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Tuez-les toutes !: Une enquête d'Ève Milano et Philippe Tavel - Tome 1
Tuez-les toutes !: Une enquête d'Ève Milano et Philippe Tavel - Tome 1
Tuez-les toutes !: Une enquête d'Ève Milano et Philippe Tavel - Tome 1
Livre électronique580 pages8 heures

Tuez-les toutes !: Une enquête d'Ève Milano et Philippe Tavel - Tome 1

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À propos de ce livre électronique

Voyage à travers la Dordogne sur les trace d'un tueur en série hors normes qui assassine des jeune filles enceintes...

Janvier 1995, une pluie démentielle noie la ville de Limoges et ses alentours. Les corps martyrisés de deux adolescentes sont retrouvés flottant sur la Vienne. L'inspecteur principal Barakian, assisté d'un jeune officier de police, enquête sur ce qui paraît être les crimes d'un tueur en série. Il trouve la mort au cours d'une arrestation mouvementée, mettant ainsi fin à ces meurtres sordides qui excédaient une population à bout.

Février 2015, il pleut sans discontinuer depuis plusieurs jours sur Périgueux. Deux corps suppliciés d'adolescentes sont retrouvés à quelques jours d'intervalle dans une grotte touristique et flottant sur la Vézère en furie.
Eve Milano et Philippe Tavel, officiers de police judiciaire, sont saisis — avec la gendarmerie —, pour enquêter, au grand dam du major Blainville, misogyne jusqu'au bout des ongles. Cette enquête sur les crimes de tueurs en série va prendre une autre tournure lors de l'assassinat d'une troisième jeune fille. Les trois victimes ne partagent qu'un élément commun, une grossesse précoce ; pas assez concordants, selon le psychologue engagé par la gendarmerie, pour parler de l'œuvre d'un seul psychopathe. L'abandon d'un message sur le corps de chaque victime interpelle Milano. Il pourrait s'agir d'un rendez-vous morbide pour le crime suivant. Les intempéries vont compliquer le travail des enquêteurs, rendant les routes impraticables et provoquant le déraillement d'un train et une surcharge de travail pour des médecins légistes très investis.
Plusieurs suspects vont chambouler leurs investigations. Milano finit par identifier un tableau peint au Moyen Âge qui inspirerait les meurtriers. Un tableau auparavant accroché aux murs d'une école fermée depuis longtemps.
Une quatrième adolescente disparaît. Un compte à rebours diabolique s'est enclenché pour tenter de la sauver.

Ce polar noir conjugue passé et présent avec une intrigue sur fond de scandale !

EXTRAIT

"— Alors, en quoi cette pêche au macchabée est-elle susceptible de nous intéresser ?
— Eh bien… Tavel hésita. Il s’agit peut-être d’une seconde victime tuée selon le même mode opératoire. Le premier corps a été découvert il y a cinq jours.
— Hein ? Tu ne me parles pas de la gamine qui a fait une fugue et qui a été retrouvée morte dans une grotte.
— C’est ce que la gendarmerie a laissé filtrer. Mais les brancardiers de l’Institut médico-légal ont raconté une tout autre histoire, le corps aurait été martyrisé.
Milano grimaça. L’affaire s’annonçait mal. Si les gendarmes étaient restés discrets, c’est qu’ils ne voulaient pas voir la police piétiner leurs plates-bandes. Ça sentait le conflit d’autorité à plein nez. Et à chaque fois qu’il y avait conflit, l’enquête s’enfonçait dans un bourbier inextricable au seul dépend des victimes."

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"Une belle écriture, un vrai suspense qui nous tient en haleine, des personnages attachants." - Abfabetcie, Babelio

"Une très belle découverte ! Si vous aimez ce genre de lecture noire, vous y trouverez quelque chose de bien cousu et une enquête qui va vous emmener dans de sombres recoins et dans un passé lourd de secrets." - Blog Les Mots de Lau

À PROPOS DE L'AUTEUR

Sophie Mancel-Hainneville vit dans le sud de la France. Après une maîtrise en droit privé, trois enfants et l'administration d'une école, elle revient vers ses premiers amours, l'écriture de polars.
Tuez-les toutes ! est son second roman, plus sombre, dans lequel Eve Milano va devoir faire face à ses fantômes.

LangueFrançais
ÉditeurEx Aequo
Date de sortie30 août 2017
ISBN9782359629538
Tuez-les toutes !: Une enquête d'Ève Milano et Philippe Tavel - Tome 1

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    Aperçu du livre

    Tuez-les toutes ! - Sophie Mancel-Hainneville

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    Table des matières

    Résumé

    Tuez-les toutes !

    Dans la même collection

    Résumé

    Janvier 1995,

    Une pluie démentielle noie la ville de Limoges et ses alentours. Les corps martyrisés de deux adolescentes sont retrouvés flottant sur la Vienne. L'inspecteur principal Barakian, assisté d'un jeune officier de police, enquête sur ce qui paraît être les crimes d'un tueur en série. Il trouve la mort au cours d'une arrestation mouvementée, mettant ainsi fin à ces meurtres sordides qui excédaient une population à bout.

    Février 2015,

    Il pleut sans discontinuer depuis plusieurs jours sur Périgueux. Deux corps suppliciés d'adolescentes sont retrouvés à quelques jours d'intervalle dans une grotte touristique et flottant sur la Vézère en furie.

    Eve Milano et Philippe Tavel, officiers de police judiciaire, sont saisis — avec la gendarmerie —, pour enquêter, au grand dam du major Blainville, misogyne jusqu'au bout des ongles. Cette enquête sur les crimes de tueurs en série va prendre une autre tournure lors de l'assassinat d'une troisième jeune fille. Les trois victimes ne partagent qu'un élément commun, une grossesse précoce ; pas assez concordants, selon le psychologue engagé par la gendarmerie, pour parler de l'œuvre d'un seul psychopathe. L'abandon d'un message sur le corps de chaque victime interpelle Milano. Il pourrait s'agir d'un rendez-vous morbide pour le crime suivant. Les intempéries vont compliquer le travail des enquêteurs, rendant les routes impraticables et provoquant le déraillement d'un train et une surcharge de travail pour des médecins légistes très investis.

    Plusieurs suspects vont chambouler leurs investigations. Milano finit par identifier un tableau peint au Moyen-âge qui inspirerait les meurtriers. Un tableau auparavant accroché aux murs d'une école fermée depuis longtemps.

    Une quatrième adolescente disparaît. Un compte à rebours diabolique s'est enclenché pour tenter de la sauver.

    Sophie Mancel-Hainneville vit dans le sud de la France. Après une maîtrise en droit privé, trois enfants et l'administration d'une école, elle revient vers ses premiers amours, l'écriture de polars.

    Tuez-les toutes ! est son second roman, plus sombre, dans lequel Eve Milano va devoir faire face à ses fantômes.

    Sophie Mancel-Hainneville

    Tuez-les toutes !

    Thriller

    ISBN : 978-2-35962-953-8

    Collection Rouge

    ISSN : 2108-6273

    Dépôt légal aout 2017

    ©Ex Aequo

    ©2017 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays. Toute modification interdite.

    Éditions Ex Aequo

    6 rue des Sybilles

    88370 Plombières les bains

    www.editions-exaequo.fr

    PROLOGUE

    Limoges : janvier 1995

    L’inspecteur Barakian quitta l’Institut Médico-légal en maugréant. Le légiste venait de rendre ses conclusions en salle d’autopsie. Trente ans qu’il jurait ne plus y assister, il s’y rendait néanmoins à chaque crime. Non pour renifler ces infects relents de sang et de chair altérée mêlés de désinfectant. Non pour se badigeonner les narines de Vicks pour échapper au parfum de la mort, bien que certains collègues déclaraient que l’odeur de la mort ça s’apprenait. Uniquement pour considérer le corps allongé sur la table et livré aux injures d’un examen post-mortem. Pour rendre un peu d’estime à ce qui était il y a si peu un être humain doué de pensées et d’émotions. Barakian, au-delà de l’enquête criminelle, se sentait investi d’une mission, rendre leur dignité aux victimes. Dans un cimetière, il avait lu sur une stèle une formule qu’il avait faite sienne : « L’homme mort ne connaît pas son indignité puisqu’il est mort », et de rajouter, « A l’homme vivant, de lui rendre hommage ».

    Il glissa une gitane entre ses lèvres sous le regard réprobateur d’une infirmière qui désignait d’un geste de la tête un panonceau accroché au mur. Il lui répondit d’une voix enrouée par le wagon de cigarettes qu’il avait fumé sa vie durant.

    — Je sais lire, « Interdit de fumer ». Je ne vois pas qui ça peut déranger dans votre usine à macchabées.

    L’officier de police alluma sa cigarette et exhala une longue bouffée en descendant le perron de l’IML, histoire de se remettre les tripes en place.

    Il jeta un coup d’œil vers le ciel aux teintes de plomb traversé par des nuées grises. Depuis quatre jours, il tombait des trombes d’eau sur la région. Le jour avait laissé place à la nuit. Les réverbères restaient allumés en permanence ce qui n’allait pas arranger le budget de la Mairie déjà en déficit. Les eaux de ruissellement avaient fait monter le niveau de la Vienne qui sortait de son lit, envahissaient champs et routes à la périphérie de Limoges, formant par endroits de vastes étendues d’eau pareilles à des lacs ou d’obscurs marécages où venait s’embourber le bétail sous le regard désemparé d’agriculteurs. Les météorologues promettaient une éclaircie chaque veille, et chaque matin les déversoirs du ciel déchargeaient leur trop-plein sans annoncer une quelconque amélioration. Les principaux axes de circulation disparaissaient sous une nappe boueuse obligeant les services de la voirie à rouvrir d’ancestrales voies secondaires pour maintenir le trafic routier opérant ces jours de crue.

    Barakian rejeta lentement la fumée. Il sentait une quinte de toux arriver. Elle était toujours précédée d’une compression des poumons. Une ruse que le vieil asthmatique qu’il était avait percée depuis longtemps. La cigarette c’était son « arsenic », et puis personne ne l’attendait à la maison. Son Angèle avait filé en douce un matin de Premier de l’an. Un AVC sans prémices, même pas le temps de lui dire à bientôt. Alors, la cigarette !

    Il tira une nouvelle bouffée. À travers le rideau de pluie, il distinguait dans la voiture de service son adjoint en train d’en griller une aussi, pour passer le temps.

    Bon sang de débutant qu’on lui avait refilé.

    Incapable de suivre une autopsie sans vomir. Aussi l’en avait-il dispensé pour la bonne marche de l’enquête. Et puis parce que le substitut, un freluquet de la même trempe que son adjoint, ne résistait guère plus et affichait à chaque séance une teinte curieuse, entre le blanc et le gris, à la limite de la rupture. Et enfin parce que Barakian en avait marre d’éponger le déjeuner du gamin à la serpillère.

    Monsard était un fils à papa qui avait décidé de démarrer une carrière de flic en partant du bas de l’échelle, pour connaître les impressions des sans-grade, qui auraient bien échangé leur expérience contre son Master en droit pour filer directement au grade de Commandant avec le salaire correspondant. Parce que question traitement ce n’était pas le Pérou et l’administration se faisait toujours tirer l’oreille quand il s’agissait de rembourser les notes de frais. Et puis de mauvaises langues disaient que le jeunot avait raté deux fois le concours de commissaire et qu’à part commencer au bas de l’échelle, personne ne voyait comment il pouvait devenir OPJ.

    Bref, Barakian essuyait les plâtres sur une affaire difficile qui requerrait l’expérience d’un vieux briscard de la criminelle.

    En huit jours, la Vienne avait charrié les corps de deux gamines de quinze et dix-sept ans, dénudées et enceintes. Les fœtus d’environ cinq mois de gestation avaient été prélevés. L’absence d’eau dans les conduits aériens et les poumons et la présence d’une trace de piqure dans le cou indiquaient que toutes deux avaient été droguées avec une dose massive d’un narcotique, entrainant un arrêt du cœur avant d’être balancées dans le fleuve. L’immersion avait lavé tout élément biologique, mais le légiste insistait quand même sur le constat visuel, grandes lèvres et petites lèvres ne semblaient pas avoir été forcées. Il n’y avait pas eu viol.

    Dans quelle case placer un tueur d’adolescentes qui ne violait pas ? Il avait contacté un psy qui lui avait parlé de psychopathie, d’incapacité à entretenir un lien intime avec une femme, de traumatisme remontant à l’enfance. Ce qu’ils allaient pas chercher ces charlatans ! Pour lui un seul nom, détraqué.

    Enfin, ils avaient dragué les deux rives de la Vienne sous une pluie battante, mais les fœtus manquaient toujours à l’appel.

    Le procureur avait réclamé le silence absolu sur un élément capital, les mamelons avaient été prélevés de manière chirurgicale. Si le criminel cherchait à contacter les autorités, seul cet indice permettrait de l’authentifier parmi les nombreux désaxés qui allaient réclamer la paternité de ce double homicide. Barakian ne doutait pas de l’implication d’un même tueur. Une certaine presse parlait d’un tueur en série. Habituellement ces tueurs sévissaient aux États-Unis, terreau fertile pour leur épanouissement. Il semblait pourtant qu’un souffle toxique ait survolé l’Atlantique depuis quelques décennies et la France avait maintenant ses Michel Fourniret, ses Guy Georges, ses Francis Heaulme ou Émile Louis.

    Même à Limoges. Sa cathédrale, ses ruelles moyenâgeuses et sa porcelaine en avaient fait sa renommée. Maintenant, on parlerait du tueur de Limoges.

    Et pour ne pas arranger l’affaire, l’une des victimes n’était autre que la fille aînée d’Édouard Devert, le propriétaire du canard local. Et il ne se privait pas au travers de ses articles de faire le procès d’une police « incompétente », selon ses propres mots. En même temps, qui pouvait lui en vouloir ? Il mettait en terre une enfant qui venait de fêter son quinzième anniversaire.

    La brigade s’était investie dans cette enquête en cherchant chez les sorciers, les maniaques sexuels, les pédophiles, les habitués des sectes et autres égarés de l’esprit. Elle avait poussé la porte du Conseil de l’ordre des médecins pour obtenir la liste de membres rayés de l’ordre pour sadisme sur des patients et chez les vétérinaires pour les mêmes causes. Enfin, chez tous les timbrés que le monde avait enfantés. Il y en avait une ribambelle.

    Et rien !

    Et pas un instant de répit pour la pluie. Le ciel avait oublié de fermer ses écluses. À six mois de la retraite, Barakian pataugeait lamentablement au réel comme au figuré. Il n’aimait pas hurler avec les loups, mais cette fois il comprenait la colère de la population. Ces gamines sortaient à peine de l’enfance. Le vieux flic se demandait s’il y avait bien un Dieu là-haut qui permettait de telles saloperies. Il remonta le col de son imperméable, enfonça sa casquette sur son crâne dégarni, écrasa son mégot dans une flaque d’eau et regagna la voiture.

    — Alors, Patron ?

    Monsard nourrissait une certaine admiration pour son supérieur, admiration qui l’exposait aux railleries des collègues qui le surnommaient « la groupie ». Monsard les ignorait et profitait des mois qui lui restaient auprès du vieux briscard pour acquérir le plus d’expérience possible. Il allait à bonne école, même si le vieux lui imposait le vouvoiement.

    — Alors… le corps de la gosse présente des blessures similaires, exérèse du fœtus, ablation des mamelons.

    — Quelle vacherie ! Ce matin on a dragué le fond de la Vienne près du quai Goujaud, pas loin de l’endroit où on a repêché le corps et plus en amont. Même les plongeurs de la gendarmerie se faisaient embarquer par le courant. Alors, un fœtus, probable qu’il flotte du côté de Saint-Junien, ou alors une carpe l’aura béqueté.

    — Gardez ces réflexions pour vous. Le père de la petite Cécile ne goûterait pas votre pointe d’humour. Bon, dans le sang on a aussi retrouvé des traces d’atropine avec un point d’entrée à la jonction du cou et du torse, certainement une intraveineuse. Barakian tira un papier froissé de sa poche et lut ce qu’il avait griffonné : L’atropine a pour effet d’accélérer la fréquence cardiaque. Elle est utilisée pour traiter les parkinsoniens, mais à forte dose elle peut provoquer la mort par dépression de la respiration, paralysie... coma… décès.

    Bref, on a affaire au même mode opératoire, donc au même profil.

    — Ça confirme nos soupçons dans le milieu médical. Qui pourrait se procurer ce type de médoc, sinon ?

    — Oui. Le légiste est formel, l’ablation des mamelons a été pratiquée selon une technique éprouvée en chirurgie. À qui se fier, maintenant, si les thérapeutes eux-mêmes se mettent à assassiner ?

    — Ça me rappelle une conversation hier à la salle de sport.

    Le vieux flic attendait une suite qui ne venait pas. Il encouragea son adjoint :

    — Vous vous entretenez, c’est bien.

    Monsard songea qu’il ne voulait pas ressembler à son chef au même âge, une bedaine, des rhumatismes et de l’asthme.

    — Je cours sur un tapis, c’est mieux que sous la pluie. De temps en temps, un interne court à côté de moi, un type assez classe, certainement un fils à papa. Bref, on parle de tout et de rien.

    Barakian imaginait que le jeunot devait surtout se faire un peu mousser avec sa carte de Lieutenant de police et l’enquête en cours qui défrayait la chronique.

    — On a discuté un peu de l’affaire. Vous inquiétez pas, je n’ai rien dit que les médias n’aient déjà révélé. Il m’a parlé d’un de ses condisciples dont le petit frère aurait agressé une femme enceinte. Le gars a déjà été interné, mais faute de place en structure de jour, il reste chez son frère pour le moment.

    — Vous avez son nom ?

    — Ouais, Dellile, ils crèchent rue Gambetta.

    — Drôlement obligeant, votre camarade. Mieux vaut ne rien lui confier si on ne veut pas que ça se sache.

    Monsard haussa les épaules et s’enfonça dans son siège.

    — Allez, pour ne pas s’être mouillé pour rien, on va aller rendre une visite au petit frère. Ce type d’individu n’est pas toujours dangereux, s’il reste tranquille un bout de temps, il se fait oublier. Cependant, si dans sa tête ça ne tourne pas rond, un moment ou l’autre il récidive. Je préférerais être là le jour où il va déraper.

    Le lieutenant Monsard opina de la tête et démarra.

    La voiture fila à travers les rues noyées. Sous la pression de l’eau, les égouts avaient expulsé leurs plaques en fonte et un liquide visqueux et nauséabond se répandait dans la ville. Pompiers et militaires, appelés en renfort, installaient des barrages de sacs de sable pour élever une digue artificielle et contenir la montée des eaux. Des camions-citernes organisaient des distributions d’eau potable pour pallier à la pollution des nappes phréatiques sous le regard d’une population accablée.

    Barakian éprouvait un sentiment d’état de siège ou plutôt de fin du monde.

    Une vieille histoire lui revint en mémoire, une anecdote recueillie dans le Premier Testament, qu’il lisait quand il croyait encore à toutes ces bondieuseries. Un bonhomme avait construit un bateau pour y embarquer des couples de chaque espèce afin d’échapper au déluge promis par un Dieu vengeur. Le type se prénommait Noé, un patronyme qu’on ne peut pas oublier quand vos parents, de bons Arméniens pratiquants, ont l’idée de vous inscrire ainsi à l’État Civil, Noé Barakian. Putain de prénom ! Comme on s’était foutu de lui au lycée, Noé l’insubmersible, comme on le surnommait pendant les cours de natation. Depuis il détestait l’eau sous toutes ses formes. Il était servi en ce moment.

    Noé ! Et si cet original avait embarqué dans son rafiot un psychopathe de la veine de celui qu’il traquait en ce moment ? Drôle de société future qui aurait pour géniteur un détraqué !

    La voiture stoppa devant un petit immeuble dont la façade était en ravalement. Un échafaudage montait jusqu’à la toiture. Les ouvriers avaient déserté le chantier battu par la pluie et le vent. À travers les filets de protection, l’inspecteur devinait plusieurs fenêtres éclairées. Barakian désigna le bâtiment d’un hochement de tête :

    — Attendez-moi là. Je veux d’abord rencontrer la famille avant d’envoyer la cavalerie. Après tout, le gars se tient peut-être à carreau.

    — OK, mais si le type est foireux on ne sera pas trop de deux.

    Le vieux flic opina de la tête, releva le col de son imper et s’extirpa du véhicule sous une pluie battante. Philippe Monsard se renfonça dans son siège et alluma une nouvelle cigarette. Il écoutait le claquement de l’eau tambourinant sur le toit. Après tout, ça ne faisait guère que la troisième fois aujourd’hui qu’il faisait le poireau dans cette bagnole puant la clope froide et le chien mouillé. Et dire que son chef lui rebattait les oreilles avec son expérience. Tu parles ! Le vétéran travaillait en solitaire.

    Barakian lut les noms sur les sonnettes, « Dellile-Bar… », le reste était effacé. Il appuya longuement sur le bouton. Quelqu’un déclencha l’ouverture. Le policier se retrouva dans une entrée obscure, l’ampoule du plafonnier était grillée.

    « Aux bons maux les bons remèdes » songea-t-il et il gratta son briquet. La boîte aux lettres indiquait troisième droite, sans ascenseur. Putain d’asthme ! Arrivé au troisième palier, le vieux flic sifflait comme une locomotive lancée à plein régime. Le paquet de gitanes de l’après-midi n’arrangeait pas les choses.

    La porte s’ouvrit à la première sonnerie. Un jeune homme plutôt trapu, un peu court sur jambes, une tête vissée sur des épaules de rugbyman, des lunettes aux verres épais lui donnant un regard de hibou et vêtu d’une blouse médicale, l’accueillit d’un sourire timide.

    Barakian reprit d’abord son souffle :

    — Ça vous développe les poumons, une grimpette comme celle-là. Bonjour, je suis officier de police, je souhaiterais parler à Rémi Dellile.

    Le sourire s’estompa sur les lèvres du jeune homme. Il invita tout de même le policier à entrer.

    — Il s’agit de mon frère. Je suis son tuteur légal depuis le décès de notre mère et de son père dans un accident. Je sais qu’il a fait des choses graves, mais il a été soigné. Je veille à ce qu’il prenne scrupuleusement son traitement.

    — Je n’en doute pas, mais il s’agit d’une enquête de routine. Je dois vérifier l’emploi du temps de toute personne condamnée pour infraction à caractère sexuel.

    — C’est à propos de ces filles qui ont été assassinées, répliqua-t-il brusquement, puis il enfonça ses mains dans ses poches. Je peux vous assurer que mon frère n’y est pour rien. En ce moment, il ne sort pas d’ici, les médocs le shootent et il traîne devant la télé.

    Barakian indiqua sa blouse d’un haussement de tête :

    — Vous êtes interne ?

    — Oui. Je suis un stage en chirurgie à l’hôpital.

    — Votre frère reste donc seul dans la journée ?

    — C’est vrai, mais avec les doses de calmant qu’il avale, je vous garantis qu’il est incapable de passer cette porte d’entrée. Il est sous la douche, je vais le chercher.

    Une curieuse mélodie, déversée par un lecteur de CD, emplissait la pièce de sonorités troublantes. Barakian lut le titre inscrit sur le lecteur : « Molto espressivo, Kyrie de Gyorgy Ligeti ». Il ne savait si c’était la musique ou l’humidité, mais il frissonna.

    Le salon était modestement meublé. Sur un mur étaient épinglées des photos de jeunes hommes revêtus de blouses et assis dans un amphi ou dans un restau-u, un verre levé. L’interne paraissait toujours timide sur les clichés, plutôt en retrait. Sur une étagère reposaient des manuels d’anatomie. Barakian feuilleta un volume épais constitué de planches en couleurs détaillant l’appareil locomoteur, d’autres présentant les systèmes musculaires et nerveux avec des couleurs saisissantes, rien de réjouissant pour un non-initié. Entre deux volumes était coincée une statuette, plus précisément une représentation du Christ flagellé. Barakian l’extirpa avec difficultés. Le socle présentait une sentence gravée :

    « Je tâcherai de conserver le désir d’éprouver de la douleur et du repentir, me rappelant dans ma chair le châtiment et la mort. »

    Le policier éprouva un certain malaise. Qui pouvait bien vouloir éprouver de la douleur ? Les masochistes ?

    L’étudiant revint en compagnie d’un garçon qui ressemblait trait pour trait à son frère. Il prit la statuette des mains de l’officier avec une moue contrariée.

    Barakian détailla les visages :

    — Ne m’avez-vous pas dit être de pères différents ? On pourrait presque vous prendre pour des jumeaux.

    — Rémi a cinq ans de moins, mais curieusement dame nature nous a faits semblables. C’est seulement là-dedans que c’est différent. — Le jeune homme appliqua un index contre sa tempe.

    Puis il se tourna vers son frère :

    — Rémi, Monsieur est officier de police. Il est venu pour te poser quelques questions.

    Le jeune homme s’approcha non sans une certaine méfiance. Barakian se racla la gorge. Il devait s’exprimer le plus posément possible pour éviter d’affoler le garçon. Il savait qu’avec ce type d’individu un interrogatoire pouvait dérailler très vite :

    — Bonjour, Rémi. Je veux juste savoir où vous vous trouviez deux après-midi dont je vais vous préciser les dates.

    Le policier sortit son calepin pour indiquer les jours exacts.

    Rémi regarda son frère avec une stupeur mêlée de colère :

    — Pourquoi l’as-tu appelé ?

    — Ce n’est pas moi, Rémi. C’est juste une procédure au cours d’une enquête. Réponds simplement aux questions et le policier s’en ira.

    Le jeune garçon ferma les yeux quelques secondes, enserra ses tempes de ses mains en grimaçant. Puis il hurla :

    — Tu mens ! Tu les as appelés comme la dernière fois quand tu m’as fait enfermer. C’est la fille qui m’aguichait, je l’ai juste tripotée. C’est elle qui voulait. Elle me montrait ses nichons pour que je les caresse.

    Des gouttes de sueur perlèrent sur son front. Il comprima ses oreilles de ses mains pour ne plus entendre ce que son frère lui disait. Une voix criait dans sa tête que l’homme était un ennemi venu pour lui faire du mal. Il devait se défendre. La voix insistait. « Il faut te battre. Il est là pour te tuer ».

    L’interne contourna le canapé et Barakian exécuta la même manœuvre. Rémi se sentit brusquement cerné. Un sentiment de panique l’assaillit. Cette même terreur que lorsqu’on le garrotta plusieurs semaines sur un lit à l’hôpital. La voix lui cria :

    — Fuis !

    Il repoussa violemment le policier qui s’affala sur le canapé, ouvrit la fenêtre et grimpa sur l’échafaudage sous la pluie battante. Barakian se releva et se pencha par la fenêtre :

    — Je vais le rattraper. Lança-t-il. Allez prévenir mon adjoint, il attend dans une voiture garée en bas.

    L’étudiant acquiesça et dégringola les marches à toutes jambes.

    L’inspecteur s’engagea pesamment sur une première planche gonflée d’eau et glissante. Le filet de sécurité, arraché par le souffle du vent, fouettait l’échafaudage et les deux équilibristes, rendant l’escalade encore plus périlleuse. Barakian se demanda pourquoi il s’était une nouvelle fois embarqué dans cette galère à six mois de la retraite. Il fonçait toujours avant de réfléchir.

    Il vit Rémi au bout de la planche en train d’enrouler ses jambes sur l’ossature métallique et se laisser glisser vers l’étage inférieur. Il cria son nom, mais le grondement de la pluie se déversant en cascade dans les gouttières couvrait le son de sa voix. L’eau était glacée et pénétrante. Le policier grelottait, mais il décida de poursuivre sa traque. Il avait une sainte horreur du vide, c’était bien le comble. Tant pis ! À son tour, il enroula ses jambes au tour d’une poutrelle humide et froide et tout en contrôlant la vitesse de sa descente de ses mains, il se glissa en direction d’une planche à l’étage inférieur.

    Une gouttière débordante céda, l’eau jaillit comme un torrent sur le policier et emporta sa casquette. Son cœur cognait dans sa poitrine sous les effets conjugués de la peur et d’une crise d’asthme qui survenait. D’un pied, il tâtonna dans le vide et l’obscurité à la recherche d’un appui lorsqu’il sentit enfin un support solide. Il allait y poser les pieds lorsqu’il fut empoigné par une main vigoureuse qui l’attira sur le deuxième niveau. Le visage détrempé du jeune homme apparut, les yeux hallucinés, un rictus déformant ses lèvres et il hurla :

    — Le Seigneur a dit de se repentir… se repentir… se repentir…

    Et brusquement, il repoussa l’inspecteur hors de l’échafaudage.

    Barakian tenta désespérément de saisir le filet de protection déchiré à cet endroit et battant au vent. Il le sentit glisser entre ses doigts humides et glacés sans avoir assez de force pour le retenir. Il ouvrit de grands yeux en voyant le sol se rapprocher inéluctablement. Curieusement, la peur avait disparu.

    Son corps heurta violemment le trottoir inondé, des craquements sourds secouèrent tout son squelette. Son sang se mêla à l’eau des égouts. On lui avait raconté qu’à l’instant de rendre son dernier souffle, son existence défilait comme un film se rembobinant. Ce soir, la séance était annulée. Il eut seulement une dernière convulsion dans l’obscurité et le froid.

    Philippe Monsard suivait avec inquiétude la progression de son chef sur l’échafaudage. Qu’est-ce qui lui avait pris ? Ce n’était plus le boulot d’un gars de son âge. Quand il le vit tomber, il se mit à crier d’effroi et de colère. Il se précipita tout en sachant qu’une chute de dix mètres ne pouvait être que fatale. Le son des os se fracturant sur le ciment lui vrilla les oreilles. L’interne déboucha dans la rue, accourut, s’agenouilla près du corps et tenta de trouver un pouls. Rien. C’était fini. Monsard se releva et remarqua Rémi en train de remonter par les structures métalliques. Bouleversé, le jeune policier ouvrit la portière de la voiture, saisit l’arme de Barakian rangée dans la boîte à gants, relâcha le cran d’arrêt, visa comme on le lui avait enseigné au centre de tir et tira deux fois sous le regard horrifié de l’interne qui hurla :

    — Vous êtes cinglé !

    L’une des balles avait dû faire mouche, car le garçon ralentit son ascension.

    Le lieutenant bondit dans l’entrée de l’immeuble, gravit les marches quatre à quatre, la colère au ventre et l’étudiant à ses basques. Il pénétra dans l’appartement à l’instant où Rémi enjambait la fenêtre. Sans réfléchir, sous le coup d’une émotion qui annihilait sa raison, le policier se prépara à tirer une troisième fois. L’interne se glissa en tremblant devant le canon de l’arme pointé sur son frère et supplia le policier d’arrêter.

    ***

    Philippe Monsard relut son rapport. Il avait dû remettre l’arme de Barakian aux bons soins de l’IGPN, qui faisait toujours une enquête interne après un tir.

    Dehors, il ne pleuvait plus, mais le ciel avait encore cette couleur de plomb désespérante. Cela faisait dix jours que son chef était mort. Son vieux grincheux de collègue lui manquait plus qu’il n’aurait cru. Quand la porte s’ouvrait, il s’attendait toujours à le voir balancer sa casquette sur le bureau en maugréant.

    Les gars qui avaient repris l’affaire avaient obtenu l’internement d’office de Rémi Dellile. Ses tirs n’avaient pas été si imprécis, une balle lui avait transpercé l’avant-bras.

    Lors des conclusions de l’enquête, il apprit que parfois le jeune homme, à l’encontre de toute déontologie, accompagnait son frère dans des cours de médecine légale et de dissection. Ces séances n’avaient-elles pas déclenché chez lui un dangereux goût pour la vivisection sur des humains ?

    Depuis son internement, il n’y avait eu aucun nouveau crime.

    À croire qu’ils avaient dégoté le bon numéro.

    Barakian reçut la médaille du courage à titre posthume. Ça devait lui faire une belle jambe là où il était maintenant. C’est une cousine éloignée qui reçut les honneurs en son nom, l’inspecteur étant veuf sans enfant. Ça ne faisait pas grand monde à l’enterrement. Mais Philippe Monsard s’occupa de tout, un peu comme un fils envers son père.

    Le jeune inspecteur nourrissait encore des doutes sur cette affaire. Il demeurait trop d’éléments inconnus.

    L’endroit où les victimes avaient été mises à mort.

    Les raisons de ces crimes.

    Les moyens employés pour déplacer les corps.

    L’hypothèse d’une complicité.

    Ce qui faisait dire à Monsard que le complice s’était volatilisé dans la nature, ou plutôt dans l’anonymat d’une ville, mais pour combien de temps ?

    Il haussa les épaules en refermant le dossier. Après tout, sa hiérarchie se contentait de la réponse Dellile. Il n’allait pas se faire plus royaliste que le Roi.

    Il enfila sa parka, alluma une cigarette et partit d’un bon pas vers le cimetière de l’Évêché, histoire de raconter les derniers avatars de la semaine à Noé Barakian. Putain de prénom, tout de même !

    1

    10 FÉVRIER 2015

    Il y eut un soir, il y eut un matin : Premier jour.

    — Foutu temps ! pesta le lieutenant Tavel en enfilant un gilet tactique marqué « Police Judiciaire ».

    Il contemplait avec désolation sa paire de Sparco neuve engloutie dans une flaque boueuse. Impossible de mettre la main sur une paire de bottes dans tout le commissariat. Il avait dû se résoudre à garder ses pompes qui lui avaient coûté un bras et à rouler le bas de son jean jusqu’aux mollets pour l’épargner. Il consacrait chaque mois une partie non négligeable de son traitement en fringues de marque. De toute façon, sa vie se résumait à son boulot d’enquêteur le jour et à regarder en replay des séries américaines la nuit. La seconde partie de son lit était désespérément vide, alors s’habiller « branché » restait bien son seul plaisir.

    — Maudite pluie ! Juste le jour où je porte mon uniforme et ces saloperies d’escarpins.

    Tavel se surprit à sourire en contemplant sa patronne. Le Capitaine Milano jeta un regard navré sur sa tenue de cérémonie qui sortait tout juste du pressing. Trente-cinq ans, une tignasse rousse attachée en natte, le visage grêlé de taches de rousseur et des yeux verts inquisiteurs. Sur la tempe gauche, une cicatrice, à peine atténuée par un fond de teint, lui renvoyait dans le miroir l’image d’une mort esquivée.

    Les deux officiers avançaient péniblement sur un sol noyé par cinq jours de pluie. Ils suivaient un sentier vaseux sous des frondaisons humides. Les arbres tendaient leurs branches chargées d’une eau glacée. Parfois, par une trouée, la pluie tombait plus forte et plus froide.

    — J’ai lu mon horoscope ce matin, j’aurais dû rester chez moi, déclara le lieutenant.

    — Que disait-il ?

    — Votre journée suinte les difficultés.

    — Vu le temps, celui qui a écrit ça ne risquait rien. C’est des conneries !

    — Pas d’accord. Je vais baigner dans les contrariétés, ça commence par mes pompes qui vont être bonnes à jeter.

    — Parce que tu crois qu’avec des escarpins je suis plus à l’aise ? s’exclama la jeune femme en riant.

    Des voix résonnaient un peu plus loin. Des hommes criaient des ordres pour dominer le grondement du déluge et des radios dégueulaient des messages en grésillant.

    Philippe Tavel sentait des gouttelettes glacées marteler son crâne rasé, stratagème pour effacer une calvitie trop précoce, traverser son blouson en cuir et suinter dans son dos. Il frissonna. Devant lui, sa patronne se débattait avec des éclaboussures de boue sur son tailleur. Il sourit :

    — Tu ne m’as pas raconté ta réception chez le préfet.

    Milano haussa les épaules. Elle détestait ces cocktails rassemblant toute la notabilité de ces villes de province plongées dans une léthargie à perpétuité. Son apparition en uniforme et son verbiage sur son job faisaient saliver les hommes usés par leurs ménagères et leurs coïts du samedi soir.

    Eve Milano était un flic différent.

    Elle avait été formée pour enquêter sur les crimes les plus effroyables imaginés par la lie de l’humanité. Elle avait suivi un double cursus en droit criminel et en analyse comportementale. Le Ministère de l’Intérieur avait créé un groupe de travail interministériel portant sur l’analyse comportementale dans l’enquête criminelle, permettant à des analystes psychologues de participer activement sur certaines affaires. Et cela s’était avéré payant. Plusieurs crimes non élucidés par les moyens classiques avaient été résolus grâce à l’établissement de profils, analysant mode opératoire et signature du criminel, langage et gestuelle d’auteurs d’assassinats, victimologie, lieux et moment du passage à l’acte. Pour certains enquêteurs ça semblait grotesque, semblable à une farce, pour d’autres dans la mouvance du profilage américain, c’était un moyen supplémentaire et non négligeable d’investigation. Et pour encourager ces policiers à employer ces nouvelles méthodes, un groupe de formation avait été mis en place, auquel appartenaient Eve Milano et Philippe Tavel.

    Tous deux avaient été détachés pour une durée de trois mois à l’ENP de Périgueux pour former des enquêteurs judiciaires et travailler de concert avec des officiers chargés du relevé des traces et indices.

    — Merde !

    Milano venait de plonger le pied dans une flaque de vase. Son escarpin, sous l’effet de succion, disparut dans le limon. Campée sur sa seule jambe chaussée, offrant sous l’ondée le spectacle d’un grand échassier harassé et ruisselant, sa main fondit sur la boucle avant l’engloutissement. Elle secoua sa chaussure pour ôter la boue et se rechaussa en grimaçant.

    — Tout ça ne va pas arranger les affaires de l’identité judiciaire.

    — Je ne parierais pas sur l’IJ.

    La jeune femme se retourna interdite :

    — C’est quoi l’astuce ?

    — Écoute, si on foule en ce moment le sol de cette forêt, c’est grâce à mon beauf. Il est employé au standard de l’hôpital. Il a intercepté l’appel de la gendarmerie. Le tuyau lui a semblé suffisamment important pour qu’il me balance l’info.

    — Alors, en quoi cette pêche au macchabée est-elle susceptible de nous intéresser ?

    — Eh bien… Tavel hésita. Il s’agit peut-être d’une seconde victime tuée selon le même mode opératoire. Le premier corps a été découvert il y a cinq jours.

    — Hein ? Tu ne me parles pas de la gamine qui a fait une fugue et qui a été retrouvée morte dans une grotte.

    — C’est ce que la gendarmerie a laissé filtrer. Mais les brancardiers de l’Institut médico-légal ont raconté une tout autre histoire, le corps aurait été martyrisé.

    Milano grimaça. L’affaire s’annonçait mal. Si les gendarmes étaient restés discrets, c’est qu’ils ne voulaient pas voir la police piétiner leurs plates-bandes. Ça sentait le conflit d’autorité à plein nez. Et à chaque fois qu’il y avait conflit, l’enquête s’enfonçait dans un bourbier inextricable au seul dépend des victimes. Son téléphone vibra dans sa poche :

    — Bon sang ! Même dans le trou du cul du monde il y a du réseau, déclara la jeune femme en effleurant d’un doigt humide l’écran tactile sans résultat.

    Son adjoint s’approcha en clapotant dans la vase et d’un glissement de doigt plus précis déverrouilla l’appareil.

    — Allo ? — La transmission était grésillante. — On est dans un bourbier inimaginable. Non seulement c’est le cloaque, mais en plus Philippe vient de m’annoncer que ces messieurs de la gendarmerie ne nous attendaient pas. Ils vont être étonnés de nous voir. Alors, comment fait-on ? Comment ? Répétez. Entendu !

    La jeune femme raccrocha en jetant un coup d’œil à son adjoint.

    — Nous avons carte blanche pour ouvrir notre enquête et en ce moment même la substitut se transporte sur les lieux pour confirmer notre mission.

    Tavel sourit, la situation devenait aussi enlisée que les rives de la Vézère.

    — Tu sais, cette rivière dévale du plateau des Millevaches, traverse les départements de la Corrèze et de la Dordogne, c’est-à-dire cinquante-trois communes, sur près de 211 kilomètres, précisa-t-il en réajustant son brassard.

    — Merci pour la leçon de géo, Philippe. En attendant, avec les quantités d’eau tombées ces jours-ci, je constate que ta rivière ressemble plus à un fleuve tumultueux.

    Les deux policiers avaient quitté la couverture boisée pour gagner les berges d’une rivière tellement gonflée par les pluies, que les rives inondées se confondaient avec l’eau tourbillonnante.

    Tout autour était déployé un peloton de gendarmes engoncés dans leurs parkas ruisselantes, chaussés de bottes et occupés à installer des trépieds surmontés de projecteurs pour éclairer les rives et à balayer du faisceau de leurs torches les broussailles à la recherche du moindre indice.

    — Qu’est-ce qu’ils foutent ? s’interrogea Tavel.

    Deux hommes, engagés dans l’eau jusqu’aux genoux, tentaient d’attraper une forme enveloppée d’une étoffe blanche et chahutée par les remous. Derrière eux un gradé s’agitait en vociférant.

    — sûrement un spectacle aquatique, répliqua Milano avec ironie.

    Une jeune femme — en tailleur sinistré sous l’onde —, observait les gendarmes qui venaient de lâcher le corps entrainé par la force du courant.

    Les officiers de police se présentèrent :

    — Bonjour, Capitaine Milano, et voici mon adjoint le lieutenant Tavel.

    — Bonjour, Capitaine, je suis la substitut Christine Dorval. J’ai eu le commissaire Desclin, je lui ai confirmé votre mission.

    À ce moment, le gradé se retourna et toisa l’enquêtrice. Il retira son képi dégoulinant, le secoua pour en chasser l’eau, se recouvrit à nouveau la tête et ajouta d’une voix rocailleuse :

    — Vous tombez bien, vous ne voulez pas plonger pour nous ramener ça ?

    D’un balancement de tête il indiqua le corps toujours à demi-immergé.

    Milano, sarcastique, lui sourit et répondit :

    — Merci, je ne crois pas nécessaire d’aggraver l’état de mon uniforme, et puis vos gars ont l’air de se débrouiller.

    Un cri les fit se retourner. Un gendarme avait lâché la dépouille une seconde fois, qui ballottait maintenant au milieu d’un tourbillon. Le gradé jura :

    — Putain de patron, là haut ! T’as fini de nettoyer le ciel au karcher qu’on puisse enfin travailler en bas ?

    Les gendarmes s’enfoncèrent dans le liquide glacé jusqu’à la taille, parvinrent à saisir les bras et hissèrent enfin le corps sur la berge.

    En retirant la toile qui enveloppait la dépouille, un adjoint dévoila le corps d’une très jeune fille. Les traits juvéniles étaient ceux d’une adolescente. L’immersion prolongée avait boursouflé la peau par endroits. Ses jambes étaient dénudées et les regards furent aussitôt frappés par la profonde entaille, juste au-dessus du pubis, visiblement recousue afin de retenir les entrailles dans la cavité abdominale.

    — Bordel de Dieu ! Encore une, hoqueta un homme derrière Milano.

    La jeune femme s’agenouilla dans l’herbe détrempée en frissonnant et examina l’incision, nette, aussi précise qu’un trait de cutter.

    Des voix derrière elle la firent se retourner. Un homme assez massif, des lunettes à forte correction cachant des yeux clairs, portant une lourde valise métallique et une équipe de pompiers sortirent des bois.

    — Désolé pour le retard, mais mon véhicule s’est embourbé à l’entrée du chemin et sans l’aide des pompiers je serai encore en train de patiner.

    Puis il tendit une main glacée à l’officier de gendarmerie et salua la jeune femme :

    — Je suis le légiste missionné, Olivier Barral. Je n’ai pas le plaisir de vous connaître, Madame…

    Le gendarme grogna :

    — Madame est arrivée sans invitation.

    — Pardon, mais je suis ici sur requête de notre substitut. Capitaine Eve Milano.

    — Ça va nous changer de la cavalerie, répliqua le légiste en louchant sur les formes de l’enquêtrice.

    Le gendarme lança un regard noir en direction de la jeune femme puis se recula pour laisser la place au médecin qui installa sa valise et s’agenouilla à son tour près du corps.

    Un gendarme prenait des clichés, le flash embrasa la scène et donna une impression fantasmagorique au tableau. Une sirène couchée dans l’herbe. Milano songea à Ulysse retournant à Ithaque et échappant au chant mortel des sirènes.

    — L’incision abdominale a été accomplie avec minutie et recousue de façon experte, déclara le légiste, ramenant l’enquêtrice à la réalité.

    Le chant de la sirène ne troublerait plus quiconque.

    — Je constate l’ablation des mamelons avec la même dextérité. Les gestes ont été réalisés avec précision et à l’aide d’instruments chirurgicaux.

    Milano et Tavel se penchèrent pour examiner à leur tour le haut du corps. Le visage présentait des joues rondes de cette rondeur de l’enfance encore si proche. Cette gosse n’avait pas eu le temps de vivre sa vie, songea Milano. Elle aurait pu aller à l’université, faire de belles études, rencontrer l’homme de sa vie, avoir des enfants et…  se prendre une balle dans la tête.

    La jeune femme se ressaisit et continua d’observer la figure, les yeux un peu enfoncés dans les orbites et les lèvres épaisses, légèrement entrouvertes, comme pour murmurer un dernier message. Milano se pencha un peu plus, son épaule touchant celle du légiste qui apprécia l’effleurement.

    Quelque chose l’intriguait. Elle saisit la torche de son adjoint et la dirigea vers le bas du visage. Les mâchoires étaient crispées, la rigidité cadavérique faisait son œuvre, mais curieusement un segment de la langue apparaissait. Milano se tourna vers le médecin :

    — Docteur, pourrais-je vous emprunter une petite pince ?

    Le légiste fit glisser ses lunettes sur son front et nota la délicatesse des traits et la marque profonde sur l’une des tempes.

    — Tenez, répondit-il en lui tendant l’instrument.

    Milano s’agenouilla et glissa son index et son pouce entre les dents qu’elle écarta avec peine. Le gendarme secoua la tête en soupirant. La langue était enflée et occupait toute la cavité buccale, le muscle hyo-glosse avait été étiré. Elle souleva la langue et découvrit, posé sur le sublingual, un mini sachet plastifié renfermant un fragment de papier. Le légiste le recueillit et le glissa dans une enveloppe à scellés.

    — Qu’est-ce que c’est que ce truc ? demanda l’officier de gendarmerie avec agacement.

    Milano se releva et s’approcha :

    — J’ai oublié de me présenter, je suis formatrice en analyse comportementale dans les enquêtes criminelles.

    — Je suis le Major Blainville, grogna le gendarme. Alors ?

    — Le tueur a laissé sa signature sous la langue de la victime. Qui a trouvé le corps ?

    D’un hochement de tête, il indiqua un pêcheur occupé à retirer ses jambières un peu plus loin. La jeune femme s’approcha :

    — Bonjour, capitaine Milano. Je voudrais vous poser quelques questions.

    L’homme était petit, un peu rondouillard, un teint rougeaud et l’œil vif. Il scruta son interlocutrice en silence puis poursuivit l’inspection de sa canne à pêche sans plus se préoccuper d’elle. Milano sentit la pression monter d’un cran. Elle avança d’un pas et se planta sous le nez du pêcheur, réduisant sa marge de mouvement. La pluie redoublait, noyant son uniforme et une eau glacée s’insinuait dans son dos, la faisant frissonner. L’homme consulta le Major d’un regard qui lui répondit par un haussement d’épaules. Le pêcheur se décida :

    — J’croyais que les gonzesses dans la police, c’était juste pour foutre les PV.

    — On vit une drôle d’époque, mon bon monsieur ! répondit Milano en grimaçant. Comment avez-vous découvert la victime ?

    Le pêcheur envoya un nouveau signe au gendarme. La jeune femme se mordit la lèvre inférieure pour ne pas lui sauter à la gorge. Tavel s’approcha, l’homme se décida à parler :

    — J’m’installais pour taquiner l’poisson. Ici c’est un bon endroit. J’préparais ma canne quand j’remarquais un truc bizarre flottant près de la berge. D’abord, j’ai cru qu’c’était un de ces sacs à emballer les rouleaux de foin. Les gars en oublient dans les champs et ça s’envole.

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