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Du lycée aux tranchées: Roman historique de la Première Guerre mondiale
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Livre électronique399 pages5 heures

Du lycée aux tranchées: Roman historique de la Première Guerre mondiale

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À propos de ce livre électronique

Un roman destiné à la jeunesse valorisant les actions des jeunes soldats français face à l'armée allemande

Dès le début de la Grande Guerre, Jules Chancel s’engage comme beaucoup d’autres de ses confrères dans une littérature militante antigermanique, dénonçant les crimes allemands et valorisants le courage et l’audace des jeunes Français.

Le titre de son premier roman dans cette veine — appartenant à la série « Les Enfants à travers l’Histoire » — est à lui seul un programme Du lycée aux tranchées. Il paraît chez Delagrave en 1917 — illustré par Louis Bombled.

Lorsque la guerre est déclarée, Guy d’Arlon vient de terminer sa classe de troisième, à Senlis, avec deux premiers prix, en narration française et en gymnastique. Dès septembre, la ville est envahie par l’ennemi et son père, adjoint au maire, est fusillé. Guy le venge immédiatement en abattant l’officier responsable de l’exécution et, dès lors, fait le serment de tuer à lui seul dix Allemands !

D'inspiration autobiographique, cette fiction relate de nombreux épisodes de la Première Guerre mondiale

EXTRAIT 

Hennequeville, le 25 juillet 1914.

Guy d’Arlon : 1er prix de narration française ; Guy d’Arlon : 1er prix de sports !
Telles sont les deux nominations que j’ai obtenues cette année dans ma classe de troisième. Je n’en étais pas d’abord très fier, car je m’avouais à moi-même que j’avais été assez paresseux durant l’année scolaire ; mais, en constatant l’accueil qui me fut fait par ma famille et mes professeurs le jour de la distribution, je commençai à comprendre que le résultat de mes modiques efforts était supérieur à celui que j’attendais. Ce prix de français accouplé à ce triomphe sportif constituait, paraît-il, un ensemble parfait, et très moderne.
Après avoir deviné le contentement de mes parents au moment où ils m’embrassèrent, en posant de travers sur ma tête la couronne symbolique ; après avoir surpris sur les lèvres de mes maîtres des sourires satisfaits à mon égard, je conçus instantanément le petit orgueil qui convenait, paraît-il, à un lauréat de français et de gymnastique.
Et quand le préfet des études dit à ma famille : « Voilà donc notre futur homme de lettres ! », je ne protestai pas et trouvai même cette prédiction toute naturelle.

A PROPOS DE L'AUTEUR

Jules Chancel est né en 1867 et mort en 1944. Correspondant de guerre et journaliste, Jules Chancel s'est illustré principalement pour ses romans destinés aux jeunes lecteurs. Il fut récompensé de nombreuses fois par l'Académie française.
LangueFrançais
Date de sortie10 juil. 2015
ISBN9782360589081
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    Aperçu du livre

    Du lycée aux tranchées - Jules Chancel

    Bibliothèque du Rocambole

    Œuvres de la Grande Guerre - 3

    collection dirigée par Alfu

    Jules Chancel

    Du lycée aux tranchées

    1916

    AARP — Centre Rocambole

    Encrage édition

    © 2012

    ISBN 978-2-36058-908-1

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    Avertissement

    de Philippe Nivet

    Professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Picardie

    Directeur du Centre d’histoire des sociétés, des sciences et des conflits

    Pendant la Première Guerre mondiale, la diffusion de la culture de guerre passe par différents vecteurs : la presse enfantine, à l’image du journal Fillette , la presse illustrée, comme L’Illustration ou Le Miroir , ou les estampes, à l’exemple de celles de Jean-Louis Forain.

    Le roman populaire, souvent publié d’abord en feuilleton, participe également de cette diffusion.

    Exemple notoire : dans L’Eclat d’obus, roman de Maurice Leblanc, initialement publié dans les colonnes du Journal en 47 feuilletons quotidiens à l’automne 1915, on trouve ainsi de multiples dénonciations de la « guerre à l’allemande », marquée par les violations du droit des gens : « Assassiner et espionner, c’est pour [les Allemands] des formes naturelles et permises de guerre, et d’une guerre qu’ils avaient commencée en pleine période de paix ». Guillaume II y est présenté comme « le plus grand criminel qui se pût imaginer », tandis que les actes commis par les soldats allemands lors de l’invasion y sont résumés de manière saisissante : « Partout, c’était la dévastation stupide et l’anéantissement irraisonné. Partout, l’incendie et le pillage, et la mort. Otages fusillés, femmes assassinées bêtement, pour le plaisir. Eglises, châteaux, maisons de riches et masures de pauvres, il ne restait plus rien. Les ruines elles-mêmes avaient été détruites et les cadavres torturés ».

    Si son insertion, en 1923, dans la série des Arsène Lupin a donné à ce roman une audience particulière, les thématiques qu’il développe se retrouvent dans d’autres textes de Maurice Leblanc et dans ceux de la plupart des auteurs populaires du temps, depuis Gaston Leroux jusqu’à Delly, en passant par Jules Chancel ou les auteurs des brochures de la collection « Patrie », tel Gustave Le Rouge ou Léon Groc.

    Encrage Edition et le Centre Rocambole (centre de ressources international fondé par l’Association des Amis du Roman Populaire) ont la judicieuse idée d’exhumer ces documents et de les republier dans cette période marquée par la célébration du Centenaire de la Première Guerre mondiale. Le lecteur de ce début du XXIe siècle y verra comment étaient célébrés les soldats français, héroïques quels que soient leur âge et leur parcours antérieur, dénoncés les espions travaillant de longue date au profit de l’Allemagne et condamnées les atrocités de l’invasion. C’est toute une culture de guerre, assimilée par certains à un « bourrage de crâne », que l’on retrouve.

    Préface

    d’Alfu

    Homme de lettres, auteur dramatique et secrétaire général de l’Association des journalistes parisiens, Jules Chancel, né à Marseille le 25 septembre 1867, et décédé à Paris le 18 janvier 1944, est, de nos jours, surtout connu pour ses romans ayant pour héros de jeunes et intrépides adolescents.

    En effet, à partir de 1901, il crée plusieurs séries de romans dont les titres sont sans ambiguïté.

    La série « Les Enfants à travers l’Histoire » propose, au fil du temps, les exploits de Cocorico, reître d’Henri IV (1901), du Petit fauconnier de Louis XIII (1905), d’un Petit marmiton, grand musicien [Vie de Lully] (1906), des Petits ménétriers de Dugay-Trouin (1903), du Petit jockey du duc de Lauzin (1785-1793) (1910), du Moucheron de Bonaparte (1795-1805) (1908), de Tiarko, le chevrier de Napoléon (1805-1815) (1909), et du Petit roi du masque noir (1867-1870) (1911).

    La série « Les Enfants à l’étrangers » incite au voyage avec Un petit émigrant en Argentine (1918), ou Un petit comédien au Brésil (1915).

    Enfin, la série « Les Enfants aux colonies », entraîne le lecteur au Soudan à la suite du Prince Mokoko (1912), au Maroc, avec Lulu au Maroc (1913), ou encore en Indochine, avec L’Etreinte de la Main de fer (1925).

    Certains de ces romans s’inscrivent dans la lignée des fictions scientifiques verniennes, tels Le Secret de l’émir (1920) ou Le Tour du monde involontaire (1929).

    Dès le début de la Grande Guerre, Chancel s’engage comme beaucoup d’autres de ses confrères dans une littérature militante antigermanique, dénonçant les crimes allemands et valorisants le courage et l’audace des jeunes Français.

    Le titre de son premier roman dans cette veine — appartenant à la série « Les Enfants à travers l’Histoire » — est à lui seul un programme : Du lycée aux tranchées. Il paraît chez Delagrave en 1917 — illustré par Louis Bombled.

    Lorsque la guerre est déclarée, Guy d’Arlon vient de terminer sa classe de troisième, à Senlis, avec deux premiers prix, en narration française et en gymnastique.

    Dès septembre, la ville est envahie par l’ennemi et son père, adjoint au maire, est fusillé. Guy le venge immédiatement en abattant l’officier responsable de l’exécution et, dès lors, fait le serment de tuer à lui seul dix Allemands !

    Il va donc se jeter dans la mêlée et être témoin des événements les plus étonnants comme les plus révoltants.

    Tout d’abord, il constate très vite que la guerre n’est plus celle que l’on s’attendait à connaître. Et il est témoin de scènes anachroniques :

    « Ce jeune homme emballé par sa fougue chevaleresque, ce Saint-Cyrien qui, fidèle à la promesse qu’avaient faite, en se quittant, les officiers de sa promotion, avait mis ses gants blancs pour marcher à l’ennemi, ne trouvait pas encore que c’était suffisant. Oubliant, dans cette minute de glorieuse folie, les mesures de prudence qu’impose la guerre moderne, ignorant encore que les officiers étaient surtout visés par les tireurs allemands, il se souvient seulement qu’il est un chef et qu’un chef n’abdique pas l’honneur d’être une cible. » (52)

    Les combattants doivent très vite changer de comportement :

    « Et tout changeait d’aspect. Les uniformes trop visibles faisaient place aux vêtements inesthétiques, mais plus discrets. » (73)

    « A l’imitation des Allemands, les Français furent bien forcés de s’adapter à cette nouvelle et odieuse façon de combattre. Peu à peu, tous nos régiments à leur tour, s’enfoncèrent, eux aussi, dans la terre. » (74)

    Ce qui répugne au jeune garçon :

    « Devant cette guerre dépouillée de son panache, terne, sale, boueuse, sans beauté apparente, Guy à part lui frémissait de déception et de colère. » (55)

    Il traverse des paysages désolés : des villages dont il ne subsiste plus que « des murailles noircies et en ruine », des champs où « il voyait les cadavres amoncelés autour des meules », et « partout des cendres »…

    Et puis les morts : « Le uns surpris au repos, les autres en plein combat. Certains corps étaient déchiquetés, sanglants, d’autres intacts et semblant exempts de toute blessure. » Et, pire encore, les blessés : « Ce qui lui était le plus pénible, c’était d’entendre les plaintes des blessés ».

    La suite n’est que désolation et Guy d’Arlon pourra — comme le feront tous les héros de notre littérature populaire de l’époque — constater la « barbarie » allemande.

    Ainsi, les Allemands détériorent les mines françaises, ce qui leur importe peu puisqu’ils ne les garderont pas et que ce n’est pas eux qui les exploitent :

    « Des femmes, des vieillards, des enfants étaient obligés, sous peine de mort, de descendre chaque jour dans ces mines menaçantes et d’y travailler sans relâche pour les Allemands. » (159)

    Plus tard, Guy rejoint les troupes alliées. Et l’auteur qui, à n’en pas douter, a été témoin des faits, parle des bases arrières et principalement de la ville de Rouen :

    « Il faut avoir parcouru Rouen et sa banlieue pendant la guerre et y avoir découvert, à chaque visite, quelque installation nouvelle de ses hôtes, pour se rendre compte de l’activité anglaise dans l’organisation des services de l’arrière, de l’importance et de la multiplicité de ces services : services de l’armée métropolitaine, de l’armée indienne, australienne, canadienne ; services de l’état-major, de l’intendance, de la santé, de la trésorerie, de la poste, tous nos services, en un mot, augmentés de deux : celui du culte, que nous n’avons plus, et celui des jeux, que nous n’avons pas encore. » (205)

    A travers les propos de l’un de ses personnages, il n’hésite pas à dresser un portrait hagiographique du maréchal Joffre :

    « Il est vrai que, par sa simplicité et sa modestie, il rappelle les premiers chefs de Rome, quand la République brillait de son éclat le plus radieux. Mais il a aussi toutes les qualités de notre race à nous : il en a la magnifique puissance de travail, l’inaltérable bon sens et le goût profond de l’économie qui le rend avare du sang de ses soldats. Il a aussi la clarté de l’esprit français, la bonhomie de la vie française, la force immuable de l’âme française dans le destin du pays. Il possède, en un mot, tout ce qu’il y a de bon, de supérieur, dans l’intelligence et la pensée françaises. Et c’est pour cela que nous autres, ses subordonnés, ses combattants, nous lui avons donné l’épithète qui le résumait le mieux à nos yeux ; nous l’avons appelé : notre Joffre ; oui, notre, parce qu’il est bien près de nous, parce qu’il est bien ce que nous voulions qu’il fût. » (219)

    Il n’aura pas oublié, en passant, de revenir sur le thème — obligé à l’époque — de l’espionnage allemand :

    « On sait combien ce service d’espionnage, si développé, si perfectionné par les Allemands avant et pendant la guerre, leur a été utile et a même été la cause véritable de leurs principaux succès. » (223)

    Mais la conclusion du roman est claire : à chaque âge son devoir. Pour les lycéens :

    « Ce devoir n’est pas aux armées : il est sur les bancs du lycée, où ils doivent travailler à acquérir la force et la science qui contribueront à faire grande et forte la France de demain. La France d’aujourd’hui doit être prévoyante : elle ne veut pas manger le blé en herbe, détruire son espoir. Enfants, vous êtes la véritable réserve du pays, ceux qui doivent profiter de la victoire et la consolider. » (250)

    La même année, Jules Chancel publiera un autre roman « de guerre » : Sous le masque allemand, et, encore un autre deux ans plus tard : Un match franco-américain.

    Première partie

    1.

    Le journal de Guy d’Arlon

    Hennequeville, le 25 juillet 1914.

    Guy d’Arlon : 1er prix de narration française ; Guy d’Arlon : 1er prix de sports !

    Telles sont les deux nominations que j’ai obtenues cette année dans ma classe de troisième. Je n’en étais pas d’abord très fier, car je m’avouais à moi-même que j’avais été assez paresseux durant l’année scolaire ; mais, en constatant l’accueil qui me fut fait par ma famille et mes professeurs le jour de la distribution, je commençai à comprendre que le résultat de mes modiques efforts était supérieur à celui que j’attendais. Ce prix de français accouplé à ce triomphe sportif constituait, paraît-il, un ensemble parfait, et très moderne.

    Après avoir deviné le contentement de mes parents au moment où ils m’embrassèrent, en posant de travers sur ma tête la couronne symbolique ; après avoir surpris sur les lèvres de mes maîtres des sourires satisfaits à mon égard, je conçus instantanément le petit orgueil qui convenait, paraît-il, à un lauréat de français et de gymnastique.

    Et quand le préfet des études dit à ma famille : « Voilà donc notre futur homme de lettres ! », je ne protestai pas et trouvai même cette prédiction toute naturelle.

    Et pourquoi, après tout, ne deviendrais-je pas un homme de lettres, puisque j’avais eu le premier prix de français, sans effort ? Oh non !

    Telle est souvent l’origine de beaucoup de vocations. Je m’étais levé, le matin, sans savoir le moins du monde ce que j’avais l’intention de faire dans l’existence. Un sourire flatteur, un mot lancé. Il n’en fallut pas davantage je serai homme de lettres !

    Et instantanément j’en pris les allures. Je me rappelai la manière lente de parler, les attitudes songeuses, l’œil scrutateur des littérateurs connus que j’avais eu l’occasion d’approcher, et je cherchais déjà à indiquer dans ma personne ces signes distinctifs d’une carrière glorieuse. Déjà j’étudiais mes paroles pour ne laisser sortir de ma bouche que des mots profonds ou spirituels.

    Mais comme, malheureusement, je n’en trouvais pas beaucoup, je restais muet, ce qui me fit paraître tout simplement stupide devant les amis de ma famille qui vinrent me féliciter.

    Bah ! je me rattraperai par mes écrits ! Et je promis des lettres à tout le monde, car je n’étais pas de ceux qui se contentent de la déplorable carte postale avec ses stupides évocations : « Buffet de Dijon, trois heures. Sommes ici et vous envoyons nos amitiés. »

    — Non, me disait-on, quand on a eu un prix de narration, on détaille ses impressions longuement.

    — Certes, ajouta mon professeur, et pendant les vacances on écrit même son journal.

    Ces paroles me frappèrent et devinrent pour moi presque un ordre.

    M. Courtois, qui les avait prononcées, était celui de nos maîtres pour lequel nous avions tous la plus grande admiration. Il était jeune, élégant, moderne. Il sortait de Normale et portait des cravates d’un goût parfait. En classe il nous lisait du Rostand ou du Musset, et devant nous avait envoyé promener le proviseur qui s’était permis une observation à son égard. Tout cela avait fait de lui, pour nous, une manière de héros.

    M. Courtois avait dit que je devais écrire mon journal pendant les vacances, et voilà pourquoi je l’écris.

    Et puis, n’est-ce pas déjà commencer ma carrière d’homme de lettres ?

    — Où est Guy ? demande-t-on.

    — Dans sa chambre… répond ma mère avec un sourire orgueilleux ; il écrit son journal.

    Et quand je descends, on me demande :

    — Eh bien, Guy… l’inspiration était-elle bonne aujourd’hui et la muse propice ?… Vous ne nous avez pas trop abîmés, au moins, dans ce fameux journal ?

    Et je prends un air mystérieux en disant avec modestie :

    — Bah ! il faut bien s’occuper !… Ça vaut mieux que d’aller au café.

    On rit… Ce n’est pas méchant, mais c’est déjà un mot d’auteur.

    J’ai expliqué pourquoi j’avais commencé ce journal. C’est quelque chose évidemment, mais ce n’est pas tout, il faut maintenant l’écrire, et l’écrire pour de bon.

    Je pense à M. Courtois. A la rentrée, je veux pouvoir lui apporter un gros rouleau de papier, pas un simple petit cahier d’enfant de deux sous, mais un vrai manuscrit sérieux, en lui disant :

    — Voilà mon journal, monsieur… si vous voulez bien le parcourir le soir pour vous endormir.

    Mais, pour arriver à remplir ce gros manuscrit, il faut avoir des choses à dire. Voyons, entre nous, je ne sais pas trop comment on procède pour faire un journal. J’ai regardé dans un dictionnaire de littérature, et j’y ai lu : « Dépeindre d’abord sa personnalité, le cadre dans lequel on vit et les gens qui vous entourent. » Je me conforme donc à ces préceptes, et je me présente à vous, mes chers lecteurs.

    Je m’appelle Guy d’Arlon, un joli nom d’homme de lettres, entre parenthèses ; je crois que plus tard je n’aurai pas besoin de prendre de pseudonyme. Guy d’Arlon, comme ça, tout simplement, de naissance ; décidément j’étais prédestiné ! J’ai quatorze ans pour ma mère, mais en réalité je ne suis pas loin de quinze. Quant à mon portrait physique, je me heurte à une difficulté, Doit-on être modeste dans un journal ? Voilà ce que ne dit pas le dictionnaire de littérature. En réalité, je vous avouerai que je ne me trouve pas mal. Non, décidément. La vieille glace que j’ai en face de moi me renvoie l’image d’un grand diable bien bâti — n’oublions pas que j’ai eu aussi le prix de sports, — mais oui, bien bâti : des épaules qui sont larges, une taille mince, des jambes longues et nerveuses, des cheveux longs ondulés et collés en arrière sur la tête, à l’américaine, un nez un peu fort, — mais depuis Cyrano c’est la mode, — des yeux bleus, mon Dieu ! fort expressifs et énergiques. Ceci, ce n’est pas moi qui le dis. Je l’ai entendu un jour que l’on parlait de moi au salon et que je ne me suis pas pressé d’entrer pour savoir ce qu’on en disait.

    En résumé, je suis grand, fort et entraîné. Je joue au tennis, au football : premier avant à Puteaux ; je boxe quelque peu, je nage et je me tiens à peu près sur un cheval de manège. Un cent mètres avec obstacles ne m’effraye pas et j’ai un brevet de préparation militaire, au demeurant le meilleur fils du monde, à condition qu’on ne me contrarie pas. Je suis paresseux et rêvasseur comme il convient à un futur homme de lettres, et voilà. Pour le reste, vous me verrez à l’œuvre au cours de ce journal… si je continue, car je trouve que c’est déjà bien fatigant d’écrire comme ça des pages tous les jours. Mais je continuerai. De la volonté : il faut de la volonté ! Passons donc maintenant, en suivant les préceptes du dictionnaire, aux gens qui m’entourent et au cadre dans lequel je vivais. Faut-il commencer par le cadre ou par les gens ? Je n’en sais rien. Au hasard !

    Le cadre est une jolie villa à Hennequeville, près Trouville, où nous sommes venus passer les vacances. Mes parents semblent riches. Papa est directeur d’une compagnie d’assurances, et nous habitons, dans les environs de Paris, une petite ville qui s’appelle Senlis, où nous possédons une vieille maison et des propriétés. Papa est adjoint au maire de Senlis et jouit dans le pays d’une considération très grande.

    Je ne comprends pas très bien pourquoi nous n’habitons pas Paris, où papa a ses affaires et maman ses magasins et ses tasses de thé ; mais il paraît que ce n’est pas possible. Il faut conserver ses attaches et rester fidèle à la petite patrie, comme le disent papa et M. Barrès. Moi, comme je suis au collège à Senlis, je n’y vois pas d’inconvénient ; mais je sais très bien que, quand j’aurai fini mes études, je saurai aller habiter Paris pendant l’hiver. Quant à l’été, j’admets très bien qu’on vienne le passer dans une villa comme celle où nous sommes actuellement.

    Cette villa est grande, très bien meublée, située au sommet de ces collines verdoyantes qui, en Normandie, dominent la mer… et la plage de Trouville. En vingt minutes de bicyclette on est sur les planches. Le tonneau de papa y va dix fois par jour. Oui, en somme, cette villégiature est très possible, et voici mon cadre établi.

    Peut-être ne vous ai-je pas suffisamment dépeint le charme des soleils couchants et levants sur la plage, vu à travers la verdure de nos marronniers, mais je crois que les descriptions sont vieux jeu et pas modernes pour un sou. Or, moi, je suis et veux être le jeune homme très moderne, Vous vous passerez donc de descriptions, et j’en arriverai tout de suite à typer les gens qui m’entourent.

    A tout seigneur tout honneur, commençons par papa.

    Papa est un monsieur dans toute l’acception du mot. Il est quelque peu bedonnant, pas sport pour un sou, par exemple, mais il a bon air tout de même. Il préside de nombreux conseils d’administration et partout, toujours, reste monsieur le président.

    Que ce soit dans son salon de Senlis les jours de grand dîner, ou le matin dans sa chambre quand il prend sa tasse de café au lait, toujours il préside, et personne n’ose émettre un avis différent du sien. Il semble, si on parle après lui, qu’une sonnette va vous interrompre. En somme, je suis très fier de mon papa, qui est décoratif en diable et estimé de tous. Il doit gagner beaucoup d’argent, ce dont je ne m’aperçois guère pour ma part, car il s’obstine à me donner régulièrement vingt sous tous les dimanches en me disant avec son ton présidentiel :

    — Surtout, fais-en bon usage !

    Dans ses rapports avec moi, il est charmant, doux, mais sévère. Je l’admire et je l’aime… C’est dommage seulement qu’il ne joue pas au tennis et soit aussi peu sport. Il serait complet !

    Il paraît que dans sa jeunesse ce n’était pas la mode.

    Passons maintenant à maman. Maman, c’est maman, et je ne sais pas pourquoi il m’est trop difficile d’en dire davantage sur son compte. Il me semble que quand j’ai écrit ce mot maman, j’ai tout dit. Elle représente pour moi toutes les qualités, et je plains tous mes camarades d’avoir une mère qui ne soit pas la mienne. Elle est toute petite, mais il semble que :

    Dieu la fit ainsi afin de la mieux faire.

    Elle a une voix douce qui fait un contraste curieux avec l’autorité de son caractère. Au fond, et ceci entre nous, si papa préside si bien, c’est maman qui tient la sonnette sans qu’on s’en doute.

    Enfin maman est jolie, exquise, intelligente et musicienne ; elle sent bon, elle a toutes les qualités : c’est maman !

    Comme enfants, nous ne sommes que deux, moi et Colette.

    Colette a six ans. C’est un personnage sympathique, c’est la joie de la maison. C’est la joie partout où elle est. Avec ses cheveux d’or, son petit nez en l’air, sa bouche grande, mais qui rit tout le temps, elle dégage de la gaieté et du bonheur : elle rayonne !

    Il fait gris, on a mal dormi, la journée s’annonce mal, on ne sait pas ses leçons : Colette apparaît, et on part joyeux pour le collège ou pour ses affaires. Et puis, Colette a des mots délicieux. Voulez-vous le dernier ? Il est d’hier.

    On l’a menée prendre son premier bain de mer, et quand elle fut installée dans les bras du baigneur, elle lui dit impérativement :

    — Menez-moi bien loin, là-bas, au milieu !

    — Pourquoi au milieu ? demanda l’homme étonné.

    — Parce que la mer, ça doit être comme la soupe… sur les bords, c’est plus froid.

    Et elle en a comme ça toute la journée !

    Maintenant, il ne me reste plus à vous présenter que mes oncles.

    Ceux-là sont vraiment faciles à typer. C’est l’oncle Tantpis et l’oncle Tantmieux. Le premier grogne tout le temps, trouve tout mal, déblatère sans cesse sur les choses et sur les gens. Il a une maladie de foie, il est jaune, maigre et voûté. Le second est un satané mauvais sujet, paraît-il. Il a mangé toute sa fortune, mais ne s’en porte pas plus mal, au contraire ! C’est ce qu’on appelle en style de théâtre : une rondeur, un sympathique. Il est toujours content et trouve, comme Candide, que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Sa devise favorite c’est : La vie est belle ! Les choses les plus épouvantables n’ont, affirme-t-il, aucune importance, et il affirme que les plus grands malheurs, vus du haut de Sirius, apparaissent tout de suite comme de fort minuscules événements. Ce n’est pas lui qui a trouvé ça : c’est Renan, paraît-il ; mais il s’en sert fort bien.

    Pour ce qui me concerne, j’admire ma chance qui a placé à côté de moi, durant ces vacances, ces deux personnages. Ils vont être pour moi très précieux pour la confection de mon journal. Sur chaque chose je n’aurai qu’à les écouter pour avoir des opinions contraires, entre lesquelles il me sera facile de choisir la vraie.

    Exemple : hier soir, après le dîner, on lisait le journal sur la terrasse. La lecture du Temps en hiver, le soir sous la lampe, avant le bridge de papa, est un des rites auxquels je suis habitué depuis mon enfance. Donc on lisait le journal et on commentait les événements du jour.

    L’oncle Tantpis annonce par-dessus son lorgnon :

    — Ça va de plus en plus mal dans les Balkans. Il paraît que l’Autriche demande des réparations à la Serbie pour l’assassinat du grand-duc héritier.

    Mon père hocha gravement la tête.

    — On ne sait pas, en effet, dit-il, où cette affaire-là peut nous mener.

    Mais voici l’oncle Tantmieux qui bondit.

    — Ah çà ! est-ce que vous allez me raser longtemps et nous gâter nos vacances avec votre politique ?… Les Balkans ? mais voici trente ans que j’entends dire que ça va mal aux Balkans… Qu’une bonne fois on les fiche dans la mer Noire, ces satanés Balkans, et la question d’Orient sera résolue.

    Puis, ouvrant d’un geste large la porte vitrée du salon, il continua :

    — Regardez donc la mer… Ça vaudra mieux que de vous occuper d’un tas de gens qui nous sont complètement indifférents.

    Son conseil fut suivi, car l’humanité est ainsi faite que, autant que cela lui est possible, elle se tourne vers ce qui lui est agréable et oublie ce qui peut l’attrister, même la mort.

    On oublia donc les Balkans ce soir-là. On écouta l’oncle Tantmieux réciter des vers à la lune, on vanta les charmes de la villa, on organisa une partie de pêche pour le lendemain, et, vers onze heures, tout le monde alla se coucher le cœur léger. Seul l’oncle Tantpis continuait à gémir.

    Etait-ce divination, génie, prescience ? Etait-ce tout simplement sa gastrite qui le travaillait ce soir-là ? On ne le saura jamais, mais nous verrons bientôt que, cette fois, c’était l’oncle Tantpis qui avait raison.

    2.

    Suite du journal de Guy d’Arlon

    Une semaine de vacances s’est déjà écoulée, et ce sont les faits et impressions de ces huit jours que je veux essayer de raconter aujourd’hui dans ce deuxième chapitre de mon journal.

    L’entreprise me paraît singulièrement difficile, à cause de la banalité des sujets que j’ai à traiter. Je sais bien que le talent, le talent moderne surtout, consiste justement à écrire sur des riens et à en faire des choses charmantes. Les classiques mêmes nous ont donné des exemples de ce genre, et Xavier de Maistre a fait tout un livre de voyages autour de sa chambre. Mais, je ne sais pourquoi, la vie que je mène, l’époque dans laquelle je vis, tout me paraît particulièrement plat, insignifiant, monotone. Dans ce siècle où commencent à s’envoler les aéroplanes, nous manquons, me semble-t-il, complètement d’envolée. Après tout, nous ne pouvons pas tous être aviateurs ; alors, que nous reste-t-il ? Le train-train monotone d’une vie mondaine prévue et banale. Heureusement il y a les sports. Aussi je vous assure que je m’y adonne avec frénésie. Lundi, match de tennis au casino. J’ai été le second de Décugis, et, ma foi ! ce grand ténor de la raquette a daigné me dire que je ferai quelque chose.

    L’après-midi, leçon de boxe au stand du club. Deux heures de punching ball. Le soir, le bain de mer avec les camarades : périssoire, water polo, etc. Voilà des journées bien remplies, ou je ne m’y connais pas.

    Entre-temps, je pense… Je pense à cette phrase que nous lança, dans son discours de distribution des prix, l’académicien notable qui était venu présider la cérémonie :

    — Jeunes gens, nous dit-il, on vous reproche, paraît-il, votre manque d’enthousiasme. Je me suis laissé dire que la jeunesse moderne était froide, calculatrice, spéculative, mais qu’elle ne possède plus l’allant, l’enthousiasme, la joie de vivre des jeunes gens d’autrefois.

    « Je me hâte d’affirmer que c’est faux ! La jeunesse française est toujours la même. Les apparences seules sont changées : l’enthousiasme moderne se porte en dedans, voilà tout.

    « Vienne une occasion de le sortir, et vous le sortirez, vous le brandirez orgueilleusement. Jeunes gens, vous êtes des forces cachées qui s’ignorent.

    Ces paroles me laissèrent rêveur. Aurait-il raison, l’immortel ? Je le croirais assez pour ma part. Il me semble, en effet, que je n’attends qu’une occasion pour manifester une foule de sentiments qui sont là-bas, tout au fond de mon être, que je rougirais de laisser voir maintenant, mais que je meurs cependant d’envie d’étaler au grand jour.

    Je tape sur un ballon, je tire sur des élastiques, je saute devant un filet de tennis, mais tout cela a un but : me faire des poumons, des muscles, de l’audace, en vue de quelque chose que j’ignore, mais que j’attends. Mes ressources morales sont pareilles. Je vis doucement, je blague les grands sentiments parce que c’est la mode, je commence à danser le tango, mais, tout au fond de moi-même, je sens quelque chose de caché qui est là et qui attend.

    Des forces physiques et morales cachées qui s’ignorent, mais qui n’en sont pas moins là. Pas si bête que ça, tout de même, notre vieil académicien. Je crois qu’il a raison.

    N’empêche que, pour le moment, mes forces morales et physiques ne trouvent pour se manifester que des parties de tennis ; ce n’est pas suffisant…

    Mais que se passe-t-il donc en bas ? J’entends monter dans l’escalier des voix agitées, on dirait qu’un événement grave vient de se produire. Un accident peut-être ? Non : c’est l’oncle Tantpis qui pérore, un journal à la main. Toujours sa marotte. Je l’entends d’ici.

    — Je vous dis que c’est très grave. Ecoutez plutôt le résumé de l’affaire : « Le 28 juin 1914, l’archiduc héritier d’Autriche-Hongrie, François-Ferdinand, tombait sous les coups d’un meurtrier dans les rues de Serajevo, capitale de la Bosnie. L’auteur de l’attentat était un Serbe, et l’on veut voir dans son crime le résultat d’un complot organisé par le gouvernement de Belgrade. La Serbie a protesté, mais l’Autriche, poussée par l’Allemagne, affecte de ne pas croire à la sincérité de ces assurances et demande des garanties contre de nouveaux attentats. Atteinte dans son honneur, la Serbie regimbe et se tourne vers sa protectrice naturelle, la Russie. Enfin voici l’Autriche, toujours sous la pression de l’Allemagne, qui adresse un ultimatum à la Serbie et, en même temps, mobilise ses troupes. C’est le point où l’Allemagne, tapie dans l’ombre, voulait amener les choses. Pendant ce temps la Russie a répondu à la mobilisation autrichienne par une mobilisation parallèle de ses forces, et on annonce ce matin que l’Allemagne a déclaré la guerre à la Russie. Nierez-vous cette fois que les choses soient graves ? »

    J’ai écouté et noté soigneusement

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