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Judith et le croquemitaine
Judith et le croquemitaine
Judith et le croquemitaine
Livre électronique435 pages6 heures

Judith et le croquemitaine

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À propos de ce livre électronique

L'obscurité dont est fait l'homme nul ne peut l'explorer. Pourtant notre auteur s'attache à cette tâche ingrate et rude en narrant la sale histoire d'un pédophile cynique et imbu de sa supériorité. Adrien, l'instituteur féru d'opéra, se nourrit de toutes les souffrances qu'il afflige. Alors lorsqu'il retrouve une proie qui lui avait échappée 16 ans auparavant, il entame le jeu du chat et de la souris.
Ce roman cru et sans concession témoigne du douloureux cheminement de Judith, la victime, vers sa libération. Qui de la proie ou du prédateur gagnera la partie ?
A ce texte se greffent, en annexe, deux pièces de l'auteur dont certains extraits sont cités par les personnages.
LangueFrançais
Date de sortie24 oct. 2016
ISBN9782312047546
Judith et le croquemitaine

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    Aperçu du livre

    Judith et le croquemitaine - Patricia Bertin

    cover.jpg

    Judith

    et le croquemitaine

    Patricia Bertin

    Judith et le croquemitaine

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    Autres publications de l’auteur

    Pourtant que la montagne est belle…

    Maud, ou l’illusoire résilience.

    L’inondation.

    Car mon péché, moi, je le connais…

    Margot.

    © Les Éditions du Net, 2016

    ISBN : 978-2-312-04754-6

    A Dominique, ma première lectrice, qui a reconnu dans ce roman le thriller qu’il promettait.

    A Pierre, mon second lecteur, qui a vu ce que je ne parvenais plus à voir.

    Plût au ciel que le lecteur, enhardi et devenu momentanément féroce comme ce qu’il lit, trouve, sans se désorienter, son chemin abrupt et sauvage, à travers les marécages désolés de ces pages sombres et pleines de poison ; car, à moins qu’il n’apporte dans sa lecture une logique rigoureuse et une tension d’esprit égal au moins à sa défiance, les émanations mortelles de ce livre imbiberont son âme comme l’eau le sucre. Il n’est pas bon que tout le monde lise les pages qui vont suivre ; quelques-uns seuls savoureront ce fruit amer sans danger.

    Lautréamont, Les chants de Maldoror.

    PREMIÈRE PARTIE

    Adrien

    I

    Les saisons de cette ville se lisent aux grains de son brouillard. Cette peau qui, à l’aube, se forme pour se décomposer en lambeaux au fil des heures. Peau diaphane qui caresse ou opaque qui asphyxie le passant.

    Parmi ces passants, un jeune homme baguenaude au hasard de l’amas de rues prises dans le goulet d’étranglement de la boucle de la Saône qui s’avance vers l’impétueux Rhône. Le badaud préfère les turbulences du fleuve aux eaux trop tranquilles, non à cause de leur sommeil sournois, mais en raison de leur reflet métallique qui ressemble à une chape de plomb.

    Les rêveries de l’étudiant lyonnais ne s’encombrent pas du pittoresque de l’endroit. Qu’importe la ville pourvu qu’on ait l’errance ! Pour ce natif, blason et divise ne sont qu’ingrédients aromatisant les guides touristiques. Que se fanent les trois lys d’or sur leur fond d’azur, que, sur son tapis rouge, s’endorme le lion d’argent, portant ou non son épée. Peu lui en chaut ! Quant à la formule virtute duce, comite fortuna{1}, le promeneur n’en a cure. Au diable la bonne fortune et le courage !

    Adrien Médais a fêté ses vingt-quatre printemps le 15 avril en cette année 1996. Il possède déjà un projet de vie bien arrêté : Exulter par tous les pores ! Son corps, que son général de père soumet depuis la plus tendre enfance à une grande sévérité, maîtrise tous les gestes de la survie sur terre comme dans l’eau. Sa tête, dont le paternel dictateur surveille le contenu, se remplit avec une déconcertante facilité. À l’adolescence, son esprit a ressenti de l’inclination pour la musique classique, la poésie, le théâtre et l’opéra. Ses parents ont accepté ces lubies tant que leur progéniture poursuivait avec succès ses études universitaires. À l’issue de son cursus, ils entrevoyaient pour lui une carrière dans les sphères de la haute administration. Le coup de massue a été d’autant plus rude lorsqu’un matin, au petit-déjeuner, profitant que son père ne soit pas parti guerroyer sur quelques terres étrangères, Adrien a annoncé qu’il avait opté pour le doux métier d’instituteur. Le général a rugi, la mère a pleuré et le rejeton n’en a fait qu’à sa tête !

    Sa mère, archétype désuet de la bourgeoise du XIXe siècle, répond au prénom fleuri de Marguerite. Marguerite, la vaillante ! Une véritable fée du logis dont l’époux et le fils, malgré leur despotisme, intransigeant du premier, souriant du second, ne parviennent guère à épuiser la patience. La dame assure avec autant de soin sa charge de maîtresse de maison, celle d’épouse et celle de mère. Dans les soirées mondaines, elle brille comme la quatrième étoile du général de division. Georges et Marguerite Médais forment un ménage d’une respectabilité si quelconque qu’ils ne méritent pas la moindre ligne dans les pages d’un livre.

    Les badauds qui croisent notre flâneur ne voient qu’un beau gosse en vadrouille. Les boucles noires de sa tignasse dévorent son large front. La prunelle de ses yeux noisette pétille comme animée par une joie secrète. Une joie qui dessine sur ses lèvres carmin un sourire énigmatique. Adrien, dès son adolescence, a opté pour une physionomie lisse. Non à cause de Georges, son paternel, qui lui serine, année après année, que de laisser transparaître ses sentiments et ses émotions est signe de faiblesse et donne prise à l’ennemi, mais parce qu’il a très vite compris que cette allure d’enfant sage et réservé le rend invisible. D’ailleurs les leçons du général lui ont maintes fois sauvé la mise depuis qu’il s’était aperçu que ses exigences sexuelles divergeaient des normes de la société dans lequel il vivait. Savoir, tout en s’en moquant éperdument, que profiter de la vie ne signifiait pas abuser de sa force physique et mentale pour assouvir tous ses fantasmes, ne lui a posé aucun problème de conscience. Sa devise étant : Moi-je est un Dieu qui mérite tous les sacrifices !

    En ce début de soirée du 11 décembre 1996, Adrien ne déambule pas en toute innocence dans les rues de Lyon. Certes, il profite du spectacle haut en couleurs de la fête des lumières. La commémoration de la vierge qui avait délivré la ville de la peste en 1643 a, à présent, des airs grandiloquents. Aux humbles lumignons, alignés sur le rebord des fenêtres, se sont substitués d’éphémères tableaux lumineux projetés sur les façades de pierre des édifices publics. Adrien goûte peu ce genre d’artifice, mais les festivités transforment la ville en un vaste terrain de chasse. De plus, le mercredi éparpille la marmaille dans la rue et le braconnier n’a qu’à tendre la main pour ramasser les jeunes pousses.

    Adrien se fige, stupéfait. Un reflet, un simple reflet dans la vitrine d’un magasin. Elle est là parmi les siens, un mètre à peine devant lui. La mère bardée de ses marmots se remet en marche. Il suit la petite tribu, hésite, puis la devance. Parvenu au feu tricolore, il stoppe net.

    Belle ! Pas jolie, pas mignonne, belle ! Malgré sa juvénilité, les traits de son visage sont affinés, affirmés. Des accroche-cœurs de jais ornent ses tempes et son front, accentuant la blancheur de son teint. Des sourcils à l’arc en encre de Chine surlignent ses yeux sombres. Dans ce portrait au fusain, seules les lèvres au doux ourlet apportent une tache de couleur.

    Adrien sent son corps devenir douloureux. Une terrible faim l’envahit. Le feu tricolore passe au rouge. Le maraudeur pivote heurtant les piétons qui s’engagent sur la voie. Il reprend sa marche, avançant le regard rivé à sa proie tel un hameçon. La femme et ses trois moutards, parvenus au bout de la rue de L’arbre sec, bifurquent vers la rue du Président Herriot, puis s’arrêtent face à l’Hôtel de ville. Sur la place des Terreaux, la foule se densifie, attirée comme des phalènes par les jeux de lumières. Le spectacle son et lumière raconte l’invention en 1808 de Guignol par le canut Laurent Mourguet. À chaque entrée sur scène d’un personnage, des vivats ou des huées jaillissent du parterre. À Guignol et à son ami Gnafron, les acclamations. À Madelon, sa femme, à Canezon, son propriétaire et à Bailli, le gendarme, les vagues de sifflets.

    Ces enfantillages pour adultes n’amusent pas Adrien, dans la cohue il a perdu son tendre trésor. Il maudit cette masse humaine qui, plus dense que les plus opaques brumes, lui barre l’horizon. La panique l’électrise tout entier. Tous les sens en alerte, il s’enfonce dans les sables mouvants de la foule. Elle a disparu ! Désemparé, il se dirige vers la rue du Puits Gaillot d’où affluent de nouveaux spectateurs. Les pleurnicheries aiguës d’un bébé vrillent les tympans d’Adrien. Dans une volte-face brutale, il s’apprête à s’extraire de la multitude quand il repère la petite famille derrière lui, si proche. Il remercie en silence le poupon aux cris perçants. Il se dit que trimbaler, dans le froid de l’hiver, un bébé dont les dents percent est une mauvaise idée. Mais ce n’est pas le sort de ce dernier qui le préoccupe, mais celui de sa grande-sœur. Il profite de la brèche qui s’entrouvre dans le flot des curieux pour s’approcher de Pom-pom. C’est ainsi qu’il a rebaptisé la fillette vêtue d’un pantalon en velours côtelé marron et d’une parka verte. Avec elle, il en est sûr, tout sera différent. Il la gardera auprès de lui aussi longtemps que durera l’absence de ses parents. Après, bien entendu, Adrien sait que leur séparation est inéluctable. Pom-pom rejoindra…

    Les cris du bébé de plus en plus stridents, exaspère la mère qui, de plus en plus énervée, répète à son fils :

    « Paul, tiens bien la main de ta sœur !

    Ce à quoi le jeune garçon répond :

    – C’est elle qui ne veut pas !

    Et à l’intéressée de répliquer d’une petite voix plaintive :

    – Il a fait mal à mon pouce ! »

    Et patati patata ! Fatigué de la rengaine, Adrien ralentit pour que le cortège de jérémiades le dépasse. Bon Dieu, comme elle est rebelle la brave Pom-pom.

    Adrien ne garde qu’un souvenir trouble du trajet entre la place Louis Pradel et son domicile. Une fois au centre de la place, il a effectué une boucle de manière à se retrouver dans le courant qui remontait vers l’Hôtel de ville. Arrivé face à la beauté ténébreuse, il l’a happée avec la promptitude d’un rapace qui saisit sa proie. Blottissant la belle contre son cou, il a rejoint la rue du Puits Gaillot, l’a remontée jusqu’aux quais pour atteindre le pont Morland. Que d’imprudences ! Même s’il a pris la précaution, sous un porche, de retourner la parka de Pom-pom. La réversibilité du vêtement a transformé l’arbre vert en un arbre en fleur. Même si, à chaque passant croisé, il a consolé la gamine en disant, le ton assez haut pour être entendu, que si elle ne lui avait pas lâché la main elle ne serait pas tombée. Il a joué cette comédie durant tout le voyage en métro puis en bus. Le duo est descendu à la station Masséna, puis a rattrapé la ligne d’autobus qui remonte vers la place du Général Leclerc. Enfin, le pont Winston Churchill les a menés jusqu’à l’étroit escalier de la rue Josephin Soulary. Attentif à tout et pourtant aveugle à ce qui n’était pas elle, à ce qui n’était pas lui, Adrien a atteint le havre de paix qu’offre sa maison natale désertée par ses parents.

    II

    La maison de pierre de taille gris-beige s’étage sur trois niveaux : Un sous-sol comprenant une cave et un garage, un rez-de-chaussée formé d’une cuisine, d’un salon, du bureau du général, de la chambre parentale et des toilettes, et d’un étage composé de deux chambres, celle du fils et celle d’amis, d’une salle de bains, d’un second WC et d’un espace buanderie.

    Dans le garage cohabitent la Peugeot 406 grise des parents et la Honda 500 noire du fils. La cave immense qui jouxte le garage occupe la superficie d’un spacieux trois-pièces cuisine. Un jardin à la française encercle cet univers policé.

    Dans ce logis se croisent un père et un époux de passage, une mère au foyer et une épouse mondaine par goût du devoir, et un fils dressé par le militaire et choyé par la maîtresse de maison. Un garçon poli et charmeur en privé, discret en public, qui s’octroie, malgré la rigidité du cadre, de vastes espaces de liberté.

    Adrien verrouille la porte d’entrée, abaisse toutes les jalousies. Sa prise de guerre recroquevillée dans un coin de la cuisine pleure en silence. La menace de représailles lui tient lieu de chaînes. L’endroit étant sécurisé, Adrien revient vers son invitée et la fiesta commence. Il la soulève et la pose debout sur l’imposante table en chêne. Il entame une séance d’effeuillage de la marguerite. La fermeture de la parka descendue, l’homme constate que la peur s’est liquéfiée par tous les orifices de ce corps convié à une danse nuptiale. Larmes, morve, urine souillent l’élue. Adrien remarque avec un dégoût hautain :

    « Pou, comme tu es laide ! Nous allons effacer tout ce désordre et te rendre ton harmonie originelle. »

    L’interpellée ne comprend pas les mots, mais flaire le danger. Elle rive son regard à celui de l’étrange adulte. Il sourit de ce qu’il considère comme de l’effronterie. Ils se mesurent ainsi d’interminables minutes avant que l’homme ne cède et ne l’attire dans ses bras. En montant l’escalier, il lui chuchote à l’oreille :

    « Je parie que c’est ton père qui t’a appris ça, le coup des yeux dans les yeux. Un taiseux sans doute, un qui ordonne et punit sans élever la voix, mais qui te pétrifie d’un seul regard. J’ai un pater du même acabit. La méduse personnifiée ! »

    Instinctivement, la captive pressent que pour éviter une terrible punition elle devra toujours obéir. L’idéal serait même de lui plaire comme quand elle veut un jouet et que ce n’est pas la saison des cadeaux. Plaire pour qu’il ne soit pas trop méchant et peut-être réussir à tromper sa vigilance. Un réflexe animal de survie, plus qu’une analyse de la situation, assèche ses pleurs. L’homme la félicite pour sa sagesse. Puis il continue à se gargariser de mots.

    D’un geste vif, il lui retire ses bottes en caoutchouc et ses chaussettes de laine. Et, l’ayant déposée sur le carrelage froid de la salle de bains, il la déshabille lentement. Elle a éprouvé la force de ses bras quand il l’a serrée contre son large poitrail, à présent elle découvre la douceur de sa main qui se faufile sous ses vêtements. Pull-over, tricot de peau, pantalon et petite culotte, rien ne lui résiste. Le pantin ne cesse, durant toute la cérémonie, de fixer le marionnettiste. Plus que la force brutale et la tendresse suave, la force verbale et le regard hypnotique brisent en elle toute résistance.

    L’homme examine sa promise dénudée. Elle conserve quelques rondeurs de chérubin. Tout à sa joie face à tel menu, le gourmet se met en condition. Prestement, il se débarrasse de ses vêtements. Exhibant avec fierté son sexe turgescent, il heurte les joues de la poupée. Ces soufflets provoquent une explosion de larmes qui entraîne un haussement d’épaule et un soupir las de la part du jeune homme.

    Sans se préoccuper de l’être chétif frissonnant qui s’est réfugié dans l’angle mort entre la porte et le meuble de salle de bains, Adrien remplit la baignoire. Il vérifie la température de l’eau et y verse des sels parfumés. Puis il extirpe sa proie de son précaire refuge et l’immerge dans la baignoire avant de la rejoindre. Combien de temps sont-ils demeurés ainsi, elle assise sur ses genoux avec son membre durci coincé entre ses deux cuisses potelées ? Une éternité pour elle, pour lui un instant trop bref. Mais l’eau refroidit…

    Il l’enveloppe dans une large serviette-éponge. Il entasse les vêtements qui juchent le sol dans le manteau. Et l’enfant sur l’épaule, le baluchon dans une main, il traverse le couloir qui mène à sa chambre. Il la place sur son lit, fait choir le drap de bain et recule émerveillé. Il se jure que cette fois il préservera le plus longtemps possible son charmant butin.

    Les précédentes fiancées, Pauline et Gabrielle, il les a consommées avec la gaucherie d’un débutant. Affamé, il n’a su que rassasier son désir sexuel. Il les a pénétrées par le haut et par le bas, sucé leurs peaux sucrées, mordu leurs chairs exquises, puis leur a brisé la nuque. Le sang, il a une sainte horreur du sang ! Ensuite, Pauline a pourri quelques semaines dans un sac de jute arrimé au câble de l’ancre d’une péniche à vendre. Quand le bateau amarré à un quai de la Saône a été vendu, l’étudiant a récupéré le sac de viande pourrissante et l’a rapatrié, faute de mieux, dans une profonde fosse creusée dans leur cave. Plus tard, Gabrielle a rejoint Pauline dans son tombeau de fortune.

    Peu de temps avant les noces sauvages, le général avait chaulé les murs de leur maison. Comme à son habitude, il avait vu grand. Adrien a détourné à son profit le surplus de poudre blanche entassé sous une bâche au fond du jardin. Les chairs des vierges assassinées n’ont pas résisté longtemps à ce traitement corrosif. Adrien a dissimulé les deux derniers sacs de chaux vive en prévision de nouvelles candidates.

    Pour expliquer la disparition de la réserve de chaux vive, il a fracturé la serrure du portail pour simuler un vol. Porter plainte ? Les travaux d’assainissement terminé à quoi bon perdre son temps ! La prochaine fois, on les entreposera dans la cave, tout au fond, à l’endroit où s’amoncellent outils et vieilleries en tout genre. Un bric-à-brac qui rappelle le passé militaire de la dynastie des Médais et la mémoire des canuts de la branche maternelle.

    Pour un garnement, la cave ou le grenier sont des lieux de culte où il crée, entre deux frayeurs, un héros qui porte son mon et se vêt de sa peau. Le désordre de l’endroit participe à l’élaboration du mythe. Mais le pragmatique Georges Médais n’a jamais été sensible à la poétique de la caverne d’Ali Baba. Alors il a décidé de civiliser la cave. Ainsi, en rentrant de l’université, quelques mois après la mort de Gabrielle, l’étudiant entend des voix provenant du sous-sol. Inquiet, il descend dans son antre et surprend des ouvriers qui examinent les lieux. Interrogeant sa mère, il apprend que son général de père compte aménager une partie des quatre-vingt mètres carrés de la cave en salle de sport pour son fils. Le père prévoit aussi d’installer des sanitaires, douche et toilettes. Comme équipement sportif, il a déjà commandé un rameur, un banc de musculation, des tapis de mousse… La seconde partie, dissimulée par une cloison mobile, sera réservée aux outils de bricolage et à tout l’attirail dont ils tardent à se débarrasser.

    « Cette salle équipée, c’est pour ton anniversaire, conclut Marguerite. Alors bouche cousue ! »

    Adrien promet d’être une tombe et monte dans sa chambre pour réfléchir Son inquiétude se transforme en panique. Une semaine, il ne dispose que d’une brève semaine pour nettoyer le caveau de Pauline et de Gabrielle. La poudre magique a rongé les viandes, mais les squelettes blanchis risquent d’être découverts.

    Au milieu des outils de jardinage et de bricolage, trône un établi supportant un étau. Les mâchoires d’acier de l’étau servent à broyer les ossements. Un marteau émiette les fragments. L’étudiant œuvre pendant que sa mère est accaparée par les mondanités inhérentes à son statut d’épouse de notable : Un thé par-ci, un catéchisme par-là, un shopping en ville entre amies, une causerie de salon entre dames de charité.

    Malgré la brièveté du délai, Adrien n’en néglige pas pour autant son ouvrage. S’il n’obtient pas la poussière que seule l’usure du temps atteint, ni la cendre que seule la puissance du feu procure, il fragmente tant les os que la reconstitution du puzzle s’en avérerait impossible. Un matin, chevauchant sa Honda, il remonte le fleuve et y sème çà et là sa poussière d’ange.

    Combler la tombe éphémère se révèle plus problématique. Il y enfouit son stock de chaux vive avant de le recouvrir de terre de remblai. Le sous-sol d’une maison bourgeoise délabrée lui fournit la matière première. Il dame à coup de dos de pelle le parterre. Fort heureusement, les ouvriers, plus pressés que curieux, ne s’intéressent pas à la parcelle plus meuble. Ils coulent une dalle de béton qui ensuite disparaît deux tiers sous du parquet et le troisième sous du carrelage. À peine l’endroit aménagé, Adrien perfore le béton sous les lattes du plancher pour récupérer ses sacs de jute et dégager l’entrée du tombeau dédié à ses amours provisoires. Un coffre en osier placé sur un tapis masque la trappe qui s’ouvre sur l’enfer.

    L’image de Pauline et de Gabrielle s’estompe à la vue de sa nouvelle conquête. L’amant se refuse à penser au moment de la séparation. Il tremble de ravissement et d’hésitation devant un gâteau aussi appétissant. Pour parfaire la cérémonie, il opte pour la version de la Tosca de Puccini chantée par la Callas. La voix magistrale de la diva envahit la chambre nuptiale. Du bout des doigts, il caresse la statue de chair, redessinant les traits du minois, glissant sur la courbe du buste jusqu’à la fente du sexe. Puis, vaincu par le désir, il assoit son nouveau joujou sur le bord du lit. S’agenouillant, il écarte les tendres cuisses et darde sa langue/sexe vers les lèvres secrètes. L’enfant tressaute au contact de cette pointe humide et chaude qui lèche goulûment ses orifices, vaginal et anal. Un jet d’urine éclabousse la figure d’Adrien qui gémit en éjaculant. Il lève les yeux vers sa partenaire pour lire sur sa frimousse le plaisir partagé. Mais il ne perçoit que le hurlement muet de la terreur.

    L’homme sourit. Il sait d’expérience que le plaisir de la terreur se révèle toujours plus subtil que le plaisir de la douleur. Il tient cet enseignement de Pauline et de Gabrielle. Pendant qu’il leur faisait mal, il ne répondait qu’à une urgence pulsionnelle stupide. Ce n’est qu’en voyant la souffrance qu’exhibaient leurs parents face aux caméras, quand ils appelaient à la pitié du ravisseur, qu’il avait enfin connu la jouissance intellectuelle de sa toute-puissance. Dans sa hâte de morfale, il n’avait pas pris le temps de parcourir les multiples strates de l’épouvante.

    À l’époque où il ne possédait que de l’impatience pour mesurer ses besoins érotiques, nombre de proies lui avaient filé entre les pattes. Alors il se perdait dans de ténébreuses masturbations. Quel gâchis ! Ce que dicte le cœur l’esprit l’entend, mais le corps lui n’écoute que le sang !

    En ce jour de fête, ce Noël avant l’heure, alors que la foule absorbait sa poupée de porcelaine et que le désespoir lui tordait le bas-ventre, Adrien a ressenti un pincement au cœur, une étincelle de douleur exquise. De cette furtive défaite émanait une telle délectation que l’homme a d’un coup mesuré l’étendu du champ des plaisirs de l’esprit qui s’ouvrait à lui. Craignant de perdre une once de jouissance que promet sa nouvelle idole, il décide de repousser l’acte suprême des épousailles. Il se relève et, saisissant sa partenaire par la taille, l’emmène à nouveau dans la salle de bains. Il lui passe un gant humide sur la figure et entre les jambes avant de s’essuyer le sexe.

    « Tu n’as pas faim ? l’interroge-t-il d’un ton guilleret. »

    Il enfile un peignoir marron, et enroule sa belle de nuit dans une large serviette bleu marine. La prenant par la main, il la guide jusqu’à la cuisine. Il l’installe sur une chaise, allume la radio, dresse le couvert, se verse un verre de vin et tranche du pain. Puis planté face au plan de travail jouxtant la gazinière, il s’active à la préparation du repas. Tout en cuisinant, il disserte sur la primauté de l’opéra sur tous les autres styles musicaux.

    « L’opéra, il n’y a que ça de vrai ! proclame-t-il en se tournant à demi vers sa convive. Écoute, la voix du cosmos ! Ses vibrations ! L’opéra est à la chanson ce que nos anciennes cathédrales sont à l’architecture. Un idéal concrétisé. Le nombre d’or matérialisé. »

    L’enfant ne se préoccupe guère du chant diffusé par la chaîne classique. Se sauver pendant que le monsieur a le dos tourné, voilà ce qui la tracasse. La porte d’entrée est verrouillée, mais si elle réussit à se faufiler hors de la pièce et à se cacher… Il y a une porte-fenêtre au salon. Elle l’a entraperçue en redescendant. L’ouvrir et entrebâiller le volet… S’agrippant des deux mains sur le bord de la table, elle avance ses fesses sur le coussin capitonné de la chaise. Elle entend, alors que la pointe de ses pieds frôle le carrelage, un taratata, on ne joue pas à 1 2 3, soleil.

    Adrien dénoue la ceinture de son peignoir et l’utilise comme lien. Ficelée sur sa chaise, elle ne rend pas les armes. Sur la planche à pain, le long couteau attire son intention. D’un geste trop vif, elle saisit l’instrument par la lame. La dentelle d’acier lui pénètre la peau. Sa paume entaillée saigne en abondance. Vivement, elle dissimule sa main sous la table. En l’écrasant contre l’épais rebord en bois, elle tente d’arrêter le saignement. Sur la toile cirée, une traînée sombre trahit son geste maladroit. Avec de la mie de pain, elle éponge le liquide visqueux. Elle avalait l’écœurante boulette quand l’homme pose sur le dessous-de-plat la poêle garnie de pommes de terre sautées et de dès de jambon. En un coup d’œil, il comprend que son indocile Pom-pom manigance encore un vilain tour. Saisissant la main disparue sous la table, il découvre la plaie et imagine la scène qui s’est déroulée à son insu. Après avoir soigné la blessure et gourmandé la récalcitrante, il sert le plat. Dans le poste, la Carmen de Bizet s’est tue et le Requiem Aeternam de Mozart emplit la pièce. Au cours du repas, Adrien courroucé ne prononce que cinq mots :

    « Ici on finit son assiette ! »

    III

    Adrien traverse le salon transportant l’insoumise dans ses bras. Il la couche sur le canapé. Toutes ces émotions lui donnent envie d’un alcool fort. Il se sert un double whisky de la réserve privée du général. Une petite voix lui conseille la prudence, car la garce ne ratera pas une occasion de s’esquiver. Il y a plus de deux heures qu’ils se testent l’un et l’autre. Adrien ne doute plus que cette beauté qui s’ignore est dotée d’un fichu caractère.

    Le liquide ambré répand son rude et chaud parfum. La langue râpeuse chargée d’alcool lèche les lèvres rose pâle de la boudeuse. Pom-pom grimace et, ramenant ses genoux pliés contre sa poitrine, se crispe en position fœtale. Sa réaction amuse le garçon qui décide de corser la partie. Il attrape le menton de sa partenaire, la contraignant ainsi à relever la tête. Appuyant, d’une main, sur les maxillaires, il l’oblige à ouvrir la bouche. De l’autre main, il approche son verre et fait basculer quelques gouttes de whisky dans cette gorge vierge de toute drogue. Ce violent baptême du feu déchaîne une série de toux en cascade. Le sourire d’Adrien disparaît dans un franc éclat de rire.

    Froisser ce joli museau n’est pas pour lui déplaire. La beauté est une insolence qui mérite d’être rabaissée de temps en temps. La toux s’estompe tandis que le rire s’adoucit. Du revers de son peignoir, il essuie les yeux larmoyants. Pom-pom le gratifié d’un regard empli de haine. Comment une telle haine peut-elle habiter une si jeune créature ? Adrien répond par une grimace au masque hideux, puis il soulève la vilaine. La frêle protection du chétif corps tombe. Adrien, s’étant assis à son tour, la blottie contre sa poitrine dénudée. Posant les deux pommes rondes du fessier sur les deux balles molles de ses testicules, il replace son sexe entre les courtes jambes. Il attrape la télécommande sur la table basse et allume le téléviseur. Les actualités ne tardent pas à diffuser le signalement de la kidnappée. Adrien apprend le nom, le prénom et l’âge de son invitée. Mais il s’en fout éperdument ! Pour lui, elle demeurera Pom-pom et ne vieillira jamais !

    Quant à son propre signalement, donné par une famille les ayant remarqués dans le bus, il indique : Un homme blanc, 1 m 75 environ, cheveux sombres, marron ou noir, tombant sur les épaules, yeux foncés, vêtu d’un trois-quarts noir et d’un jeans stone. Le reporteur ajoute que la fillette pleurait et que l’homme la consolait. Il précise que ces deux passagers sont descendus place du Général Leclerc. Il admet que la police a tardé à prendre en compte ce témoignage car si l’enfant repérée portait un pantalon de velours côtelé marron, son manteau représentait des fleurs sur un fond blanc alors que celui de l’enfant recherchée était d’un vert uni. Le professionnel rapporte que, déçue de ne pas avoir pu aider la famille, la femme témoin avait demandé à parler à la mère de la disparue. L’inspecteur, jugeant cette confrontation inutile, lui avait dit de partir. La femme avait refusé et faisait le pied de grue dans le couloir du commissariat. Lorsqu’elle avait aperçu le père accompagné de son fils se diriger vers le distributeur de boissons chaudes, elle les avait abordés et leur avait répété le signalement fourni aux autorités. Le père avait eu la même réaction que les policiers : La parka ne correspondait pas ! Mais le fils avait réagi et rappelé que le vêtement était réversible et que son envers concordait avec la description. Cette révélation avait déclenché un branle-bas de combat. Depuis des militaires ont renforcé les forces de police et des fouilles se sont engagées dans le parc de la Tête d’Or que dessert la station de bus du Général Leclerc.

    « Ils te cherchent dans le parc, les abrutis. Alors qu’on est ici, bien au chaud ! Tu sais, tu n’aurais pas dû lâcher la main de ton frère. Il ne se pardonnera jamais de t’avoir perdue. Ta mère non plus ne lui pardonnera pas. Les mères sont des chiennes dociles quand tout va bien, mais elles se transforment en louves dès qu’un danger menace la cohésion de la meute. Bon, il commence à se faire tard pour une gosse de ton âge. C’est l’heure d’aller au dodo. Mais avant, tu dois souhaiter le bonsoir à ton nouvel ami. »

    Adrien retourne sa partenaire face à lui, saisit ses deux mains et les plaque sur son organe en érection. Il baisse les paupières et entame un mouvement de va-et-vient ponctué par des soupirs. Puis brusque, il empoigne les cheveux de sa poupée et précipite ses lèvres de bonbons acidulés contre l’objet de tous ses plaisirs. Il accélère la caresse jusqu’à ce que la sève jaillisse et lui arrache un long râle.

    « Je crois que tu es bonne pour un nouveau shampooing, constate l’homme rassasié. Sans oublier de te laver les dents. Pour cette nuit, je t’installerais en bas. Si je veux dormir tranquille, tu comprendras que je ne peux pas t’autoriser à gambader dans la maison. Mais ne t’inquiète pas, la cave est aménagée. Tu pourras dormir sur un matelas de mousse. Il y a même des toilettes pour ton petit pipi. »

    Tétanisée par le choc de la fellation, l’enfant ne réagit plus. Son corps, coque de noix vide, subit le dernier lavage sans résister. Elle distingue à peine la sonnerie insistante qui transperce le bruit de moteur du séchoir. Le jeune homme éteint l’appareil, écoute et l’entraîne vivement vers la chambre. Il secoue le paquet contenant les habits de la gosse, ramasse la petite culotte sur le plancher et lui fourre dans la bouche comme bâillon. Pour l’immobiliser, il lui enfile la parka à l’envers, sans lui mettre les bras dans les manches. Il

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