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Embarcadère sud: Un thriller franco-suisse
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Embarcadère sud: Un thriller franco-suisse
Livre électronique229 pages3 heures

Embarcadère sud: Un thriller franco-suisse

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À propos de ce livre électronique

"J'étais ailleurs et j'y écoutais battre nos cœurs"

L'Ile St-Pierre, au milieu du lac de Bienne, possède deux embarcadères. Celui du sud, discret et niché dans la verdure, sert à la modeste navigation de plaisance. Sous le regard de Jean-Jacques Rousseau, tout n'y est que rêveries et promenades…
Jusqu'à ce que Thu tia, après une nuit amoureuse, se penche sur l'eau. Un corps se balance dans les vaguelettes paresseuses, une corde autour du cou.
Un deuxième cadavre est découvert le lendemain à La Neuveville.
Le commissaire Bouvier, de retour d'un séjour à Arles, soupçonne que ces deux cadavres pourraient avoir un lien avec celui du berger de Camargue, englué dans une mare de pétrole brut. Et là-bas, en Libye, une éthiopienne est ébouillantée…

Un polar passionnant qui fait voyager les lecteurs de Suisse en Lybie, en passant par la France !

EXTRAIT

– Et sinon ? s’enquit Bouvier.
– Quelqu’un a passé, répondit Thu tia. Mais n’a vraisemblablement rien emporté. D’ailleurs, que dérober à Fernand ? Sa seule richesse, c’est ses souvenirs. L’intrus s’est quand même occupé de son portable. Le voici, dit-elle en brandissant un sachet plastique. Il a été vidé de son contenu et soigneusement écrabouillé à coups de marteau. Nous avons aussi emporté le marteau à tout hasard : empreintes, ADN…
– Aucune chance de trouver une photo, regretta Beaucaire, pour autant que Fernand en ait pris.
– Mais il y a un détail étrange, releva Thu tia. L’agresseur s’est emparé du téléphone après avoir tué Fernand et il est venu jusqu’à sa bergerie pour le débioter…
– Débioter ? s’enquit Beaucaire.
– Oui, débioter. On dit comme ça, chez nous. C’est démanteler, démonter, détruire, synonyma Bouvier.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jacques Hirt est né en 1937 et vit à La Neuveville, aux confins de la Romandie. Il obtient son brevet d’instituteur à Porrentruy puis poursuit ses études aux universités de Neuchâtel et Berne. Il enseigne au Collège du District de La Neuveville dont il sera le directeur pendant trente ans. Après trois mandats au Conseil de ville, il est élu maire de sa cité. Il exerce cette fonction pendant douze ans et préside aussi la Conférence des maires du Jura bernois. Il participe activement aux destinées culturelles de son pays, au sein de commissions cantonales et interjurassiennes. Il est l'auteur de Une Bière pour deux, Le Fourmi-Lion, Carré d’Agneaux, Embarcadère Sud, Deux Meurtres et demi aux Éditions RomPol.
LangueFrançais
ÉditeurRomPol
Date de sortie4 août 2017
ISBN9782940164554
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    Aperçu du livre

    Embarcadère sud - Jacques Hirt

    1

    Le commissaire Bouvier venait d’arriver en Arles.

    Il se consacra aussitôt à ce qui était devenu un rite pour lui. À peine ses bagages déposés à l’hôtel, sur la place du Forum, il sortit de la cité romaine et s’engagea sous les ombrages du boulevard des Lices. C’était l’heure où les terrasses hélaient promeneurs et passants. Il ne s’arrêta pas. Il ne céda pas à l’appel trouble des pastis ou à celui, corsé, des petits noirs. Ses yeux caressèrent à la dérobée le fuseau de cuisses hâlées croisées haut sous une de ces jupes estivales qui commencent très tard et finissent très tôt. Une jeune femme remarqua son regard. Elle s’en amusa, à la fois flattée et ironique. Mais sans modifier sa position.

    Deux tables plus loin, un homme l’observait en piquant une olive noire dans une soucoupe.

    Le farniente tenta le commissaire de toutes ses paresses nonchalantes. Il devait cependant y aller sans perdre de temps et céder à l’envoûtement toujours renouvelé. Ensuite, il aviserait. Mais d’abord cela, et son esprit serait libéré.

    En s’éloignant du café, il éprouva la sensation désagréable de deux yeux fixés sur son dos. Il ne se retourna pas. Ce serait se trahir. D’ailleurs, qui pouvait être au courant de sa présence en Camargue ? Le réceptionniste de l’hôtel, certes. Mais ici précisément, en ce moment-là ? À moins d’avoir été attendu…

    Au rond-point, il obliqua à droite. Les confettis de soleil qui tombaient des feuillages lui faisaient fête. L’ombre et la lumière. La vie et la mort…

    Il arriva.

    Les Alyscamps, ainsi qu’on les nomme en provençal, étaient assoupis dans une tiédeur envoûtante. Il marqua un temps avant de s’engager dans les Champs Élysées d’Arles la Romaine, séjour des âmes des hommes vertueux. « Et nous, les femmes ? » aurait aussitôt protesté l’inspectrice Thu tia Trang. « Vous aussi, vous surtout » se serait amusé Bouvier en abordant l’allée des sarcophages.

    Les Romains avaient établi leur nécropole le long de la grande voie venant de Marseille. Tout voyageur, toute légion romaine allant vers l’Espagne passait par ici, défilant entre une double allée de tombes. Hommage des vivants aux défunts et salut des trépassés à ceux qui les rejoindraient bientôt…

    Comme à chaque pèlerinage, car c’en était un pour lui, un trouble indicible s’empara du commissaire. Il déambula lentement au milieu de l’allée des sarcophages. La haute voûte des arbres en faisait une cathédrale d’où les échos auraient été bannis et où l’oreille attentive pouvait parfois entendre un murmure, car même le chant des oiseaux s’y faisait discret. Seule, la brise du soleil couchant se permettait de répondre. Le dialogue chuchoté de deux éternités…

    Plus de quatre-vingts générations étaient venues se recueillir ici, plus de deux mille ans s’étaient écoulés. Seuls subsistaient le bruissement des âmes ailées et le frémissement retenu des frondaisons.

    Bouvier s’arrêta à mi-chemin. À cette heure, l’allée était déserte. La mélodie ne se jouait que pour lui. Ses harmonies lui ouvraient les voies du grand mystère. Elles l’enveloppaient, reprenaient en variations douloureuses ou délicieuses, jouaient des nuances infimes du regret de l’être aimé ou du soulagement de la souffrance. Il les discernait avec de plus en plus de précision. Il était tout près de les comprendre, lui semblait-il. Et alors il pourrait répondre…

    Cet espoir fou l’envahit, le submergea. Combien de fois s’était-il penché sur un corps, presque toujours happé et défiguré par une mort violente, et lui avait-il murmuré des paroles de quiétude ? Mais, plus souvent encore, chuchoté des questions. Car seuls les morts savent.

    Et ils se taisent.

    Ici, dans les Alyscamps, ils étaient près de parler, de lever la grande inconnue. Bouvier retint son souffle, se baissa pour mieux percevoir le susurrement qui s’élevait des tombes. Il était bien là, mais hélas indistinct.

    Au bout de l’allée, quatre colombes s’envolèrent brusquement. Bouvier se redressa, fouilla l’allée des yeux. Une silhouette masculine disparut dans la pénombre des ruines de l’église Saint-Honorat.

    La musique s’était tue.

    Ce n’était pas encore pour cette fois. Le mystère ne lui serait pas révélé aujourd’hui. Il reviendrait…

    Pendant qu’il rebroussait chemin, la nostalgie lui souffla que Gauguin et Van Gogh étaient venus peindre ici. Eux, peut-être savaient-ils. Et était-ce parce qu’ils savaient, que leurs couleurs étaient devenues éclatantes, ivres de vie ? Ou qu’ils avaient plongé dans la démence ?

    Il reviendrait…

    Après quelques pas, il se retourna brusquement. Non, la silhouette n’était pas reparue. Il secoua la tête pour chasser une idée étrange. Il se méfiait des prémonitions. Les hommes y sont lamentables. Encore un privilège féminin…

    Entre deux sarcophages, l’ombre se faisait velours. Après les peintres, son ami Paul Jean Toulet vint un instant lui tenir compagnie :

    Dans Arles, où sont les Alyscamps,

    Quand l’ombre est rouge, sous les roses,

    Et clair le temps,

    Prends garde à la douceur des choses,

    Lorsque tu sens battre sans cause

    Ton cœur trop lourd

    Et que se taisent les colombes :

    Parle tout bas, si c’est d’amour,

    Au bord des tombes.

    Il retrouva bientôt l’agitation du boulevard des Lices. À la terrasse du café, les femmes de tout à l’heure s’en étaient allées. D’autres se confiaient des secrets avec un regard en dessous chargé de « tu ne le répéteras pas » qui ferait bientôt cancaner toute la ville. Certaines éclataient soudain de rire. Elles devaient parler de mecs…

    L’homme à l’olive n’était plus là.

    Qu’était devenue la silhouette qui s’était esquivée tout à l’heure et qui, aux Alyscamps, avait fait s’envoler les colombes ? Ne s’agissait-il que d’une seule et même personne ?

    Le commissaire, par nature, ne croyait guère au hasard, cette incapacité de l’homme à expliquer les choses. Il était certain de ne pas connaître celui qui semblait l’épier. Il venait pourtant de l’apercevoir deux fois de suite dans une cité où il n’était plus revenu depuis plus d’un an. En outre, il n’était pas en mission.

    Il s’attabla, commanda une chopine de vin des sables. Du gris, au nez de fleurs blanches et au bouquet de poire fraîche. Il y trempa les lèvres et se retrouva aussitôt en vacances.

    Ce matin même, le commissaire les avait déposées toutes deux à Fontvieille.

    Sa femme avait d’abord choisi l’abbaye de Montmajour où l’avait tentée un cours sur l’histoire de l’art consacré à l’architecture romane. Puis elle avait cédé à l’invitation insistante d’une amie. Toujours aussi bienveillante, elle sacrifia les arcs en plein cintre à la peinture contemporaine. Tout en la pratiquant, elles pourraient se raconter ce qu’elles n’avaient pas eu le temps de se dire ces six derniers mois, malgré des rencontres et coups de fil hebdomadaires.

    Moins de dix kilomètres le sépareraient de sa femme pendant leur séjour. Ils auraient certes pu loger à la même enseigne, mais ils savaient chacun par expérience que la situation se dégraderait rapidement pour incompatibilité de fréquentations.

    Madame Bouvier s’était donc inscrite à un atelier d’aquarelle. Attention : pour élèves avancées ! Pendant la journée, ce seraient les cours et la pratique dans les paysages provençaux. Elle en reviendrait avec des coquelicots et des tournesols plein les yeux. Sa jupe de coton écru embaumerait la lavande. Ses rires prendraient l’accent du midi. Ils se retrouveraient en fin de journée, sur une placette où une fontaine pleurerait un chagrin de pluie à l’ombre de vieilles murailles. Par centaines, les hirondelles trisseraient dans les frondaisons. La brise des Alpilles offrirait sa fraîcheur câline.

    Goûter à l’instant…

    Oui, mais…

    Elles étaient quinze caillettes, il était seul moineau. Les caillettes pépieraient pinceaux, gazouilleraient couleurs, roucouleraient nuances. Le moineau n’y entendrait guère, n’oserait lancer une croche et se réfugierait sur une autre branche. Monsieur se résignerait, se coincerait le bec. Madame sentirait son ennui. Monsieur s’impatienterait. Madame commencerait à s’énerver qu’il s’impatientât. Monsieur hocherait de la tête pour montrer que tout allait bien. Madame secouerait sa chevelure pour regretter qu’il dût hypocriser… Ce qui aurait commencé dans une sensuelle indolence se terminerait en subjonctifs imparfaits, matière délicate s’il en est. Mais d’un érotisme très relatif.

    D’ailleurs, si Bouvier lui avait demandé de l’accompagner en Arles pour retrouver son ami le commissaire Beaucaire, cela n’aurait pas été mieux et se fût aussi terminé en périlleuses conjugaisons.

    Sa femme, après des années d’efforts, avait obtenu qu’il ne ramène pas de cadavre à domicile. Il suffirait d’une journée avec Beaucaire pour qu’il en ramène à l’hôtel. Puis les deux copains en emmèneraient quelques-uns en excursion. Pour combler les temps morts…

    Bouvier avait fait la connaissance de son collègue arlésien au siège d’Interpol, à Lyon. C’était il y a une dizaine d’années. Un séminaire y avait été organisé à l’intention des commissaires divisionnaires. Il était consacré à la montée du terrorisme et à ses nouvelles filières. Bouvier y avait été délégué par la Fedpol, la police fédérale, qui recourait de plus en plus fréquemment à ses services.

    À peu près du même âge, les deux policiers s’étaient rapidement découvert des goûts communs. La musique, mais point trop contemporaine : des compositeurs baroques aux français du début du XXe siècle, la poésie et les vins. Puis un soir où une bouteille de côtes-rôties les avait poussés à la confidence, ils s’étaient avoué leur timidité ébahie à l’égard des femmes. Mariés depuis belle lurette, ils admettaient ne les avoir toujours pas comprises, en être régulièrement déconcertés et encore à la recherche de leur mystère.

    – Et que les dieux nous préservent de le découvrir ! s’exclama Beaucaire.

    – Ah, la magie du mystère ! soupira Bouvier qui resta pensif un instant avant d’ajouter : « Mais je crains qu’elles n’aient percé le nôtre. »

    – Si elles nous ont devinés, plus d’étonnements, plus de surprises… Que peuvent-elles alors trouver en nous ?

    – Encore un mystère ! Et quand tu connaîtras Thu tia…

    – Thu qui ?

    – Tia. Mon inspectrice cambodgienne. Thu tia Trang. Elle a moins de vingt-cinq ans. Eh bien, lorsqu’elle te regarde de ses yeux baignés d’innocence, tu as l’impression d’être à…

    – Vraiment ? À… ?

    – Oui, à…

    – Et tu arrives à assumer ? Tu fais comment ?

    – J’apprends. Je découvre. Tous les jours. Ma vie n’y suffira pas, mais j’aurai touché au mystère. Je lui aurai même arraché un rien. « Comme aux Alyscamps », ajouta-t-il mentalement.

    – Désespérant, non ?

    – Au contraire. Quel plaisir, chaque matin, de se lever en se disant : « Aujourd’hui, peut-être… »

    – Et tu en as connu de ces aujourd’hui qui t’ont récompensé ?

    – Oh oui ! Dans une mélodie, dans un vin, dans un poème, dans un mot d’enfant, dans les yeux d’une femme…

    Beaucaire marqua un temps avant de compléter :

    – Ici, un aficionado ajouterait : et pourquoi pas dans une passe parfaite du toréador ?

    – Aïe ! s’exclama Bouvier. En sa présence, évite toute allusion à la corrida ! Ou tu verras les yeux de Thu tia s’assombrir en te fixant…

    – Elle désapprouve ?

    – Pire. Aussi longtemps qu’on n’aura pas préalablement enfermé et aveuglé le toréador, enfoncé des piques dans ses flancs, puis tranché les muscles de sa nuque avant qu’il affronte le taureau.

    – Mais elle est sadique, ton inspectrice !

    – Non, plutôt logique en l’occurrence. Et par ailleurs… Tu verras par toi-même quand tu feras sa connaissance : elle est merveilleuse !

    Le commissaire Bouvier consulta sa montre, acheva de déguster son gris des sables et sa solitude rêveuse. L’inspectrice et lui n’étaient convenus que d’une chose : elle descendrait à l’hôtel du Forum ce jeudi en fin d’après-midi. Puis, en début de soirée, le commissaire Beaucaire viendrait les y retrouver pour les conduire dans un restaurant proche du Théâtre antique.

    Le chef de la police arlésienne avait passé une semaine à La Neuveville l’année précédente, en compagnie d’un de ses adjoints. L’inspectrice Thu tia Trang était alors absente. Encouragée par son patron, elle suivait alors un cours à l’Institut de police scientifique de l’Université de Lausanne. Douée comme elle l’était, il ne doutait pas qu’elle accéderait rapidement au grade de commissaire. Pendant la visite des Français, elle avait été désavantageusement remplacée par le brave caporal Jeannet. Mais sa rondeur, son accent traînard et sa placidité les avaient ravis et confortés dans leurs préjugés à l’égard des Helvètes.

    Bouvier avait initié ses hôtes aux arcanes de la procédure bernoise et à ses propres méthodes d’investigation. Cela pour l’officialité. La majeure partie du séjour avait en réalité été consacrée aux choses essentielles : escapades et gastronomie. Beaucaire lui rendait maintenant son invitation. Avec la même planification du travail.

    Au début de l’été, Thu tia Trang avait réalisé un rêve : l’achat d’une moto. Mais pas une de ces bécanes qui, comme les roquets, compensent par le bruit l’absence de volume. Une vraie, « avec des couilles », avait-elle osé devant un Bouvier éberlué. Toute la cité en avait été chamboulée. On en avait parlé « Chez Pierrette », potinière locale où se retrouvaient les détenteurs de la vérité apéritive ; au marché, entre poireaux et carottes ; au Conseil de ville pendant qu’un municipal logorrhéique se référait à l’Athènes antique et s’égarait sur l’agora ; et jusqu’au Conseil de paroisse où l’on déplorait respectueusement la passivité divine devant un tel dévergondage. Mais tous devaient admettre que, moulée dans sa combinaison de cuir et chevauchant son cube rouge vif, elle en jetait !

    En cette fin du mois d’août, elle avait décliné l’offre du commissaire et de sa femme de l’emmener en voiture. « Trop bourges », n’avait-elle pas dit. Elle était partie une semaine auparavant pour rejoindre Arles par les routes de campagne. Depuis, aucune nouvelle.

    Appuyé à la balustrade du balcon sur lequel donnait sa chambre, Bouvier rêvassait en observant les déambulations des passants sur la place du Forum. Pablo Picasso et Manitas de Plata l’avaient fait ici même des années auparavant. En face, câlinée par le soleil couchant, la terrasse du café Van Gogh s’assoupissait dans une ivresse de lumière. Bouvier viendrait y boire un verre, une nuit, pour communier avec le peintre, essayer de voir avec ses yeux le ciel noir piqué d’étoiles jaunes… Aller jusqu’au bout de soi-même, frôler le grand mystère.

    Un écho diffus tira la ruelle de son assoupissement. Il s’amplifia sans devenir désagréable, avec les sonorités caractéristiques d’une puissance sur la réserve. Puis elle apparut. Un tour de la place sous les arbres à faible allure, les pistons ronronnant comme un chat qu’on caresse. Arrêt devant l’entrée, moteur au ralenti. Point mort. Une jambe gainée de cuir en point d’appui. Elle retira son casque intégral, secoua la tête, passa les mains dans ses cheveux qui s’ordonnèrent en un tombé impeccable. Elle était en train d’abaisser la fermeture à glissière de sa combinaison quand le voiturier sortit.

    – Le garage est tout près. Un coup d’accélérateur et vous y êtes. Il suffit de contourner la fontaine et d’enfiler l’impasse. C’est au bout. Voulez-vous me confier les clés ?

    – Et quoi encore ? Débarrassez-moi plutôt de mon bagage.

    – Mais, Madame, vous pouvez me faire confiance, je connais les motos !

    – Pas la mienne.

    Un petit coup de gaz et elle disparut.

    Mais elle allait revenir, chacun le savait : les attablés du Van Gogh, quelques mecs désœuvrés qui glandaient sous les arbres, le voiturier devant la porte vitrée et là-haut, Bouvier sur son balcon. Ils attendaient tous. Juste pour voir…

    Thu tia était bottée, entièrement revêtue d’un cuir noir très souple. Sauf à la gorge, où le zip était tiré sur une échancrure en forme de promesse. Rien, parfois, ne peut être plus nu qu’une femme habillée.

    Elle leva la tête vers le balcon, sourit à son sourire.

    – Me voilà, chef. La piscine… ?

    – Derrière, dans le jardin.

    – Dans cinq minutes ?

    Il était assis en bermuda quand elle arriva dans un peignoir qu’elle jeta aussitôt sur une chaise longue. Elle s’aspergea sous la douche, plongea, se laissa saisir par la fraîcheur, s’abandonna à son étreinte, resta le plus longtemps possible sous l’eau. Elle expira d’un coup. Des bulles éclatèrent à la surface puis elle jaillit dans un éclaboussement espiègle. Elle s’ébroua et partit en crawl glissé sur deux longueurs. Elle finit en faisant la planche et riant de plaisir.

    Quand elle sortit du bassin par un rétablissement devant le commissaire, un serveur apportait deux coupes de champagne. Bouvier lui en tendit une.

    – Bienvenue en Arles !

    Elle ne prit pas la peine de s’essuyer. Les derniers rayons du soleil mettaient des étoiles dans les gouttelettes qui perlaient sur sa peau mate.

    – Vous m’avez devinée, dit-elle en levant son verre. Juste ce qu’il me fallait. Ah, que c’est bon !

    – Bonsoir, Thu tia !

    Elle reprit une gorgée, la laissa s’insinuer lentement en elle, posa sa coupe à même le sol et s’allongea sur un transat.

    – Bonsoir, commissaire ! Si vous le voulez bien, on ne se dit rien pendant cinq minutes ?

    La curiosité le tenaillait pourtant. Par où était-elle passée, avait-elle fait des rencontres ? Avait-elle toujours voyagé seule ? Et ses soirées ?

    Elle avait fermé

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