Dancing de la marquise: Roman
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À propos de ce livre électronique
Depuis l’origine, aux abords de l’école, j’aligne des mots devant les choses. Je me décoiffe devant la beauté. Je tranche dans la langue française. Je confectionne des textes, mes petites écritures, comme des recettes de confiture. Je suis sensible à l’écho des bocaux. J’aime le goût de mandarine de ce que j’imagine. J’entasse des milliers de pages de mes séjours dans les nuages. Aujourd’hui, j’ai envie de faire une photographie du dépôt, de tout ce ramassis, de toiser la hauteur des stocks, de métrer le linéaire littéraire.
Après quoi, j’empaquèterai ma marmaille, ficèlerai la marmelade, cachèterai le glorieux magot. J’hésite entre deux titres sur l’enveloppe. Je garde la main sur La cicatrice du brave, référence à la chaude pisse de Flaubert. Mais je me laisse tenter par Fragments d’un sentiment, qui touche aux éclats de balle du journal. Non, ce sera Dancing de la marquise, à cause d’Anna Karina et ses exquises bouderies. Ou bien Culottes courtes et carottes cuites. On verra.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Christian de Maussion est diplômé d’ESCP Europe. Il cofonda l’Institut Multi-Médias. Il présenta ses premiers travaux littéraires à Théâtre Ouvert en lecture publique à Beaubourg, puis participa à la gazette littéraire Matulu. Il fit paraître des textes dans Le Monde, Le Figaro, Les Echos, La Croix, Libération, les Cahiers de l’Herne (Serres, Weil). Dancing de la marquise est le sixième ouvrage qu’il publie, le quatrième édité par 5 Sens Editions.
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Fragments d'un sentiment Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationA défaut d’écho: Roman Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationTita Missa Est: Récit de vie Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationFRED: Roman Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes fées de Serres Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa fin des haricots Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
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Aperçu du livre
Dancing de la marquise - Christian de Maussion
Christian de Maussion
Dancing de la marquise
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Blog A la diable
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Aux sept lecteurs
« Il y a deux sortes de livres : les bons qui ne se vendent pas en général et les autres qui se vengent comme ils peuvent »
Jean Paulhan
« La culture, c’est la règle; l’art, c’est l’exception »
Jean-Luc Godard (Je vous salue Sarajevo, 1993)
Au bar Lichfield de l’hôtel Astoria, la vodka Beluga ragaillardit la chair, ranime l’esprit. Du sofa, on voit la Moïka. C’est un affluent, un lieutenant influent de la Néva. Elle tournicote, rumine une attente, puis se jette dans le fleuve blanc.
Rien n’est triste, place des décembristes. La neige enlise, alcoolise les grands ciels rouges, enfièvre les joues. La barmaid époussète le comptoir. Une grande fille nue court dans le métro désert. Le serveur est à hauteur du postérieur du poster. On boit comme on se parle à soi.
La maison de Nabokov est à une portée de pierres de là, rue Malaya Morskaya. J’ai lu Lolita. C’est un livre d’eau fraîche, le récit d’une errance, un goût de vodka brut sur les lèvres. J’ai ressenti la liberté et la pureté.
L’orthodoxie apprécie la vie, laisse aux protestants le lent ressentiment. Elle abandonne la morale à sa dégringolade infernale. Elle évite le bon ton, ne touche pas aux rogatons.
Derrière le bosquet blanc et noir de la place des arts, le Musée Russe accueille les gosses des autocars, abreuve de mémoire des classes entières d’écoliers à veste réglementaire. Il enseigne la beauté, l’histoire d’un peuple venu de quelque part, les corps meurtris qui saignent de la patrie.
L’icône mystique est un idiome patriotique. Il est privilégié des hommes de la Baltique. Dans un angle mort du palais, je débusque un cliché volé, des bouts de Pétersbourg, photographiés comme des condamnés en joue. Boris Smelov est un iconographe argentique. La légende précise qu’il se réfère à Barthes.
Mais les musées ne m’amusent qu’à moitié. Imagine-t-on un texte composite qui juxtaposerait une phrase de Balzac, des bribes de Proust, quelques fragments de Chateaubriand, trois mots de Rousseau, des miettes de Gracq et des confettis de Céline ?
Dehors, les gosses se fichent de la neige. On les tanne de Poutine. J’achète le ticheurte du despote. La stratégie nationale s’exhibe sur un poitrail. Il fait un froid de gueux. Le marchand ambulant me parle de Depardieu. Les sableuses sont des machines heureuses. Il fait moins vingt-trois dans la cité ; les véhicules sont les rois de la chaussée. J’ai le respect des somptuosités.
Bar Casanova, je songe à Hugo, à regarder une mer allusive, l’île d’Ischia à l’extrême bout des eaux : « L’horizon souligne l’infini. »
J’ose l’instant, l’éternité à petites doses. Je m’accoude au parapet, à côté du vide. Je vois la joie désaccordée d’une lumière de janvier. J’observe les dorures, les marbrures d’un visage de vieillard. J’humecte une lèvre d’une gorgée de tassoni. Je lis Antonioni. « Ce n’est pas l’argent qui me manque, mais sa signification. »
Napoli. Ici, je mets les points sur les i d’Italie. Des soleils de gouaille drapent un ciel de voyelles. Sentir m’interdit de mentir. Je fais gaffe au golfe. Il y a une musique qui est une Chine à elle seule, qui éclipse ses voisines sales. Bach. Back to Bach. Toccata.
J’aime l’Italie, vulgaire et bien élevée, pleine de chair et de gaieté. Via Toledo, tous les tailleurs s’appellent Fusaro. Antonio ou Luigi. Via Parco Margherita, on dégringole sur les dalles, on effleure d’ocres demeures à sublimes balcons comme des quilles de bowling. Chez Calabrese, j’endosse une pelisse chamarrée. De Fromentin, j’apprécie les dessins, la magie des matins. Il écrit sous la dictée d’une fée. Je partage l’émotion d’Eugène : « Une tendresse pour le vrai, une cordialité pour le réel. »
La grandeur est une denrée périssable. Son souvenir implique une nostalgie. C’est un songe ému qui sauve des menus mensonges. J’ai besoin d’une vraie nature, d’une dose de Ramuz, d’un livre qui ose une aventure.
La grandeur colore une maigreur, rafistole une petite beauté en splendeur. Nous collectionnons les candidats comme des petits soldats. Les rescapés d’une disette font causette. Nous avons perdu les pédales, jadis un général de Gaulle.
Flaubert publie Le Candidat, en fin de vie, regard théâtral sur la vulgarité électorale. Flop cuisant. Candide veut dire blanc, indeed. Le visage pâle du candidat somme les couleurs du spectre intégral. Il exprime une versatilité. Je blâme le candidat d’être blême. Ils sont en lice parce qu’ils sont lisses.
Notre année est scandée du pas cadencé des aspirants, des postulants à l’art de gouverner. De Gaulle cite Hegel : « Il n’y a pas de grand homme pour son valet de chambre. »
La grandeur est un songe qui fortifie l’orgueil créateur. De Gaulle sait les ressorts de la mascarade, d’une gaudriole à têtes de mort. Je souhaite que la valetaille se désengage de la bataille. J’aimerais qu’une certaine bleusaille débarrasse le plancher. Je mendie des restes de beaux gestes, des rudiments du bel idiome gaullien.
À ma connaissance, un seul grand fêlé domine la scène endiablée : l’immodeste Villepin, mousquetaire de la France. J’ai lu ses Mémoires de paix pour temps de guerre (Grasset, 2016). Il colle au sillage du grand Charles. Au-delà d’une fière allure, on observe une stature. Pareille vertu ne court pas les rues. Ramuz, l’écrivain vaudois, de Gaulle, le sublime soldat, Flaubert, le moine littéraire, Villepin, le plus zinzin des politiciens. Voilà comment s’échapper d’un scrutin carcéral. Les trois premiers paradent en Pléiade. Je considère les primaires comme très secondaires.
Voir la peau, les os, l’écorce d’un torse. Ne rien voir. Bander sa mémoire. L’arbre se délabre. La neige est une cendre d’hiver. Il y a une cataracte de mots, cinq filles comme des bougies, entre la vie et la mort. C’est au Vieux-Colombier, un jour de février, Lagarce aurait soixante années bien tapées. Artaud a tailladé les souvenirs, les accoudoirs du théâtre. Ici, on joue la comédie. On applaudit des mains, Antonin. On écoute une langue française, on ose.
Une émotion dégouline des tympans. Une phrase est une vague. Une autre phrase, une autre vague. La terre est nue jusqu’au reflux. Des vagues viennent en éclaireurs, un peu toujours les mêmes, avec ardeur. Une vague affectueuse qui mordille les chevilles, les cheveux des filles. Une vague écumeuse qui creuse, érode et ressasse une attente. Une vague rieuse et mystérieuse. L’écriture de Lagarce est une continuelle rature, un incessant battement d’essuie-glace.
En haut, un homme sur le carreau. À son retour de guerre, de colère avec un père, les filles l’ont hissé dans sa chambre de misère. Lagarce écrit son acte de foi, en connaissance d’une loi, en fin de sida. Il est mort déjà. Il rédige son enterrement. Il est dans sa maison, une chambre froide, une cache d’enfant. Les filles d’en bas pensent à l’au-delà, au train-train du tralala. Lagarce est un jeune frère, un garçon téméraire qui revient périr en sa contrée première. Avec un baluchon sur le dos, une vie de patachon, une vie d’histrion, et des gnons, couturé de partout jusqu’au menton. Les filles, à tous âges, l’ont attendu comme des mouettes sur la plage. Ont guetté les nuages. Lagarce taille les mots des funérailles. Il imagine les filles, cabossées par l’immobilité, meurtries par la stérilité des rêves, infidèles au chagrin sacrificiel, traîtresses d’une monotone tristesse. La péripétie de Lagarce est « une blague de la vie ». Aux infirmières de l’attente coutumière, le garçon, l’homme d’écriture donne à la deuxième des sœurs les mots justes, sa version la plus pure : « Vous devriez m’aider. »
Lagarce suit Koltès, s’efface, torse et faciès, dernière pelletée, travail bien fait. Il mord la poussière à l’âge où Macron se proclame Jupiter. La vie de selfie ne suffit pas au style de poésie. À la Comédie Française, Lagarce est dans sa maison, cerclé de ses filles comparses. On ne réveille, ni les morts, ni l’enfant qui dort. C’est un vrai dieu, invisible aux yeux. Il a figure de prière dans le souvenir des pleureuses. Il a vu le soleil. On songe au Malentendu de Camus, à ce genre de crime sur les lieux d’une chair identitaire, d’une mémoire de canine.
Charles Juliet. Je lis des bribes de cahier. Je feuillette. Il cite Colette : « J’appartiens au pays que j’ai quitté. » Inutile de tourner autour du pot, de chercher midi à quatorze heures. Voilà le sujet. Une cataracte de mots, un acte fleuve en écho. Clotilde de Bayser est la Mère du jeune frère. Elle règne en duègne, immense comédienne. Les trois sœurs sont un bonheur de fraîcheur, de vivacité, de féminité enjouée. Rebecca Marder, La Plus Jeune, tient la dragée haute aux aînées tutélaires, éblouissante de furie, de sauvage gaminerie. Jennifer Decker m’a soufflé. « Tu vas nous revenir du bal avec ta robe rouge de travers et tu nous feras un enfant. » Sa liberté de rockeuse, sa spontanéité de loubarde évoquent un coquelicot de sentier, une fille simple, au vent voyou d’une jeunesse égarée. Les cinq actrices, gueuses, saintes ou garces, auraient mérité un cinquième rappel, une ovation plus soudaine de la salle nationale.
Melancholia, c’était le titre de Sartre. Un beau titre. Dans son petit bureau de la rue Bonaparte, il désignait une gravure, la reproduction d’une toile de Dürer. Gaston ne mange pas de ce pain-là. Il impose à Sartre l’inutile Nausée. Sartre se conforme au diktat Gallimard, retouche l’ouvrage, biffe des bouts de pornographie. C’est son premier livre publié. Il est satisfait de pouvoir garder l’épigraphe, la citation de Céline : « C’est un garçon sans importance collective, c’est tout juste un individu » (L’Eglise, 1933).
La sortie du méchant bouquin révèle en Roquentin un pedigree célinien. À l’époque, Staline goûte la prose de Destouches. Le Voyage au bout de la Nuit est le livre de chevet de Joseph Djougachvili.
Sartre a l’âge du Christ en croix. « Dans les églises, à la clarté des cierges, un homme boit du vin, devant des femmes à genoux » (Folio, pages 66/67). La machine est lancée. Cau, son secrétaire, prix Goncourt en sa jeunesse de gauche, pestiféré en sa vieillesse de droite, fignole un saisissant portrait du Prix Nobel réfractaire. Il peint un homme bien : « Au fond, le cœur, un cœur immense lui était monté à la tête » (Croquis de Mémoire, 1985).
Je grelotte dans le petit bois du Ranelagh. Je ne veux pas rater la conférencière du musée. Corot, avant Sartre, se décoiffe devant la peinture de Dürer. Les pinceaux de Corot lui font écho en sa boudeuse Melancholia. Je suis content que le musée Marmottan l’ait rapatriée de Copenhague.
Colette aimait le mot presbytère. Tournier habitait ce genre de demeure où l’on meurt. Son jardin de curé laissait à Tournier le soin d’errer, d’être un roi à l’étroit. J’ai le souvenir d’une littérature de célibataire, un peu scoute et culottes courtes. J’ai le sentiment d’une prose un peu perverse. À dire vrai, j’ai la sensation d’un crayonné qui troue le papier. Tournier dessine des majuscules au dos des mots frivoles. C’est un artiste germanophile. De lui, je tiens que Deleuze nageait incertain, à contre penchant des vagues, la tête hors de l’eau, de manière ostentatoire, fuyant l’élément.
J’ai lu Vendredi à cause de beaucoup de bruit. À quoi bon nier Tournier. Il s’est entiché du vieux Flaubert. Il affectionnait Félicité. Pour pareille amitié, il est acquitté.
On s’égare dans des chemins bavards. On promène une mauvaise mine dans des impasses de magazine. On s’intoxique de petite politique.
Il est des hommes, plus grands qu’eux-mêmes, qui héritent de l’exact patronyme : Chateaubriand, Racine. Ils sont au fondement d’un vivre ensemble impérissable.
Je sors du Vieux-Colombier, où Artaud, le Mômo, hallucine encore la scène. Racine aujourd’hui ressuscite un vertige, un sentiment d’abîme, illumine une histoire racontée par des corps. Il a l’âge du Christ en croix. Il écrit sa turquerie, incorpore l’amour, le pouvoir et la mort à sa fatale songerie. Aux tourments d’une sultane ottomane, il mêle l’éclat splendide d’une rigueur alexandrine.
Gracq a fui l’oflag de Silésie. Il vit la guerre et l’imaginaire. À trente-trois ans, à la gare d’Angers, il s’émeut de Bajazet. Il fixe le sanglant récit au ciel étoilé de ses Préférences (José Corti, 1951) : « Bajazet est sans doute la plus pure des tragédies de Racine. »
Quand on est un peu vieux, qui plus est dur d’oreille, on aime voisiner les premières loges, frôler