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Tempête révélée
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Livre électronique383 pages5 heures

Tempête révélée

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À propos de ce livre électronique

Demi-sirène, Tempête Maguire veut tout avoir: remplir son devoir comme remplaçante de la reine des flots, Hailana, tout en retournant de temps en temps à la maison sur la côte californienne pour revoir sa famille et son petit
ami de longue date, Mark.
LangueFrançais
Date de sortie25 sept. 2015
ISBN9782897527488
Tempête révélée
Auteur

Tracy Deebs

Tracy Deebs is a New York Times and USA Today bestselling and criticially-acclaimed author who writes under many pseudonyms, including young adult novels about surfing mermaids and technological armaggeddon.

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    Aperçu du livre

    Tempête révélée - Tracy Deebs

    Première partie

    La ligne de faille

    La mer, commença-t-il, c’est l’émotion incarnée. La mer aime, déteste et pleure. Elle se dérobe à toute tentative d’évocation ou de contrôle.

    On peut bien dire ce qu’on veut, la mer échappe toujours à l’homme.

    Christopher Paolini

    Chapitre 1

    — Tempête, regarde-moi ! cria Moku de la rue.

    Me tournant juste à temps pour voir mon jeune frère dévaler la pente sur sa nouvelle obsession, je ne pus m’empêcher de grimacer en imaginant la chute imminente.

    — Tu n’aurais pas simplement pu lui donner une planche de surf comme le font les gens normaux ? demandai-je à mon petit ami, Mark, qui était assis derrière moi sur la véranda, ses genoux entourant ma taille et ses bras librement enroulés autour de mes épaules.

    — Quel intérêt ? Il en a déjà trois.

    Je regardai avec appréhension Moku foncer droit dans la poubelle vide des voisins pour la vingtième fois au cours de la dernière heure.

    — Oh, je ne sais pas. Pour préserver la santé mentale de ta petite amie, peut-être ?

    Il se blottit contre moi et m’embrassa dans le cou.

    — La santé mentale, ce n’est tellement plus à la mode.

    — De toute évidence.

    En tournant la tête pour l’aider un peu, je frissonnai légèrement lorsque ses lèvres effleurèrent ma clavicule avant de remonter vers mon menton.

    Au premier souffle de sa respiration à mes oreilles, je me détendis. Je ne pus m’en empêcher. Je n’avais pas vu Mark depuis des semaines, et c’était si bon de se trouver dans son étreinte, d’entendre le rythme régulier de son cœur contre mon oreille. Voilà quatre mois, j’avais promis à Mark que l’on essaierait de faire durer notre relation. Depuis, j’avais passé la plupart de mon temps à faire des aller-retour entre Coral Straits et la maison. En fait, j’étais arrivée il y a trois jours, juste à temps pour l’anniversaire de Moku. Et pour voir Mark lui offrir une planche à roulettes. Si j’avais été là plus tôt, cela ne serait jamais arrivé.

    Il pouvait m’accuser d’être surprotectrice autant qu’il le voulait, mais après ce que Tiamat, la sorcière des mers, avait fait subir à Moku l’année dernière dans l’espoir de s’en prendre à moi, je me sentais en droit de l’être.

    — Tu es fatiguée, mon amour ?

    — Non, répondis-je en secouant la tête, même si je l’étais.

    C’était difficile de ne pas l’être en jonglant entre deux vies totalement différentes. Et comme je ne pouvais abandonner aucune d’entre elles — du moins, si je voulais continuer à me regarder dans le miroir —, cela semblait sans issue. Mais j’essayais d’ignorer ça, de me concentrer sur les petites choses comme la douce odeur de pin et de noix de coco de Mark.

    — Tu es certaine ? Nous ne sommes pas obligés de sortir ce soir.

    — Je veux y aller.

    Il y avait des mois que je n’avais pas vu Logan, Bach et les autres avec qui, au lycée, j’avais passé plus de temps à surfer qu’à aller en cours. J’avais hâte de passer la soirée avec eux, surtout que demain avait lieu le bal annuel, et je savais que Mark voudrait que l’on passe cette soirée juste tous les deux.

    Un frisson de malaise me parcourut, lorsque je pensai à nos plans pour la fin de semaine. Pas à passer du temps avec Mark et mes amis, mais plutôt à retomber dans tout ce truc scolaire. Si j’étais restée à La Jolla, je serais aujourd’hui en dernière année de lycée. J’aurais passé mon test SAT¹ et postulé à plusieurs universités, puis j’aurais accumulé les billets de retard pour être allée surfer le matin. Je passerais du temps avec Brianne et Mickey entre les cours, et je surferais avec les gars avant et après l’école. Je passerais des soirées entières dans ma chambre à essayer de comprendre la physique et les mathématiques, ou à lire Hamlet, comme le faisait Mark.

    Autrement dit, je serais normale.

    Mais, j’étais tout sauf normale. Mi-humaine, mi-sirène, coincée entre un monde que je ne pouvais abandonner et un monde dont je ne pouvais me détourner, ma vie, ces jours-ci, était plutôt l’anormalité même. Pire encore, elle me paraissait chaque jour un peu plus indépendante de ma volonté. Dernièrement, il me semblait que la seule chose sur laquelle je pouvais compter était justement de n’avoir rien — ni personne — sur qui compter. Du moins, lorsque je quittais Mark et ma famille pour plonger dans l’océan. Tout droit vers un destin dont je n’avais jamais voulu, mais que je ne pouvais ignorer. Surtout en ce moment, quand l’équilibre était si précaire dans le Pacifique.

    Mais ce n’est pas parce que j’avais accepté ce rôle dans la plus grosse guerre qu’ait jamais connue l’océan que tout était facile pour moi. Surtout lorsque j’avais désespérément besoin de m’accrocher à ma vie humaine et peut-être encore plus de sentir ma propre humanité.

    Dans l’océan, être humaine ne me manquait pas tant que ça. Tout semblait devenir flou, trouble. Mes amis, ma peinture, ma vie normale. Même ma conscience, mon désir de faire ce qu’il fallait faiblissait lorsque je m’éloignais des rives de La Jolla trop longtemps.

    Quelque chose dans l’eau, dans le fait d’être une sirène, étouffait mes sentiments et mes désirs jusqu’à ce que je finisse par me sentir bien sous l’eau. Contente de tourner le dos à ceux qui m’aimaient, pour accomplir ma destinée, une prophétie à laquelle je ne voulais pas croire, mais à laquelle je ne pouvais pas échapper. Bien sûr, sous l’eau, il y avait ma meilleure amie, Mahina, et sa famille, mais passer du temps avec eux ne me faisait sentir que plus mal, lorsque je remontais à la surface. Comme si je trahissais mon père et mes frères en accordant de l’importance à une autre famille.

    Il n’y avait que Mark qui pouvait m’aider à garder mon emprise sur mon humanité — Mark et Moku. Avec mon père, et mon autre frère, Rio (qui en ce moment me détestait), ils m’aidaient tous les deux à garder les pieds sur terre et me rappelaient qu’il y avait tout un monde là-haut qui fonctionnait en dehors des règles impitoyables de l’océan.

    Et maintenant que j’étais à la maison, maintenant que j’étais assez près pour observer les gens que j’aimais nager, surfer et faire de la planche à roulettes, mon humanité avait un goût doux-amer. Une humanité à laquelle je ne voulais pas échapper, peu importe le pouvoir, la gloire et les responsabilités qui m’attendaient lorsque je replongerais dans le Pacifique.

    — Viens, Tempête ! Regarde-moi !

    La voix insistante de Moku me sortit de ma rêverie mélancolique. Je me tournai gentiment vers lui et le regardai dévaler de nouveau la colline. Ce devait être la cinquantième fois depuis que j’étais allée le chercher à l’école deux heures auparavant.

    Seulement, cette fois, il semblait aller un peu plus vite. Il chancelait également un peu plus que d’habitude.

    — Mark, dis-je, peu à l’aise avec ce que je voyais.

    Mais mon petit ami devait avoir déjà remarqué ce qui se passait, car il s’était éloigné de moi avant que je n’aie le temps de dire plus que son nom.

    — Moku ! Ralentis ! s’écria Mark en se levant d’un bond.

    Je le suivis, dévalant l’allée pour attraper Moku avant qu’il ne s’écrase.

    Nous n’y sommes pas arrivés. Mon frère fit un vol plané au-dessus des poubelles en plastique contre lesquelles il s’était écrasé plusieurs fois auparavant et percuta l’arrière du camion bleu du voisin.

    Il le frappa avec force, puis rebondit. Je me précipitai, envahie par la panique, et dépassai Mark. J’avais failli perdre Moku l’été dernier lorsque Tiamat s’était servi de lui pour me distraire et étendre sa domination sur le Pacifique. Ce souvenir ainsi que l’impuissance et le désespoir que j’avais ressentis lorsqu’il était dans le coma n’étaient jamais bien loin dans mon esprit. Même si je savais que je perdais toute forme de rationalité chaque fois que je pensais à ce qui pouvait arriver à mon petit frère, cela ne changeait rien à la façon dont je me sentais.

    Je m’arrêtai en dérapant et me jetai sur le sol près de lui. Il gisait là, immobile, les yeux fermés et les bras et les jambes étendus.

    — Moku ! criai-je en saisissant ses épaules, prête à le secouer pour le réveiller.

    — Ne fais pas ça ! dit vivement Mark. Nous ne savons pas à quel point il est blessé. Tu ne devrais pas le bouger.

    Je savais que Mark avait raison, mais ne pas prendre Moku dans mes bras était l’une des choses les plus difficiles à faire. Je l’avais pratiquement élevé lorsque ma mère nous avais abandonnés pour retourner dans l’océan et j’aurais tout fait pour le sauver. Et maintenant, il s’était blessé alors même que je le regardais rouler sur ce stupide engin mortel.

    — Moku, le suppliai-je. Je t’en prie, ouvre les yeux.

    De longues secondes passèrent tandis que Mark vérifiait son pouls pour voir s’il respirait toujours. Le cœur de Moku battait toujours, mais sa poitrine ne s’était pas soulevée depuis beaucoup trop longtemps. Au moment où je commençais à paniquer sérieusement et où Mark prit son téléphone pour appeler les secours, les yeux de Moku s’ouvrirent d’un coup. Quelques secondes plus tard, sa main se posa sur sa poitrine et il se mit à respirer bruyamment.

    — Il a seulement eu le souffle coupé, dit Mark avec un sourire, le soulagement se lisant sur son visage.

    J’eus à peine le temps de vérifier que mon frère allait vraiment bien avant que celui-ci me saisisse la main et me demande, haletant :

    — T’as vu, Temp ? Je ne suis jamais allé aussi vite.

    Des larmes de soulagement jaillirent de mes yeux et je tentai de les contenir. La dernière chose que je voulais était de me mettre à pleurer comme la madeleine que j’étais. Moku ne me le pardonnerait jamais.

    — Tu étais fabuleux. Terrifiant, mais fabuleux, lui dis-je.

    Mark s’accroupit aussi près de lui.

    — As-tu mal quelque part ? lui demanda-t-il.

    — Juste à la main.

    Moku tendit sa main égratignée, et je ne pus que grimacer de compassion.

    — Rentrons et soignons ça, lui dis-je en l’aidant prudemment à se lever.

    Au même moment, Mark donna une petite tape sur son casque. Je n’avais jamais été aussi soulagée d’avoir autant insisté pour qu’il porte ses protections. Moku avait fait une crise lorsque j’avais mis le casque sur sa tête, se plaignant qu’il aurait l’air d’un bébé. Dieu merci, je n’avais pas cédé.

    Moku m’emboîta le pas vers la cuisine, suivi de près par Mark, qui avait l’air plus penaud que jamais. Je savais qu’il s’attendait à ce que je lui crie après au sujet de la planche à roulettes, mais je ne me sentais pas en droit de le faire. Pas lorsque le simple fait d’être mon frère avait mis Moku dans des dangers bien plus graves que ceux qui pouvaient être causés par une planche à roulettes. De plus, s’il y avait bien une chose que j’avais apprise, depuis près d’un an, dans ma vie de sirène, c’était que tout pouvait arriver, quels que soient les efforts que l’on déploie pour se protéger.

    Lorsque nous arrivâmes dans la cuisine, mon père était déjà là à préparer le dîner. Ça sentait bon, mais lorsque je regardai dans la poêle, je dus m’empêcher de grommeler. Des tacos de poisson. Encore. Il en avait fait la veille et m’avait regardée, insouciant, me forcer à avaler chacune des bouchées.

    Je savais qu’il essayait de faire pour le mieux, de me faire sentir comme à la maison — après tout, ç’avait été mon repas préféré lorsque j’étais humaine. Mais puisque j’étais devenue une sirène — et que j’étais obligée de manger des légumes de mer et du poisson pratiquement tous les jours —, j’aurais nettement préféré un hamburger.

    Ces derniers mois, mon père s’était montré si résolu à agir normalement, à prétendre que rien n’avait changé depuis mon dix-septième anniversaire — même si, en fait, tout avait changé —, que je m’y étais habituée. Mes choix avaient occasionné tant de dégâts au cours de la dernière année.

    — Restez-vous ici ce soir ? demanda mon père sans lever la tête tandis qu’il roulait la prochaine fournée de poissons dans la panure à la bière.

    — En fait, Tempête et moi pensions aller regarder la partie de football à l’école.

    — Oh, d’accord.

    Mon père semblait déçu, et la culpabilité s’insinua en moi. Je savais qu’il voulait passer le plus de temps possible avec moi, mais Moku se plaça devant lui, agitant sa blessure de guerre comme un insigne d’honneur.

    Durant une seconde, juste une seconde, un éclair de panique traversa le regard de mon père, la même panique aveugle qui s’était emparée de moi lorsque j’avais vu Moku foncer droit vers le camion. Le regard disparut presque aussitôt qu’il était apparu, mais la culpabilité qui m’accompagnait quotidiennement m’étouffait toujours un peu plus.

    Mon père n’était pas de ces personnes qui avaient les nerfs à vif et qui essayaient de régenter tout ce que leurs enfants faisaient. Fabuleux surfeur professionnel maintenant propriétaire et directeur d’une entreprise de vêtements de surf, il ne prenait généralement pas les choses trop au sérieux. Mais les blessures de Moku, l’été dernier, l’avaient traumatisé autant que moi et aujourd’hui, la moindre égratignure que s’infligeait mon frère pouvait momentanément causer bien des remous. Nous essayions tous deux de faire taire nos inquiétudes, et alors que je trouvais qu’il y arrivait généralement mieux que moi, il ne pouvait éternellement les cacher.

    Après avoir dégluti plusieurs fois, mon père demanda avec autant de désinvolture qu’il le pouvait :

    — Que t’est-il arrivé ?

    Moku sourit, montrant par la même occasion de nombreuses dents manquantes des deux côtés de sa bouche, preuve que la fée des dents avait eu beaucoup de travail cette année.

    — Je me suis écrasé de tout mon long. C’était fantastique — je me suis totalement déchiré la main.

    Cela semblait une chose tellement fabuleuse dans sa façon de le dire que nous ne pûmes nous empêcher de rire, Mark, mon père et moi.

    En lui ébouriffant les cheveux, mon père dit :

    — C’est génial ! Comment trouves-tu l’asphalte ?

    — Ça va, répondit sérieusement Moku. Mais ne t’inquiète pas. La prochaine fois, je l’aurai.

    C’était bien mon frère, mignon et fort à la fois et si aimable qu’il était impossible de ne pas l’adorer.

    — Très bien, le futur champion des jeux extrêmes de tout l’univers, dis-je. Viens ici, et laisse-moi…

    À ce moment, la porte de la cuisine menant au garage s’ouvrit, et je m’arrêtai au beau milieu de ma phrase lorsqu’elle entra. Grande rousse à forte poitrine, aux lon­gues jambes et au sourire si mielleux qu’il me donnait des caries rien qu’à le regarder, Sabrina faisait, à temps partiel, partie des meubles ici depuis quelques mois. Et chaque fois que je revenais, je la découvrais de mieux en mieux intégrée dans ma famille, toujours un peu plus à l’aise dans ce qui était autrefois mon territoire.

    Il va sans dire qu’elle ne m’impressionnait pas. Surtout que tout à son sujet me faisait crier « beurk ». Et le facteur « beurk » ne fit qu’empirer lorsqu’elle cria :

    — Je suis de retour à la maison !


    1. N.d.T.: Test d’aptitude pour accéder aux universités américaines.

    Chapitre 2

    Oui, c’est ça. Comme si c’était le cas. Je la regardai, dégoûtée à l’idée qu’elle puisse considérer cet endroit comme sa maison. Je l’imaginais vivre ici, jouer à la méchante belle-mère avec Moku et notre autre frère, Rio, et j’eus envie de hurler. De plus, c’était ma famille et je ne passais pas assez de temps avec eux. La petite amie de mon père devait-elle vraiment s’incruster ici chaque fois que j’y étais ?

    Moku n’avait aucune de mes réticences, toutefois.

    — Sabrina ! Sabrina ! s’exclama-t-il.

    Il courut vers elle, le bras tendu pour lui montrer sa paume éraflée. Si je n’avais pas fait quelques pas en arrière, il m’aurait écrasée dans sa détermination à se précipiter vers elle.

    — Regarde ce qui est arrivé !

    — Oh, Moku ! C’est une grosse blessure ! fit-elle en s’agenouillant près de lui. Qu’est-il arrivé ?

    — Je suis tombé de ma planche à roulettes. C’était vraiment génial. Tempête et Mark m’ont vu.

    — C’est vrai ? Je n’aurais pas dit que c’était génial, mais je suis contente que tu ne sois pas blessé plus gravement ! Ne devrions-nous pas nettoyer ça avant que ça s’infecte ?

    Je jetai un regard à Mark qui, de toute évidence, s’efforçait de ne pas rire. Il était toutefois en train de perdre la bataille. Il était difficile de ne pas rire d’une femme qui ponctuait toutes ses phrases de points d’exclamation.

    — J’étais sur le point de le faire, lui dis-je en secouant un peu la bouteille d’eau oxygénée que je tenais à la main.

    — Oh, ne te dérange pas, Tempête ! Je sais combien tu es occupée !

    Y avait-il une petite pointe de condescendance dans son ton joyeux, alors qu’elle m’ôtait la bouteille des mains et m’écartait ?

    — D’ailleurs, Moku et moi avons notre petit rituel pour ces bobos ! N’est-ce pas, mon cœur ?

    Moku acquiesça et la traîna devant l’armoire à médicaments. Je serrai les dents et essayai de supporter tout ça, alors que ma seule envie était de lui crier de sortir. De se trouver une autre famille, car celle-ci était la mienne.

    Je jetai un coup d’œil à mon père pour voir s’il était, lui aussi, ennuyé par l’arrivée impromptue de sa petite amie. J’étais à la maison depuis trois jours et elle avait été ici presque tout le temps. Mais il souriait, parfaitement entiché de cette Sabrina. Elle l’avait totalement prise dans ses filets. Double zut.

    Je savais que j’avais l’air d’une enfant gâtée qui ne voulait pas partager ses jouets, mais ce n’était pas le fait que mon père ait enfin une petite amie — je le poussais depuis des années à trouver quelqu’un — qui me dérangeait. C’était plutôt qu’il l’ait choisie, elle. Je savais que tout ce qu’il voyait était son corps d’enfer et son doux sourire, mais je n’étais pas convaincue. Mon père avait notoirement très mauvais goût en matière de femmes — prenons juste ma mère —, et Sabrina ne faisait pas exception.

    J’étais convaincue que sa personnalité ensoleillée cachait un côté sombre et tordu. Sinon, pourquoi le simple fait d’être près d’elle faisait-il bourdonner mes pouvoirs ? Elle n’était ici que depuis deux minutes et, déjà, l’électricité commençait à faire des étincelles le long de mes terminaisons nerveuses et la chaleur s’emparait de moi jusqu’au bout des doigts. Un petit coup et…

    Mark saisit ma main et me ramena à la réalité. En un bref regard, je sus qu’il avait compris exactement ce que je pensais. Fabuleux. Parce que rien ne rappelait moins une petite amie de longue date qu’une sirène affrontant meurtres et chaos. C’était étonnant qu’il n’ait pas pris ses jambes à son cou.

    Parfois, je détestais les pouvoirs que je possédais, la façon dont ils me rendaient différente des autres. Embarrassée par mon manque de maîtrise évident, je rougis un peu et baissai la tête. Mark se contenta de sourire, ce qui laissait sous-entendre qu’il devait avoir le même mauvais goût que mon père en matière de femmes, et passa un bras autour de mes épaules. À ce toucher, une étincelle d’énergie fusa en moi, m’avertissant comme toujours d’un danger. Il y avait dans chaque toucher de Mark quelque chose qui me faisait à tout coup perdre la tête.

    — Ne t’en fais pas, chuchota-t-il à mon oreille. Si je pouvais la faire disparaître chaque fois que je la vois, je le ferais aussi, et je n’ai pas tes pouvoirs.

    Je rigolai un peu malgré moi. Comment trouvait-il toujours les mots justes ?

    — Salut, Sabrina. Salut, papa.

    Je levai la tête et vis Rio entrer dans la pièce comme si elle lui appartenait.

    — Ouah, mon gars, c’est une sacrée blessure de guerre, dit-il en ébouriffant les boucles rebelles de Moku de sa main en se dirigeant vers le réfrigérateur.

    Il fit un grand sourire à Sabrina, le plus grand dont j’avais été témoin depuis une éternité. Il ne nous dit rien à Mark et à moi, mais ce n’était pas vraiment une surprise. Rio faisait tout pour m’ignorer ces quatre derniers mois — lorsqu’il ne me criait pas après —, et aujourd’hui ne faisait pas exception. Durant un instant, je songeai à lui dire quelque chose pour qu’il me regarde enfin, mais la dernière chose que je voulais était de me faire rembarrer devant elle. C’était déjà assez pénible que toute ma famille l’adore. Je n’allais certainement pas mettre en évidence à quel point les choses allaient mal entre Rio et moi.

    Je l’étudiai pendant quelques secondes et essayai de comprendre ce garçon que je connaissais à peine. Au moins, il ressemblait à l’ancien Rio, son accoutrement gothique des derniers mois ayant fait de nouveau place aux t-shirts de surf et aux shorts. Au début, j’avais imaginé que cela signifiait qu’il était prêt à faire preuve d’ouverture, à me pardonner d’avoir choisi cette vie de sirène, mais rien n’avait changé. Il refusait de me regarder, sauf pour me reprocher quelque chose.

    — Regarde, Tempête ! s’exclama Moku en bondissant de l’autre côté de la cuisine vers moi, me sortant de ma déprime, tandis qu’il agitait sous mon nez sa main entourée d’un large bandage. Sabrina l’a fait ressembler à une grave blessure. Penses-tu que je pourrai être exempté d’écriture en classe ce lundi ?

    — Je crois que lundi, tu seras guéri, dis-je en posant un petit baiser sur son bandage. Désolée, mon gars.

    — C’est bon, répondit Moku en haussant les épaules. Au moins, je pourrai continuer à faire un peu de planche à roulettes sans avoir peur de me cogner la main.

    — Plus de planche à roulettes pour ce soir, dit mon père près de la cuisinière où il se trouvait, le bras autour de la taille de Sabrina. Le dîner est prêt.

    — J’adore les tacos de poisson ! lui dit Sabrina. C’est très gentil de ta part d’en préparer pour moi deux soirs de suite.

    J’aurais voulu lui dire qu’il les préparait pour moi, mais je ne pouvais pas le faire sans paraître grossière. Puis, mon père déposa un rapide baiser sur ses lèvres et dit :

    — Il n’y a pas de quoi, j’adore te rendre heureuse.

    Mon cœur fit deux tours.

    J’essayai de me convaincre que j’étais ridicule — après tout, j’étais justement en train de penser que je ne voulais pas manger ces foutus tacos —, mais cela ne faisait pas disparaître la blessure. Mon père était censé préparer des repas spéciaux pour moi, pas pour elle. Il était censé vouloir m’accueillir, moi, et non pas vouloir lui plaire à elle. Si l’on ajoutait le fait que Moku et Rio n’en avaient, de toute évidence, que pour Sabrina, je commençais à me sentir comme une simple invitée ici. Celle qui jurait dans le décor.

    — Tempête, peux-tu mettre la table pour six personnes ? demanda mon père tandis qu’il commençait à frire la prochaine fournée de poissons.

    Je grinçai des dents. Je ne voulais absolument pas dîner encore une fois avec Sabrina — après tout, j’avais déjà eu ce privilège deux fois au cours des deux derniers jours. Une fois de plus me tuerait. Surtout dans l’état où j’étais.

    — En fait, Tempête et moi avions prévu de sortir avec les autres pour voir la partie, dit Mark au moment où je prenais les assiettes. Mais merci pour l’invitation.

    — Vous en êtes certains ? Il y en a beaucoup.

    Mark secoua la tête avec regret.

    — Nous avons promis de retrouver les autres pour aller manger une pizza, dit-il.

    Encore une autre des raisons qui faisaient que je l’aimais : sa troublante capacité à lire dans mes pensées.

    — Et la soirée de jeu, alors ? demanda Moku, faisant une adorable moue. Vous aviez promis que l’on jouerait, cette fin de semaine, au Clue et au Monopoly.

    — Je vais jouer avec toi ! proposa Sabrina.

    Mes doigts se courbèrent en griffes, et, durant de longues secondes, j’eus envie de labourer ses joues parfaites. Ce qui était bizarre. Je pouvais être caractérielle, mais je n’avais jamais été une personne violente. En général, la seule idée de blesser quelqu’un me rendait malade. Mais avec Sabrina, c’était différent. Une partie de moi ne demandait pas mieux que de me déchaîner sur elle.

    Cette pensée me laissa tremblante et un peu étourdie, car je savais que j’avais assez de pouvoir pour l’anéantir si je le voulais. Mais l’horreur n’arrivait tout de même pas à faire disparaître l’envie sanglante qui naissait en moi. Je fis un pas en arrière, puis un autre, soudain effrayée par ce que je pouvais faire.

    Moku me suivit et jeta ses bras autour de ma taille.

    — Mais, je veux jouer avec toi, Temp. Tu as promis.

    Ma rage se dissipa un peu, lorsqu’il sembla évident que Moku voulait passer du temps avec moi.

    — Oui, demain. Nous passerons toute la journée ensemble à jouer à des jeux et à faire des biscuits. Ce que tu voudras.

    Son petit visage se tourna vers moi et je vis ses yeux briller.

    — Des crêpes pour le petit déjeuner ?

    Je m’adoucis encore un peu.

    — Et comment ! Avec des pépites de chocolat.

    — Oui ! Et on ira surfer ?

    — Puis, on ira surfer, acceptai-je en ébouriffant ses boucles rebelles.

    — Excellent ! s’exclama-t-il en souriant. Je vais te montrer un nouveau truc que papa m’a appris.

    — J’ai hâte.

    — Moi aussi.

    Il me serra encore plus fort, puis me fit signe de me pencher vers lui. Lorsque je fus à sa hauteur, il planta un baiser sonore directement sur ma joue. Mon cœur fondit et je lui rendis son baiser.

    — Je t’aime, Tempête.

    — Je t’aime aussi, mon amour.

    Je levai la tête et je vis Mark et mon père qui nous souriaient, tandis que Sabrina et Rio me lançaient un regard furieux. Lorsque Sabrina comprit qu’elle avait été prise en flagrant délit, son visage s’adoucit rapidement, mais Rio semblait vouloir me frapper. Et lorsqu’il dit sèchement à Moku qu’il ne compterait pas vraiment sur mes promesses, j’eus l’impression qu’il m’avait assommée.

    — Rio !

    La voix de mon père tomba comme un couperet au milieu de la soudaine tension qui régnait dans la cuisine.

    — Présente tes excuses à ta sœur.

    — Ouais, compte là-dessus.

    Il repoussa la table et se dirigea vers l’escalier.

    — Rio ! fit mon père en le suivant.

    J’allais lui dire de ne pas s’en préoccuper, que j’étais habituée aux petites crises de Rio, mais Sabrina me devança. Elle posa une main sur le bras de mon père et lui murmura à l’oreille quelque chose que je ne pus entendre. Cela eut pour effet de le calmer.

    Et, inversement, de me mettre encore plus en colère. Pour qui se prenait-elle, à s’ingérer dans les affaires de ma famille ? Elle avait beau être la petite amie de mon père, cela ne lui donnait pas le droit de s’immiscer entre lui et nous. Le fait que j’allais lui dire aussi de ne pas s’en faire n’avait rien à voir avec ça.

    Mark se racla la gorge, puis regarda l’horloge avec insistance.

    — Nous devrions peut-être y aller, Tempête. La partie commence dans moins d’une heure.

    Je l’aurais embrassé. Dieu sait combien j’étais plus qu’impatiente de fuir cet enfer ne serait-ce qu’un instant.

    Après m’être défaite de l’étreinte de Moku, ce qui était plus facile à dire qu’à faire, je le laissai regarder avec Mark les reprises de Phineas et Ferb et me précipitai pour me changer dans ma chambre. Même si la partie de la rentrée ne commençait pas avant 19 h, Mark et moi étions censés rencontrer des amis un peu plus tôt, pour être assurés de trouver des places ensemble dans un stade qui allait assurément être bondé.

    J’avais prévu de me changer rapidement — après tout, il ne s’agissait que d’une partie de football —, mais une fois dans ma chambre, je m’appuyai contre le mur et pris de profondes inspirations pour faire disparaître les tensions que m’avait causées ma colère contre Sabrina. S’il était vrai que je ne l’aimais pas, elle n’était toutefois pas la première personne avec qui je ne m’entendais pas depuis que j’étais devenue une sirène. Et personne ne m’avait jamais mis dans un état de furie aussi profonde que mes pouvoirs explosaient chaque fois que nous nous trouvions dans la même pièce.

    Alors, qu’est-ce qui m’irritait tant chez elle ? J’avais passé la dernière année à m’efforcer de garder la pleine maîtrise de mes pouvoirs. Je ne savais pas pourquoi ma discipline m’avait abandonnée, mais ça ne me plaisait pas. Pas du tout. Pas plus qu’elle ne me plaisait.

    J’essayai de me convaincre que j’étais stupide, que j’étais seulement jalouse du fait qu’elle essayait de toute évidence d’usurper ma relation avec Moku. Ce qui, si j’étais honnête, était suffisant pour que je la déteste. J’adorais Moku. J’aurais tout fait pour lui, et l’idée d’une étrangère se ramenant ici et chamboulant tout me rendait furieuse.

    Mais il y avait plus que ça, plus qu’une simple colère ou une simple méfiance. Lorsque je la regardais, je ne me sentais pas à l’aise. J’étais sur la défensive. J’avais l’instinct meurtrier. Seule Tiamat faisait surgir de telles émotions en moi. Le fait qu’une bombasse rousse puisse

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