L'Espionne de la marine: Et autres récits de la collection "Patrie"
Par Gustave Le Rouge
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À propos de ce livre électronique
De 1917 à 1921, Rouff fait appel à des romanciers populaires pour alimenter sa collection « Patrie », dédiée aux récits et témoignages de guerre.
Ce volume reprend les cinq titres signés de Gustave Le Rouge, alors correspondant de guerre, qui propose, tour à tour, des témoignages indirects : journal d’un otage ou souvenirs d’un prisonnier, ou encore relation sur la ville de Reims, victime des bombardements ennemis ; mais aussi un témoignage vécu au front, avec la mort d’un confrère, journaliste du Petit Parisien. Enfin, un récit d’espionnage sur les côtes anglaises qui est plus dans la veine du romancier.
Ces divers écrits relatent tour à tour différents épisodes de la Première Guerre mondiale
EXTRAIT
— Il y a un siècle que je ne vous ai vue, Mme Gervais !… Reims n’est pourtant pas une grande, grande ville, mais malgré cela, dès que l’on n’habite plus le même quartier, on arrive à négliger ses amies !… J’avais, justement, une course à faire ce matin, à l’Hôtel de Ville, c’est ce qui me permet d’avoir la bonne fortune de vous rencontrer !
— Moi, je vais avenue de la Paix, j’ai une commission pour Marthe…
— C’est vrai !… Vous devez être très occupée, en ce moment !… Toutes mes félicitations !… J’ai reçu le faire-part, je ne manquerai pas d’assister à la bénédiction nuptiale… C’est pour le 3 août, n’est-ce pas ? A Saint-Rémi ?…
— Oui… Saint-Rémi est notre paroisse.
Deux femmes causaient ainsi, sur la place Royale, le matin du 30 juillet 1914.
A PROPOS DE L'AUTEUR
Gustave Le Rouge est né en 1867 et mort en 1938. Auteur de nombreux romans d'aventures empreints d'une touche de fantastique, Gustave Le Rouge s'est illustré dans plusieurs genres, notamment le théâtre, les essais et la poésie. Il se lie d'ailleurs d'amitié avec Paul Verlaine et Blaise Cendrars, qu'il rencontre lorsqu'il est reporter au Petit Parisien.
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Aperçu du livre
L'Espionne de la marine - Gustave Le Rouge
Bibliothèque du Rocambole
Œuvres de la Grande Guerre - 2
collection dirigée par Alfu
Gustave Le Rouge
L’Espionne de la marine
et autres récits de la collection Patrie
1917-18
AARP — Centre Rocambole
Encrage édition
© 2012
ISBN 978-2-36058-907-4
CouRouff22.tifAvertissement
de Philippe Nivet
Professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Picardie
Directeur du Centre d’histoire des sociétés, des sciences et des conflits
Pendant la Première Guerre mondiale, la diffusion de la culture de guerre passe par différents vecteurs : la presse enfantine, à l’image du journal Fillette , la presse illustrée, comme L’Illustration ou Le Miroir , ou les estampes, à l’exemple de celles de Jean-Louis Forain.
Le roman populaire, souvent publié d’abord en feuilleton, participe également de cette diffusion.
Exemple notoire : dans L’Eclat d’obus, roman de Maurice Leblanc, initialement publié dans les colonnes du Journal en 47 feuilletons quotidiens à l’automne 1915, on trouve ainsi de multiples dénonciations de la « guerre à l’allemande », marquée par les violations du droit des gens : « Assassiner et espionner, c’est pour [les Allemands] des formes naturelles et permises de guerre, et d’une guerre qu’ils avaient commencée en pleine période de paix ». Guillaume II y est présenté comme « le plus grand criminel qui se pût imaginer », tandis que les actes commis par les soldats allemands lors de l’invasion y sont résumés de manière saisissante : « Partout, c’était la dévastation stupide et l’anéantissement irraisonné. Partout, l’incendie et le pillage, et la mort. Otages fusillés, femmes assassinées bêtement, pour le plaisir. Eglises, châteaux, maisons de riches et masures de pauvres, il ne restait plus rien. Les ruines elles-mêmes avaient été détruites et les cadavres torturés ».
Si son insertion, en 1923, dans la série des Arsène Lupin a donné à ce roman une audience particulière, les thématiques qu’il développe se retrouvent dans d’autres textes de Maurice Leblanc et dans ceux de la plupart des auteurs populaires du temps, depuis Gaston Leroux jusqu’à Delly, en passant par Jules Chancel ou les auteurs des brochures de la collection « Patrie », tel Gustave Le Rouge ou Léon Groc.
Encrage Edition et le Centre Rocambole (centre de ressources international fondé par l’Association des Amis du Roman Populaire) ont la judicieuse idée d’exhumer ces documents et de les republier dans cette période marquée par la célébration du Centenaire de la Première Guerre mondiale. Le lecteur de ce début du XXIe siècle y verra comment étaient célébrés les soldats français, héroïques quels que soient leur âge et leur parcours antérieur, dénoncés les espions travaillant de longue date au profit de l’Allemagne et condamnées les atrocités de l’invasion. C’est toute une culture de guerre, assimilée par certains à un « bourrage de crâne », que l’on retrouve.
Préface
d’Alfu
En 1880, Jules Rouff crée une maison d’édition dont une large partie de la production — d’abord sous forme de fascicules en collection puis de volumes vendus à bon marché — sera consacrée à la littérature populaire. On lui doit entre autres, une belle édition illustrée en couleurs des aventures de Rocambole par Ponson du Terrail.
Durant la Grande Guerre, son fils, Frédéric, qui reprend la direction de la maison familiale, décide de créer, en 1917, une collection de petits livrets de 24 puis 32 pages, au format 14 × 19 cm, destinée au plus vaste public, pour faire état de la guerre sous tous ses aspects, à la fois du côté des combattants et du côté des civils, avec en fond un discours patriotique destiné à valoriser le martyre des Français et dénoncer la barbarie des Allemands.
Pour cela il sollicite des auteurs qui connaissent bien leur métier d’écrivain : les auteurs populaires qui ont déjà fait leurs preuves et ont été publiés par la maison Rouff ou par d’autres.
Ainsi, parmi les 39 signatures qui vont apparaître dans la collection, retrouve-t-on Léon Groc — alias parfois Paul Carillon ou Jacques Mongis, — Jean Petithuguenin et Georges Spitzmuller, eux-mêmes combattants, mais aussi Georges-Gustave Toudouze et d’autres, plus éloignés du front.
Gustave Le Rouge (1867-1938) a d’abord fréquenté les symbolistes et les décadents. En 1890, il rencontre Paul Verlaine dont il devient intime. Mais il commence à écrire des romans fantastiques ou de science-fiction avec Gustave Guitton : La Conspiration des milliardaires (1899-1900) et La Princesse des airs (1902). Il poursuit bientôt sa carrière seul, avec, entre autres, Le Prisonnier de la planète Mars suivi de La Guerre des vampires (1908-09) et surtout Le Mystérieux docteur Cornélius (1912-13).
C’est donc l’un des meilleurs romanciers populaires de son temps qui accepte l’offre de Rouff auquel il va livrer cinq récits très différents, mais représentatifs de la palette proposée par la collection « Patrie ».
Le premier volume, Reims sous les obus (n°22, 1917), fait, à travers le destin de quelques civils pris dans la tourmente, le portrait de la ville martyre, victime de la barbarie allemande dont le crime est physique mais aussi culturel :
« Le monument subsistait, mais ce n’était plus qu’un squelette. Les barbares ont, de propos délibéré, pour le plaisir sauvage de détruire, voulu abattre ce temple, anéantir toutes les traditions de gloire qu’il abritait. Ils ont cru, peut-être, abattre la France en la terrorisant ; ils ne sont parvenus qu’à se couvrir de honte aux yeux du monde civilisé. » (29)
Mais leurs victimes ne se laissent pas faire, à l’image du maire, le Dr Langlet. Et cela est efficace, car « l’Allemand qui est brutal et cruel avec le faible, hésite dès qu’on lui tient tête » (17) !
Et déjà apparaît le thème de l’espion qui facilite la tâche des agresseurs : « Comme on le sait, ils avaient à Reims un grand nombre d’espions et ils étaient admirablement renseignés » (19).
L’espion, ou plus particulièrement l’espionne, est le personnage central du deuxième récit, L’Espionne de la marine (n°26, 1917), dont l’action se déroule en Angleterre.
On se rappelle que Le Rouge a déjà écrit des récits d’espionnage dont l’un met en scène une espionne — mythe très ancré à l’époque et qui fera florès après le procès et l’exécution de Mata-Hari : La Dame noire des frontières (1914).
Non seulement, encore une fois, les Français et leurs alliés doivent combattre des ennemis visibles mais il leur faut encore se défaire des ennemis invisibles, de ceux qui peuvent apparemment être des amis ou des proches.
Victime innocente par excellence, l’otage est le personnage du récit suivant : Journal d’un otage (n°34, 1918). Et au premier rang, dans une commune, le maire.
Son action s’inscrit dans l’Histoire :
« Son grand-père était maire de Senlis au moment de l’invasion des alliés, en 1815 ; son père l’était en 1870 et avait été décoré pour sa belle conduite. Le fils allait continuer les traditions. » (67)
Ici, Le Rouge en profite pour dénoncer sous une autre forme les exactions allemandes :
« Un désordre inextricable régnait partout. Il n’y avait pas une chambre qui n’eût été bouleversée et souillée. Les meubles avaient été fracturés, les tiroirs jetés sur le parquet ; des armoires anciennes défoncées, les glaces brisées, les tentures arrachées, les sièges éventrés, et, par-dessus le chaos des objets détruits pour l’unique plaisir de les détruire […] » (77)
L’ennemi est donc d’autant plus odieux qu’il n’agit pas pour les nécessités de la guerre mais seulement par plaisir de nuire !
Le quatrième récit, Souvenirs d’un prisonnier (n°39, 1918), écrit sous le pseudonyme de P. Trubert, est l’occasion d’évoquer la désinformation dont se rendent coupables les Allemands.
« Le matin, à l’heure de la soupe, on nous annonça que l’avant-garde de l’armée de von Kluck était à quinze kilomètres de Paris, le président Poincarré était assassiné, la révolution ensanglantait la capitale… » (97)
Et, un peu plus loin est nommément cité l’authentique Journal des Ardennes, organe rédigé en français pour « informer » les populations des territoires occupés par les Allemands.
Enfin, bien sûr, sont dénoncées les conditions d’existence dans les camps de prisonniers :
« De terribles nouvelles nous parviennent alors des camps voisins, de Langensalza, de Cassel, où de formidables épidémies de typhus se sont déclarées. Les Français et les Russes meurent par milliers. » (111)
Pour finir sa collaboration avec « Patrie », Le Rouge propose Le Carnet d’un reporter (n°62, 1918), qui est un récit autobiographique.
On peut penser authentique l’anecdote qui le fait embaucher comme correspondant de guerre par le journal L’Information et les événements qui s’en suivent, jusqu’à la mort, au front, de son collègue du Petit Parisien, Serge Basset1.
Ce récit est l’occasion pour lui — par l’intermédiaire de son propre personnage — de répondre à une rumeur qu’il dénonce, tout en invitant les journalistes à la prudence :
« Empêcherez-vous les imbéciles […] de dire que les articles des journalistes du front sont faits à tête reposée, sur une table de café de l’arrière ? Non ! Vous avez le souci de la vérité et je vous loue hautement, mais permettez-moi, mon cher confrère, de vous dire qu’en bien des cas la recherche de la vérité n’oblige pas à commettre des imprudences. » (142)
Ces cinq volumes de la collection « Patrie », qui en comprendra finalement 154, sont très intéressants à plusieurs titres.
Certes, comme témoignage sur les événements de la Grande Guerre, ils sont à lire avec prudence — même s’ils recoupent souvent d’autres sources avérées. Mais ils sont tout à fait révélateurs de la mentalité de guerre qui habite la population française durant les années de conflits.
Par ailleurs, ils sont une démonstration — peu fréquente dans l’histoire de la littérature populaire — du talent des romanciers de fiction au service d’une « cause ».
Après Gaston Leroux, Gustave Le Rouge apporte une belle pierre à l’édifice.
1 Lire l’article publié dans Le Petit Parisien le 1er juillet 1917.
Reims sous les obus
1.
Veille de mariage
— Il y a un siècle que je ne vous ai vue, Mme Gervais !… Reims n’est pourtant pas une grande, grande ville, mais malgré cela, dès que l’on n’habite plus le même quartier, on arrive à négliger ses amies !… J’avais, justement, une course à faire ce matin, à l’Hôtel de Ville, c’est ce qui me permet d’avoir la bonne fortune de vous rencontrer !
— Moi, je vais avenue de la Paix, j’ai une commission pour Marthe…
— C’est vrai !… Vous devez être très occupée, en ce moment !… Toutes mes félicitations !… J’ai reçu le faire-part, je ne manquerai pas d’assister à la bénédiction nuptiale… C’est pour le 3 août, n’est-ce pas ? A Saint-Rémi ?…
— Oui… Saint-Rémi est notre paroisse.
Deux femmes causaient ainsi, sur la place Royale, le matin du 30 juillet 1914.
Celle qui avait abordé Mme Gervais était une bonne vieille modeste rentière, dont la vie tout entière s’était écoulée dans sa ville natale, ayant pour unique horizon les tours de la cathédrale ; pour passe-temps, les petits potins chez la voisine.
L’autre était grande, à la figure énergique, les cheveux noirs parsemés de fils d’argent, on devinait, en la voyant, la mère de famille, la femme du foyer.
On aime à bavarder, en province. Il est certain qu’on ne s’en prive guère à Paris, mais, en province, on peut mieux causer dans les rues, où le mouvement est moins intense que dans la capitale, on se rencontre souvent, aux mêmes heures, aux mêmes endroits, on se connaît davantage, on se conte plus facilement ses affaires qu’à Paris, où les voisins de palier, la plupart du temps, s’ignorent !
Les deux femmes se rencontraient, c’était l’occasion de faire la causette.
— Ça vous fera une fille de plus, total, quatre enfants, pas vrai ?… reprit la petite vieille.
— Quatre enfants, oui, Mme Mercier !… Mais, en réalité, ça me change rien !…
— C’est juste, c’est vous qui avez élevé Marthe, vous l’avez avec vous depuis la mort de sa mère ? Voilà bientôt, dix ans, à ce que je crois !… Comme le temps passe !
— Eh oui ! Marthe avait neuf ans.
— Vous étiez très intime avec sa mère !…
— Oui, et feu mon mari était aussi très lié avec son père. Quand sa femme est morte. M. Fillot — il est mort depuis, le pauvre ! — m’a dit : « Ma chère Marie m’a laissé cette enfant. J’ai peur de la mettre en pension… C’est pour elle que je vais travailler à présent, mais il faut qu’en ma qualité de représentant en vins de Champagne, je voyage beaucoup !… — Bon, bon ! lui ai-je de suite répondu ; donnez-moi Marthe, je m’en charge », et voilà !…
— Vous n’avez pas eu à le regretter, je crois, car Marthe est une travailleuse, une couturière émérite ! Pierre, votre fils, a un bon métier…
Il est mécanicien à l’usine Charon, du quartier de la Laine, il y est entré en sortant de l’Ecole des Arts et Métiers de Châlons, y a six ans. Il l’a quittée pour accomplir son service ; il a retrouvé son poste l’an dernier, quand il a été libéré.
— Alors, il a vingt-quatre ans ?… Comme ça pousse ; moi qui l’ai vu au maillot ! Et vos deux petites ?
— Mes deux petites, Jeanne, l’aînée, a dix-sept ans, Madeleine, la plus jeune, a quatorze ans. Elle va entrer à l’école professionnelle… Jeanne, elle, prépare l’Ecole normale… Toutes deux, comme vous voyez, ont encore besoin de moi !… En ce moment, elles sont en vacances et m’aident dans les préparatifs de la noce… Marthe n’a pas quitté son atelier de couture, elle y retourne encore demain, de même que mon fils retourne à l’usine. Après, ils prendront quinze jours de vacances, pour faire un petit voyage de noces…
— Ils ont bien raison !
— Oh ! ils ne seront pas malheureux ; tous deux gagnent largement leur vie. Marthe a un petit avoir qui lui revient de son père et, de plus tout le berloquin 1 de ses parents !…
— Vous le lui avez conservé ?…
— Mais, oui, Mme Mercier… Le berloquin, n’est-ce pas la richesse de l’ouvrier, c’est le mobilier acheté petit à petit, grâce au travail du père, aux économies de la mère. Marthe a celui de ses parents, elle y ajoutera plus tard ce qui lui plaira, mais à ce sujet elle pense comme moi… Ces meubles, témoins de l’existence des siens, évoquent trop de souvenirs pour qu’elle consente à s’en débarrasser !…
— Et elle a bien raison !… Je l’approuve. Moi, je crois que j’aimerais mieux mourir tout de suite plutôt que de me voir dépouiller de mon berloquin !… Je me dis parfois : « S’il arrivait que ta maison brille et que ton mobilier flambe, ma pauvre vieille, vaudrait autant brûler avec lui !… » Allons, faut pas songer à des choses si tristes ! quoique, cependant, il paraît que nous sommes dans une crise qui pourrait bien amener la