Une peau noire vue par des yeux bleus
Par Gilles Leclyan
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Une peau noire vue par des yeux bleus - Gilles Leclyan
Une peau noire vue par des yeux bleus
Gilles Leclyan
Une peau noire vue par des yeux bleus
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2016
ISBN : 978-2-312-04423-1
J’essaie d’aider Juliet à vivre normalement en France. J’essaie de lui tenir son moral, de la former aux us et coutumes de la « France », de l’accompagner dans sa vie d’après la prostitution forcée, de faire survivre sa famille au Nigéria après leur « prise d’otages » par le réseau de traite d’humaines organisé par la famille ODEH à Bénin City.
J’essaie et je me heurte au silence des associations et des ministères. Je me sens terriblement incompétent et impuissant à pouvoir leur venir en aide.
J’écris ce journal en témoignage, dans l’espoir d’avoir ce soutien ou cette aide que je demande depuis maintenant longtemps. En attente d’un soutien, je « dialogue » avec les uns et les autres.
Voilà comment ce journal s’est construit.
Fin 2009
Juliet arrive en France sous le nom de Shola. Elle est achetée par les trafiquants 2000 € au « pied de l’avion » à Roissy Charles de Gaulle. Elle est à la merci prise d’une proxénète nigériane dont la fille organise le trafic pour la France. Cette fille se nomme Jennifer ODEH.
Après 4 semaines de prostitution Juliet veut retourner au Nigéria mais il faut payer 50 000 € pour être libre. Elle n’a plus de passeport.
Les trafiquants font une demande d’asile auprès de l’OFPRA (dossier 2009 12) avec l’aide involontaire des « Amis du Bus des Femmes », association de défense des prostituées, sur la base d’un dossier qui ne peut tromper personne.
Sans être un spécialiste et pour avoir vu le dossier il est évident qu’il s’agit d’un faux « grossier ». L’OFPRA accorde les aides qui sont directement empochées par les trafiquants. Pour Juliet et avec une compatriote nommée Mabel, leurs vies sont identiques : prostitution, humiliation, etc.
Finalement l’OFPRA refuse le droit d’asile. Juliet entre dans le labyrinthe du droit français.
14 juin 2010
J’arrive en Région Champagne Ardennes. J’ai 50 ans aujourd’hui. Je débarque de Normandie. Ma boîte a fermé chez moi. Me voilà isolé la semaine, en famille le weekend end en Normandie.
Dures sont les soirées, en général un petit whisky, une télé, un whisky et au lit.
21 mars 2011
Jennifer ODEH et sa « lieutenante » Loveth, jeune sœur de Jennifer, sont condamnées par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de Troyes. C’est dans cette ville que Juliet est prostituée de force. Les deux proxénètes sont condamnées à deux ans de prison et à l’expulsion.
Juliet et Mabel, camarade de misère, sont jetées à la rue par la police. Il n’y a pas trace de témoignage écrit. La police ayant dit qu’elles n’étaient pas très coopératives. Les trafiquants les condamnent à mort si elles retournent au Nigéria pour avoir parlé à la police française.
Il existe pourtant une attestation de témoignage rédigée par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE de Troyes. Elle est à la rue, sans papier ni assistance. À cette date j’ignore que Juliet/Shola existe.
25 mars 2011
Pose café au bureau, je feuillette le journal. La Une.
Proxénétisme : deux Franciliennes derrière les barreaux
Publié le jeudi 24 mars 2011
Un article :
Bec et ongles, Jennifer et Loveth ODEH, deux Nigérianes âgées de 27 et 26 ans, placées en détention provisoire depuis début mars, contestent le proxénétisme aggravé que la Justice leur reproche. Mais sans vraiment y croire. Sans argument bien convaincant.
En face, côté parquet, les charges sont accablantes, résultant d’une enquête de neuf mois et des confidences de trois jeunes prostituées nigérianes. L’affaire examinée hier au tribunal correctionnel de Troyes a permis de mettre en lumière un peu de ces « belles de nuit » qui s’affichent chaque soir sur les trottoirs du Boulevard Gambetta. Venues de Paris par le train de 21 heures, elles y retournent au petit matin, par celui de 5 heures… C’est à leur arrivée à la gare de l’Est que trois d’entre elles sont interpellées au matin du 1er mars dernier, par les policiers de l’OCRETH (Office central de répression de la traite des êtres humains). Elles admettent spontanément se livrer à la prostitution mais affirment unanimement l’exercer « librement ». Pourtant, les surveillances physiques et surtout téléphoniques, réalisées depuis juin 2010, démontrent le contraire.
« Ces trois jeunes femmes ont mis longtemps avant de confier leurs conditions de vie, elles étaient terrorisées non seulement pour leur intégrité physique mais pour leur famille restée au Nigéria », souligne un peu plus tard Sofian saboulard, représentant du ministère public.
« La Madame »
Aucune des trois n’était présente à l’audience d’hier mais aux enquêteurs, elles ont confirmé ce que révélaient leurs fréquents échanges téléphoniques : l’argent qu’elles devaient verser à une femme qu’elles n’appelaient que « La Madame », les violences qu’elles subissaient de sa part quand le tapin n’avait pas été assez fructueux, du « loyer de 300 € qu’elle devait verser à celle baptisée « Mama », en échange de leur bout de trottoir troyen. Jennifer ODEH est accusée d’être « La Madame ». le 1er mars, elle a été interpellée dans l’appartement qu’elle loue à Stains (93) et qu’elle sous-loue, à Loveth ainsi qu’à deux des trois prostituées supposées travailler pour elle.
Hier, Jennifer ODEH, elle même ancienne tapineuse – « On m’a obligée à le faire quand j’ai été amenée en France » – a maintenu ne leur avoir jamais rien demandé d’autre que le loyer et même, avoir tout ignoré de leur activité. Même Loveth pourtant la pensait au courant ! Loveth, elle, est présumée être « Mama », celle qui serait venue surveiller les filles sur place, et les aurait taxées des 300 € mensuels « pour la place ». La jeune femme nie catégoriquement tout rôle de mama :
« Je travaillais, tout comme elles et tout aussi librement. je ne leur ai jamais rien pris ».
N’empêche, Loveth est bien incapable d’expliquer pourquoi « les filles » l’auraient dénoncée sans raison. Et Jennifer se montre tout aussi incapables de répondre, avec cohérence, aux questions du président Romain Leblanc sur les importants versements effectués en espèces, sur son « livret A » : 5 800 entre mars et juillet 2010. Les trois prostituées, elles, ont évoqué l’argent qu’elle devait remettre à « La Madame », sitôt de retour de Troyes.
La peur de la « malédiction » Toutes ont fait état de cette étrange et lourde dette, qu’elles s’évertuaient nuit après nuit à solder, pour échapper à « la malédiction » du « Djudju ». L’ensorcellement aurait été la contrepartie de l’acheminement vers la France. « La candidate doit s’engager à rembourser quand elle sera en France, la somme de 50 000 €. Quelques poils pubiens, un bout d’ongle et d’un peu de sang lui sont prélevés afin de l’envoûter. Si elle ne tient pas parole, elle et sa famille seront vouées à la malédiction perpétuelle », expose le président. Et quand, après Jennifer, Loveth assure n’avoir jamais entendu parler de ces pratiques, le représentant du ministère public la prend en flagrant délit de mensonge : « Il y a quelques années, vous avez écrit de votre main à un procureur de la région parisienne pour dénoncer des faits similaires dont vous étiez victime. Cette pratique est constante dans les réseaux de prostitution nigérians ».
Toujours est-il que des trois prostituées interpellées le 1er mars, l’une a confié avoir réussi à payer sa dette et la deuxième a confié avoir déjà versé 35 000 € depuis 2008 qu’elle est arrivée. «
Quand on ramène moins de 500 € par semaine, la Madame prend l’argent mais ne le déduit pas de la dette », a-t-elle précisé.
Relaxe plaidée
« On assiste sur le territoire national à un développement du proxénétisme féminin. L’OCRETH estime que 39 % des proxénètes sont des femmes et c’est un constat qui s’applique tout particulièrement aux réseaux nigérians », a fait valoir Sofian Saboulard avant de mettre l’accent sur « les contraintes physiques, financières et psychologiques » que les deux prévenues infligeaient aux trois prostituées. Il a souligné « la dimension culturelle de ce dossier », rappelant à quel point l’histoire de « l’ensorcellement terrorisait réellement les trois femmes » et il a fustigé « deux prévenues qui avaient connu les mêmes histoires avant d’exploiter à leur tour la souffrance d’autres femmes, simplement pour de l’argent facile ».
Pour la défense, Me MISAMOU, a plaidé la relaxe, invoquant « toute absence de preuve » : « Ce dossier relève de la pure construction intellectuelle ».
Le tribunal n’a pas été du même avis. Déclarées coupables, les deux prévenues ont été condamnées aux peines requises : deux ans de prison ferme pour Jennifer et un an ferme pour Loveth. Avec pour chacune, un maintien en détention et à leur sortie, une interdiction de territoire français pendant cinq ans. Elles ont écouté le jugement sans exprimer la moindre réaction.
L’Est Éclair
Article lu, mon café bu, retour au bureau en pensant
« Il y a des putes dans ce trou du cul du monde, même là ».
L’année 2011 avance, l’été arrive. Las des soirées whisky, télé, whisky, un soir je décide d’aller à Troyes renifler l’ambiance des putes. Un monde que j’ignore.
Ce soir-là, vers 23 h 00 je gare la voiture. La boule au ventre, j’ai peur de « mon aventure ». Au point d’aller aux toilettes publiques. Mais j’y suis. Le monde des putes est là. Près d’un feu tricolore des « slaves » s’engueulent. C’est violent. Je passe mon chemin.
Plus rien après.
Je reviens sur mes pas.
Puisque j’y suis je décide de jouer « la chose ». Dans le groupe je choisis la brune, celle qui en prend plein la tête par sa « cheffe » je suppose. Je la choisi parce qu’elle me plait.
Hôtel.
Elle garde ses chaussettes. On en rit. On ne parle pas. Personne ne connait la langue de l’autre. Retour vers son poste de travail. À l’arrêt au feu proche de la grande pharmacie, quartier de la gare, des ombres se confondent aux ombres de la nuit.
« Tiens, les blackes sont là. »
L’année 2011 sent l’automne.
Fin 2011
Je fais la connaissance de Juliet. Cette rencontre a débuté un soir d’Octobre ou Novembre 2011. Il est environ 21 h 30. Je sors de la gare de Troyes. Une fille prend son poste juste devant ma voiture. Au loin je me dis :
« Putain ! Elle va me faire chier celle-là. »
J’arrive à ma voiture. Elle me demande :
« Tu veux faire l’amour. »
Banal.
Mais, pendant qu’elle me répète ses mots je vois son regard. Ce regard qui me glace encore aujourd’hui. Le regard d’un animal que tu viens d’écraser qui semble te dire en reproche :
« Pourquoi tu m’as tuée ? »
Et en même temps :
« Sauve-moi. »
Hôtel.
Elle me demande si elle peut appeler sa famille. J’accepte. Elle parle une langue que je ne connais pas. Même quand elle me parle anglais j’ai bien du mal à suivre.
Une langue africaine, je suis aux antipodes. Sa conversation dure. Elle rit et semble heureuse de leur parler. Je regarde la télé.
C’est un soir gris et froid…
C’est Juliet.
Juliet, une à deux fois dans l’hiver qui arrive. On s’estime.
Noël en famille.
Année 2012
Juliet, en vacances dans mon appartement pendant que je bosse, ça arrive de temps en temps. Je vois bien qu’elle aime vivre loin de ses trottoirs.
Des fois elle en a marre de la rue, alors vers de 2 h 00 du matin elle m’appelle. Je la récupère dans son quartier. Aller/retour il est 4 h 30. Elle se couche dans mon lit. Je regarde la télé et vais bosser.
Et j’aime bien. Je ne suis pas tout seul. C’est interdit. Alors j’aime bien.
1 juin 2012
J’ai enfin obtenu ma mutation. Retour en région parisienne. J’ai rendu l’appartement. Juliet m’a aidé à démonter les étagères. Elle a appris à se servir d’une deviseuse. On est triste. Mais c’est la vie. Et j’en avais vraiment, vraiment marre de cette vie de merde.
Retour chez moi, en famille, c’est bien.
Avant de partir je lui promets de l’aider
Septembre 2012
La rentrée.
Je l’invite dans une brasserie dans l’ouest parisien. Au cours du repas je lui dis :
« Tu dois te faire un max de fric avec ton job. »
Réponse claquante
« Je vais te dire mais pas là ! »
Une précision. Toutes conservations se font en anglais/français
basiques.
On va à l’hôtel. Elle me raconte l’histoire connue des sans papiers, des proxénètes. Tout ce qu’on connait par l’actualité. Je prête une attention relative. Pourtant elle est convaincante.
On se revoit quelques temps plus tard. Elle a un dossier. Je découvre Shola, l’identité inventée par les trafiquants, des formulaires de France Terre d’Asile et un tas d’amendes SNCF impayées. Pour ça je lui dis.
« Pas de souci, t’as pas d’identité. »
23 novembre 2012
Juliet est arrêtée par les gendarmes de Nogent sur Seine suite à un défaut de titre de transport dans le train Paris-Troyes.
Le préfet de l’Aube ordonne son expulsion. Elle est enfermée au centre de rétention du Mesnil-Amelot pour la 2e fois depuis arrivée en France.
26 novembre 2012
Sms de Juliet me demandant de l’aide. Elle ne sait pas dans quelle prison elle se trouve. J’allais à un rendez-vous professionnel. Je laisse tomber le rendez-vous. Le sms semble alarmant. Elle me demande de lui acheter une recharge Lycamobile. Je ne sais pas ce que c’est.
La galère pour les choses simples lorsqu’on est ignorant. Tu veux aider et tu ne sais rien faire. Bref, je comprends ce qu’est une recharge Lyca.
Je me rappelle les formulaires de FRANCE TERRE D’ASILE. Je les contacte par mail.
27 novembre 2012
Envoyé : 27/11/12 09 : 13
À : SAER
Objet : France Terre d’Asile : Demande d’aide pour personne en garde à vue
Je connais une prostituée d’origine africaine sans papier. Cette personne est en garde à vue depuis hier pour semble-t-il 3 jours dans des locaux de police à Paris. Elle a fait appel à moi car je suis la seule personne avec qui elle communique hormis ses clients. Je m’adresse à vous parce qu’elle m’a montré des papiers de demande d’asile transmis par votre association en 2011. Comment puis-je l’aider ? Merci de me répondre
Message du : 27/11/12 15:16
Réponse de : SAER
Réf : ML/12/314
Faisant suite à votre demande d’aide concernant votre amie actuellement placée en garde à vue, nous aurions besoin d’en savoir davantage sur sa situation.
En effet, comment savez-vous qu’elle a été placée en garde à vue pour une durée de 3 jours ? De plus, a-t-elle été placée en garde à vue en raison de l’exercice de son activité en tant que prostituée ? Savez-vous si votre amie exerce « librement » ou si elle exerce dans le cadre d’un réseau de proxénétisme ?
Vous dites par ailleurs qu’elle a été reçue par notre association en 2011 dans le cadre d’une demande d’asile, mais savez-vous par quel service elle a été reçue ? Savez-vous également où en est sa demande d’asile (rejet OFPRA/CNDA) ?
Par ailleurs, les actions à entreprendre divergeront en fonction des suites de la garde à vue. En effet, dépendant des faits pour lesquels elle a été placée en garde à vue, elle peut être poursuivie/déferrée, placée en rétention, ou être libérée.
Aussi, êtes-vous en contact avec son avocat ? Si elle n’en avait pas, elle a eu accès à un avocat de permanence durant sa garde à vue.
Je vous invite par conséquent à nous recontacter lorsque vous aurez davantage de précisions concernant sa situation.
Service d’aide aux étrangers retenus
saer@france-terre-asile.org
FRANCE TERRE D’ASILE
24 rue Marc Seguin – 1er étage
75018 PARIS
Envoyé : 27/11/2012 16:53
Ma réponse :
merci de votre retour
C’est elle qui m’a écrit par sms lundi pour les 3 jours. Je peux communiquer avec elle par sms et téléphone. J’ai pu lui transmettre par sms un crédit téléphone. Elle vient de me dire que sa « garde à vue » serait finie vendredi. Soit 4 jours. Elle a vu un avocat. Elle m’affirme que son avocat lui a dit qu’elle ne peut pas être expulsée vers son pays. Elle sera libérée vendredi.
Son histoire :
Elle vient du Nigéria à travers un réseau qui ressemble à un trafic. Elle est arrivée en France il y a 3 trois ans. Elle est née le 21/06/19xx. Certains documents indiquent mai 19xx. Ce réseau (une femme) lui demande 50 000 €. Elle en en déjà payé 25 000 €.
Elle a fait sous un nom de « princesse avec relations homosexuelles » dont je n’ai malheureusement pas retenu le nom un dossier avec fausse identité et l’adresse une boite postale. La demande d’asile qui a dû être suivie par quelqu’un de votre association (Je n’ai pas détaillé le dossier) a été rejetée par L’OFPRA en 2011 d’après ma mémoire. J’ai vu ces documents.
Ce dossier était organisé par le réseau. Elle est livrée à elle-même depuis. La personne du réseau ayant quitté la France avec son passeport.
Cependant elle doit toujours payer car ses parents sont sous menace ; ou elle est sous chantage.
Je crois que mon amie me dit la vérité.
Elle a reçu de la part de