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L'Acadien
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Livre électronique192 pages2 heures

L'Acadien

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À propos de ce livre électronique

Un jeune bucheron quitte son petit village Acadien pour refaire sa vie dans le grand Montréal. Il y connaîtra l'émerveillement, la surprise, la peine, l'amour et… un terrible drame. 

LangueFrançais
Date de sortie29 déc. 2020
ISBN9781393645320
L'Acadien
Auteur

Claude Thibault

Claude Thibault habite sur une ferme au Québec dans un petit village du nom de Yamaska. 

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    Aperçu du livre

    L'Acadien - Claude Thibault

    Claude Thibault

    L’ACADIEN

    ©Claude Thibault 2020

    PRÉFACE :

    L’Acadien est une œuvre de fiction. Les personnages sont des calques de personnes que je connais, mais leur rôle dans l’histoire est purement fictif. J’ai aussi pris la liberté de situer l’histoire dans des endroits qui existent et que je connais.

    Chapitre 1

    Le grand pin blanc refusait de tomber. Comme s’il avait compris que la carrière de bûcheron de l’Acadien était terminée.

    Adrien avait toujours aimé la forêt. Il ne se voyait faire autre métier que bûcheron. Commencer à l’aube, seul, sa sciotte, le godendard, du lard dans la boîte de fer blanc pour le lunch, c’était sa vie, la vie qu’il avait choisie. À 19 ans, il n’avait pas encore connu l’amour pour une femme et il avait mis tout son cœur dans la forêt, dans son métier de bûcheron.

    Adrien était un colosse, un géant. Un doux géant. D’une grande timidité, il n’avait jamais eu de vrais amis. Solitaire, peu sociable, il aimait mieux la compagnie des arbres et des oiseaux que celle des hommes. Il était chez lui dans la forêt. Il ne trouvait jamais sa place dans la société. Même écolier, lui, le grand, toujours à l’arrière de la salle de classe, dernier dans le rang, quand l’institutrice, madame Morand, la belle madame Morand, posait une question à la classe, il ne levait jamais la main même s’il connaissait la réponse. Sa gêne le paralysait, alors on disait qu’il était idiot. Même à la récréation il ne se mêlait pas aux jeux des autres, il restait à l’écart le dos appuyé sur le mur de l’école. Et si on l’approchait, il se gonflait, et vous toisait d’un regard noir qui inspirait la crainte. Mais au fond, c’était lui qui avait peur.

    Alors on s’éloignait de lui en l’affublant d’un quelconque sobriquet déplaisant. Il n’était heureux qu’étant seul. Embarrassé dans cette mini société qu’était l’école il décida donc d’écourter ses études après sa sixième année au grand déplaisir de l'institutrice qui, elle, savait que le grand Arseno n'était pas l'âne qu'on disait. Elle savait que le géant, qu’on traitait de méchant et d’idiot, était un être d’une sensibilité profonde. Et d’idiot, il n’avait que la réputation. Elle aurait aimé l’aider, le soutenir et le protéger mais, il n’aurait jamais accepté ou même compris ses desseins. Alors, en dernier recours, elle osa se présenter chez le père du garçon.

    Votre fils veut abandonner ses études, monsieur Arseno et je crois que c’est une erreur. Je pense sincèrement qu’il devrait à tout le moins terminer son primaire. Ce n’est qu’une année et cette année peut faire une grosse différence, plaida la dame auprès du père d’Adrien.

    Si mon garçon veut lâcher l’école, c’est de ses affaires. J’ai pas fini ma troisième année moé pi j’m’en sors bin, fut la réponse de l’homme.

    Et c’est le cœur triste que l’institutrice reprit le chemin de l’école. Elle avait risqué gros en se présentant chez les parents d’un élève et savait bien que d’insister davantage aurait pu être néfaste pour son avenir d’enseignante. Une plainte aux représentants du district scolaire et la belle Madame Morand est remerciée. Et la dame sait très bien que ces messieurs, qui veillent au bon fonctionnement des écoles, n’ont pas plus de scolarité que le père d’Adrien. Les écoles sont des garderies pour les enfants trop jeunes pour travailler ou, pour les plus vieux, un parking entre les périodes intensives de travaux aux champs. En effet, il est tout à fait normal de retirer les enfants de l’école pour aider aux labours, aux récoltes ou encore, pour les filles, afin qu’elles secondent la mère à la maison. Les enseignantes déploraient cette situation mais ne pouvaient en parler de peur d’être congédiées.

    C’est à l’adolescence que sa corpulence en fit une légende. On ne le voyait que rarement au village. Toujours vêtu de sa chemise à carreaux, ses grosses bottes, sa chevelure abondante cachée sous son chapeau de laine gris, chacun de ses déplacements était propice aux racontars.

    Il ne participait jamais aux activités communautaires. Jamais on ne voyait le géant aux danses, aux frolics¹[1], au cinéma de Richibuctoo, les parties. Même le plus grand évènement annuel de St-Ignace, la grande kermesse²[2] le piquenique automnal avec ses manèges, ses acrobates, ses jeux de hasard, était boudé par Adrien. En fait, non, il y était allé, une seule fois. Il avait 8 ans, il voulait, dans un jeu d’adresse, gagner un bibelot pour offrir à sa belle-mère. Le jeu était truqué et il y avait perdu tout son argent. Voyant son désarroi, ses yeux humides, la tenancière du kiosque, pour le consoler, lui avait alors donné un petit cendrier de verre. Il courut le donner à Zinon qui en le voyant dit: J’espère que t’as pas payé ça cher mon garçon parce que ça vaut pas cinq cennes !

    Ce fut sa dernière participation à la kermesse et son dernier cadeau à sa grand-mère.

    Alors les gens se mirent à raconter des histoires à son sujet, des fabulations. On lui bâtit une réputation d’homme fort, un nouvel Hercule, un Louis Cyr acadien.

    On racontait qu’il avait tué un ours à main nue, qu’il pouvait bûcher douze cordes de bois dans une seule journée, qu’une bande de voyous venue de Bouctouche pour l’attaquer, quatorze qu’ils étaient, avaient tous dû être hospitalisés alors que le colosse n’avait même pas été égratigné. Même le grand Poirier racontait qu’Adrien avait soulevé sa voiture pour qu’il puisse changer un pneu crevé.

    Tous ces bobards avaient fini par peser lourd sur les épaules du jeune homme. Des hommes forts d’autres villages venaient à St-Ignace pour le défier. Mais Adrien ne voulait pas se battre. Alors il se terrait dans la forêt. Il y entrait avant l’aube et souvent n’y revenait qu’à la nuit tombée. Certains pensaient même qu’il y vivait en permanence ce qui amplifiait davantage sa légende.

    Adrien était un tendre, un homme doux. Il pouvait pleurer à la vue d’un oiseau mort. Jamais il n’aurait fait de mal à quiconque, mais les jeunes du village continuaient de le glorifier, à amplifier sa force et, au pire, d’en faire un homme dangereux. Même à St-Louis, on changeait de trottoir pour ne pas le croiser. Ce mythe qui l’entourait le rendait très malheureux. Lui, le grand solitaire, l’homme des bois, ne se sentait plus chez lui dans son patelin.

    Chapitre 2

    Adrien respectait la forêt et la faune. Pour lui, abattre un arbre n’était pas un geste gratuit. C’était une communion avec la nature. Comme l’Inuit ne tue l’animal que pour se nourrir et se vêtir, Adrien n’abattait un arbre que par nécessité. Jamais il n’aurait laissé traîner un arbre mort pour le laisser pourrir. Tout devait servir.

    Tous les soirs il choisissait l’arbre qui serait abattu le lendemain. Un pin blanc, mature, d’au moins 100 pieds de hauteur.

    Rien n’était laissé au hasard. L’arbre avait été sélectionné avec soin. Jamais de coupe à blanc, de coupe sauvage. Non ! Le pin était sacrifié pour permettre à d’autres essences de profiter. D’abord quelques feuillus chétifs prendraient sa place pour quelques années. Trembles, saules, bouleaux, merisiers formeraient une pépinière naturelle pour les espèces nobles; érables, chênes, pins, noyers qui, à leur tour, deviendraient maîtres de cette forêt. Et Adrien le savait, cette régénérescence permettrait aux générations futures d’avoir, elles aussi, le plaisir de jouir de la forêt. La nature savait faire, l’homme n’avait qu’à comprendre et travailler avec elle.

    Un jour, naïvement, il avait demandé à son père: Et si on ne coupait pas les arbres ? Si on les laissait vivre ?

    Alors, lui répondit Édouard, la nature s’en chargerait. Elle attendrait un été sec et un bon soir, sans avertir, un coup de tonnerre, l’éclair qui frappe un grand chêne et voilà que la forêt prend feu. Ensuite, des fougères et de petits arbres fruitiers poussent dans les cendres et le cycle recommence, feuillus chétifs suivis d’essences nobles.

    Avant l’aurore, après un bon petit déjeuner de crêpes et de lard, du pain et du bacon bouilli dans la boîte de fer-blanc, chaudement habillé, le cheval nourri et curé, il partait pour la forêt, sa forêt. Heureusement, le cheval connaissait le chemin par cœur tellement il faisait encore nuit. Seuls les fanaux d’étable avec leur lumière jaune indiquaient que d’autres étaient au travail. Adrien s’imaginait les hommes assis sur leur petit trépied de bois, les yeux mi-clos, trayant les vaches à la chaleur de l’haleine des bêtes.

    Il ralentissait toujours devant la maison des Corbin. Il savait que madame Corbin, veuve depuis un an, était à l’étable alors que ses jeunes enfants dormaient. La délicatesse d’Adrien lui dictait de ne pas faire de bruit pour lui permettre de finir son train avant de devoir s’occuper de sa marmaille. Pauvre madame Corbin, pensait-il, plus d’homme, trois enfants en bas âge, et en plus, maigre comme un échalas. Y’a pas un homme qui va en vouloir.

    À la coopérative, dans l’escalier menant au grenier, les hommes qui s’y ramassaient pour fumer et jaser avaient depuis longtemps établis les critères d’une « bonne femme à marier ».

    Grosse et forte pour les travaux aux champs, clamaient-ils, des gros seins pleins de lait pour nourrir les plus jeunes et des grosses fesses pour que l’homme puisse s’y accrocher quand l’envie lui prend. Cette définition répétée au moins une fois par mois dans le magasin général par le grand Poirier faisait rire depuis des années. Sauf une fois. C’était un mercredi d’hiver, seul à ne pas avoir vu le curé derrière lui, d’une voix forte, Poirier lança sa boutade, mais, à sa grande surprise, personne ne rit. Devant cette réaction inattendue, le farceur se retourna et à la vue du prêtre, faillit s’évanouir. Le pasteur le toisa, s’avança vers lui et dit d’une voix tonitruante afin que tous l’entendent: Exceptionnellement monsieur Poirier, mon confessionnal sera ouvert ce soir entre sept heures et sept heures et cinq minutes. Si Dieu vous prête vie jusqu’alors, il me fera plaisir de vous délivrer de votre péché moyennant une pénitence à la hauteur de votre bêtise.

    Personne ne dit rien. Le curé paya ses achats et quitta l’établissement. Le magasin se vida de ses badauds.

    À la suite de cet épisode, aucun citoyen de St-Ignace n’osa répéter cette description d’une « bonne femme à marier» à voix plus forte que celle d’un murmure tout en prenant bien soin de regarder tout autour pour s’assurer que ni curé ni femme y soit.

     

    Plus Adrien et Buck avançaient, plus les maisons étaient éloignées les unes des autres. Finalement, à quelques milles de la dernière habitation du village, le cheval, d’instinct, tournait vers la droite et empruntait un petit sentier à peine assez large pour laisser passer le traîneau. Heureusement l’aurore commençait à éclairer le ciel pour permettre à Adrien de trouver son point d’arrêt. Il s’arrêtait à cent cinquante pieds de l’arbre choisi la veille et attachait le cheval. Il lui donnait une galette de foin, se chaussait de ses raquettes, prenait sa hache et avançait dans la neige en silence, tête baissée. Des fois, par curiosité, il enlevait une raquette pour voir si la neige le supporterait et, chaque fois, calé jusqu’à la fourche, il riait de son innocence.

    Il avançait en silence, mais les oiseaux eux, même s’il était venu la veille, le voyaient venir et piaillaient à la vue de cette étrange créature qui entrait dans leur domaine. En leur offrant des miettes de pain sortit du fond de sa poche de salopette, Adrien leur disait: Voyons les petits, c’est moi, Adrien. Vous me connaissez, je suis venu hier. Vous savez bien que je ne vous ferais jamais de mal. Bande de cervelles d’oiseau qu’il disait en ricanant. 

    Ces moments, seul avec la nature, étaient pour le jeune homme un Nirvana. Il n’y a rien de plus beau au monde, pensait-il.

    Souvent il s’assoyait sur un bout de bûche, se roulait une cigarette ou bourrait sa pipe et s’imbibait de ce calme, de cette sérénité. Le temps d’une pipée et la terre arrêtait de tourner.

    Adrien savait bien que le plus longtemps qu’il restait immobile le moins il serait seul. Toute la faune présente s’approchait de l’homme. En silence, sur le bout des pattes,

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