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La onzième carcasse: Mystères à la morgue de Limoges
La onzième carcasse: Mystères à la morgue de Limoges
La onzième carcasse: Mystères à la morgue de Limoges
Livre électronique269 pages3 heures

La onzième carcasse: Mystères à la morgue de Limoges

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À propos de ce livre électronique

Pour résoudre cette enquête, le commissaire Dumontel devra déterrer quelques secrets de famille...

Des corps disparaissent à la morgue... Une fillette disparaît dans un parc.
Cinq jours de canicule torride.
Cinq jours durant lesquels l’inspecteur Dumontel et son équipe sont sur la brèche.
Cinq jours d’immersion dans les entrailles d’une famille pas tout à fait comme les autres.

Ce 7e opus de la série des « Dumontel » se déguste sans modération. Pour les amateurs de page-turners !

EXTRAIT

André Sergent comptait ces putains de carcasses de porc, alors qu’il était coincé par le livreur de bidoche, et que ses potes l’attendaient au boulodrome du Moulin Pinard en bordure de la zone nord de Limoges.
8, 9, 10... La onzième carcasse était différente des autres. Il recompta. La onzième... Ce n’était pas un porc.
Il ouvrit bien grand ses yeux. C’était bien le corps d’un homme qui était pendu à un crochet.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Un polar parfaitement rythmé et calibré , où les personnages sont dépeints sans artifice et les histoires qui le composent sont totalement crédibles et savent conserver le lecteur en haleine jusqu'à la fin. - Stonerandmore, Babelio

Immédiatement nous sommes en terre connue. Dès le frémissement des pages on reconnaît le style et la patte de Franck Linol, en permanence en grand écart entre enquête et exploration permanente des personnages. Les enquêtes du commissaire Dumontel sont des voyages en sociologie. - Sébastien Vidal, Le souffle des mots

À PROPOS DE L'AUTEUR

Franck Linol est né à Limoges où il est aujourd’hui enseignant et formateur à l’IUFM. Grand amateur de romans policiers, il apprécie tout particulièrement les atmosphères d’Henning Mankell et l’expression du sentiment tragique de la vie chez Jean-Claude Izzo. Il avoue un réel attachement pour l’œuvre de René Frégni. Il s’est lancé dans l’écriture pour simplement raconter des histoires, mais aussi pour témoigner des dérives d’une société devenue dangereuse pour la liberté de chacun.
LangueFrançais
Date de sortie6 déc. 2017
ISBN9782367469881
La onzième carcasse: Mystères à la morgue de Limoges

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    Aperçu du livre

    La onzième carcasse - Franck Linol

    I

    Le docteur Cartinaud était médecin légiste depuis bientôt trente ans. Il était chef de service de médecine légale au CHU de Limoges. Il avait sous ses ordres deux autres toubibs, deux infirmières, trois secrétaires et deux psychologues. Il donnait également des cours à la faculté de médecine.

    Cartinaud témoignait régulièrement en tant qu’expert auprès des tribunaux. Depuis longtemps il ne s’occupait plus des accidents, des coups et blessures, des affaires de mœurs ou des évaluations de séquelles. Cartinaud était la star des scènes de crime, le roi des autopsies. Lui seul savait faire parler les morts.

    Ce matin-là, il recevait dans son bureau une jeune journaliste de Marie-Claire, venue de Paris faire une interview sur le métier de « médecin des morts ».

    Rémy Cartinaud avait sorti sa cravate la plus excentrique pour la circonstance. Une Moschino en soie noire avec New York vu du ciel, la nuit. À soixante-quatre ans, le toubib n’avait pas encore dit son dernier mot avec les jeunes femmes.

    — Puis-je vous offrir un café ? demanda-t-il en minaudant.

    — Volontiers, professeur… alors, dites-moi, comment faites-vous avec la mort ?

    La femme, charmante, portait une minijupe ajustée noire qui galbait ses formes. Cartinaud, qui reluquait ses cuisses, pensa qu’il l’aurait bien autopsiée.

    — Ah ! Vaste question, mademoiselle…

    — Mélissa…

    — Beau prénom ! La mort est devenue mon amie ! Oui, j’ai mis des années à l’apprivoiser comme un dompteur avec une bête féroce. Vous savez, je ne sais pas si les gens ont peur de la mort, ils ont surtout peur de vieillir. Les jeunes légistes qui ouvrent leurs premiers cadavres, outre l’odeur, ne supportent pas de projeter quelque chose d’eux sur les macchabées. Ils n’arrivent pas à prendre de la distance. Moi, quand je rentre chez moi, je ne repense jamais à mes morts.

    — Même la nuit ?

    — La nuit, je dors, Mélissa, et je ne rêve jamais. Vous savez, au xixe siècle, la visite de la morgue faisait partie des distractions du bon peuple. Hommes, femmes, enfants, tout le monde s’y rendait le dimanche. C’était même le lieu le plus visité de Paris. Les cadavres, nus, rafraîchis par un filet d’eau, étaient exposés dans une salle séparée du public par une cloison de verre. En 1876, écoutez bien, Mélissa, on avait découvert, dans la Seine, le corps d’une femme dépecée et coupée en deux morceaux. Le spectacle a fait 70 000 entrées !!!

    Mélissa ne frimait plus. Elle mordillait ses lèvres et restait figée sur son siège.

    — Et combien un légiste pratique-t-il d’autopsies chaque année ?

    — Le département de médecine légale de Montpellier s’occupe de près de quatre cents autopsies. Mon collègue en pratique lui-même une petite centaine… Mais ici, en Limousin, c’est quatre fois moins. Vous savez, Mélissa, dans notre région, on meurt et on est enterré ou incinéré. Il y a peu de morts suspectes. Sauf dans les polars régionaux…

    Cartinaud lâcha un petit rire narquois. Une secrétaire apporta les cafés.

    — Merci. Et… est-ce un métier fatigant ? dit-elle pour respirer un peu.

    Melissa posait des questions puériles et Cartinaud commençait à s’ennuyer. La journaliste s’en rendit compte et croisa lentement ses jambes.

    — Oui, c’est un métier fatigant. J’ai mal au dos. Ma trousse pèse douze kilos !

    — Et qu’emportez-vous dans votre trousse ?

    Cartinaud n’eut plus du tout envie de mater les cuisses de la gazelle. Elle avait fait le déplacement de Paris pour savoir ce qu’un légiste transportait dans sa trousse ! Il regardait ce visage trop maquillé en essayant d’entrevoir une once de subtilité. Non, Melissa était à l’image du modèle de la femme que donnait son magazine féminin : image superficielle d’une personne qui aurait des capacités intellectuelles limitées, réduite à un rôle d’objet et de fée du logis.

    — Un appareil photo, mon dictaphone, un bloc-notes, des gants, des masques… mais le plus dur est de manipuler les cadavres, les retourner, les changer de position et les glisser dans la housse. Un jour, j’ai dû dépendre un malheureux de 90 kilos ! Et puis, les bistouris, les scies, les pinces, les écarteurs… ouvrir de la gorge au pubis, sortir tous les organes un par un, les examiner, les remettre, recoudre, oui, c’est fatigant ! Au fait, Mélissa ! J’y pense… je dois faire une autopsie… je vous amène !

    Cartinaud avait dit ça avec le ton et la gueule d’un tueur en série.

    — Là ? Maintenant ?

    Mélissa avait pâli et commençait à ranger son carnet.

    — Oui, l’autopsie, c’est maintenant !

    — Euh… je ne sais pas – elle regarda sa montre – mon train pour Paris… je vais vous laisser travailler, professeur.

    Cartinaud raccompagna la jeune journaliste en se demandant à quoi ressemblerait son article qui serait coincé entre des conseils pour la drague, du luxe inaccessible, du shopping parisien et de la mode « importable ».

    Son téléphone sonna.

    — Professeur, il y a un problème.

    — Ah ? Quel problème ?

    — Venez, je vous attends à la morgue. Cartinaud enfila sa blouse blanche, réajusta son nœud de cravate et se dirigea vers le frigo.

    C’était le docteur Prélat qui venait de raccrocher. Le jeune légiste avait merdé sur toute la ligne il y avait maintenant deux ans. Une affaire étrange : on avait découvert des jeunes femmes mortes habillées d’une robe de mariée, allongées au pied de monuments aux morts¹… Mais Prélat, depuis, avait beaucoup appris, et il savait se montrer très perspicace. Cartinaud, désormais, arrivait à lui faire totalement confiance.

    Cartinaud déboula dans la salle.

    Prélat et un assistant se trouvaient devant une rangée de compartiments funéraires.

    — Bonjour, alors, votre problème ? s’exclama Cartinaud en traversant la salle à petits pas de passereau.

    Prélat sortit une main de la poche de sa blouse, attrapa la poignée du tiroir réfrigéré et le fit glisser vers eux comme un pharmacien qui cherche un médicament. Les yeux du jeune légiste observaient la réaction de Cartinaud.

    — Et alors ? Le caisson est vide !!!

    — C’est bien le problème… dit Prélat.

    — Écoutez, mon ami, cessez de jouer aux devinettes et venez-en aux faits.

    L’assistant se tenait en retrait. Il craignait les colères du professeur et, là, il sentait la tension croître.

    — Vous vous souvenez de ce jeune type qui avait été percuté par une voiture, en pleine nuit, sur le boulevard ? demanda Prélat.

    — Non !

    — Vous m’aviez confié l’autopsie. Traumatisme crânien. Mort sur le coup. Cela faisait trois mois qu’il était là. Personne n’avait réclamé le corps. Et, ce matin, j’ai eu au téléphone une femme qui habite Tours. Elle prétend être la tante du défunt. Elle aurait appris seulement hier la mort de son neveu. Elle est sa seule famille… elle veut récupérer le corps pour des obsèques dignes… elle envisage une crémation.

    Prélat semblait se tenir au garde-à-vous à côté du caisson vide. Il fixait Cartinaud. Celui-ci venait de digérer l’information. Il pencha sa courte silhouette au-dessus de la cellule funéraire pour mieux vérifier si sa conclusion était correcte. Seule une buée froide montait des entrailles du cercueil congelé et tournoyait tel un « périsprit » satisfait de retrouver sa liberté.

    — Où est le corps ? éructa Cartinaud.

    — C’est précisément le problème. Quand la femme a raccroché, j’ai appelé Hubert et nous sommes venus pour voir l’état du corps. Caisson n° 32… Le corps a disparu, professeur.

    — Impossible ! Il s’agit d’une erreur !

    — Nous avons tout vérifié, professeur… il n’y a pas d’erreur.

    Hubert, l’assistant, avait osé lâcher ces mots.

    — Impossible ! J’ai tout vu dans les morgues, tout ! Lors d’un congrès à Montréal, on m’a raconté qu’un urologue s’était introduit dans une salle mortuaire pour prélever du sperme sur un cadavre à la demande de sa femme, la veuve. Pas loin d’ici, il y avait des magouilles pour « orienter » les corps vers des thanatopracteurs. Les employés barbouillaient de marc de café les lèvres et le visage des morts pour donner l’illusion de sang séché. Hubert ! Vous n’avez jamais fait ça, vous !!

    — Euh… Bien sûr que non, professeur.

    — Le pire, Prélat, un type s’est réveillé dans un de ces caissons. Il hurlait dans son sac ! On l’a retrouvé déshydraté. Mort d’une crise cardiaque… enfin, c’est ce qu’on avait cru. Il faut toujours être humble avec la mort. Toujours. Mais, là… un mort qui disparaît…

    — La tante du jeune homme arrive demain, murmura Prélat.

    — Merde !

    Cartinaud fit demi-tour, l’esprit chamboulé. C’était la première fois qu’il laissait un macchabée prendre la tangente.

    Il décida de téléphoner au commissaire divisionnaire Mangeard.


    1. Voir Lune de miel à la morgue, 2013.

    II

    Quarante flics. Pas un de moins. Pour cette affaire, on avait rassemblé des policiers parisiens (de l’Office central de la répression de la traite des êtres humains), des bordelais (de la Direction régionale de la police judiciaire) et des limougeauds commandés par le capitaine Maillet. Une femme supervisait l’opération, une juge spécialisée de Bordeaux. Un plan mûrement réfléchi.

    Le gouvernement socialiste venait de faire voter une loi destinée à lutter contre le « système prostitutionnel ». Les dispositions étaient nombreuses et plutôt incohérentes. D’abord, une amende de 1 500 euros était prévue à l’encontre des clients. Pour la première fois dans une démocratie, l’État légiférait en matière de sexualité. Ensuite, on organiserait des « stages » de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels. Très drôle. Qui seraient les « formateurs » ? Le délit de racolage était abrogé. Donc, les putes pourraient racoler en toute légalité, mais les clients seraient poursuivis… Allez comprendre ! Enfin, on créait un fonds pour la prévention de la prostitution. Pour construire des routes ? Oui, pour que les prostituées continuent à faire leur job… La loi avait engendré une violente polémique dans le pays. Des putes de la ville se déclaraient scandalisées. « Les conditions de travail des femmes dans certaines entreprises pourraient relever de la traite des êtres humains ! Je préfère être pute que caissière de supermarché ! » L’association AIDES envisageait d’organiser des manifs contre cette loi stupide et puritaine. La presse locale avait enquêté et des prostituées historiques déclaraient avoir reçu des élus, des chefs d’entreprise et des hauts responsables de la ville. La rue Baudelaire, fief légendaire du marché du sexe à Limoges, était devenue une rue habitée par les bobos. En revanche, depuis plusieurs années, les mafias des pays de l’Est avaient investi la ville, jusqu’à coloniser certains quartiers populaires. Limoges n’était plus une ville tranquille. Chicago in Limousin, oui, certainement. Quelques semaines plus tôt, on jugeait au tribunal correctionnel des caïds albanais qui, dans les rues calmes de Limoges, réglaient leurs comptes à coups de mitraillette, de carabine et de pistolet semi-automatique. Remake du film Taken

    C’est quelques jours après le vote de la loi que ce coup de filet avait été programmé. Comme si les flics avaient voulu montrer quelle était la vraie réalité de la prostitution dans le pays : des filières mafieuses, très dangereuses, armées jusqu’aux dents – des proxénètes bulgares et turcs – qu’il fallait combattre sans ménagement. C’était en tout cas l’avis du capitaine Maillet.

    Le matin, 5 h 45. Les flics étaient en position dans plusieurs points stratégiques de la ville. Dans chaque voiture on attendait les ordres, l’heure « H ». On approchait de l’heure légale pour une intervention à domicile : 6 heures du matin. Les policiers étaient à cran.

    — Dumontel n’est pas là ? demanda le lieutenant Mandon en suçant un bonbon au réglisse.

    — Non, tu sais bien qu’il ne supporte pas de bosser avec les cow-boys parisiens ! Officiellement, il a pris sa journée, répondit Maillet. Et arrête de sucer ta pastille, ça me porte sur les nerfs !

    — Ah bon ? Dommage. J’aurais bien voulu le voir dans un coup comme ça !

    Mandon continua à suçoter sa friandise comme s’il n’avait rien entendu.

    — Tu aurais vu quoi ? Il aurait été à l’arrière, avec les chefs, à superviser, comme ils disent ! Déjà qu’il ne veut pas que ses potes l’appellent « commissaire » !

    Six voitures banalisées étaient stationnées dans une petite rue du quartier Carnot. Dans l’Opel grise, Maillet était au volant. Mandon et Maury, les inséparables, étaient assis à l’arrière. Sur le siège passager, un nouveau lieutenant, une femme, prénommée Gisèle, mutée à Limoges depuis quelques jours seulement. Une femme du genre Balasko dans le film Gazon maudit.

    — Qui c’est, Dumontel ? demanda la nouvelle.

    D’abord, il y eut un drôle de silence. Maillet jeta un œil dans le rétro. Il vit la gueule interdite de Maury et Mandon. Puis un éclat de rire tonitruant.

    — Gisèle ! T’as jamais entendu parler de l’inspecteur Dumontel ? dit Maillet en reprenant son souffle.

    — Ben non, pourquoi ?

    — Mais c’est comme si un curé n’avait jamais entendu parler du pape François !!!

    Les trois flics limougeauds se remirent à rire.

    La radio de bord grésilla.

    — Appel à toutes les voitures. H moins une minute. Tenez-vous prêts.

    — Merde, arrêtez de déconner, les gars, concentrez-vous, ça risque chier ! dit Maillet.

    Les flics avaient revêtu leur gilet pare-balles en Kevlar. Cinq kilos à porter.

    — En position ! Et sur la pointe des pieds ! ordonna la voix qui sortait de la radio.

    Le ciel matinal commençait à se parer de moirures roses. Les quatre flics sortirent de l’Opel, refermèrent les portières comme s’ils ne voulaient pas réveiller un nourrisson. D’autres flics longeaient la ruelle. Chacun savait ce qu’il avait à faire. L’équipe du capitaine Maillet devait pénétrer dans l’immeuble et s’assurer que toutes les issues seraient gardées. D’autres policiers étaient postés dans les rues alentour. Mais les quatre cow-boys parisiens étaient chargés de réaliser l’interpellation des proxénètes turcs. Au même moment, à la seconde près, d’autres équipes s’apprêtaient à foncer plus haut avenue du Général-Leclerc et dans une rue qui donnait sur le Champ-de-Juillet.

    L’immeuble était vieillot. La porte d’entrée couina. Un hall minuscule avec des boîtes aux lettres ancestrales qui dégueulaient des journaux gratuits. Une odeur écœurante de moisi. En face, un escalier en bois. Les flics de Paris s’y engagèrent avec assurance. Tout alla très vite. On entendit un bruit fracassant. Puis des cris, des ordres, un branle-bas. Deux hommes, barbe noire de trois jours, jean élimé et tee-shirt à l’effigie du drapeau de la Turquie, sortirent menottés et furent aussitôt escortés à l’intérieur d’un véhicule de police. Immédiatement, deux maîtres-chiens montèrent avec leurs malinois. Des chiens spécialement dressés pour repérer des billets de banque.

    Le coup de filet avait été un succès. Au total, dix souteneurs – des chefs de réseau – furent mis en garde à vue pour quatre-vingt-seize heures.

    Dumontel se leva tard ce jour-là. Il avait encore un putain de mal de dos. Profitant de sa journée de repos, il avait pris rendez-vous avec un ostéopathe. Il ne se souvenait plus de l’heure exacte. Il faudrait qu’il retrouve la carte de la secrétaire médicale.

    Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas traîné un matin. Il fit chauffer de l’eau pour avaler un thé. Puis il alluma son ordinateur et se mit à surfer sur Internet pour trouver une voiture plus récente. Sa bonne Golf accusait les 160 000 kilomètres. Il fallait qu’il s’en sépare avant d’avoir à payer des réparations coûteuses. Il se leva, versa l’eau bouillante dans un mug, y déposa un sachet de thé, un sucre, et se dirigea vers la baie vitrée. Elle était là, en bas, la Golf noire. Bien sage. Le flic regarda sa voiture en sirotant son Earl Grey. Trop chaud. Avec une petite cuiller, il remua le liquide presque noir.

    Il avait toujours aimé les bagnoles. Quand il avait eu son permis B, à la deuxième tentative, une tante lui avait offert sa 2 CV Citroën. Une AZL de 12 CV réels qui fonçait à 70 km/h. « Quatre roues sous un parapluie », avait été le slogan publicitaire à l’époque. Mais vite, le jeune Dumontel en avait eu assez de cette sensation de devoir pédaler dans les côtes. Il acheta une Mini Cooper S d’occasion à un particulier. Rouge avec un toit noir. Immédiatement, il fit installer des élargisseurs de voies et un pot d’échappement sport en kit. Quelques stickers de marques d’huile ou de carburant. La voiture rallye était prête. Lors de son premier voyage, il se rendit compte que la troisième décrochait quand il rétrogradait, surtout à 6 000 tours/minute. Et, dans les virages, il se retrouvait au point mort…

    Le diagnostic fut rude : pignons de la boîte de vitesses à changer. Le moteur de la Mini fut hissé par un palan à chaîne puis désossé. Dumontel passait tous les jours pour prendre des nouvelles, comme on le ferait pour un proche dans le coma. Mais les Anglais n’expédiaient pas les pièces. C’est ce que prétendait le garagiste qui avait eu la bonté de lui prêter une vieille Ford Vendôme pourrie. Puis il finit par ne passer qu’une fois par semaine. Voir la Mini le ventre ouvert lui tirait les larmes.

    À la fin, au bout d’environ deux mois, il vendit au garagiste la Mini en l’état pour une bouchée de pain. Il repensait souvent à la dernière fois où il l’avait vue, au fond d’un garage crasseux, abandonnée comme une épave. Un déchirement. Et un sentiment de honte de l’avoir larguée.

    Il aimait les bagnoles, les belles, celles sur lesquelles on se retourne pour admirer la silhouette. Celles qui ont du sex-appeal, et pas ces cafards sur roues dont on dit que « pour se déplacer, ça va bien comme ça ! » La vie est assez laide, pas la peine d’en rajouter. On peut aimer les voitures comme on aime une œuvre d’art. Certains sont épris des carrés répétitifs de Mondrian, d’autres du design pur et élégant d’une « Jag » type E qui flemmarde sur une nationale sinueuse, au crépuscule, lorsque le soleil caresse le capot. Sensualité garantie. Quant à la bagnole, « symbole phallique et attribut de la puissance mâle », Dumontel

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