Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Barbicaut joue son âme: Une enquête de Barbicaut
Barbicaut joue son âme: Une enquête de Barbicaut
Barbicaut joue son âme: Une enquête de Barbicaut
Livre électronique250 pages4 heures

Barbicaut joue son âme: Une enquête de Barbicaut

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

De retour en banlieue avec le lieutenant Barbicaut, qu'une nouvelle enquête entraine plus loin dans l'insoutenable.

Choqué par la mort suspecte d’un enfant, Barbicaut commet une bavure à l’encontre d’un dealer. Quand il apprend que ce dernier est un adorateur de Satan, il cherche à le retrouver en suivant une piste que jalonnent des cadavres. Aux prises avec une communauté qui pratique le vaudou, le policier passera des épreuves où seule la valeur humaine compte. Barbicaut qui sera bientôt père, ne vivra que pour traquer le meurtrier d’un enfant. Quitte à jouer sa vie aux dés pour affronter un ennemi aussi insaisissable que cruel.
Ce polar de banlieue est le 3è tome des enquêtes de Barbicaut.

« Alors je serre les mâchoires parce qu’elles se mettent à trembler malgré moi. Je sais que je suis trop sensible, trop humain pour ce boulot. J’ai trop envie d’aider les gens, c’est mon talon d’Achille mais c’est aussi et surtout mon moteur, et probablement la source de ma vocation. »

Barbicaut doit rester debout et éviter de défaillir face à la mort, la mort violente, la mort sanglante.

EXTRAIT

On se regarde avec Gaétan, aujourd’hui on a bien failli mourir comme des pleupleu, comme des écervelés la fleur au fusil. Et on rit comme des idiots. Si ce type avait cru que c’était le défenestré qui revenait, il nous aurait troué la peau sans qu’on ne comprenne rien. On se regarde et on comprend qu’on pourrait être mort là, tout de suite, tué par un mourant qui serait mort juste après nous, qui nous aurait assassinés par erreur. On pense à cela, j’ai les boyaux ensanglantés du type qui tachent mes genoux et je sens son sang maintenant froid qui colle sur ma peau, j’ai les odeurs de sa mort dans les poumons, j’ai les yeux bleus de mon ami qui me regardent et que je regarde et on pense aux mêmes choses en même temps. On s’assoit sur le cul à côté du mort. Puis on ne parle plus

À PROPOS DE L'AUTEUR

Après avoir fait des études de droit Rémy Lasource est devenu fonctionnaire. Il a travaillé quelques années en banlieue nord de Paris au contact des policiers et magistrats, et vit aujourd’hui en limousin. Edité chez Ex Aequo pour ce 9è ouvrage, l’auteur fait partie du jury Zadig de la nouvelle policière. Avec ce roman débute la série des Barbicaut, des polars ayant pour théâtre la banlieue.
LangueFrançais
ÉditeurEx Aequo
Date de sortie6 févr. 2020
ISBN9782378738389
Barbicaut joue son âme: Une enquête de Barbicaut

En savoir plus sur Rémy Lasource

Auteurs associés

Lié à Barbicaut joue son âme

Titres dans cette série (1)

Voir plus

Livres électroniques liés

Mystère pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Barbicaut joue son âme

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Barbicaut joue son âme - Rémy Lasource

    cover.jpg

    Rémy Lasource

    Barbicaut joue son âme

    Une enquête de Barbicaut

    Polar

    ISBN : 978-2-37873-838-9

    Collection Rouge

    ISSN : 2108-6273

    Dépôt légal : Janvier 2020

    © couverture Ex Aequo

    © 2019 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays. Toute modification interdite.

    Éditions Ex Aequo

    6 rue des Sybilles

    88370 Plombières les bains

    www.editions-exaequo.fr

    Je suis toujours allongé et cherche mon revolver à ma ceinture, mais elle me fait non de la tête. Alors elle sort mon arme qu’elle tenait dans sa main derrière son dos et me la montre doucement. J’ai dû la perdre durant la bagarre.

    Je sécrète inconsciemment de l’adrénaline, je sais que les premières balles vont me couper les jambes, qu’il faudra ruer avec désespoir pour ma survie. Je pense à Camille et à mon fils à naître, comment en suis-je arrivé là ?

    Le bruit s’accompagne d’un éclair de flamme et la chair explose comme une citrouille en formant un bouquet de sang, de gélatine et de débris d’os. Il y a toujours cette présence floue comme un rayon de lune autour de moi et je vois distinctement des organes traverser ce voile lumineux pour s’éparpiller dans l’air et s’épanouir dans leur mort, comme sur un tableau sanglant avec des coquilles d’os. L’instantané d’une vie qui s’échappe. Mon cœur bat toujours, je le sens frapper furieusement au tambour de mes tempes, même si je comprends qu’il s’affole pour de bon.

    Je suis le lieutenant de police Hugues Barbicaut, et adolescent, comme beaucoup de jeunes bourrés d’hormones en quête d’absolu, ma crise identitaire s’est cristallisée autour de Nietzsche. En plus de la grande séduction qu’exerçait sa poésie sur moi, il y avait toujours ce discours qui revenait, le surhomme est le grand danseur au bord des abîmes.

    L’égoïsme et l’esthétique de soi portés comme une valeur narcissique au service de la grande santé me plaisait. Il fallait faire de sa vie une œuvre d’art. L’art était l’exercice vers l’exigence, et un homme fort riait de sa force en tapant sur la table du destin ; l’insouciance et l’innocence du devenir poussaient Zarathoustra à jouer sa vie aux dés sur la table du jeu et de la fatalité. La force étant une vertu et la miséricorde une faiblesse, la cruauté une surabondance d’énergie et la compassion une dégénérescence de la vie, je m’étais naturellement imaginé que le policier serait ce qu’il y avait de mieux pour moi, pour sonder les égouts de l’humanité et faire du danger un exercice de style pour la grande santé.

    Être un guerrier poète, tout un programme. Le policier, homme débarrassé du commandement militaire, s’annonçait comme un individualiste, un libre penseur et un homme d’action. Fouiller l’âme humaine et danser au bord des abîmes.

    Le problème, c’est que confronté à la violence je me suis découvert plus que de l’empathie, de la compassion, surtout pour les enfants violés, voire pour des adultes victimes de trucs sordides. Ensuite, je ne voyais vraiment pas comment justifier des actes violents comme une revendication identitaire et puis je me suis rendu compte que jouer avec le danger cela ne valait pas toujours le coup, les rares fois où j’avais trouvé cela justifié c’était pour une cause supérieure, donc par chevalerie et pas par grandeur égoïste nietzschéenne. J’étais donc un dégénéré, selon la lecture de mes valeurs adolescentes.

    Quand je lisais des articles ou des essais sur Nietzsche je me demandais lequel de ces grands commentateurs avait connu le vrai visage de la violence, lequel avait été un assassin ou en avait affronté un, lequel pouvait voir la violence d’autrui sans souffrir, et puis je me demandais lequel avait fait face au danger de mort, lequel comme moi avait bêtement joué sa vie aux dés sur la table du destin. Et ça, c’était un jeu auquel je n’aimais pas me prêter. Et pourtant je rentrais dans un cycle où j’allais lancer mon existence dans le vide et m’en remettre à la grande loterie.

    Je me lève la tête encore embrumée dans les rêves. Je prends un expresso serré ; ma machine, une Krups 15 Bars ne me verse que du café Illy, c’est mon caprice, mon plaisir et ma douceur matinale. Je n’ouvre les yeux que pour effectuer des tâches matérielles, j’ai la conscience rentrée à l’intérieur, le regard tourné vers le monde des songes, les yeux émerveillés des lueurs dansantes dans la caverne de l’âme. Je suis bien comme ça, semi-conscient, rêveur gagnant à pas feutrés le monde réel.

    J’enfile mon cuir et prends ma vieille voiture que j’ai achetée avec un prêt étudiant. Je pénètre dans la forêt domaniale d’Halatte qui sépare la province de l’île de France. Les arbres dorment dans des lambeaux de brume ; je mets les veilleuses. On est à une époque de l’année où quand je pars au boulot le soleil me fait le plaisir d’apparaître sur le monde dans des aubes lisses et lumineuses. C’est un moment privilégié que je partage avec l’univers et ça me met plutôt de bonne humeur. Je suis heureux de vivre. Une épaisse mer nuageuse écume l’est, et je me demande quelles grâces va m’offrir cette aurore. Je ne suis qu’un gros ours mal léché dans le froid de ma voiture. Les arbres semblent en pleine méditation dans leur aura de brume, j’observe leurs branches sortir flottantes dans le halo du brouillard, ainsi que de longs bras tendus dans l’inconnu matinal. Le soleil lance un dôme rougeoyant pour m’avertir de regarder de son côté de bord du monde. Je suis de permanence avec le gros Gaétan en ce moment. Il a laissé tomber la course à pied après une blessure et s’est mis à fond à la muscu, dans l’excès, comme tout ce qu’il entreprend, il travaille ses gros pectoraux, du coup avec gros Béber on l’appelle cap’taine pec’.

    Le soleil sort — englué dans la dentelle sanguinolente des nuages —, et ça ressemble à un accouchement sale ou plutôt à un linge souillé par une blessure douloureuse, et le dieu solaire apparaît au monde dans un suaire ensanglanté.

    C’est la première aube que je vois ce mois-ci qui n’est pas harmonieuse. Mince. Je passe le long des hangars vides de l’aéroport dans le matin glacé, ouverts comme des bouches béantes et muettes. Des casses de voitures où s’empilent des véhicules en mauvais état et qui rouillent sur place. Puis j’arrive dans ma circonscription.

    Une fois au commissariat je vois le commandant, le « Comanche », enveloppé dans son nuage de fumée à pipe avec des yeux qui pétillent. Il a l’air d’un mandarin malicieux, tout sourire dans son aura de volute blanche qui s’accorde avec la blancheur de ses cheveux.

    — Barbicaut, y a un cadeau pour vous ce matin.

    Il sourit et ses yeux en amande plissent leur bleu délavé, couleur mer d’Iroise sur les grèves bretonnes.

    — Barbicaut, vous avez un macchabée au frigo ce matin, il vous attend à 9H00 pour examen de corps avec le Docteur, allez-y une fois que vous aurez pris votre café. Vous allez pouvoir draguer la légiste, hein, Barbicaut ?

    — C’est quoi comme affaire ?

    — Un défenestré de la nuit. Faut s’assurer qu’il n’avait pas de couteau dans le dos, hein, Barbicaut, qu’on ne passe pas à côté d’un homicide, hein et aux petits oignons l’enquête !

    — L’officier de nuit a fait les constats, non ?

    — Ouais, mais il vous baise, il vous a laissé le cadeau au funé dans un joli paquet en plastique.

    Gaétan arrive en retard comme tous les jours et quand il apprend la nouvelle il commence à sourire avec des « Ah bon ? » comme un parfait abruti à grosses joues qu’il adore jouer, surtout dans les circonstances sérieuses. Avec le Comanche ils n’arrêtent pas leur petit jeu comme de grands enfants ayant raté leur vocation d’amuseurs publics.

    — Gaétan au frigo avec Barbicaut ! crie le Comanche.

    — Ah bon ?

    — Gaétan et Hugues ont un défenestré de la nuit, euh !

    — Ah bon ?

    — Ah ! Ah ! L’officier de nuit, il vous baise ! Il a shooté les constatations sur le corps avec le médecin de nuit pour tout filer aux flics de jour et au légiste, c’est la baise ! Hugues et Gaétan c’est la baise !

    — Ah bon ? Mais comment que ça se fait, ça ? On nous aurait baisés ?

    Voilà et ils n’arrêtent pas dès le matin.

    Funé, tiroir glacé, macchabée. Après l’examen du corps, nous partons au domicile du défunt avec les clefs que nous avons prises dans ses affaires. Tout roule, le type n’a pas de couteau dans le dos pour reprendre l’humour du Comanche, aucune trace de violence pouvant faire suite à une bagarre, on part sur un bon vieux suicide basique. Le malheureux habite une tour grise dans un quartier gris. Mais je sais que la vue sera belle ; par temps dégagé, on voit se dérouler une mer de béton au-delà de Garges-lès-Gonesse, Stains et même jusqu’à Paris, avec sortie d’une plaine comme une allumette de fer, la tour Eiffel.

    Gaétan ouvre la porte et on se marre comme des andouilles quand nos bras tombent paralysés de surprise devant ce type debout dans le couloir, gémissant et pointant sur nous sa main au bout de laquelle tremble un revolver. Il se tient le ventre et marmonne un soupir guttural, et déjà nous sortons nos calibres pour le désigner, mais le type aurait déjà pu nous tuer s’il avait voulu, et puis sa main tient ce revolver pour un autre que nous, c’est évident, il avait l’avantage de la surprise et a décidé de ne pas nous tirer dessus, il tient son flingue pour le défenestré, c’est évident. Il nous regarde avec des yeux gonflés de désespoir, et presque sans vie. Il est moribond. Nous approchons de lui et il lâche son arme en murmurant :

    — Aide.

    Quand il s’effondre de côté il lâche la main qui tenait son ventre et nous voyons ses boyaux sortir d’une éventration dans une mare gluante. Son fauteuil posé dans le couloir pour faire face à la porte est noir de sang poisseux, et le sol en est souillé. On se porte à son secours, son sang colle à nos semelles, son pouls est faible. On appelle le SAMU, « — Oui c’est le Capitaine Gaétan. On a un blessé grave par couteau, a perdu beaucoup de sang », les boyaux sortis, putain, putain, je lui donne quelques claques, mais je ne me sens pas de lui rentrer les tuyaux dans la chaudière, putain, putain, comment remettre tout l’attirail sans l’infecter, que faire ? Putain et puis rien. Il meurt sans parler. C’est quoi ce bordel ? Il a attendu dans l’appartement du défenestré toute la nuit et tout le matin. Éventré. Assis dans son fauteuil, baignant dans son sang. Le couloir est écœurant de cette odeur de sang tiède, amère et cuivrée. Je regarde la peinture beige qui me renvoie une lumière huileuse.

    On se regarde avec Gaétan, aujourd’hui on a bien failli mourir comme des pleupleu, comme des écervelés la fleur au fusil. Et on rit comme des idiots. Si ce type avait cru que c’était le défenestré qui revenait, il nous aurait troué la peau sans qu’on ne comprenne rien. On se regarde et on comprend qu’on pourrait être mort là, tout de suite, tué par un mourant qui serait mort juste après nous, qui nous aurait assassinés par erreur. On pense à cela, j’ai les boyaux ensanglantés du type qui tachent mes genoux et je sens son sang maintenant froid qui colle sur ma peau, j’ai les odeurs de sa mort dans les poumons, j’ai les yeux bleus de mon ami qui me regardent et que je regarde et on pense aux mêmes choses en même temps. On s’assoit sur le cul à côté du mort. Puis on ne parle plus.

    Comment savoir qu’il y avait un type qui attendait à l’intérieur ? Les flics de nuit ont ramassé un corps défenestré avec l’appellation suicide, on pensait qu’ils avaient fait leur boulot, merde. Putain ils ne sont même pas montés faire les constatations de base au domicile, ils n’ont pas ouvert, ils n’ont pas vu qu’un type éventré leur aurait réclamé du secours. Je m’écoute respirer, tout congestionné pour être sûr que je suis vivant. Oui je suis vivant, c’est ça, t’es vivant mon gros. T’es vivant, mais bien remué avec un dos qui serre la vis de ses nerfs et l’estomac noué. Me lever me fait l’effet d’un déchirement de terminaisons nerveuses, comme si des toiles d’araignées invisibles avaient emprisonné ma colonne vertébrale et les briser m’est désagréable. Bon, on est en vie, je m’adresse à mon pote abasourdi :

    — Gaétan, tu vas bien, gros ?

    Puis on se laisse aller à un peu de colère pour remettre de l’ordre dans l’imprévu, des types comme nous on en trouve plus, jamais on ne fait face à une porte derrière laquelle nous attendent des bâtards qui pourraient nous dégommer, les mesures de sécurité on sait ce que c’est, oui on joue avec le feu, mais on prend des risques calculés et on évite le pire dans les interventions grâce à notre présence, grâce à ce foutu charisme dont on irradie et qui pourrait bousculer les étoiles, à ça oui on a un sacré charisme, une putain de flamboyance je te dis, de vrais acteurs d’improvisation passant de la dérision à la parfaite violence, des comme nous ça ne se fait pas surprendre hein gros, parce qu’on est des bons, hein gros ? C’est pas vrai ? Et nous rions nerveusement. On s’est fait prendre comme des bleus.

    Commençons l’enquête. Bon l’affaire, rien que l’affaire. Le défenestré a fermé la grande fenêtre qui a une glissière à fermeture automatique, donc il a pu refermer celle-ci  une fois sur le bord.  Ce n’est probablement pas l’éventré qui l’a poussé dans le vide. Sur le rebord de la fenêtre il n’y a aucune trace de griffures, donc pas lieu de croire que le défenestré s’est accroché au rebord tandis qu’un autre aurait cherché à le précipiter dans le vide, pas de trace de lutte dans la chambre d’où a sauté le malheureux, donc on ne l’a pas poussé. Un témoin, ouf ! a vu le type sauter, et il a sauté tout seul, sans que personne ne l’y ait poussé. L’enquête de voisinage nous apprend que l’éventré était un ami du défenestré et qu’ils avaient eu de violentes disputes récemment à propos de sujets intimes. Sans qu’il ne soit permis de dire qu’ils avaient une relation passionnelle ces deux anciens hétérosexuels passaient leur temps ensemble et il semble qu’ils soient devenus un couple, oui, mais un couple avec des engueulades. L’éventré vivait plus ou moins dans l’appartement et les voisins entendaient crier régulièrement.

    L’idée qui nous vient est que le défenestré a éventré son compagnon, puis dans un remords amoureux s’est jeté dans le vide. On a donc un homicide suivi du suicide de l’assassin. Ça semble être cela. Mais on est nauséeux. Dans un cas comme celui-là on aurait pu crever, en plus on n’a même pas mis notre pare-balles, depuis quand les morts gardent-ils chez eux des moribonds pour vous tuer ?

    C’est quelque chose comme la fin de l’hiver et le début du printemps. La banlieue a des matinées humides et des après-midi où la chaleur monte déraisonnablement. Je suis dans la voiture pour rentrer, le Procureur semble séduit par nos déductions, mais je ne me sens pas mieux. Flic c’est être un homme ordinaire qui doit tirer au puits de son courage pour des combats qui n’en valent pas ou peu la peine, et ceux qui meurent en service chez nous, c’est toujours sur des trucs cons, pour des cas sociaux ou à cause d’un type bourré qui conduisait vite et qui vous fauchait alors que vous étiez en signalisation au bord de la route. Si je voulais un peu d’aventure en rentrant dans la police je ne connais en commissariat de banlieue que la détresse des gens, la violence de personnes au bout du rouleau, le racket de petites frappes qui aiment humilier et je ne suis finalement qu’un acteur dans des vies qui basculent. Un type qui doit prendre sur lui pendant qu’en face des paumés lui hurlent à la figure. Pas un aventurier comme j’avais souhaité. Si je dois risquer de crever, ça sera pour une intervention sordide chez des gens glauques.

    Ma mauvaise humeur ne passe pas, comme celle de Gaétan d’ailleurs. On rentre pour finir de longs procès-verbaux relatant notre intervention. On a le corps plein dans le jus comme on dit, j’ai l’habitude de ça, je suis vraiment flic et pas grand-chose aujourd’hui ne m’étonnera ni ne m’écœurera à traiter. J’accepterai de travailler sur n’importe quelle affaire sordide sans rechigner ni soupirer, parce que je suis « dedans ». L’affaire m’a complètement dépucelé pour la journée, et je ne suis bien que dans la poisse de mon travail et bien dans ma peau de flic. Ce type qui n’aurait jamais dû être là aurait pu me tuer et est mort à mes pieds, j’ai son sang sur mon pantalon, et je n’ai pas envie de me changer. Je suis dans leur vie à tous les deux, et j’ai un peu de sa vie à lui sur moi, maintenant on est presque intimes, faut faire parler les cadavres voilà tout, je suis complètement immergé dans leur jus et dans ses boyaux, maintenant j’ai oublié nos risques parce que je suis happé par l’enquête. Et j’aime ça parce que je suis un flic. Cela sera une fois que je me retrouverai seul que je devrai faire face à ma conscience.

    Je rentre chez moi un peu rêveur et j’égare mon regard dans les méandres des nuages, nous abordons le printemps et les grandes forêts encerclant la ville de Senlis s’étoilent de jonquilles. Je sens que dans ce boulot rien n’est certain, que contrairement aux autres professions on vit trop dans le présent, on a parfois l’impression qu’on peut rester marqué, blessé ou même y passer. La violence réveille les instincts de survie, c’est-à-dire votre vigilance, votre agressivité, votre peur et votre excitation. Le tout mélangé avec un des quatre qui domine les autres, pour sceller votre attention dans le présent. Je pense à Camille, je ne sais pas trop si je dois lui parler de cette affaire. Il y a quelques mois elle m’a annoncé qu’elle était enceinte. Elle s’était levée avant moi et était sortie de la salle de bains, son petit test rose dans la main avec deux barres de couleur au milieu. Je l’avais prise dans mes bras puis j’avais pris son visage dans mes mains pour lui dire que j’étais heureux, que je l’aimais et depuis nous vivons un nouveau bonheur parce qu’il est inédit. Nous découvrons ensemble sa grossesse, et nous sommes déjà habités par cette présence qui grandit dans son ventre.

    Je rentre chez nous et tais ma journée à Camille. La soirée se passe sans rien de précis. Je ne veux pas regarder la télévision, je privilégie une écoute musicale avec des lectures de poésie. Cette nuit-là je rêve d’une journée graisseuse de pollution où les objets suintent de saleté poussiéreuse. Avec Gaétan nous montons à l’appartement comme de parfaits idiots qui à chaque étage se rendent compte de leurs oublis de sécurité et qui en rient alors que moi, observateur qui vis le rêve, je sens le danger, pas comme cet idiot de Barbicaut qui me fait l’effet d’un parfait abruti. Avant de frapper à la porte, celle-ci s’ouvre et une grande maigre habillée d’une aube à capuche noire nous fait signe d’entrer, le temps de voir dans sa capuche qu’il s’agit d’un squelette je vois au fond du couloir le type avec les boyaux au sol qui vide son barillet sur Gaétan et moi. Je le vois tirer distinctement et sens chacun des pruneaux me rentrer dans la viande, avec un sentiment d’impuissance qui fleurit à ma bouche un « merde ». Nous sommes perforés au niveau du ventre et on se vide de sang chaud ; au sol on glisse dans notre vie gluante et rouge et on se regarde avec Gaétan sans pouvoir parler, sans pouvoir se dire un mot, comme des poissons qui ouvrent la bouche, mais sont muets et je me réveille.

    Je me lève et vais chercher entre les persiennes des volets le sillage de la lune. Je regarde notre bibliothèque et fouille quelques poèmes à lire pour rentrer dans le silence apaisé de la nuit comme un noyé s’enfonce et finit par se dissoudre dans l’eau claire. Le problème dans ce boulot c’est qu’on ramène un corps au système nerveux prêt à affronter n’importe quoi, mais qu’il est rarement au

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1