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L'alena et le Mercosul - Volume 1: impacts du régionalisme économique de seconde génération sur les mouvements sociaux et les dynamiques des agriculteurs
L'alena et le Mercosul - Volume 1: impacts du régionalisme économique de seconde génération sur les mouvements sociaux et les dynamiques des agriculteurs
L'alena et le Mercosul - Volume 1: impacts du régionalisme économique de seconde génération sur les mouvements sociaux et les dynamiques des agriculteurs
Livre électronique460 pages5 heures

L'alena et le Mercosul - Volume 1: impacts du régionalisme économique de seconde génération sur les mouvements sociaux et les dynamiques des agriculteurs

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À propos de ce livre électronique

L'émergence de la globalisation apparaît comme une occasion intéressante pour nous questionner sur la redéfinition de la stratégie de certains acteurs sociaux, particulièrement des agriculteurs. Qui sont ces nouveaux acteurs, comment répondent-ils aux nouveaux enjeux, quelles sont leurs stratégies, comment s'organisent-ils, quelles sont les nouvelles formes de rapports sociaux qu'ils entretiennent et, enfin, comment se pose pour eux la question du développement? Ces questionnements sont abordés à partir d'une analyse des expériences des agriculteurs dans le double contexte de l'ALENA et du MERCOSUL, d'une part, et, plus particulièrement, autour des situations qui prévalent au Québec et au Brésil, d'autre part, entre les années 1982/1983 à 1996. Le concept d'expérience (ou de dynamique) sociale, ainsi que celui de réseau, s'avèrent une source pouvant nous aider à mieux expliquer ces phénomènes. Il ressort entre autres de notre analyse comparée, que les agriculteurs élaborent de nouvelles stratégies de développement et s'organisent en général sous de nouvelles formes et à travers des relations qui se distinguent par leur originalité et leur flexibilité. Il ressort également que ces expériences sont loin d'être uniformes et homogènes. Étant constituées sur des situations très hétérogènes, et aussi en fonction de projets spécifiques et globaux très divers, ces expériences s'articulent, au niveau global, autour de deux modèles exclusifs et, au niveau des acteurs spécifiques, autour d'une vaste gamme de stratégies.
LangueFrançais
Date de sortie20 janv. 2021
ISBN9786558777670
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    Aperçu du livre

    L'alena et le Mercosul - Volume 1 - Celso Antonio Favero

    pays.

    INTRODUCTION GÉNÉRALE

    1. VUE GÉNÉRALE DE LA PROBLÉMATIQUE

    Depuis 1980, les pays industrialisés et les moins industrialisés ont été entraînés dans une effrayante course qui a transformé profondément leurs systèmes de production, circulation et de consommation de biens et de services. Ces transformations furent marquées par des différences au niveau de l’intensité et de la vitesse, ainsi que par l’hétérogénéité et par l’exclusion de secteurs de production, de pays, de régions et de groupes sociaux.

    À un niveau plus général, ces transformations marquent le passage d’une économie fondée sur le productivisme, à une autre davantage fondée sur la qualité. Dans le premier modèle, celui qu’on appelle le fordisme, l’économie était d’abord nationale et son centre de gravité se plaçait au niveau de la production, celle-ci étant d’abord industrielle. Cette économie était structurée à travers trois secteurs distincts, le primaire, le secondaire et le tertiaire, et convergeait vers le secondaire. Dans ce système, la concurrence était essentiellement basée sur la productivité et la production était très standardisée au niveau des produits et des systèmes de production. Le développement économique était conçu en termes d’une évolution vers l’industrialisation et le développement régional se faisait à partir des pôles régionaux. Dans ce contexte, l’agriculture était conçue comme un secteur retardataire, mais qui devait chercher à s’intégrer à l’industrie pour se développer.

    Le nouveau modèle, celui du post-fordisme ou de la globalisation, est structuré d’une façon tout à fait différente. D’abord, les frontières entre les trois secteurs de l’économie s’avèrent de moins en moins contraignantes en fonction d’une intégration croissante entre ceux-ci par la création des chaînes de production. Dans ce nouveau modèle, ce n’est plus autour de l’industrie que l’économie converge, mais de la consommation. En fonction de cela, la concurrence ne se fait plus par la productivité, mais par la qualité, et la production est de moins en moins standardisée. L’agriculture, quant à elle, reste un secteur très hétérogène et structuré à l’intérieur des chaînes agro-alimentaires.

    Ces transformations relèvent de plusieurs terrains. D’abord, l’expansion des nouvelles technologies ressort au niveau de l’information, de la biotechnologie et de l’automation qui révolutionnent les systèmes productifs. L’introduction de ces nouvelles technologies laisse les systèmes productifs plus souples et permet de faire face plus rapidement aux nouvelles demandes issues surtout des consommateurs. Elle permet aussi de s’adapter aux contraintes posées par le passage d’un modèle de concurrence fondé sur le productivisme, à un autre fondé sur la qualité.

    Les formes organisationnelles au sein des systèmes de production prennent, elles aussi, de nouvelles configurations et de nouveaux contenus. Du système organisationnel fordiste, hiérarchisé à tous les niveaux et fortement régulé par l’État, on se dirige vers des systèmes plus souples, particulièrement coordonnés par des firmes et organisés sous formes de réseaux. L’organisation revient au coeur des systèmes de production (Allaire et Boyer, 1995; Green et Rocha dos Santos, 1993).

    Au cours des dernières années, les systèmes nationaux et étatiques de régulation de l’économie cherchent à s’adapter à ces nouvelles structures et aux exigences d’une économie globale. Les nouvelles politiques agricoles sont de plus en plus ciblées sur des produits (ou sur des chaînes), en fonction de leurs avantages compétitifs au sein du marché global et sont en accord avec les partenaires des chaînes de production respectives. Avec la privatisation des systèmes de régulation, l’État et le national perdent de l’espace en faveur des conglomérats formés autour de grandes entreprises.

    Ces transformations au sein des structures des systèmes de production et de régulation furent accompagnées par la transnationalisation de ces mêmes systèmes. Dans l’agro-alimentaire, à la suite des guerres alimentaires des années 1970 et 1980, et au cours des négociations internationales qui aboutirent à l’Accord du GATT sur l’agriculture et à plusieurs accords économiques régionaux, le modèle agricole (productiviste) tourné vers l’approvisionnement et l’autosuffisance alimentaire (nationale) a été mis en échec. Dans le nouveau système économique, les pays misent davantage sur les exportations, et les entreprises, avec leurs partenaires, s’organisent au niveau international par la mise en place de réseaux de production et de distribution.

    Dans les nouveaux systèmes, sous la contrainte de la compétitivité, tout est conçu comme s’il s’agissent de processus jamais achevés, ce qui exige une constante réadaptation ainsi qu’une coordination très serrée entre les divers éléments de chaque système. Au sein des entreprises, l’idée d’«apprendre en faisant» (Green et Rocha dos Santos, 1993), constituant une idée clé dans les nouveaux mouvements sociaux, devient stratégique. Toutefois, cette nouvelle stratégie est basée sur des rapports de type partenarial et flexible, et non sur un contrôle de type hiérarchique.

    Ces nouvelles structures économiques, les nouveaux systèmes de régulation et les nouvelles formes de concevoir l’agriculture dans l’économie et dans la société appellent de nouvelles stratégies et formes d’organisation sociales de la part de tous les acteurs en scène. Durant la période fordiste, l’idée maîtresse dans l’organisation des acteurs était celle d’une économie structurée en secteurs et d’une société divisée en classes. C’était aussi une économie et une société nationale. Les acteurs sociaux étant constitués sur ces clivages, s’organisaient en vue de la conquête d’intérêts particuliers, au-delà de ceux en rapport à l’ensemble de la collectivité. Pour les agriculteurs, deux formes d’organisation furent essentielles au cours de cette période: les syndicats au niveau de la profession (du secteur) et les coopératives au niveau de la lutte pour un espace dans le marché. La nouvelle société est celle des chaînes multinationales, des réseaux, de la coordination et des rapports de partenariat. Elle est aussi une société hétérogène. Quelles sont les nouvelles stratégies et comment s’organisent les acteurs dans ces nouveaux contextes? Voilà une des questions centrales de notre étude!

    Ces transformations affectent l’ensemble de notre système de concepts. Les concepts clés par lesquels on abordait l’économie dans le fordisme, comme ceux de productivité, de production standardisée et de national, sont remplacés par des nouveaux concepts, tels la compétitivité, la flexibilité, la qualité et le global. L’ordre est: la compétition d’abord! Pour devenir compétitif, toutefois, il faut être flexible. Il faut aussi être suffisamment synchronisé avec les nouvelles demandes diversifiées des consommateurs. En fonction d’une économie fondée sur les méso-systèmes (les chaînes), et non plus sur les secteurs, le concept organisationnel essentiel est celui de «juste-à-temps» (Green et Zuñiga, 1993, p. 47). Au niveau des politiques agricoles, l’ordre devient: adaptation! Au niveau des organisations, on cherche la coordination et non plus la dispute ou le conflit. C’est le temps des réseaux.

    Ces transformations n’affectent pas uniquement les mécanismes, les formes d’organisation, les concepts et les comportements à l’intérieur des systèmes de production, de circulation et de consommation. À partir des années soixante-dix, tout un nouveau système de valeurs ou toute une nouvelle culture émerge dans la société, celle-ci étant fondée sur l’idée d’écosystème (développée par Maurice Strong et ensuite, par Ignacy Sachs) et de son équilibre, de même que sur la position centrale du consommateur. Au début des années 1980, avec le rapport Brundtland de l’ONU, la notion de développement soutenable ou durable est ajoutée à celle d’écosystème. D’après cette nouvelle conception du développement, dans un écosystème, l’humanité n’est qu’un élément à côté d’une multitude d’autres. Les écosystèmes et leurs composantes respectives sont tout autant multiples qu’hétérogènes. Ils requièrent des règles aussi hétérogènes et la responsabilité de tous ceux qui sont concernés dans chaque écosystème. C’est ainsi que l’idée d’un système autocentré et universel de la modernité est remplacée par celle de pluralité d’écosystèmes.

    La compétition a toutefois des exigences. La diffusion de l’idée de développement durable fut accompagnée d’une autre dynamique, celle dérivant de l’économisme où l’humanité cesse d’être productrice pour devenir consommatrice. Un naturalisme évolutionniste marque les nouvelles relations sociales préconisées par les lois du marché. Dans ce marché, il ne reste aux gens qu’à s’adapter aux nouveaux environnements. On devient tous de simples consommateurs (Touraine, 1992). On devient aussi des compétiteurs, que nous soyons des individus ou des collectivités. Ceux qui ne s’adaptent pas et qui ne consomment pas en sont des exclus (Touraine, 1991) ou des surnuméraires (Castel, 1995)

    L’agriculture a peut-être été le secteur économique le plus profondément affecté par cet ensemble de processus. Elle a surtout été affectée à deux niveaux. D’abord, comme nous l’avons souligné, il est devenu plus difficile de la concevoir comme un secteur, de la même manière que le système agro-alimentaire est resté hétérogène en fonction de sa structuration en termes de chaînes de production. Ces processus ont aussi favorisé l’émergence d’un secteur social marqué par les inégalités liées aux niveaux d’intégration aux marchés. L’intégration, la précarité et l’exclusion deviennent ainsi des dimensions sociales essentielles pour les agriculteurs. C’est le cas toutefois dans certains pays et non dans d’autres.

    Cette recherche s’inscrit dans ce fil. Il veut tout particulièrement contribuer à la construction d’une interprétation de la nouvelle réalité qui émerge au sein de l’agriculture, à travers le contexte de la globalisation pendant les années 1980-1990. Voilà un de nos grands défis.

    2. LE SUJET DE L’ÉTUDE

    Ce livre se consacre à l’étude des dynamiques socio-politiques ou des expériences¹ des agriculteurs, à travers les processus de globalisation. Le centre de notre analyse converge donc davantage sur les pratiques des acteurs sociaux, plutôt que sur les transformations qui s’opèrent au niveau des structures dans les systèmes de production et de régulation. Cependant, c’est en prenant l’ensemble des dynamiques, celles au niveau des structures de production, des systèmes de régulation et des expériences des agriculteurs, que nous allons procéder dans notre analyse. En outre, c’est à l’intérieur des contextes culturel, économique, politique et social et en rapport avec ces dimensions de la réalité, que les agriculteurs regardent le monde qui les entoure, prennent des décisions, s’organisent et réalisent leurs expériences.

    Pour l’analyse de ce phénomène, on tient compte du double contexte de l’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain) et du MERCOSUL (Marché commun du sud, en portugais), d’une part et, plus particulièrement, des situations qui prévalent au Québec (Canada) et au Sud-Ouest du Paraná (Brésil), d’autre part. Ce sont des contextes apparemment très asymétriques et pourtant fondés sur de profondes homologies. D’abord, ils se placent à deux niveaux distincts: un premier concerne deux régions économiques internationales (l’ALENA et le MERCOSUL), et le deuxième niveau, deux sous-régions (le Québec agricole et le Sud-Ouest du Paraná). Pris comme des ensembles, pendant que l’ALENA et le Québec sont très insérés au centre des dynamiques de la globalisation, le MERCOSUL et le Sud-Ouest du Paraná se trouvent à la périphérie. Cependant, toutes ces régions sont concernées par les dynamiques de la globalisation. Le sujet de la recherche ainsi posé, son examen fait intervenir une nouvelle intelligibilité ou un nouveau cadre théorique capable d’aborder cette réalité hétérogène, tout en étant intégré dans une même dynamique.

    Dans notre étude, l’analyse porte sur l’agriculture et plus spécifiquement sur les agriculteurs. Cette réalité n’est toutefois pas prise par le seul biais du secteur. Comme nous l’avons déjà souligné, l’agriculture devient de moins en moins un secteur, pour s’encadrer dans le système agro-alimentaire et dans une multiplicité de chaînes. Cependant, dans plusieurs circonstances, le secteur agricole demeure une réalité particulière. En outre, l’agriculture garde des spécificités. Cela permet aux agriculteurs, par exemple, de se placer dans la société aussi en tant qu’agriculteurs.

    Posé de cette manière, le sujet définit dès le départ la période à laquelle nous allons faire référence. Essentiellement, nous allons analyser les expériences des agriculteurs dans les contextes donnés par les dynamiques de la globalisation. Cependant, c’est en confrontant les deux modèles d’économie et d’agriculture, ceux issus du fordisme et de la globalisation, que nous ferons ressortir le nouveau contenu des expériences des agriculteurs. Dans cette perspective, l’analyse sera centrée sur une période allant des années 1982/1983 (l’éclosion de la crise économique mondiale) à 1996. Cette période comprend ainsi les grandes négociations internationales qui ont abouti aux accords du GATT sur l’agriculture et à ceux de l’ALENA et du MERCOSUL. Comment les agriculteurs ont-ils vécu cette transition?

    Pour examiner le sujet que nous proposons ici, on se place alors dans le contexte historique donné par la globalisation. Actuellement, les approches de la globalisation sont encore nouvelles, contrairement à celles de la mondialisation. Ces approches émergent après les années soixante, et se basent sur trois éléments: la peur d’une annihilation nucléaire globale, la vision du monde comme un écosystème global et la publication de «Village global» (McLuham, 1968). Ces approches nous amènent à la fois à la conception de l’individu comme étant le seul sujet social et à la rupture du système inter-étatique (Olson et Groom, 1991, p. 201).

    Dans une analyse plus rapide, nous pouvons affirmer que la question de la globalisation se pose actuellement à partir de deux blocs d’approches: selon le premier de ces blocs, la globalisation serait fondée sur la polarisation du monde ou de l’économie et sur le conflit opposant ces pôles; selon le second, elle serait fondée sur la maîtrise de la différence et sur la coordination entre les grands acteurs transnationaux. Au milieu se trouvent plusieurs positions plus nuancées et plus proches, soit d’un côté, soit de l’autre.

    Au niveau du premier bloc, celui pour lequel la globalisation serait fondée sur la polarisation, nous observons deux conceptions essentiellement différentes. Selon la première, la globalisation serait d’abord un phénomène d’ordre culturel. Selon Hirano (1994), au sein des dynamiques de la globalisation s’opposent trois grandes cultures historiques, celles de la «pax» Européenne (anglaise), de la «pax» Américaine et de la «pax» Pacifique. L’Asie ou la «pax» Pacifique, représente ce qu’il y a de nouveau au niveau de la culture ainsi que la nouvelle hégémonie. Dans cette perspective défendue par Hirano, le conflit occupe le centre du système global, qui est aussi profondément hétérogène, inégalitaire et excluant. Par ce conflit, ce ne sont pas tant les marchés qui s’opposent, mais les grandes cultures.

    Selon une deuxième conception, la polarisation est d’ordre économique et ne fait référence qu’à des marchés. D’après Lloyd (1992) et, dans une grande mesure, selon Robson (1993), la polarisation se fait au niveau des échanges et surtout des exportations. En ce sens, à côté des trois grands pôles (Amérique du Nord, Europe et Asie), nous en avons d’autres moins importants. Mais, essentiellement, selon la position de ces pôles, les uns cherchent à se protéger contre les autres par des instruments juridiques (Lloyd, 1992), alors que les autres tentent de pénétrer dans les autres marchés (Robson, 1993). Les conflits entre les pôles sont plutôt d’ordre économique.

    Selon l’autre bloc d’approches, le concept de globalisation serait davantage d’ordre stratégique (Veltz, 1996). Dans ce bloc, on trouve la plupart des défenseurs des thèses selon lesquelles la nouvelle économie est fondée sur l’idée d’organisation ou de réseau. C’est le cas, par exemple, de Green et de Rocha dos Santos (1993). Veltz ne nie pas l’existence de pôles et de conflits dans l’économie globale. Il affirme cependant que la stratégie de la globalisation n’est pas une stratégie de suppression, mais plutôt de maîtrise de la diversité, ce qui exigerait, des divers acteurs concernés, la mise en place d’une coordination fine à l’intérieur des réseaux économiques. Selon l’auteur, la globalisation étant essentiellement d’ordre stratégique, ne concerne que les acteurs insérés dans ces processus. La notion de globalisation est ainsi fondée sur une rupture séparant, d’un côté, deux temps historiques et, de l’autre côté, les intégrés des exclus. Elle n’est toutefois pas fondée sur l’idée de conflit.

    Une des approches nuançant un peu cette dernière, est celle développée par Rosenau (1993). D’après cet auteur, il est vrai que la globalisation est un concept d’ordre stratégique; ce n’est toutefois pas moins vrai que les processus de globalisation incluent une dynamique de localisation (favorisant l’hétérogénéité), qui pousse vers l’interaction. D’après cet auteur, la globalisation se réfère à tout enchaînement (technologique, psychologique, social, économique ou politique) d’interactions, «[...] qui a le potentiel d’une propagation illimitée et celui de transgresser facilement les juridictions nationales» (Rosenau, 1993, p. 500). D’après Rosenau, les processus de globalisation concernent des chaînes qui sont en interaction les unes avec les autres, produisant un renforcement mutuel. Cependant, ces chaînes au sein du processus de globalisation font face à des résistances ou à des processus de localisation. Ces processus de localisation concernent tout ce qui limite ou restreint les intérêts ou les processus de globalisation. Le nationalisme et le régionalisme sont donc des formes de localisation, tout comme les dynamiques politiques et culturelles qui constituent des acteurs et des expériences locales relativement autonomes (Rosenau, 1993).

    Il existe cependant des auteurs qui voient les processus de localisation de façon plus positive. D’après Clark (1991), par exemple, le new localism ne signifie pas nécessairement une manière de restreindre les dynamiques de la globalisation. Pour cet auteur, la localisation joue le rôle de plate-forme d’impulsion visant l’insertion des acteurs concernés dans les espaces de la globalisation.

    La notion de globalisation fait ainsi référence à une nouvelle conception de l’espace. Dans les sciences modernes, l’espace n’était que l’espace physique. De plus, «[...] l’espace passait pour un milieu vide, contenant indifférent au contenu...» (Lefebvre, 1986, p. I). Dans la mesure où cet espace était naturalisé, les acteurs étaient non spatialisés. Mais, en même temps, sous ce naturalisme, l’espace était essentiellement et à la fois universel et national. Cette conception de l’espace, comme étant une entité centralisé et concentré, servait à la fois le pouvoir politique et la production matérielle, optimisant les bénéfices (Lefebvre, 1986). La globalisation produit l’émergence du territoire en tant qu’espace social ou en tant qu’espace aménagé par des acteurs. La marginalisation des territoires est ainsi un des éléments qui explique la marginalisation, voire même l’exclusion sociale.

    Dans cette étude, la notion de globalisation est d’abord d’ordre culturel. Dans cette perspective, cette notion désigne une culture soumise à l’hégémonie du marché, dans laquelle l’être humain n’est essentiellement qu’un consommateur. Cette notion est aussi d’ordre stratégique, en ce sens qu’elle concerne des acteurs qui cherchent à se globaliser et que, pour cela, ils mobilisent tous les moyens qui sont à leur disposition. Finalement, la globalisation fait référence à une double dynamique, soit à l’intégration et à l’exclusion à la fois d’acteurs et de territoires comme étant les deux faces d’un même processus. La globalisation désigne ainsi des phénomènes et des dynamiques hétérogènes.

    3. LES HYPOTHÈSES DE L’ÉTUDE

    L’hypothèse de base que nous soutenons dans ce travail, est que nous vivons actuellement dans un processus de rupture historique, ce qui pose le problème de la discontinuité au niveau de la pensée, des paradigmes, des structures et des comportements. Dans la sociologie, et aussi dans l’économie, cette rupture est conçue, en général, à travers des concepts comme ceux de globalisation, de post-national, de post-industriel, de post-fordisme et de post-moderne. À la suite d’auteurs comme Dubet (1994) et Touraine (1992), et selon notre point de vue, cette rupture touche les racines de la socialité fondée par la modernité. Dans l’avalanche de ces transformations, les structures sociales et économiques, ainsi que les systèmes de régulation et les conventions, furent ébranlés.

    Cette rupture touche les paradigmes fondateurs de la sociologie. Dans cet étude, cette rupture sera essentiellement prise par la mise en confrontation de deux approches sociologiques, celle de l’action et celle de l’expérience. La première se trouve au centre de la modernité; la seconde veut être une sociologie post-moderne au sens large. Même si cette prémisse nous invite à le faire, nous n’avons nullement l’intention d’effectuer, dans le cadre de cet étude, un tour complet de ces deux grands champs de la sociologie. C’est essentiellement par la confrontation de deux auteurs considérés représentatifs de ces approches, Parsons, d’une part, et Dubet, de l’autre, que nous allons dégager les concepts ou les instruments principaux qui nous permettrons, par la suite, d’analyser la rupture historique au niveau des pratiques socio-politiques des agriculteurs.

    D’un côté, comme nous l’ont fait savoir plusieurs auteurs (Habermas, 1987; Durand et Weil, 1989), la sociologie parsonienne est une sociologie moderne par excellence. De l’autre côté, François Dubet fut un disciple d’Alain Touraine qui, à son tour, fut influencé par Parsons au moins au début de sa carrière en tant que sociologue. Il existe ainsi une ligne menant de la sociologie de l’action à la sociologie de l’expérience, et plus exactement de Parsons à Dubet. C’est en se plaçant exactement sur cette ligne que Dubet propose une rupture non uniquement par rapport au système parsonien, mais essentiellement par rapport à la sociologie moderne. Notre recherche prétend suivre cette même ligne.

    Selon Parsons (1973), la société est un ensemble tout intégré, autocentré et sans extérieur. Essentiellement, la société est conçue à travers la notion d’intégration sociale, qui s’oppose à celle d’anomie sociale. L’intégration sociale se fait d’abord à travers un système universel de valeurs, mais aussi par le moyen des institutions sociales créées à plusieurs niveaux et en relative concordance avec le système de valeurs. La société moderne, ou la communauté sociétale moderne, n’est, selon Parsons, que la société nationale. Cette société nationale et moderne est aussi une société industrielle. Finalement, la société n’est pas un phénomène statique, mais évolutif. Cette évolution se fait par la différenciation, mais aussi par l’adaptation et par la recherche du consensus. Plus une société est évoluée, plus elle sera différenciée et intégrée.

    La société parsonienne est toutefois une société hiérarchisée et marquée par des conflits, opposant des strates ou des groupes sociaux les uns aux autres. Un autre type de tension dans la société oppose les uns aux autres les divers sous-systèmes d’action dans le système social. La notion de conflit n’est donc pas étrangère à la sociologie parsonienne. Cependant, comme le remarquent Durand et Weil (1989), ainsi qu’Alexander (1985) et d’autres auteurs, Parsons a créé et négligé ces outils, atrophiant de cette façon sa théorie. De plus, chez Parsons, le conflit est un signe de crise ou de dysfonctionnement.

    La société parsonienne est essentiellement une société de consensus et d’adaptation. Dans la perspective proposée par Dubet (1994) et Touraine (1992), cette société, fondée sur l’idée d’adaptation, est une société sans acteurs. Alexander souligne, en analysant la sociologie parsonienne, que l’adaptation constitue la notion qui représente mieux le conservatisme de cet auteur (1987, p.92).

    D’après Dubet (1994), la société post-industrielle n’est pas ni universelle et ni autocentrée. Elle n’est pas non plus une société nationale et industrielle. Elle est d’abord une société hétérogène. La société n’est pas issue de l’action sociale (qui fait référence à l’action du système), mais de l’expérience sociale. Elle est ainsi essentiellement plurielle, dans la mesure où les acteurs et leurs expériences sont, eux aussi, pluriels. Cependant, cette société n’est pas uniquement une société hétérogène; elle est aussi une société duale ou une société d’exclusion. Cette société est conçue particulièrement comme un marché ou comme étant l’espace des consommateurs. Or, dans un marché, tout ce qui n’est pas un consommateur est, par principe, un exclu de la société (Touraine, 1991; Dubet, 1994).

    C’est à l’intérieur de cette société, mais aussi sur cette société, que les acteurs réalisent leurs expériences. Du point de vue de Dubet (1994), l’expérience sociale est constituée de l’interaction entre trois logiques d’action - l’intégration, la stratégie et la subjectivation -, qui nous amènent aux trois dimensions de la réalité - la société, l’économie et la culture. Pendant que les deux premières logiques donnent des points de vue aux acteurs sur leurs expériences et, de cette manière, interagissent sur les acteurs, la logique de la subjectivation fait en sorte que chaque expérience soit particulière. En outre, les acteurs sont tout d’abord affectés par leurs environnements. Cependant, pour les acteurs, même pour les exclus sociaux ou économiques, leurs environnements ne sont pas si contraignants, comme ils l’étaient du point de vue de Parsons.

    Dans la perspective proposée par Dubet, la société (la communauté d’appartenance) et l’économie (ou plutôt le marché) donnent des points de vue aux acteurs sur leurs expériences. Elles constituent des plates-formes, à partir desquelles les acteurs se lancent dans le monde, comme nous l’avons avancé à la suite de Clark (1991). Mais, pendant que des acteurs prennent appui plutôt sur l’économie, d’autres le font sur la communauté. Cela donne des point de vue divers aux expériences sociales et fondent même des modèles divers de celles-ci. Cependant, toujours dans la perspective proposée par Dubet, les acteurs peuvent, plus ou moins, renforcer soit l’aspect subjectif (de l’acteur), soit celui du système (l’adaptation). C’est ainsi que, dans la société globale, à côté des acteurs, se trouvent des consommateurs (Touraine, 1992).

    Dans le premier chapitre de ce livre nous allons développer plus longuement l’analyse que nous venons d’esquisser. Par cette démarche théorique, nous voulons montrer que les années 1980 marquent une rupture historique, en ce sens que nous quittons une société conçue sous la notion d’universalité pour entrer dans une société hétérogène. À travers cette démarche, nous voulons aussi montrer que les systèmes sociologiques développés dans la modernité, ne sont plus capables d’expliquer la nouvelle réalité née de cette rupture.

    La deuxième hypothèse du travail nous amène dans une société conçue comme étant hétérogène. Elle nous amène aussi dans le domaine de l’agriculture. Selon cette hypothèse, les expériences ou les dynamiques socio-politiques des agriculteurs se caractérisent comme étant essentiellement hétérogènes. En revenant à Dubet (1994), cette hétérogénéité peut être conçue à deux niveaux. D’abord, elle est en rapport avec le fait que les acteurs, dans leurs pratiques, attribuent plus d’importance à une logique d’action qu’à une autre. En fonction de cela, les expériences peuvent même engendrer des modèles différents de développement. Ensuite, l’hétérogénéité découle des manières dont est combinée une large gamme d’éléments, par exemple, ceux donnés par l’environnement culturel, par les trajectoires historiques et même par des éléments issus de la nature. En ce deuxième sens, les expériences peuvent être encore plus hétérogènes. Les expériences socio-politiques des agriculteurs se placent à partir de cette double hétérogénéité.

    L’agriculture fut peut-être le secteur le plus profondément touché par les transformations que nous avons mentionnées ci-dessus. Durant la période qu’a suivi la Deuxième guerre mondiale, elle était prise très souvent comme l’exemple paradigmatique pour expliquer la pluralité des temps historiques: elle était un exemple de retard. Elle était aussi le secteur économique qui devait profondément changer, pour s’insérer ou pour s’adapter aux contraintes du modèle économique en vigueur. Elle fut d’ailleurs complètement transformée. L’avènement de la globalisation, qui propose, entre autres, et surtout, le nivellement par le marché, l’a prise une autre fois de plein fouet et l’a complètement bouleversée. Cependant, dans tous ces processus, en passant par les négociations des accords de libre-échange et des nouvelles règles du GATT/OMC, ainsi que par les processus visant l’ajustement structurel à l’intérieur des pays, l’agriculture fut un des secteurs qui a le mieux résisté. Actuellement, les expériences des agriculteurs passent par cette double stratégie, combinant la résistance à l’adaptation, ou renforçant davantage un côté plutôt que l’autre. C’est surtout en fonction de ces stratégies que les agriculteurs ont changé leurs systèmes et leurs modes d’organisation.

    De cette manière, nous arrivons à notre troisième hypothèse qui concerne particulièrement les formes d’organisation des agriculteurs dans le contexte donné par les dynamiques de la globalisation. Nous avons déjà mentionné que, durant la période fordiste, les agriculteurs se sont organisés essentiellement à travers les syndicats (au niveau de la profession) et les coopératives (au niveau du marché). L’effritement des systèmes fordiste et moderne d’économie et de société a favorisé l’émergence du territoire comme espace de socialité et d’une grande diversité d’expériences et de formes d’organisations locales, d’une part, et le développement d’un marché, de stratégies et de formes d’organisations de plus en plus mondialisées de l’autre. Au cours des années 1980, même s’ils étaient encore dominés par une grande perplexité, les agriculteurs, ainsi que d’autres acteurs sociaux et économiques, ont commencé à mettre sur pied des expériences d’organisations sous forme de réseaux. Mais, c’est surtout durant les années 1990, que nous entrons dans la période des réseaux.

    Les réseaux d’organisations (un type d’organisation de deuxième niveau) comportent deux dimensions majeures. D’abord, ils sont intérieurement hétérogènes. Ils sont constitués par des acteurs fondés sur des approches, des objectifs, des stratégies et des structures organisationnelles différentes. Ensuite, les réseaux comportent une dimension territoriale. Dans cette perspective, les acteurs cherchent, d’une part, à devenir les maîtres de l’aménagement des territoires qu’ils habitent et, d’autre part, à influencer les perspectives du développement mondial. En ce sens, les réseaux sont à la fois locaux et mondiaux.

    4. LA DÉMARCHE

    Comme nous l’avons souligné, ce travail est consacré à l’étude des pratiques ou des expériences des agriculteurs des régions choisies dans les processus de la globalisation de l’économie. Énoncé de cette manière, le sujet nous propose déjà une démarche à suivre, ou bien un ordre d’agencement des parties ou des moments du travail. D’abord, il s’agit de mettre en place une grille théorique et méthodologique qui nous permettra d’interpeller les expériences des agriculteurs dans les processus de la globalisation de l’économie. Ensuite, dans la deuxième et dans la troisième parties du travail, nous analyserons les expériences ou les

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