérément, il bout d’impatience. Debout, devant la porte du jardinet qui sépare la rue enneigée de la maison. Le petit garçon est figé. Les rues de Dresde portent encore les stigmates du terrible bombardement de février 1945.

    Que s’est-il donc passé en ce mois de février 1945, alors que tout semblait fini. C’était le jour du Carnaval, la belle ville des Ducs de Saxe, avec sa silhouette dentelée de monuments baroques, que l’on surnommait la Florence du Nord, subit le plus terrible bombardement de la seconde guerre mondiale. Personne ne saura jamais pourquoi, sauf un désir de vengeance criminelle, cette ville merveilleuse des bords de l’Elbe fut réduite en un tas de cendres.

    Le palais Zwinger et sa colonnade, la Hofkirche, La Gemälde Galerie et tous ses tableaux, ces chefs d’œuvres ont servi de tombeaux à des milliers d’Allemands réfugiés des territoires de l’est, fuyant les troupes soviétiques, ou encore les nombreux blessés du front de l’est ou de ce qu’il en restait que l’on entassait dans des hôpitaux militaires. Mouroirs incapables d’atténuer leurs souffrances. Cette ville sans intérêts stratégiques autre que les manufactures de porcelaine semblaient éloignée des atrocités de la guerre. Les enfants avaient revêtus leurs déguisements, leurs parents paraient à recueillir le peu de nourriture disponible, ou quelques friandises que les enfants viendraient quémander en frappant à chaque porte sous leurs déguisements. Les réfugiés de Silésie, ou des marches de l’Est qui avaient vu ou entendu parler des atrocités commises par les Russes, trouvaient dans cette ville un parfum d’insouciance qui leur rappelait les belles années d’avant guerre. Puis, tout à coup, nouvelle alerte aérienne.

    Dans leurs habits de carnaval, les enfants rejoignent les abris, une fois de plus. Les fées côtoient les princesses ainsi que des petits garçons en queues de pie dont le visage est barré d’une moustache postiche. Leurs parents les tiennent par la main comme s’il s’agissait d’une promenade dominicale. Tous sont résignés. Les vieillards qui sont las de ces alertes incessantes refusent de descendre une nouvelle fois dans les caves. Il faut aller les déloger de leurs appartements. Certains s’obstinent. Ils préfèrent rester dans leurs meubles que de vivre dans la promiscuité des caves. C’est irrespirable. La lumière vacille. C’est humide et froid.

    Soudain, les habitants de Dresde entendent les moteurs des avions. Des dizaines de Forteresses volantes de l’US Air Force obscurcissent le ciel. Une nuée d’oiseaux de mauvais augure. Tous s’interrogent sur un tel déploiement de forces. Le front est percé. Les soldats et les réfugiés refluent devant les Russes.

    Ici, il n’y a que des réfugiés des territoires de l’Est déjà tombés dans les mains ennemies et des blessés. Les rues sont décorées pour le Carnaval. Les sirènes ne couvrent plus désormais les moteurs des avions. Les premières bombes tombent sur la ville.

    Rapidement les monuments s’embrasent. Les immeubles s’enflamment puis s’effondrent dans un vacarme assourdissant qui couvre les cris des hommes, des femmes et des enfants qui se bouchent les oreilles de leurs mains dans les abris. C’est la panique.

    La terre tremble. Dans leurs refuges, les habitants sont dans le noir. La lumière s’est éteinte après quelques soubresauts d’éclairage. Les plafonds s’effondrent sur les femmes qui hurlent, les hommes qui crient et les enfants qui pleurent. Tous se serrent les uns contre les autres. Les familles ne forment plus qu’un seul corps. S’il faut mourir, nous seront ensevelis tous ensemble, dans un sarcophage de pierres brûlées.

    Le déluge cesse. Les cris et les pleurs aussi Il n’y a plus de place que pour un long silence poussiéreux, sombre, seulement interrompu pas quelques toussotements et des sanglots étouffés.

    La sirène retentit. C’est la fin de l’alerte.

    Hagards, les habitants sortent de leurs abris. Ils ne reconnaissent plus leur ville. Subsiste encore le tracé des rues. Les immeubles sont tous percés, ils flambent. Le centre ville est un immense brasier. Des hommes, des femmes courent dans les rues au milieu de corps carbonisés, croisant aussi des pompiers sur leurs véhicules hurlants. De leurs lances, ils arrosent d’une manière illusoire des flammes tellement hautes qu’elles semblent toucher le ciel. Chacun essaie de retrouver sa maison, la foule immense est silencieuse. Les visages se cherchent. Des larmes coulent lorsqu’un visage connu réapparaît. Alors, ils se jettent dans les bras l’un de l’autre pour voir si eux et la personne qu’ils ont retrouvée font encore partie du monde des vivants. Les survivants convergent vers les points naturels de ralliements de la ville. La place du Marché, les bords de l’Elbe, le Palais Ducal, le Zwinger formant ainsi une interminable colonne humaine silencieuse. Elle avance d’une manière hésitante entre les gravats. Des soldats et des pompiers détournent les civils des incendies qui avalent les immeubles avec leurs langues rougeoyantes.

    Puis, les sirènes crient une nouvelle fois leur plainte lugubre.

    Alors, la cohorte se rompt. Tous cherchent un abri. Les caves, les églises, la gare sont envahies mais elles ne suffisent pas à absorber les flots de réfugiés qui sont désorientés dans cette ville qu’ils ne connaissent pas. Elle est devenue méconnaissable pour tous. D’autres se pressent vers le pont Auguste ou le Pont Albert, comme s’ils imploraient la protection de leurs Ducs des siècles prestigieux.

    Les avions crachent de leurs entrailles des bombes de plusieurs tonnes qui ressemblent aux démons de l’Apocalypse. Au sol, c’est la fin du monde. Cela y ressemble. Aussitôt qu’elles touchent le sol, les bombes au phosphore transforme la ville en un brasier bien plus violent que les flammes de l’enfer.

    L’enfer serait préférable à ce que vivent les victimes de ces engins de mort. Un tourbillon de feu happe tout le centre de la ville. L’incendie est tel, qu’il aspire l’air du ciel pour alimenter son appétit de dévoreur d’âmes. L’appel d’air engloutit les gens qui sont aspirés dans le cœur du brasier. La chaleur rappelle les forges de Satan. Le bronze et l’acier des palais, des églises et des maisons fondent dégoulinant ainsi tel un serpent brûlant dans les rues, s’insinuant dans tous les orifices qui contiendrait encore de la vie. Les bombes ne cessent de tomber sur le centre de la ville qui n’est plus qu’un immense cratère vomissant sa lave dont les scories étaient autrefois les édifices d’une des villes les plus somptueuses et orgueilleuses du monde.

    Le centre de la ville n’étant plus qu’un lieu de mort et de cendres, les habitants fuient vers la rivière. Les rives sont envahies d’une foule désorganisée qui veut échapper aux tentacules du Diable. Plus tôt, certains se sont jetés dans l’Elbe, pour éteindre les flammes qui dévoraient leurs habits et leur chair. Dés qu’ils sortaient de l’eau, le feu les engloutissait de nouveau. Ils devaient être les premières victimes d’une arme terrifiante que l’on connaîtra plus tard sous le nom de napalm.

    Les sirènes n’hurlent plus pour annoncer la fin de l’alerte, elles ont été englouties, elles aussi. Elles n’ont pas voulu rugir pendant le bref répit qui précèdera la troisième vague de bombardement.

    Troisième et dernier acte d’une tragédie comme jamais la Terre n’en avait connue. Six mois plus tard, Hiroshima et Nagasaki connaîtront un martyre semblable. Pour achever leur travail, les avions ont encore et encore lâché des bombes puis les aviateurs ont mitraillés, les fantômes qui couraient le long des berges de l’Elbe. Ils ont laissé un spectacle dont l’humanité peut être fière. Des corps mutilés de femmes et d’hommes s’enchevêtrent parmi les landaus, les cadavres de nourrissons que les explosifs ont écartelés en un tas de cendres encore fumantes. Cà et là, des poupées, des nounours désormais orphelins.

    En quelques années, cette terre d’Allemagne, de Hambourg à Munich, d’Auschwitz à Cologne a connu le paroxysme d’une horreur indicible. Certains diront, qui sème le vent récolte la tempête.

    Mais, tournons la page de ce terrible passé et revenons à notre veille de Noël 1970. Toutes ces horreurs, Volker ne les a pas connues, il ne comprend pas trop pourquoi il y a encore des maisons détruites dans le voisinage. On ne peut même pas y aller jouer, c’est dangereux, parait-il. Ses spectres noirs de suie effraient les enfants.

    Que fait-il donc avec cet air impatient ?

    Il attend son papa.

    Tout à coup, du bout de la rue émerge, la rutilante Wartburg, le fleuron de l’industrie automobile de la République Démocratique Allemande (R.D.A.). Elle s’approche majestueusement, pétaradante vers la maison.

    C’est la voiture neuve de papa crie l’enfant, Maman, Maman, vient ! C’est la voiture neuve de Papa.

    Johanna sort précipitamment de la maison avec la même exaltation que son fils, elle accourt vers la route et tombe nez à nez avec son mari qui vient de s’extirper de la voiture.

    Friedrich est heureux, il embrasse sa femme et enserre son fils qui lui a sauté dans les bras. Les trois visages sont radieux de bonheur, je crois même que des larmes coulent de leurs yeux. Chacun s’extasie devant l’automobile ; enfin, après quatre ans d’attente, elle est là, triomphante, avec ses pare-chocs en aluminium, ses sièges en tissus gris souris, vraiment, il y a de quoi être fier. Et puis, la carrosserie est peinte d’un bleu que l’on ne trouve qu’en RDA et nulle part ailleurs dans la galaxie.

    Pour la famille, c’est la consécration du bonheur, il faut dire que cette année s’achève sous de bons auspices. Friedrich est maintenant ingénieur, c’est un homme courageux et travailleur, il est respecté de ses collègues et de ses chefs de l’Usine N° 131, de construction de poids lourds.

    Rappelons que le pays émerge des années de guerre et de destructions, les stigmates

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