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Contre vents et pirates: ou les aventures d'un jeune Rétais au XVIIIe siècle
Contre vents et pirates: ou les aventures d'un jeune Rétais au XVIIIe siècle
Contre vents et pirates: ou les aventures d'un jeune Rétais au XVIIIe siècle
Livre électronique285 pages3 heures

Contre vents et pirates: ou les aventures d'un jeune Rétais au XVIIIe siècle

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À propos de ce livre électronique

A 17 ans, Aurélien Grandfoc entreprend un voyage vers les Antilles. Hélas, tout ne se déroule pas comme prévu.

Aurélien Grandfoc est le fils d'un simple maître de barque disparu en mer au large de l'île de Ré. Par chance, il va être adopté par le consul du Danemark à La Flotte-en-Ré avec lequel il va cultiver son goût des langues étrangères ainsi que son amour des navires et des grands voyages. À dix-sept ans, il embarque sur un voilier partant pour les Antilles, laissant derrière lui sa mère, ses amis et surtout la belle Ludivine. Mais, après une escale à Cadix, il est fait prisonnier par les pirates marocains et va rester plusieurs années esclave. Pendant cette longue période, alternent alors des moments particulièrement pénibles et d'autres pleins de volupté.
Quand il réussit enfin à s'évader avec son ancien capitaine et son équipage, ils atteignent les Antilles avec tous les plaisirs que réservent ces îles. Mais hélas, lorsqu'ils en repartent, leur voilier est pris dans un ouragan et sombre corps et biens. Aurélien est le seul survivant. Après des semaines à la dérive sur un radeau de fortune, il parvient au Venezuela. Là encore, le jeune Aurélien va connaître diverses aventures avant de repartir pour l'Espagne. Après de longues journées de chevauchée, il parviendra enfin à l'île de Ré où la toujours belle Ludivine l'attend pour lui offrir son coeur.

Doucouvrez, dans ce roman historique, les aventures d'un jeune rétais orphelin de père qui décide de parcourir le monde en direction des Antilles.

EXTRAIT

Avec l’insouciance de sa jeunesse, Aurélien ne s’était jamais inquiété de ses origines, pas plus qu’il ne s’était tourmenté de l’absence de son père. Pourtant, voilà quelques jours, alors qu’il revenait tout heureux avec quelques pièces d’argent que lui avait données un capitaine hollandais de retour de Saint-Domingue avec un chargement de sucre, il vint s’asseoir près de sa mère qui cousait près de la fenêtre du salon :
— J’ai gagné cet argent en traduisant du flamand pour le vieil Hubert de la Poterie. Non seulement avec l’âge le bonhomme est devenu sourd comme un pot, mais de plus il ne comprend pas un mot de hollandais. Pourtant depuis le temps qu’il est sur les quais… nota-t-il sans respect pour le vieil avare.
Après un moment de silence, il ajouta, les sourcils soudainement froncés en regardant sa mère :
— Mais sais-tu que cet argent, c’est le capitaine hollandais qui me l’a donné ? Ce vieux rabougri de la Poterie, lui, n’a pas voulu me payer ! Je lui ai dit que c’était du vol et il m’a rétorqué que maintenant que j’avais dix-sept ans, il était grand temps que je rembourse les dettes de mon père !
— Oh ! L’ignoble individu ! Il a osé dire cela ! s’exclama Marie-Louise en laissant tomber son ouvrage sur ses genoux.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

L’auteur, passionné par la mer et les voyages – il a lui-même, pendant de nombreuses années, navigué dans la marine marchande – nous invite à l’évasion. Une histoire passionnante. - Jacques Buisson, Ré à la Hune

À PROPOS DE L'AUTEUR

Robert Béné est originaire de l’île de Ré où il vit (Sainte-Marie). Auteur à succès, il est très attaché à sa terre d’origine et est déjà l’auteur d’une série de romans policiers intitulée « Ré la Blanche ».
LangueFrançais
Date de sortie31 janv. 2019
ISBN9791035304171
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    Aperçu du livre

    Contre vents et pirates - Robert Béné

    1

    Naufrage

    La barque traversière venait de quitter la Repentie en dépit de la forte houle soulevée par un vent de noroît qui soufflait depuis la veille.

    En marin aguerri, Mathieu Granfoc, en accord avec Job, son jeune matelot, avait pourtant décidé d’attendre que la tempête se calmât avant de s’en retourner à l’île de Ré, mais l’arrivée soudaine de deux sergents d’un Régiment des Colonies en garnison à Saint-Martin et les quelques pièces d’argent qu’ils firent sonner d’une façon ostentatoire dans le creux de leur main l’avaient fait revenir sur sa décision.

    — Emmène-nous tout de suite de l’autre côté, avait ordonné le plus jeune.

    De ses grands yeux calmes, le patron de la barque avait regardé le militaire qui venait de l’interpeller. Apparemment, comme son compagnon, il était en état d’ébriété.

    Avant de lui répondre, Mathieu avait pris tout son temps pour observer l’océan et écouter le vent. En hurlant, il arrachait l’écume au sommet des crêtes grises des vagues. Dès son berceau, le marin avait appris à connaître son cri lugubre quand il pénétrait par la cheminée en soulevant les cendres froides, ou lorsqu’il s’immisçait par les joints de la petite lucarne qui éclairait chichement la pièce enfumée. Au cours des années, il avait acquis toutes les nuances de son langage, depuis son doux chuchotement les nuits de grand calme jusqu’à ses hurlements furieux les jours de tempête.

    Lentement, il tourna son regard vers Le Corbegeau¹ dont l’étrave était échouée sur les galets ronds. Il avait encore deux ans de traites à rembourser avant d’en être propriétaire. Tournant le dos aux militaires, il fit face au large, et scruta des yeux l’océan. Les vagues déferlaient bruyamment sur le rivage jusqu’à faire rouler les galets sous la coque de sa barque. Sûr, ce n’était pas un temps à s’aventurer en mer. Mais il lui était revenu à l’esprit toutes les difficultés quotidiennes qu’éprouvait Marie-Louise, sa jeune épouse. Voilà quinze jours qu’elle achetait du pain à crédit et le boulanger menaçait de ne plus lui en fournir si elle ne réglait pas bientôt ses dettes. Il avait pensé aussi à tous les impôts que lui réclamaient sans cesse les agents du Roi et au prêteur sur gages qui menaçait de reprendre son bout de vigne s’il ne payait pas les intérêts de la somme qu’il lui avait avancée pour acheter ses trois ares de terrain perdus dans le sable des dunes du Creux des Grenettes. Sans parler des trois mois d’arriérés de sa barque.

    — Alors, quoi ? Vous vous décidez, oui ou non ? avait alors demandé le jeune officier avec impertinence, tandis que son collègue continuait de cuver son vin et ne pipait pas un mot.

    Calmement, Mathieu Granfoc avait pointé du doigt les gros nuages noirs qui montaient au-dessus de l’horizon.

    — C’est un sacré gros grain qui se prépare, avait-il répondu simplement.

    — Alors, vous avez peur d’un nuage ? avait ironisé le militaire.

    Le marin s’était contenté de hocher la tête :

    — Le mois dernier, avec un temps semblable, une barque comme la mienne a coulé au large de la pointe de Sablanceaux en revenant de La Rochelle. Ils étaient huit à bord. Trois jours plus tard, on a retrouvé six corps entre le rocher de Chauveau et l’écluse de la Sabiouse. Les deux autres corps ont été bouffés par les crabes.

    À cette remarque, le plus âgé des deux sous-officiers, qui commençait à émerger de son brouillard éthylique, parut beaucoup moins chaud que son camarade pour s’empresser de rejoindre sa garnison. Mais le plus jeune avait aussitôt répliqué d’un ton bravache bien que l’alcool eût épaissi sa langue :

    — J’ai combattu les Espagnols et les Anglais et j’ai vu mourir des quantités d’hommes autour de moi, mais cela ne m’a pas empêché d’aller aussitôt guerroyer contre les Autrichiens. Et vous, parce qu’une barque a coulé le mois dernier et qu’aujourd’hui un nuage noir grimpe dans le ciel, vous refusez de faire les deux petites lieues qui nous séparent de l’anse Chauvet² ?

    En prononçant ces mots avec grandiloquence, il avait fouillé dans sa poche et sorti toute une poignée de pièces qu’il tendit à Mathieu Granfoc comme on donne une aumône.

    — Il y a là plus de dix livres ! Cela va peut-être finir par vous décider ? avait-il lancé.

    Effectivement, le patron de la barque avait jugé alors qu’il ne pouvait pas se permettre de refuser une telle somme qui correspondait au moins au montant de trois traversées avec quatre passagers à bord.

    — Embarquez ! s’était-il contenté de répondre en empochant l’argent.

    Les deux militaires sautèrent prestement dans l’embarcation et enfoncèrent jusqu’aux oreilles leur bicorne en carton bouilli. Mathieu Granfoc et son matelot poussèrent la barque sur les galets pour la mettre à flot et sautèrent rapidement à bord à leur tour en se saisissant des avirons.

    Maintenant, arc-boutés sur les lourdes rames, les deux marins s’évertuaient à tenir le nez de leur embarcation face à la houle. Les deux passagers s’étaient déjà recroquevillés dans le fond de la barque, enveloppés tant bien que mal dans un bout de bâche que leur avait donné Mathieu.

    La force avec laquelle les vagues venaient cogner l’avant de la coque en soulevant des gerbes d’eau froide qui retombaient dans le fond du canot avait tendance à pousser l’étrave en travers de la houle et n’était pas sans inquiéter le patron du Corbegeau. Sans aucun doute, la traversée allait être difficile, voire périlleuse. Le capitaine de barque lança un regard scrutateur vers les deux militaires repliés sur eux-mêmes. Seule une partie de leur visage apparaissait entre le haut de la bâche et la partie inférieure de leur chapeau. L’un était plus vert que le liseré vert de sa veste blanche, l’autre plus jaune que les boutons qui ornaient son uniforme. Brusquement le plus jeune voulut se lever pour vomir par-dessus bord, mais les soubresauts du navire le firent retomber lourdement sur ses fesses dans le fond du canot et il déglutit tout le vin rouge qu’il avait bu sur son beau pourpoint garni de dentelle.

    Sans cesser lui-même de ramer, Mathieu Granfoc cria à son matelot :

    — Souque plus fort ! Bon Dieu de Job ! Souque !

    Mais il savait bien que ce n’était pas la peine de l’invectiver, car Job tirait de toutes ses forces sur les rames.

    Il avait douze ans de moins que Mathieu Granfoc et voilà huit ans qu’ils naviguaient ensemble par tous les temps, effectuant, quand le ciel le permettait, la traversée entre Ré et la Grande Terre pour transporter gens, vivres, bétail ou matériel. Job n’avait pas vingt ans, mais il connaissait la mer presque aussi bien que son patron et il savait qu’aujourd’hui, plus que les autres jours encore, sa vie dépendait de la force de ses bras sur les avirons. Aussi ne desserra-t-il pas les dents pour répondre mais ses doigts se crispèrent un peu plus sur les « bois morts » et tous les muscles de son corps se tendirent davantage.

    À peine avaient-ils parcouru une lieue que le grain prévu par le patron de la barque traversière vint s’abattre sur eux, précipitant la tombée de la nuit. En un instant ce fut un ­véritable déluge de pluie que le vent en rafale rabattait comme autant d’aiguillons qui formaient un épais rideau dissimulant aussi bien la Grande Terre que les côtes de l’île de Ré. Brusquement, ils se trouvèrent au milieu de nulle part. Dans la minuscule coque de noix, des trombes d’eau tombant du ciel vinrent s’ajouter aux embruns qui déjà avaient fortement alourdi l’embarcation. Il aurait fallu écoper, mais il n’était pas question pour les deux marins de lâcher leurs avirons et les deux militaires étaient bien trop mal en point pour se rendre utiles. Et soudain, arriva ce que craignait Mathieu Granfoc. Une vague plus forte que les autres enveloppa la barque et, en moins de deux, la retourna quille en l’air avant de disparaître rapidement dans les profondeurs sombres de la mer en furie. Dans le même instant, les quatre hommes se retrouvèrent dans l’eau froide que le printemps pourtant proche n’avait pas encore réchauffée.

    Mathieu Granfoc regarda autour de lui. Job s’était accroché à un aviron. Mais un peu plus loin, un des deux militaires hurlait « Au secours ! Je ne sais pas nager ! » à chaque fois que sa tête sortait hors de l’eau. En quelques brasses, Mathieu fut près de lui. Il l’attrapa par le col et le fit s’accrocher à un autre aviron. « Cramponne-le bien ! » lui cria-t-il. Puis il chercha l’autre militaire. Mais dans la nuit noire et les flots déchaînés, il ne le retrouva pas. Sans doute était-il resté coincé sous la coque et avait-il disparu avec elle.

    Le lendemain matin, alors que le soleil se levait avec un petit air innocent, Raoul, un gosse qui pêchait des couteaux sur la Côte Sauvage, aperçut sur le sable quelque chose qu’il prit d’abord pour des hardes. Tout de suite il pensa au voilier venant d’Espagne qui s’était fracassé sur le mur d’une écluse lors d’une précédente tempête. Quelques jours plus tard, on avait retrouvé quatre des huit hommes d’équipage, leur corps à moitié dévoré par les crabes, mais rien de la belle passagère, une riche marquise, selon la rumeur qui avait couru alors. Avec la marée, des quantités de caisses d’oranges, échappées de la coque éventrée, avaient dérivé jusqu’à la côte, ainsi qu’un coffre en acajou, serti de cuivre, appartenant sans doute à la riche passagère. Raoul ne savait pas ce qu’il était advenu du coffre, mais comme il s’était régalé d’oranges !

    Vivement intéressé, le jeune garçon laissa sa pêche et courut vers ce qu’il espérait être une prise de mer. Il se voyait déjà ramenant à sa mère de beaux vêtements ayant appartenu à la riche étrangère. À sa grande stupeur, en approchant, il devina une tête d’homme, des pieds et des mains qui dépassaient de ce tas de linge à moitié couvert d’algues. Effrayé, il appela son père qui pêchait des crabes un peu plus loin.

    — Mais c’est Mathieu Granfoc ! s’exclama Anastase, le père du garçonnet, en reconnaissant le visage livide du marin.

    Il se pencha et appuya son oreille sur la large poitrine du naufragé :

    — Il vit encore ! Cours à la maison chercher tes grands frères et revenez vite sans oublier le boyard³ !

    Le gamin partait déjà en courant quand son père ajouta :

    — Et dis à ta mère qu’elle fasse chauffer de l’eau dans la grande marmite et qu’elle prépare des cataplasmes de farine de moutarde. Il a sacrément besoin d’être réchauffé, le pauvre bougre !

    Mathieu Granfoc était le seul survivant des quatre hommes embarqués à la Repentie sur la barque traversière Le Corbegeau effectuant la liaison entre l’île de Ré et le continent, ce 20 février 1771.


    1. Nom local donné au cormoran.

    2. Au pied du fort de La Prée, entre La Flotte et Rivedoux.

    3. Sorte de civière en bois utilisée par les insulaires pour porter différentes charges, notamment les vendanges.

    2

    Au hameau du Creux des Grenettes

    Le hameau du Creux des Grenettes était constitué de trois pauvres maisons de pierres plus ou moins en ruine dans lesquelles vivaient les vieux parents de Mathieu Granfoc, un de ses frères à l’esprit dérangé ainsi que Mathieu et sa femme. Il était situé à une demi-lieue du bourg de La Noue et à approximativement une lieue de la paroisse de Sainte-Marie, sur la côte sud de l’île. Mais il y avait bien deux lieues entre la bourgade de Rivedoux et la chaumière de Mathieu Granfoc. Pour s’y rendre, il fallait traverser une partie de l’île dans sa largeur en cheminant par les étroits sentiers sableux sinuant entre les vignes.

    Depuis trois jours qu’il était chez Anastase le pêcheur à pied, Mathieu Granfoc était encore bien trop faible pour se rendre chez lui par ses propres moyens. Tout juste réussissait-il à marcher jusqu’à la laisse de mer, à quelques pas seulement de la cabane de son sauveteur. Là, il restait des heures à contempler le large en pensant à sa barque et à son avenir qu’il devinait peu prometteur. Lors de son naufrage, il était resté toute la nuit dans l’eau froide et aujourd’hui encore, malgré tous les cataplasmes et les boissons chaudes que lui prodiguait Rosette, l’épouse d’Anastase, ses bronches étaient prises et il respirait avec peine. Pourtant, il avait hâte de retrouver sa femme. Aussitôt prévenue par le jeune Raoul, celle-ci s’était précipitée pour venir le voir, mais elle n’avait pu rester avec lui car ses patrons, de riches vignerons de Sainte-Marie, ne lui avaient accordé que la demi-journée pour lui rendre visite.

    Aujourd’hui – peut-être était-ce à cause du soleil un peu plus chaud que les autres jours –, Mathieu se sentait bien. Il ne toussait presque plus, aussi décida-t-il, malgré l’avis contraire d’Anastase et de Rosette, de s’en retourner chez lui.

    — Tu ne pourras jamais faire le chemin tout seul, assura son camarade, en voyant son visage encore pâle sur lequel coulait une sueur froide dès qu’il marchait dix pas.

    Comme il en avait l’habitude, Mathieu Granfoc ne se précipita pas pour répondre :

    — Voilà suffisamment longtemps que ta femme passe des heures à me soigner au lieu d’aller pêcher des palourdes. Je ne vais pas rester huit jours à manger le pain que tu as mille peines à gagner et à boire le vin chaud de ta maigre récolte préparé pour moi par Rosette. Et pourtant vous êtes aussi pauvres que moi ! Je ne peux donc rester davantage. C’est décidé, je pars.

    — D’accord, vieux têtu. Mais mes fils et moi, nous allons te transporter sur le « boyard ».

    Quand ils furent partis, Rosette s’apprêtait à faire cuire des moules qui composaient presque quotidiennement le repas de toute sa famille, lorsqu’elle découvrit, posées sur le coin de l’âtre, quatre pièces d’argent. C’était une partie de celles que le jeune sergent avait données à Mathieu et qui, par chance, n’étaient pas tombées de sa poche alors qu’il luttait contre les éléments.

    Pour ne pas perdre de temps, Anastase et ses enfants avaient profité de la marée montante pour accompagner Mathieu, afin d’être de retour avant la basse mer, car un marchand de vin du lieu-dit la Terre Rouge avait commandé des palourdes pour la communion de sa fille. Et, précisément, « le vent était aux palourdes ». Aussi ne s’attardèrent-ils pas chez Mathieu : juste le temps de boire un verre de piquette et les trois hommes reprirent le chemin du retour.

    Resté seul dans la cabane, Mathieu, les fesses appuyées contre la table, contemplait la femme qu’il avait failli ne pas revoir. Elle avait huit ans de moins que lui et encore toute la jeunesse pour elle. Il ne put s’empêcher de la trouver belle. Il est vrai qu’elle l’était. Il la préférait comme maintenant quand elle ne portait pas sa coiffe, quand le chignon défait de sa lourde chevelure noire tombait sur ses épaules. Penchée sur la petite cheminée, elle lui tournait le dos, occupée à mettre quelques morceaux de tamaris dans le foyer afin qu’il ne prît pas froid. Sans doute sentit-elle les yeux de son mari qui caressaient ses formes, car en se relevant elle lui sourit avec cette douceur particulière qu’elle avait lorsqu’elle désirait faire l’amour. Sans se préoccuper de ses mains noircies par le bois enfumé, elle se dirigea vers lui. Il ne vit pas les rides précoces que la dure vie de chaque jour avait prématurément creusées dans son visage hâlé, il ne vit que ses yeux verts qui flambaient de désir.

    Dans les minutes qui suivirent, ils roulaient sur la paillasse de varech séché posée à même la terre battue de la petite pièce.

    Une heure plus tard, le cri d’une mouette posée sur leur toit les réveilla :

    — Dis donc ! Je te croyais exténué, ironisa Marie-Louise en reboutonnant son justin.

    Mathieu prit le temps de regarder les flammes qui éclairaient la pièce sombre. Il la prit alors à nouveau dans ses bras et déclara très sérieusement :

    — Je pense vraiment que tu es mon meilleur remède pour reprendre des forces.

    Comme il se rhabillait, il sentit au fond de sa poche, ayant miraculeusement échappé au naufrage, les pièces données par le militaire :

    — Regarde ! Avec ça, tu vas pouvoir régler tes dettes au boulanger et il t’en restera encore pour acheter du pain jusqu’à la fin du mois, lui dit-il fièrement en montrant l’argent qui lui restait.

    — Et ta barque, comment finiras-tu de la rembourser ?

    Le marin souleva ses larges épaules :

    — Je ne sais pas encore. Il faut que je cherche rapidement un embarquement. Dès demain, j’irai voir à La Flotte. C’est bien rare si je n’en trouve pas un.

    Marie-Louise passa tendrement ses bras autour du cou de son mari et enfonça ses doigts dans ses cheveux noirs et bouclés dans lesquels quelques fils blancs commençaient à apparaître : 

    — Ne pars pas trop longtemps. Je voudrais tant que tu sois là quand notre enfant naîtra.

    Surpris, Mathieu rejeta la tête en arrière pour mieux plonger son regard dans celui de sa jeune femme :

    — Voudrais-tu dire que tu es enceinte ?

    — Avec l’ardeur que tu me témoignes, depuis les dix mois que nous sommes mariés, il n’y a rien d’étonnant !

    Mathieu la contempla les yeux brillant de larmes de joie.

    — Depuis combien de temps ?

    — Depuis deux mois.

    Pour cacher son émotion, il enfouit son visage dans l’épaisse chevelure de sa femme et lui murmura à l’oreille :

    — Alors, surtout, je t’en prie, prends bien soin de toi et de lui.

    Relevant la tête, du regard il fit le tour de l’unique pièce de son logis bâti avec des pierres de la falaise, jointes avec de l’argile. Un coffre à linge hérité de ses parents ; un autre construit avec des planches récupérées à la laisse de mer pour y ranger trois écuelles, quelques plats en terre et deux pichets ; une huche pour mettre à l’abri des souris et des rats la grosse miche de pain ; une table aux planches disjointes ; deux bancs, un tabouret et une paillasse faite de varech séché composaient tout l’ameublement.

    — Je ne veux pas que notre

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