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Mémoires de corps: Recueil de nouvelles
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Mémoires de corps: Recueil de nouvelles
Livre électronique159 pages2 heures

Mémoires de corps: Recueil de nouvelles

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À propos de ce livre électronique

Le corps décliné en 14 nouvelles.

Le corps, instrument de plaisir et de souffrance. Le corps bafoué, abimé, sali ou encensé. C'est la peau qui détient nos secrets les plus intimes, nos angoisses les plus profondes. Il n'est rien de plus effrayant que la guerre qui fait rage dans notre propre chair. Ces quatorze nouvelles sauront vous le démontrer.

Découvrez ce recueil de 14 nouvelles, 14 portes d'entrées sur le corps, ses merveilles et ses souffrances.

EXTRAIT DE Corpus Dei

Il y a trop d'avions. Trop d'avions et trop de trains aussi. Il va falloir que j'envisage une réévaluation technique des écrans de contrôle. Je ne peux pas tout gérer en même temps, on m'en demande trop. Il faut trouver une solution pour surveiller l'aiguillage aérospatial. Mais quoi ?
Oh, non, c'est pas vrai ! Deux secondes d’inattention et pof ! Où est passé ce fichu Malaysia Airlines ? Ne me dites pas que j'en ai encore paumé un ! Il suffit que je tourne la tête et ces engins s'évaporent comme par magie. J'en peux plus, c'est pas une vie.
D'abord, ils ont inventé les avions puis les voyages dans l'espace. J'ai cru qu'ils allaient me démasquer. J'ignore si j'avais peur ou hâte. Mais ils n'ont rien vu que leur ego surdimensionné et leur nouvelle foi : La Science.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

On aime ce côté "écorché vif", ce côté "écrit avec les tripes"... C'est plus que jamais le moment de le dire ! On s'y reconnaît, on se voit dedans. - Diabolo44, Babélio

L'exigence de Johanna Almos est à la hauteur des attentes suscitées par le sujet de son recueil. le corps et ses blessures, la souffrance physique, ne lui sont que trop bien connus. Mémoires de corps, magnifié par la couverture d'Estelle Leduc, est une catharsis en quatorze points, une symphonie du malheur, une mélodie cruelle, sombre et magnifique, qui vous emmènera loin. - Emmanuel Delporte, Le Décapsuleur

À PROPOS DE L'AUTEUR

Johanna Almos est née en 1984. Elle a été barmaid durant ses études de lettres puis libraire pendant sept ans. Elle a rejoint les Otherlands dans le volume Otherlands Continuum d'Octobre 2014, et est depuis une des plus actives au sein de la communauté. Elle vient de faire paraître Mémoires de corps chez Otherlands où elle nous conte, tout au long de quatorze nouvelles, les peurs et les angoisses liées au corps et à ses fantasmes.
LangueFrançais
ÉditeurOtherlands
Date de sortie10 oct. 2018
ISBN9782797301157
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    Mémoires de corps - Johanna Almos

    Les nouvelles restent la propriété de Otherlands, et de leurs auteurs respectifs. Tous les textes sont inédits, sauf mention contraire. 

    Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2è et 3è a, d’une part, que les « copies ou reproduction strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). 

    Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon, sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

    Johanna Almos

    Mémoires de corps

    Maison Villebasse

    La porte s'ouvrit sur le dortoir blanc. On l'y poussa sans ménagement.

    Lorsqu'elle fut de retour dans sa chambre, les douleurs reprirent, la transperçant de part en part. Elle avait mal partout. A en hurler. Des décharges parcouraient tout son corps : tantôt les jambes, tantôt les hanches puis les poignets, le sexe... Viviane se mordit les lèvres pour ne pas crier. Ils allaient revenir sinon et tout recommencerait ; cette torture devenue banale. Elle devait les convaincre qu'elle allait mieux pour qu'ils la laissent enfin sortir.

    Voilà sept ans que son cauchemar avait débuté : cette souffrance atroce ; lancinante et infondée. Dans un premier temps, sa famille, assez cossue, avait fait mander des médecins à son chevet. Les docteurs s'étaient succédés ; sans succès. Aucun n'avait compris le mal dont elle souffrait. Certains avaient prétendu que la cause de ses maux était d'ordre mental. L'un d'entre eux avait invoqué un grave désordre psychiatrique : divagations somatoformes vraisemblablement apparentées à de l'hystérie.

    Aussi l'avait-on enfermée ici parmi les déments. On l'avait électrocutée, immergée dans de l'eau glacée. En dépit de cela, ses troubles avaient persisté : les médecins évoquaient désormais la trépanation comme une fatalité.

    Elle ravala ses larmes. La tristesse n'avait plus cours ici, ni la rage. On y veillait.

    Dans le lit près du sien, un râle : Céleste délirait comme souvent, abrutie d'opium. Plus loin, Honorine émettait un borborygme incompréhensible, entre prières et imprécations. Un filet de bave luisait à la commissure de ses lèvres. Les deux autres pensionnaires du dortoir étaient déjà assoupies.

    Le soleil se couchait à peine que la perspective de l'insomnie à venir angoissait déjà Viviane. Ces derniers temps, elle ne dormait presque plus. Trop anxieuse, trop songeuse. Les yeux ouverts, elle rêvait. Malgré les barbituriques qui l'assommaient, elle fomentait des stratagèmes, imaginait d'épiques évasions. 

    La nuit tomba, étouffante de solitude. Sarcophage sombre où l'esprit s'enlise.

    Elle aurait aimé qu'une autre patiente l'accompagne dans l'éveil, que quelqu'un lui parle tout bas pour chasser l'absence et la peur ; la peur de finir ses jours ici. Mais elle était apparemment la seule que le chloral ne plongeait pas dans ce coma si semblable à la mort.

    Soudain, un cri. Elle se redressa, observa les lits alentour en quête de la malheureuse en proie au cauchemar : ses compagnes d'infortune dormaient toujours profondément. Sans-doute le hurlement provenait-il d'un autre dortoir. Elle l'avait pourtant cru tout proche. Peut-être les médicaments brouillaient-ils ses sens. 

    Une plainte sourde résonna dans la pièce trop vide. Puis des sanglots. Elle tendit l'oreille mais ne sut dire d'où naissaient les pleurs. 

    — Dormez-vous, mes amies ? se risqua-t-elle.

    Les sanglots s'interrompirent.

    — Qui pleure céans ? Allons ne craignez rien, vous pouvez vous confier à moi, ma chère.

    Nul ne répondit.

    — Parlez sans crainte ! intima-t-elle.

    Nouveau silence.

    En proie au doute, elle se tut. Avait-elle vraiment entendu quelqu'un pleurer ou la fatigue lui jouait-elle des tours ? Peut-être la pensionnaire préférait-elle cacher sa peine. 

    Elle s'allongea et enfouit la tête sous sa maigre couverture. Elle devait se reposer ou elle deviendrait folle. Pourtant, elle était saine d'esprit avant d'entrer ici. Elle en aurait juré.

    Le soleil se levait sur l'asile de Villebasse, dardant ses rayons rouges au travers des barreaux. Elle repoussa les draps rêches d'une main lasse. La tête lui tournait. Une fois de plus, elle n'était pas parvenue à trouver le sommeil.

    Elle entendit le bruit d'un loquet que l'on tirait. La porte battit à la volée et l'infirmier leur ordonna de se lever. Ici, les repas se prenaient en commun dans la grand-salle, le directeur y tenait. Selon lui, l'échange favorisait la guérison.

    Les jeunes femmes quittèrent leur couche sans mot-dire. Sauf Madeleine qui dormait encore. L'homme s'approcha du lit de la réfractaire et la secoua violemment. Celle-ci cria de surprise. Elle était pourtant coutumière de ces réveils forcés. Toutes ici les avaient connus. Si bien que les pensionnaires se levaient désormais dès l'aube malgré les cachets qui les engourdissaient.

    Les jeunes femmes suivirent sagement leur geôlier jusqu'au réfectoire. L'aile B était déjà comble. La maison comptait près de trois cents pensionnaires dont deux cents femmes. Toutes originaires de familles bourgeoises, toutes des fardeaux dont les parents ou les maris ne souhaitaient plus s'encombrer. Les hommes étaient détenus dans un autre pavillon. Bien qu'il y ait parmi eux quelques névrosés, rares étaient des dangers pour la société.

    Viviane trempa sa cuillère dans le bouillon clair. Encore cette soupe infâme qu'on leur servait matin, midi et soir ! Si leurs proches payaient cher pour qu'on les tienne captives, ni les repas ni la couche ne valaient le prix qu'on leur extorquait. Mais qu'auraient-ils pu en savoir ? Personne ne leur rendait visite. Une fois abandonné ici, on vous oubliait. Dissimulé aux yeux du monde tel un honteux secret.

    Viviane mordit dans son quignon de pain. Il était dur, comme d'habitude. Après deux ans de rétention, elle ne s'en étonnait plus. Cependant, elle n'avait jamais pu s'y accoutumer tout à fait. L'odeur des tartines sortant du four lui manquait, la croûte craquante... Elle rêvait d'enfouir à nouveau le nez dans la mie moelleuse et tiède avant de la recouvrir de miel. Ici, jamais de douceur. Pour quoi faire ? On ne donnait pas de confiture aux cochons.

    Elle observait la scène, comme étrangère, distante. A Villebasse tout semblait irréel, tout tenait du cauchemar.

    Partout des visages pâles, émaciés par la faim et les traitements. Des fantômes de femmes. Certaines, le crâne rasé, arboraient un trou rougeâtre sur le scalp. Celles-ci étaient déjà mortes au monde, vidées de leur âme, de leur être. La tête ballante, elles dodelinaient, hagardes. Sauvées d'elles-mêmes ou des autres, nul ne le savait. Bientôt ce troupeau blême compterait un autre mouton, une nouvelle trépanée. Les médecins n'avaient de cesse de le lui dire : si Viviane persistait à fabuler ses maux, elle subirait le même sort. Pourtant rien ne la calmait, pas même le bromure. A maintes reprises, elle avait tenté de convaincre le personnel de sa miraculeuse guérison. Plusieurs jours durant, elle serrait les dents mais la douleur finissait toujours par lui arracher un cri, un sursaut. Il suffisait d'un minuscule tressautement pour la trahir. Elle souffrait tellement, elle ne pouvait se contenir. Une fois, elle était parvenue à faire illusion toute une semaine mais l'une de ses compagnes de chambre l'avait dénoncée :

    — Viviane a encore crié cette nuit, avait-elle dit, atone. Elle crie souvent la nuit. Il faut bien prendre ses cachets pour ne pas crier.

    Viviane ne lui en voulait pas. Il y avait longtemps que Céleste n'avait plus conscience des autres. Elle s'était perdue en elle-même. Voilà cinq ans, elle avait enfanté un mort. A l'époque, elle allait sur ses vingt ans, c'était sa première grossesse. Son époux et la sage femme avaient mis plusieurs heures pour la convaincre de lâcher le nouveau-né. Après l'enterrement, elle s'était étiolée. Elle avait perdu le sourire et l'appétit. Elle errait dans la maison, les yeux vagues, inexpressifs. Passé six mois, elle n'avait toujours pas surmonté la mort de son fils. Souvent, elle refusait qu'on la touche, repoussant les assauts de son mari. Elle disait n'avoir pas le cœur à vivre, être lassée de tout. Rien ne l'enchantait jamais. Au bout d'un an, elle était devenue un calvaire pour son conjoint qui en fréquentait une autre. La faire interner était son seul moyen de convoler librement. Il n'avait pas hésité.

    Viviane réprima une plainte. Toujours cette douleur dans le cou. Elle retint à grand peine un mouvement vers sa nuque. Elle inclina la tête  pour tenter de détendre ses cervicales ; puis la tourna lentement de gauche à droite. Ses yeux rencontrèrent une scène devenue coutumière. Sophonisme, nouvelle pensionnaire, boudait son assiette comme tous les matins depuis son arrivée. Un homme en blouse blanche tentait de lui ouvrir les mâchoires de force pour y introduire une cuillerée de potage. La jeune femme cadavérique repoussa violemment la main et la nourriture. Le liquide brûlant se répandit sur les doigts du soignant. La paire de gifles s'abattit dans un claquement sur le visage anguleux. Sous la menace d'autres coups, Sophonisme ouvrit la bouche et avala un peu de soupe. Il valait mieux qu'elle accepte de manger. Le personnel de Villebasse n'était pas tendre avec celles qui s'y opposaient. Nombreuses étaient les femmes qu'on enfermait parce qu'elles ne s'alimentaient plus. Si elles refusaient toujours de se sustenter sous la contrainte, d'autres traitements leurs étaient réservés.

    Toute à ses pensées, Viviane laissa tomber son regard sur la chaise de contention au milieu de la pièce. Antoinette y était maintenue depuis trois jours ; le cou, le tronc et les membres attachés. Ses cuisses maigres étaient écartées, entrouvertes sur un trou percé dans le siège. La bassine au-dessous d'elle dégageait une odeur fétide et sa chemise était maculée d'excréments. Les soignants prenaient rarement la peine de vider son pot. Son tort ? Avoir mordu la main d'un infirmier qui tentait de lui faire ingérer un morceau de mou. Ainsi contrainte, elle ne pouvait plus se débattre lorsqu'on la forçait à manger.

    Au son de la cloche, les pensionnaires se levèrent. En file indienne, elles gagnèrent le chariot métallique derrière lequel s'affairait le préposé aux médicaments. Chacune d'entre elles se voyait remettre l'ordonnance prescrite par les médecins. Après quoi, elles pouvaient vaquer librement dans la salle. Viviane ingéra ses pilules avec un peu d'eau tiède. Maintes fois elle avait songé feindre de les avaler et les recracher ensuite, mais c'était impossible. Une main experte lui entrouvrit les lèvres, fouilla sa bouche. Elle réprima un haut-le-cœur quand les doigts soulevèrent sa langue pour vérifier que les cachets n'y étaient plus.

    Une fois satisfait, le soignant lui permit d'avancer. 

    Soudain, deux paires de bras la saisirent. On l'arracha au sol ; elle ne cria pas. Voilà longtemps qu'elle ne se débattait plus. Le bain surprise n'avait plus de surprise que le nom. Les premiers

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