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Les Indomptables: Edmond et Marie Michelet
Les Indomptables: Edmond et Marie Michelet
Les Indomptables: Edmond et Marie Michelet
Livre électronique286 pages3 heures

Les Indomptables: Edmond et Marie Michelet

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À propos de ce livre électronique

Basée sur des témoignages provenant de survivants qui ont fréquenté Edmond Michelet, Les indomptables, Edmond et Marie Michelet, biographie romancée, retrace le parcours du « premier résistant de France » aux heures sombres de la guerre. Entrepreneur chrétien et patriote convaincu, disciple de Mounier, Edmond Michelet se montre soucieux d’économiser le sang des hommes et de vaincre par les valeurs autant que par les armes. C’est une terre enflammée que celle du grand maquis corrézien où l’amitié, la ténacité et la dignité forment le ciment d’une farouche opposition au nazisme. Les cas de conscience, les débats, internes ou non, les choix sont évoqués avec beaucoup de cœur, tout comme les références culturelles et littéraires de Michelet, de Péguy à Mounier.
L’histoire de la résistance d’Edmond Michelet est aussi celle du couple merveilleux qu’il formait avec son épouse, Marie. En dépit des épreuves sévères infligées à ce couple, l’amour qui régnait entre eux était palpable et nul ne pouvait l’ignorer.
Les Indomptables, Edmond et Marie Michelet est un récit fort, où on côtoie le pire – les camps de concentration et la torture – et le meilleur, l’engagement viscéral de ces hommes et femmes prêts à tout pour la liberté.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Originaire de Brive-la-Gaillarde comme les Michelet dont il connaît bien la famille, Serge BESANGER a d’abord publié des essais consacrés aux questions internationales et notamment à la Chine où il a vécu de nombreuses années. Officier de réserve et fils d’ancien combattant, il est enseignant en grandes écoles et administrateur d’entreprises et de fondations.
LangueFrançais
Date de sortie6 mars 2020
ISBN9782375821336
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    Aperçu du livre

    Les Indomptables - Serge Besanger

    1

    Paris, vu de la Corrèze : règne des paillettes et de l’apparence, décisions condescendantes, prolétaires aux bras levés, « patriotes » au poing vengeur. Crises ministérielles, crises de nerfs, crises tout court. Pickpockets dans le métro. Vacarme, baston, grèves et incendies. À part ça, un Parisien ça ne sait pas manger, se vêtir, se protéger des intempéries, biner un rang de blettes sans se crever un œil ; c’est incapable d’élever une cancaille et ça a une pétoche noire des orties. Enfin, une chose est certaine : là-bas, plus personne ne sait comment vivre. Nous sommes dans les années trente. Rien n’a changé.

    Dans l’imaginaire du Parisien en revanche, la Corrèze est l’allégorie d’un Paradis glaiseux, à la modération râble, au tumulte assourdi. La densité atmosphérique de tension diminue en fonction de l’éloignement de la capitale, c’est connu, et là, c’est calme, très calme, ça fleure suspectement le trou bouseux, le bon vivant sympatoche voire niais, les bonheurs trop simples, le fenouil et le coing, le quotidien républicain des petits matins. Bref le canard semble assez peu compatible avec les extrémismes.

    Né sur la voie Lyon-Bordeaux, à l’époque romaine, un pont anonyme, Briva, s’y fortifie et devient galhard. Ses notables portent sur le pavois en décembre 584 Gondovald, petit-fils de Clovis, qu’ils proclament bravachement roi des Francs d’Aquitaine ; son rival Gontran, roi des Francs de Bourgogne, se vengera de Brive en faisant brûler l’église Saint-Martin.

    La Brive moyenâgeuse, cité franche, nourrit son fantasme au blason d’azur, aux épis d’or ; résiste à cent sièges, chante la légende. Ses troubadours inventent l’amour courtois, révèlent la poésie occitane aux cours d’Europe.

    Trois papes : Clément VI le Magnifique, Innocent VI, Grégoire XI ; trois présidents issus du païs : Queuille, Chirac, Hollande. Et pourtant la Corrèze n’est pas encore tout à fait dessouchée, pas encore tout à fait déracinée. Il suffit de remonter à quelques générations pour y rencontrer le berger-maçon, le troubadour et son violon magique, le chevalier servant. Tout le fond de l’histoire est là.

    Joï

    2

    Dachau.

    Block n° 5.

    C’est là que ça se passe.

    Une bâtisse brune aux portes fermées, aux fenêtres abstruses. À l’intérieur, des tables d’opération, des cages à rats.

    On dit qu’il s’y coule des choses horribles.

    Un apprenti médecin observe avec avidité un patient pris au hasard. Quelque curé, entrepreneur, agent d’assurances. Juif. Tzigane. Ou homosexuel.

    Un prisonnier est conduit sur la table d’opération. Arrive un chirurgien, accompagné d’un autre apprenti. On lui donne les gants, les outils.

    Voir.

    Pratiquer.

    Comprendre. Améliorer.

    « Pour la médecine. »

    Il ouvre les corps, coupe les artères, ligature les veines à vif. Les bras de la victime sont attachés pour l’expérience de transposition de veine.

    « Tu n’es pas assez appliqué », lui reproche l’autre, d’une voix calme.

    S’appliquer. C’est tout.

    Le corps décharné du prisonnier ose se soustraire à la science.

    Des coups méthodiques, contrôlés. Nulle férocité mais des coups appliqués, tel le travail d’un bon élève.

    Deux autres viennent immobiliser le prisonnier.

    D’une artère mal ficelée, le sang gicle.

    Dans leur cage, des rats affolés courent en rond ou les uns par-dessus les autres en poussant des cris de terreur.

    Le médecin quitte son calme et se met à hurler.

    « Tout ça, c’est pour le progrès, c’est pour la science. Ce singe ne comprend rien aux bénéfices de la médecine ! »

    Soulager et faire progresser l’humanité. C’est là le seul but.

    Les coups pleuvent, et se font un peu moins appliqués, un peu moins mécaniques, un peu moins contrôlés.

    Coma.

    Au suivant : le matricule n° 79.

    3

    Cet homme, prisonnier des camps de la mort, d’où vient-il ? De ses rêves d’enfance. On vient tous de nos rêves d’enfance. Les siens sont ceux d’une ville-jardin, radieuse sous un ciel d’azur, au pied de monts d’argent. Gentillesse des adultes qui ponctuent les phrases d’un « avec plaisir » chaleureux et chantant, devantures riantes, bancs de fleurs et bandas. Politiciens laïques qui parlent de la République avec les mots de l’Église : espérance, don de soi, amour. Dame à l’Enfant omniprésente. Pau, capitale du Béarn.

    Au 21, rue du Maréchal-Joffre, cette enseigne Félix, Potin & Cie. Cafés-vins-huiles : livraison à domicile, expédition dans tout le Sud-Ouest. Téléphone : le 16. Le directeur s’appelle Octave Michelet. Moustache en guidon, maîtrise de soi, « avec plaisir », comme il sied. Monocle à ruban de moire au gilet, catho, premier banc à l’église Saint-Jacques.

    Son fils, Edmond, se montre distrait. Or pour réussir en affaires, il faut se montrer mascle. Le petit sera commis d’épicerie.

    Service militaire à Brive : ville d’ardoise et de pierre de taille, Aquitaine et montagne à la fois. Patois d’oc aux « r » roulés, aux « g » aspirés, fleurs omniprésentes. Edmond Michelet se coule dans Brive comme le nématode se glisse sous la peau de la brebis. Aucun souci, que du bonheur.

    Juin 1920. Les appelés du 126e RI (« Bisons Blancs ») présentent une pièce de théâtre aux jeunes filles de la ville. 126e : « régiment corrézien ayant repoussé l’ennemi sur la Marne, sauvant l’Armée française de la catastrophe annoncée. » Croix de guerre, palmes de bronze, bravoure dorée sur tranche : les filles peuvent aimer ces militaires francs du collier, délicats avec les dames, et qui possèdent de l’humour en surabondance.

    Au premier rang, Marie et sa cousine Louise, beaux ports de tête et regards de braise. Elles sont accompagnées d’un chaperon à l’air absorbé, ont ce côté mutin, un peu rebelle, ces opinions sur tout, et leurs pères, notables locaux, se demandent s’ils réussiront ou non à les marier… D’ailleurs, Louise ne sera jamais dépendante de qui que ce soit et elle ne fera jamais, mais alors jamais, d’enfant – juré, craché. Louise : genre Coco Chanel, un temps résidente d’Aubazine, à deux pas de là.

    « Je ne te crois pas, chuchote Marie.

    — C’est pourtant vrai, dit l’autre.

    — Jeannot est amoureux de toi.

    — Tant pis pour lui. »

    Marie repère parmi les acteurs, une actrice, dans un rôle de tireuse de cartes. Non – un homme. Et qu’il est drôle !

    Retrouvailles avec « l’actrice », quelques jours plus tard. Marie et sa cousine sont toujours accompagnées de leur chaperon. Regards fiers, elles sont de ces femmes qui reçoivent le soleil et brillent ensuite où qu’elles aillent.

    Il s’ensuit un platonisme éthéré, une cour où tout est vouvoyé, différé. Elle a du caractère. Il est beau sans être beau. L’ascèse charnelle ne saurait être le mouroir de l’ardeur mais un art visant à guider les instincts vers le sublime.

    Des semaines plus tard, cet autre après-midi.

    Elle dévisage le jeune appelé d’un regard droit, avec un brin d’audace dans la prunelle. L’autre, transfixé, ne la quitte plus des yeux.

    « Nous allons à Yssandon », lance-t-elle avant de s’éloigner, accompagnée de la cousine et de l’omniprésent chaperon.

    Elles montent à bord d’une Delahaye décapotée. La voiture démarre. Toujours se fier aux battements du cœur. Une soudaine certitude, un appel désespéré à l’ami Bourdalet, venu avec sa 10 CV. Voilà les deux appelés fonçant après la Delahaye.

    Cheveux au vent, ils prennent la route d’Objat, bifurquent à Saint-Viance. Versants peuplés de meules de foin, de chênes et de noyers ; ici une vigne, là un verger de pruniers. Aux fleurs succèdent les fruits ; partout la nature remplit ses promesses. Parvenus au sommet du puy, ils se garent à quelques mètres de la Delahaye. Son cœur bat la chamade et il en retient son souffle. Oui, un baisemain l’inonderait de bonheur. Elle lui lance un regard rieur. Aller plus loin serait périlleux. Ni impatience méprisable, ni précipitation dans l’acte qui rendrait stupide ou barbare : « Et si nous ne sommes pas les plus courageux, soyons les plus fins… »

    Les autres mélangent tout, les malheureux, le charme et les sens, l’amour et les organes. Le désir néantise. Ni miasme ni baiser, ni tener ni manejar, le galant qui maîtrise l’art est simplement puissant.

    Il ouvre la porte. Elle accepte sa main.

    Edmond Michelet, nerveux comme un écolier le jour de la rentrée des classes, fiévreux comme au seuil d’une grande histoire d’amour. Marie Vialle glousse, une main devant la bouche. C’est sa manière de rire. Il croit qu’elle le trouve très séduisant.

    4

    Cet appelé aux sourcils en accent circonflexe, aux oreilles décollées, aux paupières tombantes, est-il charmant ? Il n’est pas Douglas Fairbanks ni Rudolph Valentino. Ni même officier. Mais il y a, émanant de ce jeune homme, cette simplicité, cette chaleur humaine, cette bonté qui rassure.

    Et puis ce regard pétillant. Et c’est cela, avant tout, que les femmes poursuivent. Si elles peuvent lire dans le regard d’un homme une étincelle, alors elles le trouvent éblouissant.

    Elle feint d’abord l’indifférence, lui offre ce tourment plaisant et douloureux. Il lui dédie des poésies, se met à l’affût de ses désirs. Entrevues secrètes, difficiles à mettre en place : elle lui impose toutes sortes d’épreuves au cours desquelles sa valor augmente. Ils s’effleurent, s’échangent quelques poésies. Se touchent du doigt. Un long échange de souffles, un soir, à Objat. Les mains, le sexe font mille bêtises. Le souffle se trompe rarement.

    Possibilité du couple. Ils se fiancent en décembre 1920, et se marient le 15 février 1922 en l’église Saint-Sernin de Brive.

    *

    Edmond Michelet travaille avec son père jusqu’en 1925. Puis le couple part installer à Brive une affaire de courtage en produits d’épicerie. L’affaire repose à vrai dire sur Marie qui, à travers son père, notable connu, apporte les contacts. Michelet est le premier à doter son cabinet d’un téléphone mural. Si tu es grossiste, de Bordeaux à Clermont et de Tours à Montauban, et que tu cherches du thé, des conserves, du savon, des sardines, un seul numéro : le 20, à Brive.

    Il monte une succursale à Bordeaux et fait ce qu’on appellerait aujourd’hui du télémarketing, dans un métier où l’on avait coutume d’attendre que les commandes arrivent par la poste. C’est révolutionnaire. Michelet fait évoluer la profession. Il en devient président. La maison familiale s’agrandit. Il embauche quatre domestiques, envoie régulièrement de l’argent à son père, à présent failli, ainsi qu’à ses frères, également dans le besoin.

    En 1937, il embauche deux collaboratrices : Ginette Marches et Jeanne Laval. Marie lui offre un agenda Hermès à spirale métallique pour vérifier ses comptes. La gravité des affaires s’insère dans le jeu de l’amour. S’aiment-ils toujours ? Elle observe, pointe, corrige ; se retire au moment opportun. Et puis, ce regard complice. Oui, ils s’aiment. Ce n’est en rien négociable.

    *

    Pendant que Paris déraciné s’enflamme contre les « tours de Babel » (Mitterrand, dans L’Écho de Paris) et autres « invasions métèques » (ibid.), Marie et Edmond reçoivent : Emmanuel Mounier, Denis de Rougemont, Henri Daniel-Rops ; Claude Bourdet, futur fondateur du Nouvel Observateur ; Georges Bernanos, écrivain du devoir et de l’exaltation. Marie a adoré l’envoûtant Sous le soleil de Satan.

    Puis le bon docteur François Labrousse à l’immense barbe poivre et sel, sénateur de Brive et champion du droit de vote des femmes, futur grand résistant de 65 ans qui le 10 juillet 1940 s’opposera à l’octroi des pleins pouvoirs à Pétain… Puis lors de conférences tenues à Brive, Georges Hourdin, du journal L’Aube : « De l’antisémitisme » ; Louis Blanckaert, de la revue Politique : « L’État totalitaire », le 9 janvier 1939. Joseph Folliet, de la Chronique sociale, « Du racisme », le 6 février. Enfin Henri Daniel-Rops, du magazine Sept : « Péguy notre maître ».

    Et c’est peut-être le flamboyant Emmanuel Mounier que Marie préfère, cet ingénu dévoré par l’urgence de rompre avec le désordre établi, l’extrémisme en politique, la crise économique, le manque d’orientation dans la vie culturelle et spirituelle, la falsification des valeurs et la dissolution des rapports sociaux. Mounier et son personnalisme : primat de la personne humaine sur les appareils collectifs qui soutiennent son développement ; valeur de l’engagement, communauté à l’échelle humaine.

    Les conférences de Brive attirent une foule ouverte, curieuse, authentique. On y vient rafraîchir et clarifier ses petites interrogations. Cela fait du bien. Une petite poignée d’élus est ensuite invitée à la maison.

    Mounier alerte : « Le nihilisme européen s’étend et s’organise sur le recul des grandes croyances qui tenaient nos pères debout : foi chrétienne, religion de la science, de la raison ou du devoir. »

    La concomitance d’un national-socialisme de conquête et d’une Europe qui ne croit plus en rien l’inquiète. « Il y a urgence à relier les êtres humains, chacun porteur de sa singularité comme une vraie richesse et chacun dépendant d’autrui sans lequel il ne sera rien » : t’as essayé ? C’est juste lumineux. Ce Mounier te propulse le ballon vers les étoiles.

    Ainsi ce patelin illuminé par l’existentialisme chrétien se donne-t-il des petits airs d’Athènes, quand Paris coincé dans ses appartements alvéolés prend des allures de sous-préfecture effrayée par la diversité.

    Au mal insaisissable qui gangrène la capitale, âmes déracinées, vies d’enfer, la Corrèze oppose ce parfum de fraîcheur politique et de liberté. Mounier, Daniel-Rops et quelques autres y esquissent, entre café gourmand et liqueur de noix, une nouvelle société, dessinent les contours d’un nouvel humanisme.

    5

    Berlin, 1931. On a tendance de nos jours à oublier comment cela a commencé : insultes et manifestations, bris de vitrines, passages à tabac pour une kippa visible. Double apostasie : à l’égard de Marie, née juive ; à l’égard du travail.

    Indifférence générale, optimisme lâche. On ferme à double tour la porte de l’évidence, s’appuie de toutes ses forces sur ses battants. La rue attire les démagogues comme le miel attire les mouches. Victime de la crise, abreuvée aux théories du complot, elle veut un égalitarisme brutal, elle veut Hitler. Les années trente sont ce premier âge d’or des fake news consacrées au complot sioniste mondial.

    À Paris, les Nouvelles Éditions Latines publient une édition pirate de Mon combat. Michelet en souligne les passages les plus aberrants, qu’il citera lors de ses prochaines conférences. Annote, çà et là, d’un « Marx lui-même » et d’un « Hitler = le néant + la mort ».

    Combler les fossés, nouer des dialogues, apaiser les tensions. Organiser une réponse bienveillante, positive, à la défiance ambiante. Œuvrer à la construction d’une société de confiance. Enraciner cette république vieillissante dans les valeurs chaudes de l’entente et du sacré : une mécanique s’emballe, que rien ne pourra arrêter. Président de la Jeunesse catholique de Corrèze, puis des Équipes sociales, Michelet est élu à la présidence régionale des Nouvelles équipes françaises ; puis à la présidence des Amis de L’Aube, quotidien centriste, et au comité des Amis de Sept, l’hebdo de Bernanos, Claudel et Folliet.

    Mounier : « Chacun soi-même, avec son éminente dignité, mais pour autrui. »

    6

    1939. L’Allemagne en cessation de paiements convertit ses obligations, truque ses taux de change, pointe du doigt « la juiverie internationale » et ses voisins tchèques et polonais.

    Dédaignées par les Michelet, les affaires se vengent. Edmond ne s’occupait guère de sa filiale de Bordeaux, y perd un bon demi-

    million. L’économie chez Michelet n’a jamais eu de réelle prise sur la générosité, la fantaisie, la bonté. Les affaires sont impitoyables. L’amour est sans doute la seule chose en laquelle on puisse encore avoir foi.

    Voilà les stocks d’invendus, le risque de faillite, en dépit – à cause – du succès des conférences. Marie veut continuer, parce qu’ils ne peuvent faire autrement, parce que la liberté est née en eux. Refuser cette liberté serait comme refuser leur existence. Il a des envies de fugue : se barrer à moto dans les Monédières. Elle lui demande de faire un choix : Bordeaux ou les confs. Ce seront les confs.

    Dans un couple, l’harmonie n’est jamais donnée, elle doit éternellement se conquérir. À part ça, Marie est vertueuse, curieuse, joyeuse et sincère, elle a une pureté et une intégrité de caractère presque enfantines, en même temps qu’une indépendance d’esprit et une volonté pas si enfantines. Bref Marie est une perle. Ils s’embrassent. Il peut enfin sortir sa 250 cm³.

    7

    1er septembre 1939. Un crime en appelant un autre, Staline envahit la Finlande, pays neutre, à l’héroïque résistance. Un corps expéditionnaire français se prépare à défendre Helsinki face aux Soviets. La Corrèze tricote 6 000 « bonnets de la liberté » de style « finlandais ».

    Hiver 1940, paroxysme de la guerre des ventres. Déat exige la nationalisation des circuits de distribution. Michelet défend la profession auprès de son ami Henri Queuille, ministre de l’Agriculture et de l’Approvisionnement, futur président du Conseil sous la IVe République. Michelet obtient gain de cause. La France évite les files d’attente interminables pour une tranche de pain à la sciure.

    Sous le IIIe Reich, on chie du bricheton à la poussière de sapin du Schwarzwald. Göring a envoyé ses épiciers « profiteurs du peuple » à Dachau. Même l’Anglais a ses cartes de rationnement. Sa logistique paralysée par la paperasserie, il cague du National loaf ¹ au calcaire des Highlands, étrenne churchillienne.

    En France, nulle nationalisation en vue pour le caneton aux pruneaux ni pour le pain de Cucugnan.


    1. « pain national » : pain à base de farine complète additionnée de calcium et de vitamines, introduit en Grande-Bretagne pendant

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