Héritage à Ré la blanche: Roman policier
Par Robert Béné
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À propos de ce livre électronique
Gilberte Bernuchon avait toujours vécu sous l’emprise de ses parents. Il n’est pas donc très étonnant si elle mourut célibataire et l’esprit un peu dérangé en laissant sa résidence secondaire de l’île de Ré, ainsi que sa voiture, à la disposition d’un jeune mexicain, soit-disant étudiant. Ses amitiés pour ce jeune homme dont elle aurait pu être la mère, ne manquèrent pas d’inquiéter sa proche cousine Emma Torcou. Celle-ci, avide d’argent, pensait bien être la seule héritière de Gilberte Bernuchon, mais c’était sans compter sur le généalogiste du notaire qui découvrit trois lointains cousins dont elle ignorait l’existence. Emma Torcou n’hésitera pas alors à déterrer la hache de guerre pour tenter d’accaparer la maison, malgré la présence du mexicain mêlé à tout un trafic de drogue et des trois cousins plutôt bohêmes. Y arrivera-t-elle ?
Plongez dans un polar passionnant et découvrez les aléas de la succession de Gilberte Benuchon, entre affaires familiales, intérêts financiers et trafic de drogue !
EXTRAIT
Pendant ce temps, alors que Josette partait à la recherche des rares couverts qu’Emma n’avait pas emportés, Antoine faisait le tour des pièces et des placards en espérant bien dénicher une bouteille de vin. C’est dans la buanderie qu’il fit une découverte inespérée. Dans un grand placard mural recouvert de salpêtre, non seulement se trouvaient sur une étagère une douzaine de bouteilles étiquetées Saint-Émilion, mais aussi une dizaine de cartons et de toiles sur lesquels étaient peints, à l’acrylique ou à l’aquarelle, des hommes et des femmes bien souvent nus, aux formes exagérément rondes pour ne pas dire carrément obèses. Ils ne devaient pas être là depuis très longtemps car la moisissure ne les avait pas encore attaqués.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Robert Béné est originaire de l’île de Ré où il vit (Sainte-Marie). Auteur à succès, il est très attaché à sa terre d’origine et est déjà l’auteur d’une série de romans policiers intitulée Ré la Blanche.
En savoir plus sur Robert Béné
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Aperçu du livre
Héritage à Ré la blanche - Robert Béné
1
Gilberte Bernuchon était née en Seine-et-Oise, une trentaine d’années avant que ce département ne soit démantelé et devienne tout banalement le 95. Pourtant, tout autour d’elle, Gilberte clamait, à la moindre occasion, qu’elle était une authentique Rétaise. Il est vrai qu’elle l’était par son père et tout le monde savait, à la Quincaillerie du Boulevard où elle était secrétaire comptable, que son grand-père avait été matelot sur le Nénuphar, l’un des tout premiers bateaux à vapeur qui avaient assuré la liaison entre Ré et le continent à la fin du XIXe siècle. Pour peu qu’elle eût un auditoire, elle enchaînait en racontant que son grand-oncle avait effectué toute sa carrière comme sous-chef de gare à Sablanceaux, point de départ du petit tortillard, gros cracheur d’escarbilles, assurant la liaison entre tous les villages de l’île de la fin du XIXe siècle jusque dans les années d’avant-guerre. En revanche, aussitôt la guerre finie, lorsqu’elle venait en vacances à l’île de Ré – bien avant que l’île fût un perchoir à touristes –, elle se piquait d’être parisienne, parce qu’elle vivait à Bezons, chez ses parents qui finissaient de payer l’achat de leur petit pavillon de banlieue.
Pour être plus explicite, il faut dire que Félicien Bernuchon, son père, était « monté » à Paris à la fin des années vingt, incité par Marcelin Pruneau, un vieux copain de service militaire qui lui avait fait miroiter, le soir dans la chambrée de la caserne, tous les avantages de la vie parisienne. Il lui avait assuré qu’à la capitale il trouverait tout de suite du travail, car les deux minuscules terrains hérités de la propriété familiale ainsi qu’un petit parc à huîtres ne lui permettaient pas de s’établir agriculteur dans l’île, seul métier qu’il eût pratiqué, avec l’ostréiculture, dès le certificat d’études, jusqu’à ce qu’il fût appelé sous les drapeaux.
Comme il vivait seul avec son vieux père invalide, qu’il n’avait pas vraiment de copains et encore moins de copines, après avoir longuement hésité, il casa son paternel chez sa sœur et, par un petit matin brumeux et frisquet, il se retrouva sur le quai de la gare d’Austerlitz, sa petite valise en bois pendant au bout de son bras. Complètement perdu dans le brouhaha de la foule grouillante qui n’avait rien à voir avec la quiétude du Saint-Clément-des-Baleines de la période pré-touristique, il réussit cependant à trouver les Halles et le bistrot des Lève-Tôt où Marcelin venait vite fait, à la pause de sept heures, ingurgiter un copieux casse-croûte et son petit calva quotidien afin de reprendre des forces pour terminer une journée de travail commencée dès deux heures du matin.
Dans l’atmosphère enfumée du troquet bourré à craquer, Félicien Bernuchon avait aperçu son copain, accoudé au bout du zinc. C’était la première fois que Félicien débarquait à Paris, aussi se sentait-il naufragé dans cette houle humaine allant et venant plus bruyante que le ressac par vent de nord à la conche des Baleines. En reconnaissant le visage de Marcelin Pruneau au nez pointu comme l’étrave d’un torpilleur, il ressentit ce que doit ressentir un naufragé lorsque, enfin, une embarcation fait cap sur lui. Se faufilant entre des forts des Halles à la recherche d’une table pour y calmer leur faim, il parvint jusqu’à son copain. Comme il en était coutumier, celui-ci exprima sa joie sincère de le revoir par toute une bordée d’injures accompagnées de fortes tapes entre les omoplates. Aussitôt il commanda un calva au serveur complètement débordé derrière son comptoir. Félicien Bernuchon ne put le refuser, malgré son estomac en vadrouille après une nuit blanche dans le train. Il se sentit même obligé de payer aussi sa tournée.
— Je suis drôlement content de te revoir ! affirma Marcelin, sa grande bouche fendue jusqu’aux oreilles.
— Moi aussi ! confirma Félicien sur le ton enthousiaste qui était le sien, c’est-à-dire celui d’un croque-mort offrant ses condoléances à une famille éplorée.
D’un geste rapide, Marcelin avala cul sec le contenu de son verre et jeta un œil à la pendule :
— Faut que j’y retourne ! Viens avec moi, c’est bien rare si le vieux Gaspard ne te trouve pas du boulot, lui lança-t-il en l’entraînant vers la sortie.
Effectivement, dans l’heure qui suivit, Gaspard, le patron de Marcelin, dépositaire en fruits et légumes, l’embauchait et Félicien partait dans les rues de Paris, poussant la charrette de livraison tirée par Marcelin.
Tout de suite, le vieux Gaspard remarqua que Félicien Bernuchon était un costaud et qu’il ne reculait pas devant le travail. Aussi, rien d’étonnant si, cinq ans plus tard, il était toujours employé chez lui. Il avait même pris du galon et n’avait plus besoin de son copain Marcelin pour faire les livraisons. Il partait seul dans les brancards de sa charrette lourdement chargée, livrer tous les restaus, bistrots, épiciers et particuliers, en un mot les clients de la « Maison Gaspard – Fruits et légumes en gros et en détail – fondée en 1907 » selon le panonceau écrit en lettres dorées au-dessus de son stand dans l’allée principale des Halles.
Marcelin lui avait très vite dégoté une petite piaule sur le même palier que lui, au cinquième d’un bâtiment vétuste. Ils avaient même les toilettes en commun qu’ils partageaient avec les trois autres voisins de l’étage. Évidemment ce n’était pas le luxe et sa fenêtre ne donnait pas sur les vignes comme le faisait sa chambre dans la maison de ses parents, mais sur un mur gris, aveugle, situé à un mètre cinquante à peine. Pratique, Félicien avait réussi à y accrocher une corde pour y mettre sa lessive à sécher et, grâce à ses caleçons et ses liquettes qui flottaient au bout de leurs pinces à linge, l’affreux mur prenait, à ce moment-là, un petit air de 14 Juillet.
Déplanté comme un chardon bleu cueilli sur les dunes de l’île de Ré et repiqué boulevard du Montparnasse, Félicien Bernuchon, de nature renfermée, aurait très bien pu devenir dépressif, seul dans sa chambre à la tapisserie décollée, où tous les locataires précédents avaient laissé successivement incrustée dans les rideaux et les couvertures douteuses leur odeur de tabac, de parfum bon marché, de chaussettes sales, de liniment et de transpiration. Mais heureusement pour lui, par la magie du rêve, chaque nuit il s’évadait. Dans son sommeil, il retrouvait son île natale car, dans son inconscience onirique, il lui semblait entendre le bruit de la mer se brisant sur les écluses alors qu’en réalité ce n’était que le bruit du métro fonçant dans la nuit. Le monstre passait si près de son vieil immeuble qu’il en faisait vibrer ses vitres et le lit métallique. S’appliquant alors à ne pas se réveiller, perdu dans le temps et dans l’espace, Félicien Bernuchon cultivait son rêve jusqu’à ce que la sonnerie de son réveil le fît sauter les pieds sur la vieille descente de lit. Heureusement, avec Marcelin, il avait trouvé le meilleur antidote contre le mal du pays, car Marcelin était un joyeux drille. Dans le quartier il connaissait tout le monde et tout le monde le connaissait, et tout particulièrement dans un bistrot tout proche de leur piaule, le Rendez-vous des bons copains, où il allait souvent dîner pour pas cher. Là, Riton l’accordéoniste, chaque soir, jouait du piano à bretelles pour des filles et des gars qui ne demandaient qu’à danser en rêvant d’amour le temps d’une java. À l’heure de l’apéro, Marcelin entraînait donc Félicien dans ce petit troquet où il était connu comme le loup blanc. Dans l’ambiance enfumée et tapageuse, après avoir distribué des poignées de main aux « potes » et embrassé les « greluches », Marcelin ne tenait plus en place. Entre la salade de hareng et le plat du jour, il ne pouvait pas résister à guincher La Java bleue et, entre le camembert et le calva, il serrait dans ses bras, le temps du Plus beau de tous les tangos du monde, la petite vendeuse de l’épicerie du coin de la rue. Pendant ce temps, Félicien restait rivé à sa table derrière sa chopine de rouge et son fromage, car jamais il n’avait, à ce jour, osé s’aventurer sur une piste de danse, que ce fût à la salle des fêtes de Saint-Clément ou au Rendez-vous des bons copains. Pendant que Marcelin transpirait en faisant tourbillonner sa cavalière, son regard restait sans expression en regardant évoluer les affriolantes danseuses. Plus d’une, pourtant, aurait bien aimé se blottir le temps d’une danse dans les bras de ce colosse taillé comme un menhir, mais ses yeux et tout son visage restaient froids comme le granit duquel il semblait être issu, indifférents à toutes ces beautés qui ne pensaient qu’à profiter de leurs vingt ans. Aussi, dès son assiette et sa bouteille vidées, il partait bien vite retrouver sa chambre et le vrombissement du métro pour plonger en rêve dans le bruit de la houle.
Mais un matin, alors que, sa carriole chargée, il s’apprêtait à faire ses livraisons, Marcelin lui tapa sur l’épaule pour lui annoncer :
— Camarade ! Dimanche prochain, je t’emmène à Garches. C’est la fête de l’Humanité ! Jojo le poissonnier nous prête deux vélos.
Félicien Bernuchon n’avait aucune raison de refuser, aussi accepta-t-il.
Aussi, ce 30 août 1936, leur travail à peine terminé, sous un beau soleil levant qui rosissait la tour Eiffel, les deux copains jouaient les Guy Lapébie et les Gino Bartali et pédalaient joyeusement vers Garches, où se tenait la grande fête de l’Humanité. Déjà y convergeaient de nombreux autres vélos, des quantités de bus dans lesquels les passagers étaient serrés comme des sardines. Autant que dans le métro ! Sans compter les nombreux marcheurs chargés de leurs pique-niques.
— Ça va être une sacrée fête ! T’as vu la foule ? répétait Marcelin, sans cesser de pédaler. Je sens que ça va être autre chose que la première fête de l’Huma !
Le temps de reprendre son souffle il continua :
— J’y étais à la première. Il y a pile six ans. C’était à Bezons au parc Sacco et Vanzetti. C’était une fête pour les ploucs : course à l’œuf, fanfare locale, danses folkloriques, tu parles !… Et en plus, il pleuvait ! Il paraît qu’il y a eu tout de même cinquante mille visiteurs. Mais j’en doute. Tandis qu’aujourd’hui, le journal en prévoit trois cent mille ! Tu penses, cinq cents stands, les discours de Marcel Cachin et de Maurice Thorez, ça va en attirer des camarades !
Félicien se contenta de répondre par un signe de tête. Les discours des hommes politiques quels qu’ils fussent ne lui faisaient pas plus d’effet que l’accordéon de Riton au Rendez-vous des bons copains.
Tout en pédalant, ils parvinrent au parc des Trente Marronniers où avait lieu la fête et attachèrent leur vélo à un arbre.
— Si on se perd, on se retrouve là ! déclara Marcelin en frétillant de joie parmi la foule qui se dirigeait vers les stands, attirée par les flonflons que diffusaient pour la première fois des micros installés un peu partout. Il n’avait pas fini sa phrase qu’il partait, son nez pointu humant comme un chien de chasse le parfum de deux jolies filles dont le léger jupon flottait au rythme ondulant de leurs hanches. Félicien se retrouva donc seul, perdu dans la cohue. Suivant le courant de tous ces gens venus pour oublier le temps d’une journée tous les soucis de la semaine, il arriva devant le stand de la Bretagne où des Bigoudènes en coiffe et en sabots dansaient au son du biniou. N’appréciant pas plus le folklore breton que l’accordéon de Riton, il continua de déambuler. Des danseuses en tutu, puis des athlètes en maillot voltigeant sur des barres parallèles ne le retinrent guère plus que quelques minutes. En revanche, son intérêt s’éveilla lorsqu’il arriva devant la buvette, car le vélo lui avait creusé l’appétit. Il lui fallut jouer fortement des coudes pour parvenir jusqu’au comptoir :
— Qu’est-ce que tu veux, camarade ?
Félicien sursauta en regardant l’homme qui l’interpellait. La casquette sur l’oreille et la chemise ouverte jusqu’au nombril, il jonglait avec les verres et les bouteilles, un torchon sur l’épaule.
— Moi ? Euh… Un sandwich rillettes et un demi.
Il joua à nouveau des coudes pour s’écarter des clients assoiffés qui se pressaient derrière lui. Tout en prenant soin de ne pas renverser son bock de bière, il avisa une longue table de bois occupée presque entièrement par des hommes en tenue de mineur avec leur casque, leur pioche et leur lampe. Une seule place semblait libre à son extrémité :
— Je peux ? demanda-t-il à la jeune fille assise en face.
Celle-ci acquiesça d’un signe de tête et replongea aussitôt le nez dans son verre de grenadine.
Au même moment, le micro crachota d’une voix nasillarde :
— L’équipe des mineurs du Pas-de-Calais est demandée à la tribune.
Dans le même temps toute la table se vida et Félicien se trouva seul assis devant