La place du hasard
Dès qu’il était entré dans le café Lucarnes, en fin d’après-midi, Faustine l’avait remarqué. D’abord parce qu’il était seul. Or, cette heure-là était plutôt celle des groupes qui sortaient du bureau et venaient partager un rapide apéro. Ensuite parce qu’il valait la peine de lâcher, quelques secondes, son livre des yeux pour apprécier, sur le plan purement esthétique, sa crinière brune en liberté et sa barbe de trois jours nonchalamment entretenue. Enfin parce que, à peine grimpé sur le tabouret de bar, il avait entamé avec la barmaid un petit jeu de séduction qui avait l’air de porter ses fruits puisque cette dernière riait – et son rire ne paraissait pas seulement « commerçant ».
Faustine aimait fréquenter ce café un peu bobo : sa clientèle, assez discrète et civilisée, lui permettait de se retirer dans son monde une petite demi-heure, parfois plus, devant un thé aux fruits, en compagnie le plus souvent d’un roman. Et aussi, parce que, ici, personne ne la regardait comme une extraterrestre. Ça, c’étaient les raisons officielles qu’elle se donnait.
Officieusement, le café était l’endroit que lui avait fait connaître Victorien quelques mois auparavant. Un lieu refuge qui lui permettait de garder un lien, même ténu, avec celui qu’elle nommait encore peu de temps auparavant, son «fiancé». Terme désuet, certes, mais tellement rassurant. Elle n’avait pas conservé de vêtement de lui avec son odeur, alors elle tenait à ce rendez-vous nostalgique dans l’établissement. Et se traiter elle-même de gamine sans volonté ne servait pas à grand-chose…
– Je peux m’asseoir ? Bonsoir…
Le regard de Faustine, revenu à son bouquin, repassa par-dessus la page pour découvrir l’homme ébouriffé assis sur la chaise face à elle. Elle plissa les yeux :
– On se connaît ? demanda-t-elle en cherchant dans sa mémoire. – Pas encore. Mais si vous m’en donnez la chance, cela peut s’arranger… Faustine sourit. Il jouait franc jeu. Le plan drague bille en tête. La barmaid devait être trop occupée, alors il l’avait repérée, elle, proie facile derrière son livre. Elle hésita une seconde sur
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