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Les chatons gelés: Récit de vie
Les chatons gelés: Récit de vie
Les chatons gelés: Récit de vie
Livre électronique176 pages2 heures

Les chatons gelés: Récit de vie

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À propos de ce livre électronique

Forces et fragilités de l’enfance

Les chatons gelés, aux yeux de beaucoup – et à juste titre – sont un classique qui devrait être étudié dans toutes les écoles. Dans ce récit-poème paru chez Duculot d’abord (diverses éditions entre 1969 et 1984), puis chez Omer Marchal en 1995, l’écrivain livre son cœur comme l’enfant se livre à sa mère : de toute son âme, de toute sa tendresse, et avec la finesse de son écriture : Tu savais la voix de la forêt et les mots qui t’inspiraient ses chansons. Tu savais... Peut-être aurais-tu pu écrire ce que te disaient les voix de la forêt et de la terre et de la rivière ! Mais voilà ! Tu n’as guère été à l’école. Tu es comme ces chatons trop précoces pour annoncer le printemps et qu’une gelée fait souffrir.

Le gamin rêveur, intelligent, seul et triste, va trouver force, réconfort, connaissance et consolation à jamais : dans les livres ! Et puis un jour je découvris un autre soleil. Dans les livres. Plus jamais je ne serais malheureux !

Un récit-poème tendre et inspirant

EXTRAIT

Je suis né à Herbeumont, le 11 avril 1911. Herbeumont, dans la province de Luxembourg, sur la Semois, est aujourd’hui un gentil village. Mais, à l’époque, celle où je vis le jour, c’était une pauvre bourgade aux rues déjetées, avec des maisons à auvent, au toit de pierres et de mortier. L’alignement des fumiers permettait de mesurer l’état de fortune des cultivateurs, assez nombreux, quoique le village fut un village d’ardoisiers. Mon village a toujours eu la réputation d’être un village pauvre, mais fier. En effet, on n’y connaissait guère de fortune, sauf celle des exploitants d’un magasin qui, depuis des générations, vendait de tout et à crédit.

A PROPOS DE L’AUTEUR

D’Herbeumont, son village natal, à Bouillon en suivant toute la Semois (il rencontrera notamment Georges Delaw, précurseur de la bande dessinée), Marcel Leroy se passionnera pour la nature, la forêt, la rivière. D’abord chroniqueur, il s’adonnera aussi au conte, à la nouvelle, et au roman. Il y dira en outre la misère, la souffrance et la mort, le lot de tant de familles d’ouvriers des ardoisières. Mais on sent aussi, à travers toute son œuvre, tout comme dans les Chatons gelés, cette soif de vivre, de dire les autres, d’éviter la solitude.
LangueFrançais
ÉditeurMemory
Date de sortie1 mars 2016
ISBN9782874132698
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    Aperçu du livre

    Les chatons gelés - Marcel Leroy

    Je suis né à Herbeumont, le 11 avril 1911. Herbeumont, dans la province de Luxembourg, sur la Semois, est aujourd’hui un gentil village. Mais, à l’époque, celle où je vis le jour, c’était une pauvre bourgade aux rues déjetées, avec des maisons à auvent, au toit de pierres et de mortier. L’alignement des fumiers permettait de mesurer l’état de fortune des cultivateurs, assez nombreux, quoique le village fut un village d’ardoisiers. Mon village a toujours eu la réputation d’être un village pauvre, mais fier. En effet, on n’y connaissait guère de fortune, sauf celle des exploitants d’un magasin qui, depuis des générations, vendait de tout et à crédit.

    Mon premier souvenir remonte loin. Il est assez flou. C’est une grosse maison sur la place, avec un jeu de quilles et des hommes assis, autour de tables et, sur les tables, des verres. Beaucoup de verres. Un autre souvenir, très flou aussi, celui d’une petite vieille, toute maigre et qui trottine. C’est ma grand-mère : Léonie Cazot. Elle pouvait avoir, alors, dans les septante ans. C’est elle qui va me faire parler un peu de mes ancêtres.

    Ma grand-mère est née à Bouillon. Ses parents aussi. Son père était savetier des armées du Roi de Hollande qui occupaient le château-fort. Quant à mon grand-père, il était, lui, originaire d’Herbeumont. Mort jeune, à cinquante-cinq ans, laissant une veuve et cinq enfants, il disparaissait, tué par l’ardoisière et l’alcool, tué comme presque tous les hommes qui arrachaient les pierres à la nuit des fosses. La famille Le Roy – ce nom s’écrivait encore ainsi il y a un siècle – était paraît-il originaire de France, de Bretagne. Trois frères, les frères Le Roy, peignaient à l’école d’Abraham Gilson, à l’abbaye d’Orval. A la Révolution française, fuyant les massacres et la ruine, ils s’expatrièrent. C’est ainsi que l’un d’eux s’en vint à Herbeumont et que les autres se fixèrent, l’un à Tournai et l’autre à Bruxelles. Je n’ai jamais retrouvé de peintures signées de leur nom, sauf un dessin à la plume représentant une abbaye de France. Sans doute, travaillaient-ils comme élèves ou, plus simplement, dégrossissaient-ils les toiles du célèbre Gilson. Qu’aurait pu faire l’artiste s’en venant à Herbeumont ? En remontant plus haut que mon grand-père, on trouve un pâtre. Est-ce lui ?

    Le 23 janvier 1875, Jean-Baptiste Le Roy-Cazot, cultivateur-ardoisier – c’est mon grand-père – fait un échange de maison avec son frère Hubert Le Roy-Gonthy. Il obtient, moyennant un supplément de 200F la maison où mon père naîtra, de même que certains de mes frères et sœurs. La maison qui a un rez-de-chaussée, une cuisine, une chambre, une écurie et une espèce de mansarde à l’étage, n’est pas bien grande. Par contre, il y a un beau jardin, long de cinquante mètres et qui touche à l’église.

    Du côté de ma mère, le passé est un peu plus flou encore. Mon grand-père maternel, Cornélius Verlinden, est né à Rumst, en Flandre orientale. Pays de briquetiers, c’est aussi un pays de chrétiens. Même assez fanatiques. C’est ainsi que mon grand-père, séminariste, avait beaucoup d’autres frères religieux ou prêtres. C’est un déserteur. En effet, en août 1870, mobilisé pour défendre la frontière franco-belge, il passe en Hollande, à Hulst, avec ses livres pour tout bagage. Une jeune fille qu’il rencontre lui fait perdre sa vocation. Il laisse la soutane et commence une série de trente-six métiers. Représentant de commerce, il fait de mauvaises affaires. Et la jeune fille ne veut plus de lui. Il en épouse une autre, laquelle décède peu après. Il va retrouver son premier amour et c’est le même refus. Désorienté, il se marie une deuxième fois. Ce nouveau mariage ne lui réussit pas mieux. Sa femme lui donne un fils, puis meurt.

    C’est la débâcle. Le jeune homme, qui porte la barbe et est complètement chauve à moins de trente ans, est criblé de dettes. Pourtant, il mène une vie d’ascète. C’est un moine sans soutane mais que la destinée accable malgré ses sacrifices. A nouveau il va retrouver celle qui lui fit, malgré elle, quitter la soutane. Cette fois, elle dit « oui ». Elle a pitié. Comme elle est d’une famille aisée – elle compte des armateurs – elle paye d’abord les dettes de son futur époux et détruit les factures des créanciers. C’est le départ pour une vie nouvelle, qui sera toute droite, avec des joies et bien des peines aussi. Ils perdront plusieurs enfants, dont un grand fils, l’oncle Louis, celui qui, à vingt ans, est mort debout. En effet, quelques heures avant de mourir, miné par la tuberculose, il avait demandé à être lavé et habillé pour aller à la rencontre de la Vierge. Il avait envoyé ses frères et ses sœurs à la kermesse pour qu’ils ne soient pas tristes car pour lui la mort, même à vingt ans, n’était pas une chose triste. Et c’est debout, en priant, soutenu par son père et le curé-doyen, qu’il rendit sa belle âme à Dieu.

    Dans la famille de mon père, j’ai connu l’oncle Emile, l’oncle Joseph – celui qu’on appelait le « Nonnon Blanc » – et la tante Marie. Une autre tante était morte à seize ans, au noviciat de Nancy des sœurs de la Doctrine chrétienne, sans que la famille de mon père n’ait été prévenue. Lorsqu’elle le fut, ma pauvre grand-mère ne put que pleurer sur une tombe fraîchement comblée. Ce crime, la grand-mère Léonie ne le pardonna jamais aux sœurs. Je me rappelle avoir vu mon grand-père chasser de chez nous la petite communauté d’Herbeumont. C’était peut-être trente ans après.

    L’oncle Emile était l’aîné. Héritant peut-être du caractère artistique et nomade des ancêtres de l’abbaye d’Orval, il avait choisi le métier de forain. Il « faisait » les fêtes avec un tir, un jeu de massacre et une confiserie qui était une table où trônaient quelques boîtes de bonbons.

    Mon père, qui eut une jeunesse qui se prolongea longtemps, « faisait » aussi les fêtes, mais pour s’amuser, au grand désespoir de ma grand-mère. Plus d’une fois, avec d’autres gars du village, il joua des tours pendables à son frère, à « notte Emile » comme il disait. « Nonnon Emile », lorsqu’il cessa son métier de forain, se fit marchand de vieux métaux et de peaux de lapins. Tous les jours il partait, au pas lent de son attelage, un mulet acheté à l’armée après la guerre de 14-18. Sa tournée commençait et se terminait chez un curé où un petit verre de bourgogne et un cigare lui disaient que la vie vaut d’être vécue. Il parvint à élever ses huit enfants dans la dignité et dans l’honneur et quand il mourut d’une stupide opération, tous les prêtres du doyenné firent au prône, l’éloge de ce brave homme, de ce compagnon de la route et du vent.

    « Nonnon Blanc », lui, sortit rarement de son village. Vieux célibataire, il vécut seul à la mort de sa mère, dans une chambre au-dessus de l’école des garçons. Son unique passion était le tabac qu’il roulait en cigarettes, ou fumait dans une pipe en terre. Les courses que je faisais pour lui se résumaient à peu de choses : du lait et du tabac. Ardoisier, il fut le seul de la famille à faire ce métier depuis l’enfance jusqu’à la pension. Il le fit avec beaucoup de courage et d’habileté. Durant quelques années, il travailla avec mon père sur le même chantier. Tous les matins, il venait le chercher pour, ensemble, faire la route et, souvent, sans se dire un mot. La route qui avait plus d’une lieue. Un jour que le comptable des ardoisières refusait de donner un acompte à mon père – un acompte qu’il n’avait pas gagné - « Nonnon Blanc » fit voler d’un coup de poing tout ce qui se trouvait sur le bureau en menaçant le pauvre employé, tout blême, de lui faire son affaire s’il ne donnait pas l’argent. Le patron, M. Pierlot, fut appelé. Il calma tout le monde et mon père put partir avec l’acompte demandé.

    L’oncle Joseph fut toujours bon pour la famille et je crois bien que, célibataire, il donna parfois un coup de main pour payer, ou bien un loyer, ou une note de pain. C’est à cela que j’ai pensé quand je suis allé le veiller, alors qu’il mourait d’un cancer à l’estomac, à Corbion, un village où, on se demande pourquoi, il s’était expatrié.

    La tante Marie, elle, m’a toujours fait l’effet d’être un peu plus distante que les oncles Emile et Joseph. Elle avait dû être jolie. Je la vois avec des cheveux noirs et frisés, une taille élancée et mince, sans maigreur. Elle tenait un café à Herbeumont. Un bel établissement, ma foi. Puis elle quitta Herbeumont pour habiter Mortehan où, avec son mari, ils devinrent propriétaires d’une ferme assez importante. A partir de ce moment, je ne la vis plus que tous les dimanches quand j’allais avec mon père lui dire « bonjour ». Ils avaient trois enfants, deux filles et un garçon. Un fils arrivé au déclin de la jeunesse de ma tante.

    Ma mère, de nationalité hollandaise, s’en était venue à Herbeumont comme servante d’une famille anversoise, laquelle possédait une villa au pays de mon père.

    Celui-ci, qui avait eu une jeunesse assez longue entrecoupée par une absence de trois ou quatre années passées en Amérique où il avait vécu une vie de bohème parmi les Noirs et les Peaux-Rouges, la remarqua et trouva qu’il serait temps pour lui d’évoluer vers la sagesse. Il ne savait pas un mot de néerlandais. Ma mère, pas un mot de français. Ils se comprirent pourtant. Comme quoi, en amour, il n’y a pas que la langue qui parle. Mon grand-père maternel s’informa néanmoins au sujet des qualités et défauts de son futur gendre. Et l’informateur fut le curé Arnould qui fit tous les éloges de son paroissien. Le mariage eut lieu à Hulst, en Hollande. Les témoins de mon père étaient l’oncle Emile et l’oncle Félicien, le mari de tante Marie qui, avec son chapeau plat et habillé de noir, ressemblait à s’y méprendre à un pasteur de l’Eglise réformée.

    Après la noce, tout le monde s’en vint au pauvre village gris, perdu dans la forêt ardennaise. Une vie nouvelle commençait. Une vie qui, pour ma mère, serait longtemps triste. Aussi triste que le village où elle venait enterrer sa jeunesse.

    Que furent pour ma mère ces années d’adaptation ? Ce furent, certes, des années de grisaille. Et il lui était pénible d’apprendre le français dans un milieu ne parlant que le patois. Aussi vivait-elle comme une emmurée dans le village gris. D’autre part, mon père, qui était le plus jeune de sa famille, était le gâté de sa mère qui lui pardonnait tout. N’avait-elle pas hypothéqué sa maison pour qu’il puisse revenir des Amériques ?... Il était le gâté de ses frères aussi. Un jour, ma mère, qui commençait à comprendre quelques mots de sa langue nouvelle, surprit un conciliabule dans la ruelle séparant la maison du jardin. « Renvoie chez elle la Flamande », disait un de mes oncles à mon père. « La Flamande »... ce nom chargé d’indifférence, et parfois de mépris, devait, longtemps, attrister ma mère.

    Prisonnière d’un milieu qu’elle ne comprenait pas, elle pria Dieu de lui donner des enfants. Une fille vint. Puis ce fut moi qui vis le jour deux ans plus tard. Bien sûr, pour ma mère, c’était un peu de soleil. Et pourtant, nous devînmes bien vite, pour elle, une source de gêne. C’est que mon père n’avait guère changé ses habitudes de jeunesse. Il était élégant et beau garçon et, comme presque tous les hommes des carrières d’ardoises, il buvait un peu plus que de raison. J’ai vu, je m’en souviens, ramener, ivres, trente ou quarante ardoisiers qu’un camion débarquait sur la place du village. Et ce camion était celui de la firme qui les occupait. J’ai vu, un jour que, tout gosse, j’étais allé avec mon père au chantier, les ouvriers assis sur leur maillet, en cercle, et se passer de main en main une grande louche pleine d’alcool qu’on vidait d’une bouilloire noircie par le feu.

    Le lundi, c’était jour de fête. On jouait aux quilles. En buvant. Et, parfois, le lundi durait jusqu’au samedi. Le patron ne disait rien. Le contremaître non plus. Ils tenaient à leur vie. Ils devaient se taire. Il y avait des estaminets sur les routes des ardoisières. Des chapelles comme on disait. Et un économat où les ardoisiers s’approvisionnaient en vivres. Mais on y vendait aussi de l’alcool. Le salaire, quand il était suffisant, réglait tout à la fin du mois. Les jours de paie, il n’était pas difficile de voir si le

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