Que répondez-vous, Professeur ?: Roman
Par Wanda Koméza
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À propos de ce livre électronique
Mais les réponses du professeur ne seront pas celles qu’elle espérait !
À PROPOS DE L'AUTEURE
D’origine polonaise, née en Gascogne, Wanda Koméza a enseigné dans le Gers et les Hautes-Pyrénées où elle réside actuellement en vallée des Gaves.
Passionnée par la lecture, elle a été inspirée par l'équilibre et l’élégance de la langue française.
Son amour pour la nature, sa recherche d’une solitude empreinte de contemplation l’ont guidée vers l’écriture de ses deux premiers récits : témoignages sur des sujets sensibles et douloureux.
Son intérêt curieux et bienveillant pour son prochain l’ont dirigée ensuite vers des thèmes plus légers et humoristiques.
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Aperçu du livre
Que répondez-vous, Professeur ? - Wanda Koméza
Du même auteur
« J’ai pas ma place » chez Mon Petit Editeur 2016
« La mémoire écrasée » chez L’Harmattan 2018
Dédicace
À ma mère Virginie
À Colette et Philippe
À Monique
Illustration de couverture : Wanda Koméza
- Dessins et croquis de Pierre Lafontaine et de Wanda Koméza
- Photo de Simone Beugin
« Nous nous pardonnons tout et rien aux autres hommes :
On se voit d’un autre œil qu’on ne voit son prochain. »
La besace
fable de Jean de La Fontaine
1e lettre
Hot Blonde
Cher Professeur Nicolarousse
C’est en cours de philosophie que je vous ai connu. J’étais une de vos étudiantes, une petite silhouette pâlotte et fade, dans la foule des autres étudiantes, vos admiratrices. Vous souvenez-vous de moi ? Je crains que non. Je n’ai jamais osé vous aborder ni tenter de vous interroger sur des questions de morale, de psychologie, sur des situations que j’ai vécues, laissant des traces ineffaçables dans mon mental.
Je sais que je vais vous lasser, vous faire bâiller d’indifférence, si j’essaie avec maladresse d’expliquer ce comportement timide et réservé qui m’empêche de parler, de m’exprimer face à toutes les personnes qui me côtoient. Celles qui longeaient les bancs de l’amphithéâtre, tout près de moi, sans me remarquer ni montrer ne fut-ce qu’un léger intérêt pour cette éternelle étudiante un peu transparente qui disparaissait, la dernière de la file des attardés, par la grande porte de l’amphithéâtre, tout là-haut, au sommet des gradins.
Cher Professeur, vous auriez simplement levé la tête, en rajustant vos binocles, vers le haut de cet alignement de banquettes et vous m’auriez aperçue… moi, la fade et pâlotte silhouette quittant l’amphithéâtre à reculons pour mieux encore profiter de votre présence et de votre immense sagesse que je vous envie et qui ne m’a pas été accordée par le Grand Esprit à ma naissance.
C’est en cours de philosophie que je vous ai connu, estimé, jamais oublié. Voilà pourquoi aujourd’hui, je tente de me rappeler à votre souvenir afin que vous me veniez en aide. Vos cours de philosophie, vos paroles de sagesse sont demeurés imprimés fortement dans mes pages de copies, écrites à la hâte, en abrégé, pour n’en rien oublier. Leçons de sagesse que j’ai lues et relues, étant bien décidée à les appliquer dans tous les instants de ma vie quotidienne. Hélas ! C’est loin de ma mémoire qu’elles se sont échappées, vos leçons ! Sans pouvoir les ramener à moi, juste au moment où la situation l’aurait exigé. Situation ? Ce mot, cher Professeur, va vous intriguer, je l’espère et m’apporter un peu d’intérêt enfin, car, à la lecture de ce récit, vous allez éprouver de la curiosité, sentiment qui vous encouragera à lire ma lettre jusqu’au dernier mot.
Voici la situation que j’ai vécue, qui m’a surprise et choquée. Bien faibles mots pour exprimer mes sentiments éprouvés à ces moments-là.
Un matin de décembre, proche des fêtes de fin d’année, je suis allée rendre visite à mon amie, secrétaire de mairie de ma commune : Vaudeville. Ma grande amie ! Très blonde, mince, taille mannequin, toujours en mouvement, virevoltant sur ses sandales bariolées à très hauts talons. Et c’est pourquoi je la surnommais avec admiration : Hot Blonde. Hot ? Et non pas haute ? C’est que… elle était très douée en informatique et ne cessait de me clouer le bec, avec ses bavardages, ponctués de mots extraits de son ordi : des mails, des gmails, des hotmails, dont je ne saisissais pas immédiatement la signification. Mais j’oublie le mot Blonde dans ce surnom : c’est, bien sûr, vous le devinez, parce qu’elle était très blonde, magnifiquement blonde. Je clignais parfois des yeux en la contemplant, bouche bée !
Donc, je venais, ce jour-là, lui offrir mes vœux de longue amitié, de multiples joies et réussites : réussites surtout, car elle se perfectionnait en anglais grâce à une méthode dont elle avait relevé l’adresse sur Internet. J’ai frappé à la porte de son bureau et je suis entrée aussitôt, mon cadeau dans les bras : le poinsettia de Noël ! Rouge et vert, aux couleurs de la fête, tout ligoté par une multitude de guirlandes argentées, car je savais qu’elle appréciait particulièrement « tout ce qui brille », comme moi, cher Professeur, parce que vous avez certainement ignoré mon habillement piqueté de paillettes et de bijoux… que je recouvre de mes longs gilets !
J’ai offert cette plante à mon amie Hot Blonde, le poinsettia de Noël, déposant dans ses bras ce large enroulement de papier transparent qui me cachait le visage. Elle m’a reconnue tout de même et s’est exclamée bruyamment, bouche rose et bien ouverte :
« Quelle surprise ! Je ne t’attendais pas ! Tu ne devais pas venir aujourd’hui ! »
D’une petite voix, je lui ai répondu :
« C’est alors une surprise ! Tiens, c’est pour toi ! Bonnes fêtes ! »
Et c’est ainsi que la plante verte s’est calée lourdement entre son ordinateur et toute une pile de chemises en couleurs, aussi colorées que ses hautes sandales. J’ai craint un débordement d’enthousiasme, mais non, elle a simplement saisi la boîte de mouchoirs en papier afin d’éponger l’écoulement d’eau d’arrosage qui débordait directement vers son ordinateur.
J’ai présenté de légères excuses tout en essuyant, avec délicatesse, la bordure de la pile de dossiers. Ensuite, nous avons bavardé en échangeant nos emplois du temps de la semaine passée, ainsi que ceux de la semaine à venir, celle des fêtes de fin d’année. J’ai surtout écouté toutes les paroles excitées, interminables de mon amie Hot Blonde qui s’était levée et s’agitait autour de son bureau.
J’étais venue pour lui apporter ce cadeau, mais aussi pour lui proposer… une lecture, la lecture de mes pages d’écriture. Il faut que je vous avoue, cher Professeur, que j’écris depuis toujours mon journal intime. Cela ne vous étonnera pas, vous deviez vous attendre à cette confidence de ma part, tout à fait banale et… prévisible ! Je vous entends vous exclamer : « Elle aussi ! » Mais je continue mon propos car vous allez bientôt manquer de patience et je n’aurai pas le temps de tout vous expliquer. Une lecture que je voulais proposer à mon amie : dans un petit cahier bleu brillant, pas très épais, d’une trentaine de pages écrites à la main qui contenaient des cartes postales de beaux paysages, collées au hasard sur des feuilles blanches.
C’est ce petit cahier bleu que j’allais lui offrir ; j’y tenais beaucoup car nous en avions parlé lorsqu’elle me questionnait sur mon passé. Mon comportement réservé, discret, mon attitude modeste l’intriguaient, en contraste avec la profusion de paillettes piquées fièrement sur mes tricots. Ce cahier bleu, je l’ai sorti de mon grand sac à main, protégé dans son enveloppe marron en kraft, où j’avais inscrit juste mon prénom au crayon gris.
Mon prénom ? Mais je m’aperçois, en vous écrivant, que je ne me suis pas nommée ! Bien sûr, je vais signer cette lettre, mais j’imagine que vous, cher Professeur, vous n’avez pas encore éprouvé la curiosité de tourner ces pages et de découvrir qui est la personne, cette étudiante, pâlotte et discrète qui a signé ce long monologue ! Mon prénom ne vous évoquera aucun souvenir, car mes copines étudiantes, il y en avait bien quelques-unes, ne m’appelaient que par un surnom, très court, qui me représentait telle que j’étais véritablement pour elles, surnom dont je n’étais pas très fière !
Ce cahier bleu, je l’ai présenté à mon amie Hot Blonde qui s’était approchée d’une fenêtre de son bureau et ne cessait de parler, son tout petit nez sur la vitre. Je ne l’écoutais plus, les oreilles bourdonnantes et les mains serrées sur l’enveloppe marron. Je me tenais debout, droite et raide derrière elle. J’attendais qu’elle se retourne ou que quelqu’un, du dehors, vienne refermer brutalement les deux volets de bois de cette fenêtre, afin qu’elle se rappelle enfin ma présence dans son dos. C’est ce qu’elle a fait, bien que personne ne lui ait bouché le paysage de la fenêtre !
« Ah ! T’es là ? Il faut que je termine ce rapport sur les travaux de voirie. »
Elle allait retourner s’asseoir à son bureau, mais j’ai eu l’audace de lui barrer le chemin :
« Tiens, voilà le cahier que je t’avais promis. Si tu peux le lire et m’en parler ? Je sais bien que tu n’auras pas le temps pendant ces fêtes, mais la semaine d’après, comme tu m’as dit prolonger ton congé, peut-être tu prendras le temps à ce moment-là. Tu sais, ce n’est pas très long à lire, mais pour moi, c’est important… de savoir ce que tu en penses, de connaître tes commentaires, tes critiques aussi. Tu es la première personne à qui je le présente. Je suis un peu honteuse de déballer ainsi mes sentiments, mes pensées intimes sur… une période de ma vie, mais je tiens beaucoup à te confier ce cahier. »
C’est alors que Hot Blonde a baissé la tête, saisissant nerveusement l’enveloppe ; elle l’a ouverte, en a dégagé le cahier bleu brillant :
« Oh ! Quelle jolie couleur ! C’est le bleu que je préfère, mais pas si brillant ! Tu as collé des paillettes ? Bien sûr, c’est bientôt Noël, c’est tout indiqué ! Ça sera pratique à lire ! Je le déposerai au pied du sapin, non, tu ne crois pas ? »
Une pointe d’étoile s’est soudain plantée dans ma tête !
« Mais non, je plaisante ! Je vais le conserver sur ma table de nuit, personne n’y touchera ! Même pas mon chat ! »
Je n’ai pu que rire avec elle et m’extasier d’admiration devant le splendide sac de courses qu’elle venait de se payer pour les fêtes. C’est dans ce sac qu’elle a fourré avec vigueur mon cahier dans son enveloppe. Rien que de très normal, n’est-ce pas, cher Professeur ? Pas de quoi en écrire autant de pages ! Mais attendez la suite ! Les jours de fête se sont succédé joyeusement, chantés et bénis dans l’église du Sacré-Cœur de Vaudeville, par une nuit de neige inattendue et bienvenue. Mon amie et moi nous ne nous sommes pas revues de toute la semaine mais j’ai reçu son coup de fil le deuxième jour de l’année nouvelle.
Quelle année ? Je n’ose pas vous révéler laquelle, car, déjà, vous vous moquez de moi et me traitez de rancunière tenace ! Ce qui est sûrement le cas. Mais ce jour-là, le deuxième de l’année nouvelle donc, mon amie Hot Blonde m’a appelée pour me souhaiter toutes les bonnes choses que je désirais… sans les nommer avec précision. Ce fut un long bavardage énumérant chaque heure de son bien-être vécu auprès de sa nombreuse famille, venue de très loin profiter du grand confort de sa maison et de son excellente cuisine. J’attendais patiemment qu’elle me questionne sur les innombrables flûtes débordant de champagne que j’avais savourées tout au long des soirées de fêtes ! Ainsi que sur les alignements de petites bûches parfumées à la vanille que mon compagnon Grand Futé achetait bien fraîches chaque jour ! Je n’eus pas l’occasion de les énumérer toutes, pour ne pas dire… aucune !
« Et toi, comment vas-tu ? »
Question soudaine, lancée joyeusement vers ma personne. Elle s’intéressa à ma santé, juste après avoir décrit longuement, avec précision, tous les maux de tête et d’estomac qu’elle avait subis au lendemain de la fête de Noël. Je n’avais aucune envie de la plaindre, car je n’espérais qu’un petit silence au bout du fil qui me permettrait de poser ma question, cette question essentielle au sujet de mes pages… bleues.
« Et toi, comment vas-tu ? » a-t-elle répété, polie, légèrement impatiente. J’ai saisi l’occasion :
« Comment je vais ? Très bien, merci. Cette année, j’ai pris la résolution de continuer à écrire, peut-être des romans. Au fait, tu as pu… trouver du temps pour lire le petit cahier, tu sais, ces pages que je t’ai confiées, il y a… ? »
Elle m’a coupé la parole en s’exclamant de surprise :
« Mais oui, je m’en souviens de ce cahier bleu ! Il est resté dans ma table de nuit, je crois bien qu’il y est toujours parce que… oui, je l’ai feuilleté, j’ai lu quelques pages, c’est bien écrit. Mais je n’ai pas pu tout lire à cause de l’agitation de ma famille autour de moi ! Ne t’inquiète pas, je vais le reprendre, pas de souci, j’ai un peu de temps pour moi cette semaine. Et puis, j’ai bien vu toutes ces cartes que tu as collées un peu partout, ça fera moins de pages à lire, ça ira plus vite ! Je n’en aurai pas pour longtemps, je te promets ! »
Choc dans ma tête ! Là, ce n’était plus une piqûre d’étoile, c’était la masse de toutes ces cartes postales qui s’enfonçaient, moqueuses, dans mes cheveux à bouclettes. Il ne me restait plus qu’à les récupérer toutes et à les recoller vite fait dans mon petit cahier tout dénudé.
Vous riez, cher Professeur ? J’imagine votre sourire ironique mais je n’entends pas encore vos réflexions, dans l’ignorance de votre réponse à ma lettre. Cela viendra, je l’espère car je suis obligée de continuer à écrire… la suite de mon propos, dans l’attente du retour espéré de mon cahier bleu.
Il m’est revenu, pas tout de suite dans la semaine, mais bien plus tard, à