Une larme sur le cahier, à la date du 10 juin 2022. Une larme oubliée. Alice Géraud ne se souvient pas de l’avoir versée. La première des 56 victimes du violeur de la Sambre témoigne à la barre. Une vieille dame frêle, 75 ans, intimidée par le cérémonial abscons des assises. « Cet homme a gâché ma vie. » Pendant trente ans, elle s’est tue. Elle n’a rien dit, ni à son mari ni à ses enfants. Trente ans de silence. Le président de la cour d’assises de Douai la bombarde de questions. Pas malveillant, non, mais maladroit. Au fil des années, ses déclarations ont varié, il veut comprendre. Elle entend mal, la vieille dame. Elle panique. Elle cherche son fils. Son avocate s’est rapprochée. « Mais… c’est moi, l’accusée ? » La vieille dame quitte la salle en pleurs. Alice Géraud se souvient de son effroi, pas de la larme sur ses notes. Elle assiste au procès pour écrire un livre*.
Au départ, c’est le fait divers qui l’a attirée. Une histoire stupéfiante. Durant trente ans, un homme a semé le chaos sur sa route. Entre 1988 et 2018, sur une zone d’à peine 90 kilomètres carrés, des femmes et de très jeunes filles ont été agressées par un psychopathe le long d’une même route en se rendant à l’école ou à leur travail. Un territoire minuscule du côté de Maubeuge, le long de la vallée de la Sambre, coincé contre la frontière belge. Les policiers chargés du dossier dénombrent près de 80 victimes. Cinquante-six femmes se sont portées partie civile. Toutes, étranglées, se sont vues