Le pays aux mille collines
Dans le pays aux mille collines, c’est la grande itumba : la saison des pluies. A son arrivée, une voiture de location attendait Karina et elle a quitté l’aéroport de Kigali sans un regard pour la ville. Sur le siège passager, elle a déplié la carte, repéré le nom d’un village entouré de rouge. Son village. Le villageoùelleestnéevingtetunansplustôt. Elle ne s’en souvient pas. Ce nom n’évoque rien pour elle. Pourtant elle doit s’y rendre. On lui a souvent raconté l’histoire, comme si elle ne devait pas l’oublier. – Tu es née au pays des mille collines, ta mère s’appelait Abyla, ton père Doran et ton grand frère Siman. Tes parents cultivaient le sorgho. Tu as grandi au milieu des eucalyptus, des acacias et des orchidées roses. Tu rêvais d’une chose : rencontrer les gorilles qui vivent près de la chaîne volcanique des Virunga.
Chaque fois, elle hochait la tête et souriait. Elle tentait de reconstruire les souvenirs échappés de sa mémoire. Mais aucune image ne venait. Elle se rappelle qu’elle a la peau sombre et le regard douloureux. Elle se rappelle qu’un homme et une femme venaient la voir souvent dans un hôpital où elle était hospitalisée, incapable de quitter seule son lit. Une infirmière, chaque jour, soignait ses jambes blessées. Une autre lui réapprenait à marcher. Elle ignorait son propre prénom, alors l’homme et la femme la baptisèrent : Karina. Eux savaient qu’elle s’appelait Doulaye. Elle ne voulait pas entendre ce prénom, elle préférait celui qu’ils avaient choisi pour elle.
Un jour, l’homme et la femme l’emmenèrent loin du parc, des enfants malades, de l’odeur entêtante de l’éther et des désinfectants. Ils lui ouvrirent leur maison. Ils l’adoptèrent. Ils lui racontèrent qu’ils aimaient l’Afrique, qu’ils l’aimaient elle, la petite fille de nulle part à la mémoire en miettes.
Elle se familiarisa avec leur langue et oublia la sienne.
– Maintenant nous sommes tes parents,
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