Meurtres à Ré
Par Didier Jung
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À propos de ce livre électronique
Un matin de décembre, un promeneur découvre le cadavre d’un surveillant de la prison qui flotte au pied des remparts de Saint-Martin. L’adjudant-chef Chamaillard et son adjointe Jeanne Demange, une gendarme secrète et rigide qui a remplacé son fidèle Bernot, commencent leur enquête.
Les premières questions qu’ils se posent : suicide ou meurtre ? La mort de la victime est-elle liée à sa vie professionnelle ou à des motifs personnels ? Aux premiers jours de l’enquête, ils découvrent avec étonnement l’existence d’un certain nombre de trafics au sein de la prison qui pourraient être liés à la mort du surveillant. L’autopsie révèle qu’il s’agit bien d’un meurtre. Un mois plus tard, un second surveillant est assassiné, puis un troisième. On découvre finalement un lien entre les trois victimes qui n’a rien à voir avec leur métier de surveillant. L’événement auquel ils ont tous trois participé quelques mois plus tôt, permettra de confondre l’auteur des faits.
Didier Jung nous offre une enquête haletante en milieu carcéral !
À PROPOS DE L'AUTEUR
Né en 1946 à Paris, Didier Jung, après avoir obtenu le diplôme de l'Institut d'Études Politiques de Paris, débute sa carrière professionnelle en 1970 à la Société Nationale de !'Électricité et du Gaz à Alger. Deux ans plus tard, il entre chez EDF: il fera toute sa carrière au siège de l'entreprise, dans des fonctions très diverses, particulièrement dans le domaine international. Depuis sa retraite en 2006, il partage son temps entre la région parisienne et l'île de Ré. De 2006 à 2013, il a présidé une entreprise adaptée de Nanterre, chargée de réinsérer des malades psychiques dans le monde du travail. Il en est aujourd'hui le secrétaire.
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Aperçu du livre
Meurtres à Ré - Didier Jung
1
Samedi 14 décembre 7 h 45,
Remparts, Saint-Martin
Le brouillard tombait en fines gouttelettes sur le port de Saint-Martin-de-Ré. Le jour commençait à peine à poindre.
Un vieil homme marchait lentement le long des remparts de Vauban, se dirigeant vers la Citadelle. Dans le village, tout le monde le connaissait. Il avait longtemps enseigné la philosophie au lycée Léonce-Vieljeux de La Rochelle.
À quoi pouvait-il bien songer tandis que, dans l’obscurité, il foulait avec précaution les pavés inégaux et glissants du quai ? À Marcel Proust, butant sur un pavé posé de guingois dans la cour de l’hôtel de Guermantes, sensation qui raviva chez lui d’agréables souvenirs, à l’image de sa mythique madeleine ?
Non, ce n’était pas Proust qui occupait les pensées de Pierre Magnien. L’écrivain dilettante n’avait jamais été sa tasse de thé. Par nécessité, il avait lu les trois mille pages de À la Recherche du temps perdu, mais sans y prendre un réel plaisir.
Ce matin-là, c’était à Kant qu’il pensait, un philosophe auquel il aimait s’identifier, non pas pour son œuvre, il n’avait pas cette prétention, mais pour la vie parfaitement réglée qu’il avait menée, une existence sans aspérités, d’une désespérante monotonie. Heinrich Heine disait que la grande horloge de la cathédrale de Königsberg accomplissait chaque jour sa tâche avec moins de régularité qu’Emmanuel Kant !
La vie du professeur retraité était assez similaire à celle du grand penseur prussien : solitaire, sans événements marquants, sans amours.
Si Pierre Magnien pensait à l’ennuyeuse existence de Kant, c’était à cause de la promenade que celui-ci faisait, montant et descendant huit fois par jour, à heure fixe, la même allée de tilleuls. La légende prétend qu’il ne s’éloigna de ce parcours qu’à deux reprises, en 1762 pour se procurer le Contrat social de Jean-Jacques
Rousseau et en 1789 pour acheter la gazette annonçant l’éclatement de la Révolution française !
Depuis quinze ans, quelle que soit la saison et quel que soit le temps, Pierre Magnien effectuait, lui aussi, chaque matin et à heure fixe, le même trajet, de son domicile de la rue du Général-Lapasset jusqu’à la plage de la Cible, en longeant les remparts.
Il avait même fait mieux que Kant. À plus de 80 ans, il ne se souvenait pas avoir changé une seule fois d’itinéraire !
Ayant dépassé la Citadelle, il parvint à un promontoire qui dominait la mer, à l’extrémité de la plage de la Cible. Comme d’habitude, il s’assit sur un banc pour y prendre un peu de repos. Il était humide.
Une brume épaisse masquait les lumières des côtes vendéennes. On devinait à peine le pont et les installations du port de La Pallice, pourtant bien éclairés.
À quelques centaines de mètres, il aperçut ce qu’il prit pour un tronc d’arbre ballotté par la houle, jusqu’à ce que les vagues aient rapproché l’objet du rivage.
Le retraité fut subitement ramené à la réalité. Oublié Kant et ses promenades ! C’était le corps d’un homme qui flottait à la surface de l’eau.
Il saisit aussitôt son téléphone et composa le 17.
À cette heure très matinale, les gendarmes n’avaient pas encore pris leur service. Seule la maréchale des logis-chef Jeanne Demange, qui était de garde, était à son poste. Elle demanda au témoin de rester sur place en attendant son arrivée. Dix minutes plus tard, elle était sur les lieux, après avoir prévenu son supérieur, l’adjudant-
chef Chamaillard, à son domicile.
Tandis que Jeanne Demange posait au vieil homme les questions d’usage, Chamaillard arriva, bientôt suivi d’une Land Rover aux couleurs de la gendarmerie, tractant un bateau pneumatique.
2
Samedi 14 décembre 8 h,
Plage de la Cible, Saint-Martin
Deux gendarmes mirent le bateau à la mer. Le puissant moteur de l’embarcation vrombit. Peu de temps après, le cadavre fut hissé à bord, puis débarqué sur le sable.
Chamaillard et la maréchale des logis-chef avaient tout juste eu le temps de déployer les bandes jaunes interdisant l’accès de la zone au public.
Le corps semblait avoir séjourné peu de temps dans l’eau. À vue de nez, la mort remontait au plus à quelques heures. Les gendarmes n’eurent aucun mal à identifier la victime. Sa carte d’identité se trouvait dans la poche intérieure de son blouson. Il s’appelait Bruno Palazzi,
il était âgé de 51 ans et demeurait à Saint-
Martin. Sa carte professionnelle indiquait qu’il était surveillant-major à la maison centrale. Il avait une plaie assez profonde au sommet du crâne.
— Suicide ! déclara l’adjudant-chef sur un ton péremptoire, en se penchant sur le corps.
Si, d’emblée, privilégiait cette hypothèse, c’était sans doute parce qu’il ne se sentait pas d’enquêter sur un nouveau meurtre. Depuis son arrivée sur l’île de Ré, il avait déjà eu à traiter deux affaires criminelles, l’assassinat d’un écrivain célèbre à Ars¹ et celle d’un centenaire à Saint-Clément-des-Baleines², deux enquêtes qui lui avaient donné du fil à retordre. La probabilité d’un troisième crime sur un si petit territoire lui paraissait infime.
Sa nouvelle adjointe, Jeanne Demange, était moins affirmative.
— Certes, il a pu se jeter à l’eau, mais on a aussi pu l’y précipiter.
Chamaillard fit la moue. La maréchale des logis-
chef n’exprimait jamais une position nette et cela l’agaçait. L’adjudant Bernot, qu’elle avait remplacé, l’avait habitué à des avis plus tranchés.
Cela faisait à peine trois mois que Thomas Bernot avait été promu adjudant-chef à la gendarmerie de Lagord. Chamaillard le regrettait. Il n’avait guère d’atomes crochus avec cette célibataire de 40 ans, d’origine lorraine, qui manquait totalement de fantaisie.
Physiquement, elle était de ces femmes dont on ne dit rien. Grande et mince, cheveux bruns coupés courts commençant vaguement à grisonner, un visage plutôt agréable, elle n’avait pourtant aucun charme, tout au moins aux yeux de son chef. Sa taille, sa voix grave et sa coupe de cheveux lui donnaient un côté masculin. En bref, elle était l’opposée de Sophie Marsaud,
la policière de La Rochelle en compagnie de laquelle l’adjudant-chef avait mené ses deux précédentes enquêtes criminelles.
Avec elle aussi, les débuts avaient été difficiles, mais, avec le temps, il avait fini par l’apprécier, jusqu’à en faire une amie. Il gardait l’espoir qu’il en serait de même avec Jeanne Demange, d’autant qu’elle n’était pas dépourvue de qualités, il le reconnaissait volontiers : sérieuse, à cheval sur le règlement et respectueuse de la hiérarchie, sans doute trop ! Mais n’était-ce pas ce que l’on attendait d’abord d’un gendarme ?
— L’enquête n’a pas commencé. Il est encore trop tôt pour se prononcer. Attendons les résultats de l’autopsie. Pour l’heure, allez donc interroger le directeur de la prison. Il a certainement des choses à nous dire sur la personnalité de son surveillant.
— Surveillant-major, adjudant-chef !
— Surveillant-major ou surveillant, cela ne change rien pour ce pauvre homme ! Mais vous avez raison, il ne faut pas jouer avec les grades, maréchale des logis-chef ! J’appelle le substitut. Avant qu’il ne débarque, je vais prévenir madame Palazzi du décès de son mari, une corvée dont je me passerais bien.
1 Voir Le Noyé de Trousse-Chemise, La Geste, 2019.
2 Voir Le Centenaire de Saint-Clément-des-Baleines, La Geste, 2020.
3
Samedi 14 décembre 9 h,
Rue de l’Hôpital, Saint-Martin
Le domicile de la victime se trouvait dans la rue de l’Hôpital, une longue artère reliant la place de la République au cours Vauban. Le quartier était calme, surtout en période hivernale. Le nombre important de maisons aux volets clos laissait supposer que les résidences secondaires y étaient nombreuses.
La maison de la famille Palazzi, mitoyenne des deux bâtisses voisines, était modeste mais coquette. C’était une classique maison de pêcheur, comme il y en avait tant sur l’île. Les volets avaient été fraîchement repeints et le crépi de la façade récemment refait.
L’adjudant-chef frappa à la porte qui s’ouvrit sur-le-champ, comme s’il était attendu.
L’effet produit par l’uniforme sur l’épouse de la victime fut aussi immédiat que prévisible. Elle pâlit et prit appui sur le chambranle de la porte.
— C’est pour mon mari ? Il devrait être là depuis plus d’une heure. Son portable ne répond pas. Je suis très inquiète. Il lui est arrivé quelque chose ?
C’était la seconde fois que Chamaillard se trouvait dans cette situation inconfortable. Il avait conservé un très mauvais souvenir de sa précédente expérience.
Ce jour-là, il était venu annoncer la mort de son mari à Madame Dautrillac, la femme de l’écrivain retrouvé mort sur le banc du Bûcheron³.
Devant sa détresse, la policière qui l’accompagnait avait dû prendre la relève.
Mais aujourd’hui, personne n’était là pour le soutenir dans sa démarche. Il garda le silence quelques longues secondes, tandis que Karine Palazzi le suppliait du regard de s’exprimer. Incapable de lui dire brutalement la vérité, il procéda par étapes.
— Madame, votre mari a été victime d’un accident. Je suis désolé !
— Il est blessé ? C’est grave ? Que lui est-il arrivé ?
— Il est tombé à l’eau.
— Et ?
— Je crains que…
— Quoi, vous craignez quoi ?
Le courage lui faisait défaut, mais il n’avait guère d’échappatoire.
— Toutes mes condoléances, madame, monsieur Palazzi est décédé.
Karine, qui, au moment où elle avait ouvert sa porte, semblait au bord de l’évanouissement, ne s’effondra pas comme le redoutait l’adjudant-chef. Il eut au contraire le sentiment qu’elle se ressaisissait. C’était comme si la douleur indicible qu’elle ressentait à cet instant l’avait libérée d’une insupportable angoisse. Chamaillard était bluffé par son courage.
— Mais comment a-t-il pu se noyer ? Où cela s’est-il passé ?
— Sans doute vers 7 heures ce matin, alors qu’il venait de quitter son service. On a retrouvé son corps près de la plage de la Cible. Il a dû tomber des remparts.
— Ce n’est pas possible ! Qu’aurait-il fait, debout sur les remparts ? Vous pensez qu’il s’est suicidé ?
— Pour le savoir, il faudra attendre les résultats de l’autopsie.
Chamaillard était toujours sur le pas de la porte et l’épouse de la victime dans le corridor.
— Puis-je entrer ? demanda-t-il poliment. J’aurais quelques questions à vous poser.
— Oui bien sûr, excusez-moi, entrez !
L’intérieur de la maison était aussi soigné que l’extérieur et la décoration plutôt de bon goût.
— Essayons de ne pas parler trop fort. Mes enfants dorment à l’étage, je ne voudrais pas qu’ils nous entendent. Je veux leur annoncer la nouvelle moi-même.
— Combien d’enfants avez-vous ?
— Deux garçons, de 14 et 16 ans.
— Si l’on exclut la thèse de l’accident qui me paraît peu vraisemblable, il ne reste que deux possibilités, suicide ou crime. Votre époux avait-il des raisons personnelles ou professionnelles de vouloir attenter à ses jours ?
— Personnelles, certainement pas, nous étions parfaitement heureux et formions un couple très uni, tout le monde pourra vous le confirmer. Il adorait ses enfants. Professionnelles, je ne crois pas non plus. Bruno aimait son travail. Il était apprécié de ses chefs et de ses subordonnés. Il me disait que les détenus l’aimaient bien et le respectaient, ce qui n’était pas le cas de tous ses collègues.
— Peut-être vous cachait-il des choses, pour vous épargner. Vous savez, la maison centrale de Saint-Martin n’est pas un établissement facile. Cinq cents détenus, condamnés à de longues peines, la plupart pour des crimes de sang, enfermés dans de minuscules cellules dépourvues de confort. Plusieurs rapports ont mis en lumière le climat de tension qui règne au sein de cette prison. Ce n’est pas un hasard si des détenus demandent régulièrement leur transfert vers un autre établissement. En 2013, une surveillante a tenté de se suicider dans un mirador, en se tirant une balle dans l’abdomen avec son arme de service. L’année suivante, un gardien, pourtant près de la retraite, s’est suicidé, un autre en 2018. Je vous passe les altercations avec des surveillants et les bagarres entre détenus. Ce contexte anxiogène peut pousser n’importe qui au suicide, eût-il, par ailleurs, comme votre mari, une vie personnelle épanouie.
— Je ne peux pas y croire. J’aurais soupçonné quelque chose. On ne suicide pas sur un coup de folie. C’est une décision qui est mûrie. Il y a forcément des signes avant-coureurs qui précèdent le passage à l’acte.
— Détrompez-vous, madame. Si c’était le cas, beaucoup de suicides auraient pu être évités.
— Et votre seconde hypothèse ?
— Celle de l’assassinat ? Je suis obligé de vous poser la question classique. Votre mari avait-il des ennemis, capables d’aller jusqu’à cette extrémité ?
— Non, pas que je sache. Bruno, c’est…c’était un gentil. Il aimait tout le monde et tout le monde l’aimait. C’était un bon mari et un bon père. Vous pouvez interroger tous les membres de son entourage. Ils vous