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Un coeur conquis: Un coeur conquis
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Un coeur conquis: Un coeur conquis
Livre électronique446 pages23 heures

Un coeur conquis: Un coeur conquis

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À propos de ce livre électronique

Quand le choléra frappe la ville de Rochester, dans l’État de New York, au printemps 1899, les membres de la famille Broadmoor se réfugient dans leur château des Mille-Îles. Mais Amanda Broadmoor,
qui a toujours éprouvé une compassion particulière pour les déshérités, décide de demeurer à Rochester avec le docteur Blake Carstead pour l’aider à freiner la propagation de l’affreuse maladie. Toutefois, il y a beaucoup plus en jeu que la santé d’Amanda. Une mauvaise gestion de la fortune familiale menace de laisser les Broadmoor sans le sou, risquant même de compromettre l’avenir de Sophie. Sera-telle
forcée d’épouser un homme qu’elle dédaigne pour sauver l’héritage des Broadmoor?
LangueFrançais
Date de sortie16 mai 2013
ISBN9782896838967
Un coeur conquis: Un coeur conquis
Auteur

Tracie Peterson

Tracie Peterson (TraciePeterson.com) is the bestselling author of more than one hundred novels, both historical and contemporary, with nearly six million copies sold. She has won the ACFW Lifetime Achievement Award and the Romantic Times Career Achievement Award. Her avid research resonates in her many bestselling series. Tracie and her family make their home in Montana.

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    Aperçu du livre

    Un coeur conquis - Tracie Peterson

    Miller

    Mercredi 26 avril 1899

    Rochester, New York

    CHOLÉRA EN HAUSSE ! ON PRÉVOIT UNE ÉPIDÉMIE À ROCHESTER !

    Amanda Broadmoor regarda le grand titre imprudent qui ornait la une du Democrat and Chronicle de Rochester. Pourquoi le journal était-il obligé d’exagérer ? Avec de telles nouvelles déplacées, les gens allaient être saisis d’une véritable panique. Refermant le journal, elle le plia et le glissa sous la pile de courrier sur la table à dessus de marbre du vestibule inférieur de la luxueuse maison de sa famille. La veille au soir, certaine que l’article allait causer une autre querelle familiale, elle l’avait caché dans sa chambre.

    Bien sûr, la une criarde avait fait augmenter les ventes pour le propriétaire du quotidien. Le journal s’était empressé de signaler quatre décès récents attribués à la maladie tant redoutée et, avec un printemps précoce et des pluies incessantes, plusieurs des plus éminentes familles avaient déjà fui la ville. D’autres les suivraient assurément après avoir lu la nouvelle d’hier. Et pour ceux qui n’avaient pas les moyens de partir, le journal ne servirait qu’à augmenter leurs craintes.

    Évidemment, les Broadmoor appartenaient à l’aristocratie de Rochester, dans l’État de New York. Amanda n’avait jamais été dans le besoin et avait toujours eu ce qu’elle désirait, puis quand les mauvaises circonstances osaient se présenter, elle s’était toujours trouvée bien à l’abri du pire. Mais tout cela avait changé lorsqu’elle avait décidé de se lancer dans la profession médicale.

    À vingt et un ans, Amanda croyait avoir le droit de suivre sa propre voie dans la vie, mais ses parents ne voyaient réellement pas les choses de cette façon. Leurs attitudes reflétaient celles de leurs pairs et du monde qui les entourait. Les femmes qui travaillaient dans le domaine médical provoquaient partout des haussements de sourcils : les femmes du statut social d’Amanda étaient élevées pour se marier et produire des héritiers, non pas pour s’occuper des malades. Et en particulier, pas de ceux qui souffraient du choléra.

    — Et Maman peut être tellement alarmiste, parfois.

    Aussitôt qu’elle avait entendu parler de la maladie, la mère d’Amanda avait suggéré que toute la famille se réfugie dans la propriété estivale située sur l’île Broadmoor dans le fleuve Saint-Laurent. Mais son père avait immédiatement rejeté cette idée. Jonas Broadmoor avait avoué que son travail ne pouvait lui permettre de quitter Rochester. Et Amanda approuvait cette décision. Après avoir consacré une bonne partie de son temps et de son énergie à sa formation médicale auprès du docteur Carstead, elle ne pouvait abandonner son travail au moment où l’on avait le plus besoin d’elle.

    Amanda jeta un coup d’œil à l’horloge. Sa mère allait sûrement l’attendre pour le petit déjeuner, mais si elle restait plus longtemps, il n’en résulterait qu’une plaidoirie larmoyante pour qu’elle cesse de travailler avec le docteur Carstead. Elle devrait alors expliquer en long et en large pourquoi son travail était essentiel, ce qui entraînerait une arrivée tardive à la Maison des délaissés. Avant que la question soit réglée, elle perdrait un temps précieux qu’elle pourrait plutôt utiliser pour prendre soin des personnes ayant besoin de ses soins. Chaque nouvelle journalistique provoquait une querelle qui laissait à Amanda l’impression qu’elle devait trahir soit sa mère, soit le docteur Carstead. Elle ne se sentait pas en état de se quereller aujourd’hui.

    Après avoir boutonné son manteau, elle glissa une mèche de cheveux blonds sous son bonnet et se glissa dans la cuisine où le cocher terminait son repas du matin.

    — Dépêchez-vous, dit-elle en faisant un geste en direction de la porte. On a besoin de moi à la Maison.

    Il avala une dernière gorgée de café, s’essuya la bouche du dos de la main puis inclina la tête.

    — La calèche n’attend que vous.

    Il marcha à grands pas jusqu’à l’extrémité est de la cuisine et ouvrit la porte d’un grand geste théâtral. Son large sourire mettant en évidence une rangée de dents inégales.

    — Vous voyez ? Toujours prêt. C’est ma devise.

    — Une excellente devise, bien que parfois difficile à concrétiser, dit Amanda, ravie de s’apercevoir que la pluie avait cessé.

    Elle se précipita vers la calèche, le cocher lui emboîtant le pas. Ses efforts pour être prête à temps semblaient beaucoup trop souvent vains. Depuis qu’elle avait commencé à étudier la médecine auprès du docteur Carstead, elle s’était toujours efforcée de prévoir ses besoins, mais il semblait fréquemment demander un objet dont elle n’avait jamais entendu parler, un instrument médical autre que celui qu’elle lui tendait, ou un bandage d’une largeur différente. Elle était certaine que ses choix inappropriés agaçaient parfois le docteur. Toutefois, il réprimait ses mouvements d’humeur, en tout cas, la plupart du temps.

    — Avez-vous vu la une du journal d’aujourd’hui ? demanda le cocher avant de refermer la porte de la calèche.

    Amanda acquiesça.

    — Oui. C’est pourquoi nous devons faire vite. J’ai bien peur qu’il y ait beaucoup de gens aux portes de la clinique ce matin. Parfois, seulement en entendant parler d’une maladie, les gens craignent de l’avoir contractée.

    Un sentiment d’épuisement l’envahit en songeant seulement au travail qui l’attendait.

    Le cocher grimaça.

    — Je comprends ce que vous voulez dire, mademoiselle. J’ai lu l’article dans le journal puis je me suis demandé si je ne souffrais pas des mêmes symptômes.

    — Vos organes digestifs vous ont-ils causé des problèmes ?

    À la mention des organes digestifs, les joues du cocher s’empourprèrent. Il détourna le regard et secoua la tête.¸

    — Non, mais j’ai eu un petit mal de tête hier, et j’ai pensé que j’avais un peu plus soif que d’habitude.

    — Ce n’est probablement rien, mais si vous commencez à éprouver d’autres symptômes, venez voir le médecin. N’attendez pas trop longtemps.

    Toujours incapable de croiser le regard d’Amanda, il frôla du doigt le rebord de sa casquette.

    — Merci de vous en préoccuper, mademoiselle. Je vais suivre votre conseil.

    En arrivant à la Maison des délaissés un peu plus tard, la prédiction d’Amanda s’avéra juste. Des files de gens s’étaient formées à l’extérieur de l’immeuble, et il y avait peu de doute sur le fait que ces personnes venaient consulter. Après avoir souhaité une bonne journée au cocher, elle fit rapidement le tour de l’immeuble et entra par la porte arrière qui menait au bureau que le docteur Blake Carstead occupait pendant ses journées à la Maison.

    Elle s’arrêta net en apercevant le docteur qui examinait une jeune femme.

    — Je constate que vous êtes arrivé plus tôt qu’à l’habitude, dit-elle.

    Il émit un grognement.

    — Après avoir vu le journal d’hier soir, je savais que nous aurions plus de patients aujourd’hui. J’aimerais bien que quelqu’un muselle ce journaliste. Il semble s’amuser beaucoup à effrayer les gens. Avez-vous lu ce qu’il a écrit ?

    Amanda retira son manteau et le suspendit au crochet près du pardessus de laine du docteur.

    — Seulement le grand titre, répliqua-t-elle. J’espère vraiment que l’article avait tort.

    Le docteur Carstead continuait d’examiner une coupure au bras de sa patiente.

    — C’était exagéré. Il y a eu un décès à cause du choléra, mais un collègue m’a dit que les autres morts étaient survenues quand une calèche s’était retournée et avait écrasé deux passants. J’ignore pourquoi le propriétaire de ce journal autorise de pareils reportages bâclés. Si je pratiquais la médecine à la manière dont ce journal rapporte les nouvelles, j’aurais une pièce remplie de patients décédés.

    Les yeux de la patiente s’écarquillèrent en entendant la remarque du docteur.

    — Il fait un bien meilleur travail que le journal, dit Amanda en s’approchant de la dame.

    Une fois le bras de la femme convenablement bandé, Amanda l’accompagna jusqu’à la porte et retourna voir comment elle pouvait aider Blake ce jour-là.

    — Je pense vraiment que ce journal adore provoquer la panique chez les gens, dit Blake en se lavant les mains.

    — Les problèmes font vendre les journaux, répondit Amanda en lui tendant une serviette.

    Blake la prit et pendant un moment, il regarda Amanda d’un air étrange.

    — Vous me semblez pâle. Mangez-vous et dormez-vous bien ?

    Elle posa ses mains sur ses hanches.

    — Je pourrais vous poser la même question. Vous n’avez pas dormi depuis des jours.

    Je ne savais pas que vous les comptiez, dit-il d’une façon plutôt sarcastique. Mais je n’ai pas, comme vous, le privilège de rentrer à la maison pour apprécier un succulent repas et un lit confortable.

    — Et à qui peut-on le reprocher ? répliqua Amanda. Vous ne rentrez pas chez vous et vous ne voulez pas que je reste.

    — Ça ne serait pas convenable.

    Elle renâcla.

    — Ça ne sera pas convenable non plus quand vous vous effondrerez de fatigue, mais je suis sûre de trouver quelque chose à dire à la multitude de malades. « Oh, nous sommes vraiment désolés, mais le docteur est un homme orgueilleux et arrogant qui se croit immortel ». Même Dieu s’est reposé au septième jour, docteur Carstead.

    — Dieu n’avait pas à composer avec le choléra à ce moment-là, dit Blake, indifférent à ses commentaires.

    Amanda laissa échapper un soupir d’exaspération et se mit à nettoyer la table d’examen.

    Ce fut la dernière occasion qu’ils eurent de bavarder en privé puisqu’un flux continu de patients les garda occupés bien au-delà de dix-huit heures ce soir-là.

    Exténuée, mais refusant de laisser paraître à quel point elle l’était, Amanda tendit la main vers son manteau tout en réprimant un bâillement.

    — Comment retournez-vous chez vous ? demanda Blake.

    — Je suis certaine que le cocher m’attend.

    — Je vais vous accompagner dehors et m’assurer qu’il est là.

    Amanda ne discuta pas. Elle aurait voulu lui demander quand il envisageait de partir, mais elle savait que sa question allait seulement donner lieu à une discussion. Elle n’avait plus aucune énergie pour s’engager dans un échange aussi inutile, et Blake sembla le sentir.

    Lui prenant le bras, il l’escorta jusque dans la rue où l’attendait la calèche des Broadmoor. Le cocher s’empressa de descendre du véhicule et de lui ouvrit la porte. On pouvait voir à son manteau qu’il avait plu pendant la plus grande partie du temps où il avait attendu.

    — Essayez de prendre un bon repas et un bain chaud, lui dit Blake pendant qu’il l’aidait à grimper dans la calèche. Vous ne me servirez à rien si vous tombez malade.

    Amanda secoua la tête et le regarda fixement.

    — Je me disais à peu près la même chose à votre propos. En plus, vous sentez mauvais et vous avez besoin d’un rasage.

    Il la regarda d’un air grave pendant un moment puis un sourire apparut sur son visage.

    — Et vous voilà repartie. Vous vous préoccupez encore de moi.

    Elle tendit la main vers la porte.

    — Je ne me préoccupe absolument pas de vous, docteur Carstead, mais les gens délaissés et malades commencent à passer le chapeau pour vous. Je crois qu’ils ont l’intention d’acheter une savonnette et un rasoir.

    Amanda ferma la porte en même temps qu’elle entendait Blake éclater d’un grand rire. Elle sourit pour elle-même. C’était bien de l’entendre rire. Ces derniers jours, ils avaient eu bien peu d’occasions de le faire.

    Jeudi 27 avril 1899

    — Vous êtes en retard, grommela Blake quand Amanda pénétra dans la salle d’examen le lendemain. Je sais que je vous ai recommandé de prendre du repos, mais je ne voulais pas dire toute la nuit et toute la journée.

    — Oh, du calme. Je ne suis que quelques minutes en retard. Le cocher a été retardé.

    Elle accrocha son manteau et enfila immédiatement son tablier puis jeta un bref regard en direction de Blake.

    — Je constate que vous avez suivi mon conseil, fit-elle. Au moins, les gens ne s’enfuiront plus en vous apercevant.

    Blake porta la main à son menton fraîchement rasé avant d’indiquer la porte du doigt.

    — La Commission de la santé de Rochester a envoyé des inspecteurs pour vérifier notre travail. Je ne voulais pas paraître misérable à leurs yeux.

    Amanda se laissa tomber sur une chaise toute proche. Elle retint son souffle quand une brève douleur lui traversa l’estomac. Une fois de plus, elle avait quitté la maison sans prendre de petit déjeuner pour éviter une confrontation avec sa mère. Mais cette fois, elle était sûre que si elle avait pris son petit déjeuner, elle se serait retrouvée mal à l’aise devant le bon docteur. Elle déglutit et porta vivement la main à son ventre.

    — Vous avez des nouvelles à propos de la quarantaine ?

    Le docteur Carstead inclina la tête vers la foule rassemblée devant sa porte et posa un doigt sur ses lèvres pincées.

    — N’inquiétons pas inutilement les gens, dit-il.

    Il se pencha vers elle, ses yeux noisette reflétant de l’inquiétude.

    — Vous n’êtes pas en train de tomber malade, n’est-ce pas ? Le moment serait bien malvenu.

    — Non, bien sûr que non. J’ai eu un bref malaise, mais je vais bien.

    Elle se leva et élimina de la main un pli sur sa jupe bleu marine élimée.

    Peu après avoir commencé son travail avec le docteur Carstead, elle s’était procuré une sorte d’uniforme. Le docteur s’était empressé de lui faire remarquer que si elle voulait vraiment apprendre la médecine, elle ferait mieux de garder ses chics robes de soie et de satin pour d’autres occasions et d’adopter une tenue plus pratique quand elle venait à la clinique. Sur le coup, elle s’était sentie offensée par sa remarque, mais il avait raison. Même si elle avait porté un tablier de toile par-dessus ses jupes de serge et ses blouses de coton, la blanchisseuse des Broadmoor s’était quand même plainte de devoir passer davantage de temps à frotter les taches.

    — Je ne doute pas que nous apprendrons très bientôt la décision des inspecteurs. Pourquoi n’iriez-vous pas faire le tri entre les gens qui disent présenter des symptômes de choléra et les autres ? Faites-les entrer dans le bureau au bout du vestibule. Quand vous aurez fini, dites-le-moi et j’irai les examiner.

    Amanda sortit un crayon et du papier. Elle préférait prendre des notes en parlant aux patients, surtout quand ils étaient si nombreux. Autrement, elle risquait d’oublier des détails importants.

    Avant de quitter la pièce, Amanda se versa un verre d’eau qu’elle avala rapidement. Le liquide froid glissa le long de sa gorge asséchée, mais immédiatement son estomac se contracta sous le coup d’un spasme douloureux. Peut-être aurait-elle dû prendre un petit déjeuner après tout. Se forçant à sourire, elle replaça le verre et s’empressa de sortir de la salle, son estomac protestant toujours violemment.

    Le docteur Carstead fit entrer un autre patient, et Amanda s’arrêta près de la personne suivante dans la file. Le vieil homme parut mécontent quand elle s’approcha, mais il obéit finalement quand elle lui apprit qu’il ne pouvait voir le médecin avant d’avoir répondu à ses questions. Un bref coup d’œil à la bosse sur sa tête et à ses jointures éraflées confirma que la visite d’aujourd’hui n’avait rien à voir avec le choléra. Après avoir passé trop de temps à la taverne du coin la veille au soir, il s’était battu avec un autre client.

    Amanda réussit à conserver son sang-froid pendant encore un moment, mais s’arrêta brusquement quand elle atteignit la sixième personne dans la file. S’agrippant le ventre, elle pointa un doigt vers le plafond.

    — Je reviens tout de suite, dit-elle, puis elle laissa tomber son crayon et son papier sur une table voisine. Elle saisit un bassin émaillé, courut jusqu’à la pièce à l’extrémité du vestibule et régurgita toute l’eau qu’elle avait bue quelques minutes plus tôt. Le liquide lui brûla le fond de la gorge, et les muscles de son estomac se contractèrent de douleur, mais elle oublia tout cela quand de vives douleurs s’emparèrent de ses intestins. Elle se précipita vers la salle de bain sous l’intensité de la douleur.

    Quand elle revint un peu plus tard, le docteur Carstead l’attendait.

    — Vous êtes malade. Vous êtes blanche comme un drap et vous tremblez. Pourquoi ne me l’avez-vous pas dit plus tôt ? Vous pourriez avoir infecté tous ceux avec qui vous avez été en contact aujourd’hui.

    Amanda s’agrippa l’estomac.

    — Vous pensez que j’ai le choléra ?

    Elle secoua la tête en signe de dénégation.

    — Je n’ai pas mangé ce matin, et mon estomac est tout retourné, c’est tout.

    Elle fut saisie d’un autre spasme et ses genoux plièrent. Si Blake ne l’avait pas retenue, elle se serait effondrée à ses pieds.

    Blake Carstead fixa le visage pâle d’Amanda tandis qu’il déposait une lourde couverture sur son corps tremblant. Il passa ses longs doigts à travers la masse ébouriffée de ses cheveux brun foncé et se tourna vers la porte. Comment pourrait-il s’en sortir sans l’aide d’Amanda ? La foule augmentait de minute en minute.

    — Quincy ! J’ai besoin de vous, cria Blake à l’oncle d’Amanda, le propriétaire de la Maison des délaissés.

    Si Amanda contractait le choléra, ses parents l’en tiendraient responsable. Ni son père ni sa mère ne l’avaient encouragée à poursuivre sa formation médicale. En fait, son père avait eu recours à toutes les ruses possibles pour l’empêcher de fréquenter l’école de médecine. Quand Blake lui avait laissé entendre qu’elle pourrait travailler avec lui et recevoir une formation, elle avait immédiatement accepté.

    Amanda lui toucha le bras.

    — De l’eau. J’ai tellement soif, murmura-t-elle.

    Il ne lui en servit que quelques gorgées, car il savait ce qui allait se produire. Elle saisit le verre et avala d’un coup la petite quantité de liquide. Immédiatement, elle pointa un doigt vers le bassin le plus proche. La peur brillait dans ses yeux pendant qu’elle vomissait impitoyablement avant de retomber sur le lit.

    Où était Quincy ? Le docteur Carstead se précipita vers la porte et regarda la foule agitée des patients. Tous voulaient voir un médecin, et aucun d’entre eux ne voulait attendre dans la pièce surpeuplée. Ils craignaient tous la même chose. La personne assise à côté d’eux pouvait être porteuse de la maladie redoutée. Quand il aperçut finalement Quincy, il s’avança dans la pièce et cria son nom par-dessus le vacarme. Deux hommes, ni l’un ni l’autre ne semblant particulièrement heureux, se tenaient à l’intérieur de l’entrée principale. Blake reconnut en eux les représentants du département de la Santé. Ils secouèrent la tête, de toute évidence nerveux et anxieux de partir. Ils mirent précipitamment une feuille dans la main de Quincy et s’empressèrent de sortir.

    Après avoir lu la feuille, Quincy la fourra dans sa poche de veston puis mit ses mains en porte-voix.

    — La Maison des délaissés a été mise en quarantaine. Les autorités ont affiché un avis officiel sur le portail de l’entrée.

    Un bruissement de mécontentement se transforma rapidement en exclamations colériques. Quincy sortit la feuille froissée de sa poche et l’agita au-dessus de sa tête.

    — Voici une lettre d’explication. Personne ne doit quitter l’immeuble.

    Blake ne s’étonna pas de voir les patients se précipiter hors de la salle d’attente et dans la rue. Ils ressemblaient à des souris quittant un navire en train de faire naufrage, et personne ne pouvait les en empêcher. En quelques minutes, il ne resta plus que ceux qui étaient trop malades pour quitter les lieux. D’après les dispositions de la quarantaine, personne n’aurait dû partir, mais ni Blake ni Quincy n’avaient le pouvoir de les retenir prisonniers. Et les autorités n’avaient pas le temps de faire respecter les ordres. Ils étaient trop occupés à les transmettre.

    Le comportement des patients n’avait rien d’étonnant aux yeux du docteur Carstead. Il avait observé la même réaction dans d’autres villes. Les gens comprenaient la nécessité d’imposer des quarantaines, mais ils refusaient de subir cet inconvénient. Il s’était rendu compte que beaucoup voulaient demeurer dans leurs propres maisons, mais ils refusaient d’être détenus dans une maison qui ne leur était pas familière, comme la Maison des délaissés. Et il comprenait leur attitude. Lui aussi aurait préféré jouir du confort de sa propre maison où l’étage inférieur avait été transformé en un bureau de médecin avec l’équipement dernier cri permettant de fournir des soins aux patients qui pouvaient se permettre de recourir à ses services médicaux.

    Ces derniers temps, le travail bénévole de Blake à la Maison lui prenait de plus en plus de son temps. Il ne doutait nullement qu’on aurait besoin de lui ici pendant les jours à venir. Les conditions de vie de ceux qui avaient besoin de soins médicaux gratuits les rendaient encore plus fragiles devant la maladie. En outre, il y avait suffisamment de médecins dans la ville de Rochester pour prendre soin des patients qui avaient les moyens de payer pour un traitement médical.

    Selon les dispositions de l’avis, ils demeureraient en quarantaine à la Maison pendant les cinq jours suivants. À ce moment, on procéderait à une nouvelle évaluation. Et étant donné que de nombreux patients affichaient des symptômes certains de choléra, Blake supposait que la quarantaine serait prolongée. S’ils devaient réussir à empêcher la propagation de la maladie, il allait falloir bien plus que des quarantaines.

    Il leva les yeux vers le ciel.

    — Nous avons besoin de Vous, Seigneur, murmura-t-il avant d’obtenir finalement l’attention de Quincy.

    Quand celui-ci s’approcha, Blake lui saisit le bras et l’attira vers lui.

    — C’est Amanda. J’ai peur qu’elle ait attrapé le choléra.

    Quincy jeta un coup d’œil à l’intérieur de la salle d’examens. Il pâlit à la vue de sa nièce.

    — Je l’ai accueillie quand elle est arrivée ce matin. Elle avait l’air bien. Quand est-ce que… Comment est-ce que… Ses parents ne me le pardonneront jamais. Ils vont me le reprocher.

    — Ils n’ont aucune raison de te le reprocher. Ils…

    Quincy secoua la tête avec une telle véhémence que ses cheveux retombèrent en désordre sur sa tête.

    — Retiens bien mes paroles. Si Amanda ne guérit pas, je vais devoir subir la colère de mon frère pendant le reste de ma vie. Jonas Broadmoor peut entretenir une rancune plus longtemps que n’importe qui.

    Amanda se mit à remuer, et les deux hommes se tournèrent vers elle.

    — Mon estomac. J’ai besoin d’aide, gémit-elle.

    Blake resserra sa poigne sur le bras de Quincy.

    — Nous devons trouver une femme pour l’aider. Ce sera pire pour elle si j’essaie de l’aider pendant qu’elle rejette tout ce qu’elle absorbe.

    Quincy acquiesça. Tous deux avaient aidé un des hommes qui avait subi plusieurs jours de souffrance. Le pauvre homme était décédé peu après. L’épisode leur rappelait de manière aiguë les scènes démoralisantes de vomissements violents et de fortes diarrhées accompagnés de douleurs et de spasmes aigus qui laissaient la victime déshydratée. On ne pouvait affirmer rien de bon à propos de ce qui attendait Amanda. Blake allait superviser ses soins, mais il ne voulait pas la mettre dans l’embarras. Elle avait baigné toute sa vie dans la richesse. Maintenant, elle allait être soumise aux souffrances de cette terrible maladie dans des conditions pitoyables. Et tout cela à cause de lui ! Il aurait dû insister pour qu’elle demeure à la maison quand il avait soupçonné l’apparition des premiers cas de choléra, mais il l’avait plutôt encouragée à continuer son travail auprès de lui. Il s’était dit qu’il faisait progresser sa carrière médicale alors qu’en réalité, il avait besoin des services qu’elle lui offrait et il les avait désirés. Ce n’était que maintenant qu’il reconnaissait que ses raisons avaient été suscitées par son égoïsme. Qu’avait-il fait ?

    Pendant que Quincy était parti à la recherche d’une âme généreuse qui pourrait donner un coup de main, Blake tira un paravent de bois à travers la pièce et le plaça devant le lit d’Amanda. Ainsi, elle aurait un minimum d’intimité.

    Elle gémit et ouvrit les yeux.

    — De l’eau. S’il vous plaît, n’allez-vous pas me donner de l’eau ?

    Le résultat serait le même, mais il ne pouvait refuser. Il déposa un bassin sur la table puis lui versa un verre d’eau.

    Elle avait à peine fini de boire qu’elle se mit à régurgiter le contenu de son estomac dans le bassin. Blake écarta de son front en sueur les mèches de cheveux humides. Elle devait certainement avoir éprouvé quelques-uns de ces symptômes avant de venir travailler ce matin. Pourquoi n’était-elle pas demeurée chez elle où elle aurait pu recevoir des soins convenables ?

    Avant qu’il puisse poser la question, Quincy passa la tête derrière le paravent.

    — Madame Donner a proposé de donner un coup de main.

    — Mais ça ne sera pas gratuit, dit la femme en frappant une paume de son index. N’oubliez pas que vous avez promis de me payer à l’avance.

    Blake croisa le regard intense de la femme.

    — Vous pourriez envisager d’aider seulement pour faire du bien à une autre personne, madame Donner.

    — Ne me jugez surtout pas, docteur Carstead. Si je meurs du choléra, le père de mademoiselle Broadmoor ne va pas prendre la responsabilité de nourrir mes enfants. J’ai depuis longtemps compris que Dieu aide ceux qui s’aident.

    — Si je me souviens bien, vous et vos enfants vivez ici gratuitement depuis plus de trois mois maintenant. Est-ce que ces lits et cette nourriture ne valent pas un peu de charité de votre part ?

    Quand elle secoua les épaules, son châle usé glissa d’une épaule et elle le remit brusquement en place.

    — Vous ne réussirez pas à me convaincre de changer d’idée. Vous voulez mon aide ou non ?

    Elle se tourna vers Quincy.

    — Nous voulons votre aide.

    Blake indiqua du doigt un pichet d’eau.

    — Vous devrez absolument vous laver les mains après avoir été en contact avec mademoiselle Broadmoor, dit-il en baissant les yeux vers les mains de la femme incrustées de saleté. En fait, je devrais vous enseigner la méthode efficace pour vous nettoyer avant de commencer vos nouvelles fonctions.

    — Aussitôt que j’aurai mon argent, dit-elle.

    Quincy eut un regard contrit.

    — Elle est la seule qui puisse même envisager de revenir ici.

    Blake prit plusieurs pièces de monnaie dans sa poche et les déposa dans la main tendue de la femme.

    — Ça devra faire l’affaire pour l’instant. À cause de la quarantaine, nous n’avons aucun moyen de retirer de l’argent de la banque.

    Sa main demeura ouverte.

    — Je suppose que monsieur Broadmoor peut apporter sa contribution.

    Quincy tira de sa poche deux billets et les lui donna.

    La vieille dame sourit de toutes ses dents et les enfouit dans sa poche avec les pièces de monnaie.

    — Maintenant, montrez-moi comment me laver les mains.

    Pendant que Blake conduisait madame Donner à l’évier, Quincy les suivit en citant les Saintes Écritures.

    — Mais par-dessus toutes ces choses revêtez-vous de la charité, qui est le lien de la perfection.

    Madame Donner se carra les épaules et pointa un doigt en direction de Quincy.

    — Je n’ai pas besoin que vous me récitiez des passages sur la charité. C’est facile d’être charitable quand vous avez de la nourriture sur votre table et de l’argent à la banque, fit-elle, la colère dans les yeux. Si vous voulez mon aide, vous allez me payer et garder vos prêches pour ceux qui veulent les entendre.

    Blake adressa à Quincy un regard d’avertissement. S’il ne restait que lui pour prendre soin d’Amanda au cours de cette humiliante maladie, elle ne pourrait jamais plus le regarder dans les yeux. Il ne voulait pas que madame Donner l’abandonne dans une pareille circonstance.

    Avec un mélange d’irritation et de surprise, Jonas Broadmoor fit signe à Victoria d’entrer dans son bureau. Il était certain que sa femme lui avait dit qu’elle demeurerait à la maison toute la journée. Maintenant, elle le dérangeait avant même le milieu de l’avant-midi. Après toutes ses années, Victoria ne semblait pas avoir encore compris qu’une journée d’affaires, c’était exactement ça : une période destinée à accomplir des tâches importantes sans interruption.

    Il trempa sa plume dans l’encrier et continua d’écrire dans le livre de comptes.

    — Qu’est-ce qui t’amène au bureau, Victoria ?

    Un bref regard suffit pour qu’il dépose sa plume. Elle était carrément blême.

    — Quelque chose est arrivé ?

    Victoria porta son mouchoir à ses lèvres et inclina la tête.

    — La Maison des délaissés a été mise en quarantaine. J’ai envoyé ma femme de chambre chercher une nouvelle robe que j’avais commandée. Le cocher est passé devant la Maison, et Veda a vu l’avis de quarantaine. Elle m’a dit qu’on ne laissait personne y entrer ou en sortir.

    Jonas haussa les épaules.

    — Je doute que Quincy voie là un inconvénient. Il passe tout son temps à la Maison de toute façon.

    Victoria se redressa sur sa chaise et frappa de sa paume sur le bureau.

    — Ta fille est là, Jonas ! Notre Amanda va se trouver en quarantaine pendant cinq jours avec ces gens malades. Tu ne te rends pas compte de ce que ça signifie ?

    Jonas se laissa aller contre le dossier de sa chaise.

    — En quoi cela change-t-il quoi que ce soit ? Je t’ai dit il y a des mois que je n’approuvais pas sa formation avec le docteur Carstead. C’est toi qui étais d’accord avec cette idée stupide. Tu l’as encouragée quand elle a dit qu’elle voulait devenir infirmière.

    — Médecin, le corrigea Victoria.

    Jonas leva brusquement la tête.

    — Quoi ?

    — Ce n’est pas le métier d’infirmière qui intéresse Amanda. Elle veut devenir médecin. La différence est immense, Jonas.

    — Oh, je t’en prie, Victoria. Pourquoi se quereller sur de pareils détails ? Médecin, infirmière, la différence n’a pas d’importance. Ta décision a exposé Amanda au choléra.

    — Tu sais que j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour l’empêcher de retourner à la Maison jusqu’à ce que l’épidémie soit passée. Si nous étions allés à l’île comme je l’ai proposé, elle serait à l’abri du danger. C’est à cause de toi que nous sommes restés à Rochester.

    Elle lui jeta un regard furieux par-dessus le bureau.

    — Et maintenant, tu oses m’accuser d’exposer notre fille à une maladie mortelle. Je suis presque désolée d’être venue ici.

    — Presque, mais pas tout à fait, n’est-ce pas ? répondit-il en haussant les sourcils.

    Ils jouaient au chat et à la souris, et il n’avait pas l’intention de perdre.

    — Tu t’attends à ce que je trouve une façon de la faire sortir de cet endroit. C’est pour ça que tu es venue, non ?

    Victoria serra les lèvres en une mince ligne et inclina légèrement la tête. La facilité imprévue avec laquelle elle avait avoué atténua l’enthousiasme de la victoire chez Jonas. Il décida qu’elle devait être extrêmement inquiète et que, fort probablement, il devrait l’être aussi. Une de ses enfants s’était mise en danger. Il aurait dû insister pour qu’Amanda abandonne cette idée de devenir médecin. Quand il l’aurait rescapée de la Maison des délaissés de son frère, il n’y aurait plus aucune autre discussion. Adulte ou non, Amanda allait se plier à ses règles jusqu’à ce qu’elle soit mariée. Et ces règles engloberaient la fin de toute autre formation auprès du docteur Carstead !

    Il referma le livre de comptes et repoussa son fauteuil de son bureau.

    — Avant de nous rendre à l’autre bout de la ville, arrêtons à la maison. J’espère vraiment qu’Amanda a eu l’intelligence de s’organiser pour sortir avant le départ des autorités. Elles sont beaucoup trop occupées pour surveiller chaque maison en quarantaine, et ce serait assez facile pour elle de partir par la porte arrière.

    — Jonas ! Je n’arrive pas à croire que tu dises une telle chose. Ces quarantaines sont imposées pour empêcher la propagation de la maladie, et Amanda ne contreviendrait pas à un tel ordre.

    — Elle n’a eu aucune difficulté à contrevenir à mes ordres, rétorqua-t-il.

    Il enfila son manteau de laine noire et prit son chapeau et sa canne.

    — Menez-nous à la maison, dit-il au cocher en sortant de son bureau.

    Victoria ne discuta pas, et il lui en fut reconnaissant.

    Il s’était réservé cette journée pour travailler sur ses livres de comptes et il n’y avait trouvé jusqu’ici aucun chiffre encourageant. Ses pertes semblaient encore plus grandes qu’il l’avait d’abord imaginé. Malgré la brise froide d’avril, cette pensée suffit à faire apparaître à son front des gouttes de transpiration. Il s’installa sur l’épais coussin de cuir et sortit son mouchoir de sa poche.

    Victoria se pencha vers lui quand il s’essuya le front.

    — Jonas ! Tu es malade. Pourquoi ne me l’as-tu pas dit ?

    Il

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