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Coquillages et macchabées - Presqu'île de Gâvres: Polar breton
Coquillages et macchabées - Presqu'île de Gâvres: Polar breton
Coquillages et macchabées - Presqu'île de Gâvres: Polar breton
Livre électronique276 pages3 heures

Coquillages et macchabées - Presqu'île de Gâvres: Polar breton

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À propos de ce livre électronique

Un tueur en série sévit à Gâvres.

En congés à Gâvres, charmante presqu’île du sud Bretagne, le commissaire Loïc Garnier goûte un repos bien mérité auprès des siens, mais c’était sans compter avec un tueur en série qui vient lui gâcher sa villégiature et le narguer. Qui est ce psychopathe semblant assouvir dans le sang de ses victimes le désir d’une vengeance remontant à la Seconde Guerre Mondiale et qui terrorise la tranquillité d’honnêtes familles de la région de Lorient ? Le commissaire Garnier devra se dépêcher de le découvrir afin de pouvoir remettre en application son principe fétiche estival : Un : ne rien faire, Deux : ne rien faire, Trois : surtout ne rien faire !

Les vacances du commissaire Garnier vont être chamboulées, à son grand désarroi !

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né en 1966 à Rennes, Guénolé Troudet a passé sa jeunesse dans le Morbihan. Après avoir sillonné une grande partie de la France pour ses activités professionnelles, il s’est établi, avec son épouse et ses trois enfants, à Loudéac.
Professionnel du transport, ses passions, outre son métier, sont axées sur les nouvelles technologies, la lecture et l’écriture de romans policiers. Pour Guénolé, l’adage «  Fier d’être breton » n’est pas une légende.
LangueFrançais
Date de sortie27 mai 2020
ISBN9782374690834
Coquillages et macchabées - Presqu'île de Gâvres: Polar breton

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    Aperçu du livre

    Coquillages et macchabées - Presqu'île de Gâvres - Guénolé Troudet

    hasard.

    Juin 1940

    Chapitre I

    Emilien Lesnier roulait en direction de la demeure familiale au rythme des quatre cylindres de sa petite Renault Celta 4. Une forme rigolote, très jeune pour cette deux portes de 1936. Avec sa couleur vert bouteille et son intérieur marron clair, elle faisait la fierté de son propriétaire. Offerte par son père pour son vingt-et-unième anniversaire, Emilien en avait fait, non pas un jouet, mais un symbole de son accession dans le monde des adultes. Ça y était enfin, c’était un homme. Fini le vélo, vive la voiture, soyons modernes, que diable !

    Le jeune homme avait trouvé une place de vendeur dans une librairie d’Hennebont. Il était à l’aise au milieu de tous ces livres, de toutes ces revues. Il se prenait parfois à rêver en feuilletant les œuvres de Jules Verne, son auteur préféré. Il se sentait bien dans cet univers de silence qui fleurait bon le papier, l’encre et le cuir des reliures des œuvres les plus précieuses.

    Son employeur, Horace Cadic, septuagénaire encore alerte, en ferait son successeur sans aucun doute, il le lui avait d’ailleurs confié un soir de sa voix chevrotante.

    – Mon petit Emilien, il n’est plus très loin le temps où je devrai me retirer.

    – Allons, père Horace, vous êtes encore là pour longtemps, tempéra le jeune homme.

    – Non, non. Je sais ce que je dis. L’Ankou viendra bientôt me chercher. Sa charrette ne m’oubliera pas sur le chemin du ciel.

    Il avait prononcé ces mots sans amertume, fataliste comme toute personne âgée arrivant au soir de sa vie. Une fin inéluctable qu’il convenait d’aborder le plus sereinement possible afin de ne pas rendre encore plus pénibles ces derniers instants.

    Horace reprit :

    – Cette librairie est l’œuvre de toute ma vie. J’y ai passé mes moments les plus joyeux, les plus tristes aussi. Toute une existence, mon existence, est imprégnée dans chacun de ces murs, chacun de ces rayons, chacun de ces livres.

    Il marqua un temps d’arrêt, mit une main sur l’épaule d’Emilien.

    – Mon petit Emilien, j’ai choisi mon successeur. Ce sera toi.

    – Moi ? Mais… Mais, père Horace, je n’en suis pas capable, protesta le jeune homme.

    – Détrompe-toi. Depuis ces deux années que nous collaborons, j’ai eu tout le temps de t’observer. Si quelqu’un doit prendre la suite, cela ne peut être que toi. Tu connais mieux que n’importe qui, même moi, chacun des livres rangés sur ces étagères. Ils ne peuvent pas être en meilleures mains qu’entre les tiennes.

    Emilien n’avait su que répondre. Il ne s’attendait vraiment pas à cette annonce. Horace Cadic, habituellement peu enclin à la flatterie et au compliment, venait de lui tresser une couronne de lauriers comme jamais.

    Prendre la suite du père Horace, on ne pouvait rêver meilleure rampe de lancement dans la vie professionnelle. Sa librairie était connue et drainait un nombre conséquent de clients. Les affaires étaient florissantes.

    C’était donc là une proposition alléchante qui lui permettrait de s’installer, de quitter la demeure parentale.

    Ses parents étaient charmants et attentionnés mais il arrive un moment où un jeune homme a besoin de liberté, envie de s’assumer, de se créer sa propre vie.

    En plus, cela ne lui déplaisait pas de trouver sa voie hors du sérail paternel. De constitution frêle, très grand, mais peu musclé, Emilien Lesnier était le négatif parfait de son père qui, lui, était une force de la nature, une armoire bretonne en granit pour ainsi dire.

    Victor Lesnier faisait la même taille, que son fils, immense. C’était la seule chose dont il avait génétiquement hérité. Par contre, il dépassait allégrement le quintal, avait un cou de taureau, des poignets larges comme des chevilles et des mains velues d’étrangleur. Curieusement, il était pour sa femme et ses enfants d’une douceur extrême, à la limite de l’assistanat parfois. Ils ne manquaient de rien et il faisait en sorte qu’il en soit toujours ainsi. Un père poule d’une certaine manière.

    Pour les autres, par contre, Victor Lesnier était intraitable. Dur en affaire. À la limite sans cœur et sans pitié pour ses adversaires. On était avec lui ou contre lui. Il valait mieux faire partie du premier camp. Commerçant avisé et hors pair, il avait construit sa réussite et sa fortune sur le négoce de bestiaux. Il y avait adjoint la vente de produits frais, beurre, œufs, fromage et lait. Il était incontournable dans un rayon de 30 km.

    Envié, respecté, admiré, jalousé, critiqué, craint, quelle que pouvait être l’opinion que les gens pouvaient avoir sur Victor Lesnier, une chose était certaine, il ne laissait pas indifférent.

    Emilien avait donc toutes les raisons d’être heureux en ce printemps 1940.

    Enfin, presque toutes.

    Il y en avait au moins une qui faisait une ombre dans ce tableau idyllique, et même franchement tache : la guerre.

    Jusqu’à présent, le conflit semblait un peu loin et Emilien se sentait concerné sans l’être vraiment. Mais depuis quelques jours, ce n’était plus le cas. Tout s’accélérait en ce mois de juin.

    Le 4 juin, les troupes allemandes étaient entrées dans Paris. Un symbole s’écroulait.

    Le 10, l’Italie, ralliée à l’Allemagne, avait déclaré la guerre à la France.

    Enfin, l’apogée, le 14 juin. Paris était tombée aux mains d’Hitler. Sa garde noire, la Schutzstaffel, l’échelon de protection, plus connu sous son abréviation de SS, comptant 240 000 hommes entièrement dévoués au Führer, l’avait accompagné pour asseoir sa suprématie européenne.

    Plus rien ne serait jamais comme avant.

    Déjà, les réfugiés en provenance de la Belgique, du Luxembourg et bien sûr des régions nord et est de la France, se pressaient en Bretagne pour fuir l’envahisseur et son cortège de souffrances et de désolations. Mais, là encore, quand on n’est pas concerné soi-même, il n’est pas facile d’éprouver un quelconque ressentiment, à l’exception d’une compassion pour ces pauvres déracinés.

    Emilien ne pouvait pas se douter qu’il allait, lui aussi, bientôt se retrouver en plein cœur de la tourmente.

    La petite Renault se gara dans la cour de graviers blancs de la maison familiale des Lesnier. Il s’agissait d’une grande bâtisse, à un étage, en pierres granitiques tirées des carrières du secteur. Elle était séparée de la route par un grand verger dont les pommes permettaient, à la bonne saison, de confectionner une eau-de-vie de tout premier ordre. Sur la droite, un bâtiment faisait office de garage. Emilien y aperçut l’arrière de la Traction 11b noire de son père. Le même type de véhicule allait, quelque temps plus tard, devenir le moyen de locomotion de la Gestapo, la police politique de la SS, créée par Goering en 1933.

    Emilien fit son entrée dans la cuisine. Une bonne odeur de soupe aux choux vint lui chatouiller les narines.

    – Prends place, nous n’attendions plus que toi, l’invita son père.

    Autour de la table rectangle en bois massif, toute la famille était là.

    Victor, le père, assis à sa place habituelle, celle du patriarche, en bout de table. De son couteau, dans la main droite, il coupait des morceaux de pain qu’il portait directement à sa bouche.

    À sa droite, une assiette vide et une place qui l’était tout autant. Celle de sa femme Eugénie. Elle était debout devant le fourneau sur lequel une marmite exhalait l’odeur qui avait alléché Emilien à son entrée dans la pièce. C’était une petite femme au charme discret avec les cheveux noirs regroupés en chignon. D’un point de vue corpulence, il n’y avait aucun doute, Emilien tenait d’elle. Elle était fluette, presque maigre. Elle formait d’ailleurs un couple disparate avec son mari. Ils auraient pu, de nos jours, être comparés à Astérix et Obélix, les deux célèbres gaulois d’Uderzo et Goscinny. Eugénie, fille d’un couple de paysans de la région de Brandérion, avait rencontré l’élu de son cœur lors d’un bal de la Saint-Jean. Elle s’était mariée contre l’avis de sa famille. Il faut dire que, jeune, Victor avait une réputation peu flatteuse : fêtard et bagarreur. Tout un programme. Mais le miracle s’était produit. La douceur, la patience et l’amour de sa femme avaient dressé cet ours mal léché. Il était devenu un mari aimant et fidèle et un père attentionné. Comme quoi tout évolue.

    À sa gauche, une jeune fille aux longs cheveux châtain clair attendait sagement. Violette était de deux ans la cadette d’Emilien. Belle et intelligente, elle épaulait son père dans ses affaires. Bien que les femmes n’aient pas forcément une place prépondérante dans cette société en guerre, Violette, par sa force de caractère et sa détermination, s’était logiquement imposée auprès de son père. Il se reconnaissait en elle et était surtout très fier d’avoir l’un de ses enfants auprès de lui. Concernant Emilien, il s’était depuis longtemps fait une raison et avait accepté que celui-ci suive une autre voie que celle qu’il avait tracée.

    Emilien prit place à l’autre bout de la table, face à son père.

    – Alors, mon fils, quelles sont les nouvelles de la ville ? demanda Victor, rompant ainsi le silence qui s’était instauré.

    Car, tout gentil qu’il était avec sa famille, il était intraitable sur la discipline. Et quand on était à sa table, on n’y parlait pas sans y avoir été invité par le maître de maison.

    – Pas bonnes, père, vraiment pas bonnes.

    – Mais encore ?

    – Pétain a demandé l’armistice.

    – Nous v’là dans de beaux draps.

    – Il se dit que la Wermacht pourrait être à Rennes dès demain.

    – Déjà ! s’écria Violette.

    – Alors, reprit Victor, nous devons nous préparer à subir la présence de l’envahisseur dans les toutes prochaines heures.

    – Tu le penses vraiment ? s’inquiéta Eugénie tout en servant la soupe fumante.

    – Certainement. Et je crois même qu’il y en a pour un bon moment. Tant que cet exalté d’Hitler n’aura pas mis l’Europe entièrement à sa botte, il n’y aura pas de paix.

    – Parce que vous pensez qu’il peut y avoir une paix durable ensuite ? questionna Emilien.

    – Non, cela me paraît impossible. Cette guerre va durer et sûrement s’enliser. Nous sommes Bretons, nous ne serons jamais Allemands.

    Il avait martelé ces derniers mots en crispant les poings.

    Le reste du repas se passa dans un silence pesant.

    Il faisait déjà nuit noire quand les premiers coups de tonnerre se firent entendre. Cependant les déflagrations étaient trop rapprochées pour un caprice climatique, il s’agissait en fait de détonations.

    – Encore ? Cela ne s’arrêtera donc jamais ? se plaignit Eugénie.

    Au dehors, le balai des puissants faisceaux lumineux des projecteurs de la D.C.A illuminait le ciel au-dessus de Lorient. Au ronronnement des bombardiers succéda bientôt le grondement des canons de défense, aussitôt couvert par les explosions des bombes touchant le sol. Cela faisait maintenant dix nuits que la Luftwaffe bombardait la rade lorientaise. Déluge de feu annonciateur de l’arrivée des troupes hostiles.

    Il était 23 h 30 en ce 17 juin 1940. Victor Lesnier prit sa Traction et partit dans la nuit tous feux éteints.

    Personne ne lui demanda vers quelle destination il se dirigeait.

    ***

    Le lendemain, 18 juin, Emilien trouva Horace Cadic prostré dans sa boutique.

    Le vieux était hagard, il tenait une photo serrée sur sa poitrine.

    – Que se passe-t-il, monsieur Horace ? s’inquiéta Emilien.

    Aucune réponse ne lui revint en écho.

    – Monsieur Horace ! Répondez-moi !

    Cadic leva des yeux embués de larmes vers son jeune employé.

    – Ma sœur est morte ! sanglota-t-il.

    Son explication, entrecoupée de sanglots, éclaira Emilien.

    La veille, l’aviation allemande avait bombardé un train de munitions à Rennes. Cela avait été un véritable massacre. Civils et militaires étaient plusieurs centaines à avoir été tués ou à être portés disparus. Combien ? Nul ne le savait exactement mais certains annonçaient les chiffres de 1500 à 2000 victimes. Un véritable carnage. La sœur d’Horace Cadic travaillait pour les Chemins de Fer Français, elle y était femme de ménage. À l’heure de l’attaque aérienne elle était à son poste. C’est le beau-frère du libraire qui l’avait prévenu du drame, tôt le matin. Depuis, Horace était dans un état second, abruti par la douleur et le chagrin.

    Emilien l’aida à monter au premier étage dans son appartement. Le vieil homme y vivait avec Gertrude, son employée de maison. Celle-ci, une femme plus que bien en chair, malgré le fait d’avoir vingt ans de moins que son patron, le maternait comme s’il eût été son enfant.

    Le jeune Lesnier confia donc Horace à ses bons soins et reprit son travail au magasin.

    La journée fut longue, très longue. L’image de la sœur d’Horace Cadic le hantait. Il l’avait rencontrée deux ou trois fois et le peu qu’il en avait aperçu ne lui laissait que de bonnes impressions : une femme élégante et douce à priori. Plus que le fait qu’elle soit décédée, cela devait bien arriver un jour, la manière dont elle avait disparu choquait Emilien. Un acte barbare qui laissait présager d’autres grands malheurs.

    ***

    – … Moi, général De Gaulle, actuellement à Londres, j’invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j’invite les ingénieurs et les ouvriers spécialistes des industries d’armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, à se mettre en rapport avec moi.

    Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas.

    Demain, comme aujourd’hui, je parlerai à la radio de Londres.

    Victor Lesnier avait coupé la grosse TSF, qui trônait sur le buffet de la salle à manger, dès la fin du discours.

    Emilien, qui était rentré plus tôt que d’habitude, avait trouvé toute la famille regroupée autour du poste radio.

    D’un signe de la main, son père lui avait indiqué de ne pas faire de bruit. Il avait pris en cours de route le discours et écoutait la voix si particulière du général De Gaulle.

    Nous étions le 18 juin 1940, il était un peu plus de 18 heures, le général venait de lancer un appel au combat qui ferait date dans l’histoire.

    – Ça y est, c’est le début des emmerdements, lâcha Victor Lesnier.

    Toute la famille était plongée dans un profond désarroi.

    – Vous ne croyez pas si bien dire père, dit Emilien.

    – Ce qui veux dire ? demanda sa sœur.

    – Les Allemands sont en Bretagne.

    – Mon Dieu ! s’écria Eugénie tout en se signant.

    Emilien reprit :

    – L’aviation allemande a bombardé Rennes hier, il y a plusieurs centaines de morts, dont la sœur du père Horace.

    – Mon Dieu ! se répéta Eugénie en renouvelant son signe de croix.

    – De plus, les troupes allemandes sont entrées dans Rennes à l’aube et ont commencé leur progression aussitôt. Cet après-midi elles étaient déjà à Saint-Brieuc.

    – Alors ils seront là demain ou après-demain au plus tard, constata Victor, il faut se préparer à subir leur occupation.

    – Qu’allons-nous devenir ? se lamenta Eugénie.

    Victor se leva, se dirigea vers sa femme et posa une main sur son épaule.

    – Nous allons nous en sortir, résister et y arriver. Puis il quitta la pièce.

    Quelques instants plus tard le bruit du moteur de sa Traction indiqua à tous que le patriarche avait quitté la propriété.

    Le repas se passa, sans Victor, dans un silence de mort. Seuls les bruits des couverts, tintant dans les assiettes, et de mastication résonnaient. Pas un mot ne fut prononcé ou échangé entre la mère, la sœur et le frère.

    Tempête sous trois crânes.

    C’était sans doute la dernière soirée de liberté qu’ils vivraient avant longtemps.

    Le repas était maintenant terminé et ils étaient regroupés autour d’un café. Le silence était toujours là, obsédant, inquiétant.

    Puis, au-dehors, un bruit de moteur. Victor rentrait.

    Il fit son apparition dans la grande pièce. Personne ne lui demanda où il était parti, ni ce qu’il avait fait. Personne n’aurait osé demander des comptes au paternel.

    – C’est bien que vous soyez tous là, dit-il de sa voix grave.

    Les regards se firent interrogateurs.

    Il poursuivit :

    – J’ai pris une grande décision et je vais vous l’exposer. Toi Emilien, et toi Violette, vous êtes ce que votre mère et moi avons de plus cher. J’ai donc décidé de vous préserver de ce fléau qui va s’abattre sur nous dans les toutes prochaines heures. Vous allez quitter la France.

    Emilien et Violette écarquillèrent les yeux. Avaient-ils bien entendu ? Leur père voulait les expatrier.

    – Mais enfin père ! Il n’est pas question que nous partions, s’insurgea Violette.

    – Si je vous dis que vous partez, vous partez.

    Le ton était sans appel.

    Il reprit :

    – J’ai tout prévu. Je vais vous expliquer comment nous allons procéder. Aujourd’hui un bateau de pêche est arrivé dans le port de Lorient. Il va repartir demain vraisemblablement pour l’Angleterre. Au pire il fera route vers le sud-ouest, dans ce cas vous devrez vous rendre en Espagne et trouver un embarquement pour l’Angleterre. Là-bas vous serez en sécurité.

    – C’est bien joli tout ça, dit Emilien, mais et vous ?

    Victor répondit sans tergiversations.

    – Nous vous attendrons ici. Nous nous retrouverons quand cette saloperie de guerre sera finie.

    – Si Dieu le veut bien, renchérit Eugénie.

    Violette étouffa un sanglot.

    – Je suppose qu’il n’y a aucune discussion possible ? demanda Emilien.

    – Aucune en effet, confirma son père. Je me suis débrouillé pour vous obtenir une place sur ce bateau et, croyez-moi, ça n’a pas été une partie de plaisir. Dites-vous bien qu’ils sont nombreux ceux qui voudraient être à votre place.

    – Eh bien, je la leur laisse, gémit Violette entre deux sanglots.

    – J’ai dit et il en sera ainsi ! asséna Victor. Maintenant allez dormir, la journée de demain sera longue et difficile pour nous tous.

    Il ne croyait pas si bien dire.

    Chapitre II

    Mercredi 19 juin 1940. Une foule bigarrée se presse sur le port de Lorient. Des soldats bien sûr, mais également des réfugiés et des familles cherchant un embarquement pour l’île britannique. Tous avaient les yeux dans le vague ou trop rougis d’avoir pleuré sur leur bonheur perdu.

    Au milieu de cette affluence, la famille Lesnier au grand complet essayait de se frayer un chemin.

    Victor en tête, les autres à sa suite en file indienne, sa stature de géant facilitant leur progression. La marée humaine se fendait devant l’avancée du petit groupe, un peu comme la mer s’ouvrant devant Moïse.

    Ils arrivèrent au bord du quai. Devant eux un bâtiment de pêche était amarré : le chalutier La Tanche, un bateau d’environ quarante mètres de long pour sept de large. Une grande cheminée noire se dressait au milieu du pont de ce navire mué par une chaudière au charbon complétée par une machine alternative de quatre cents chevaux.

    Ce bateau appartenait à la maison d’armement et salaison Marienne frères, de Fécamp. Sa vocation première, lors de sa sortie des chantiers navals de la Rochelle en 1918, après une courte période de pêche pure, consista à remplir des missions océanographiques avant d’être définitivement affecté à la pêche en 1930.

    Le 18 juin, La Tanche avait débarqué le produit de sa marée à Douarnenez avant de rallier le port lorientais de Kéroman. Le capitaine n’avait pas l’intention de s’éterniser et, ne pouvant rentrer à Fécamp, déjà occupé par les Allemands, il avait décidé de rejoindre Bayonne ou l’Angleterre en emmenant avec lui un maximum de volontaires au départ.

    Sur le pont, les trente hommes d’équipage ressemblaient

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