Les légions ont conquis le monde méditerranéen à la force du pilum, c’est certain. Mais les soldats romains n’ont pas toujours voyagé à pied, loin de là: leur légendaire efficacité a été démultipliée par celle de la marine, dont la maîtrise tôt acquise de la bien nommée Mare Nostrum a servi à projeter des contingents considérables jusqu’aux confins du monde connu. La suppression de Carthage? Impossible sans les victoires navales. La conquête de la Bretagne? Irréalisable sans le contrôle de la Manche. Les campagnes en Perse et en Germanie? Vouées à l’échec sans les convois fluviaux des marins romains. Et pourtant, on compte aujourd’hui cent fois moins d’ouvrages sur la marine que sur les légions… Il est difficile de réparer 1200 ans d’injustice en quelques pages. Mais on peut au moins tenter un portrait impressionniste en trois moments, qui illustrent les mutations et les choix stratégiques qui ont été les réponses de Rome aux changements de son environnement.
1 AUX ÎLES ÉGADES, ROME ANÉANTIT SON UNIQUE RIVALE
Le premier tableau émerge au large de la Sicile, en 241 av. J.-C., devant les îles Égades (aujourd’hui Marettimo, Levanzo et Favignana), échelonnées entre 20 et 30 km à l’ouest de Trapani et Marsala. La première guerre punique fait alors rage depuis 23 ans entre la jeune et ambitieuse République romaine et la grande cité portuaire de Carthage, en actuelle Tunisie, dont les comptoirs s’étendent sur tout l’est de la Méditerranée. À ce moment précis du conflit, la seconde sort en Sicile d’une série d’échecs cuisants. Les Carthaginois sont acculés à l’extrême ouest de l’île, où la métropole décide d’envoyer une énorme flotte de secours composée de 250 quinquérèmes (voir encadré) de guerre et d’une centaine de transports chargés de vivres.
Aussi puissante qu’elle soit, l’escadre de secours manque d’infanterie de marine et il est donc prévu de la renforcer