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Sœur de sang
Sœur de sang
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Livre électronique381 pages5 heures

Sœur de sang

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À propos de ce livre électronique

Un tueur en série sévit sur la petite île de Serendipity au Canada.


Annie Hansen, une jeune détective privé schizophrène, est mise à l'épreuve pour résoudre les meurtres horribles du maire et du médecin local. Après l'arrivée du détective Mark Snow en renfort, les deux font équipe pour trouver le meurtrier.


L'enquête prend une tournure inattendue quand Annie et son petit ami Samir se retrouvent sur la liste des suspects. Est-ce qu'Annie, ou un de ses amis, est responsables de ces crimes effroyables?

LangueFrançais
ÉditeurNext Chapter
Date de sortie15 sept. 2023
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    Aperçu du livre

    Sœur de sang - Kenna McKinnon

    Chapitre

    Un

    Mon cellulaire me réveilla tôt. C’était la police.

    - Quelqu’un a frappé le médecin William Hubert sur la tête à l’aide d’un objet contondant la nuit dernière. Ils ont perforé son crâne avec un outil chirurgical pour en sortir son cerveau et le disposer en tas juste à côté de son crâne ensanglanté. Nous avons besoin de toi, Annie. Saute dans ta voiture.

    Cet appel me terrifia et me réveilla sur le champ. Je voulus réveiller Samir en le secouant, pour qu’il voit ma détresse et m’aide à me calmer. Même les voix dans ma tête restèrent bouche bée au début.

    Mes pieds, de grandeur dix, atterrirent le sol avec un bruit digne de Hulk.

    Mon colocataire, Samir, était dans le lit à côté, recroquevillé sous ses couvertures grises, en n’ayant aucune idée de ce qui m’arrivait. Son long corps noir avait l’air bosselé comme un crapaud brun. Samir avait été mon premier petit ami. C’était quelque chose, non ? Et me voici, à 24 ans et tout, en plus de ce problème mental.

    Je fis tourner le cercle de métal jaune bon marché sur mon annulaire gauche. J’avais rencontré Samir dans un cours d’anglais, seconde langue, où je faisais du bénévolat il y avait de cela quelques années sur cette île. Nous nous étions rapprochés : deux exclus qui peinaient à se payer une place en maison de transition à deux. Les services sociaux nous avaient laissé habiter ensemble dans la même chambre de pension à la seule condition que nous soyons mariés. Sans poser de questions.

    Les Powolski furent comme une famille d’accueil pour nous.

    Et puis, les voix dans ma tête se mirent à crier. Je pressai mes mains sur mes oreilles. Fais attention. Tu n’as pas écouté l’appel assez attentivement. Imbécile. Tout ça te dépasse. Cette affaire nécessitera bien plus que de travailler dur pour la résoudre, Tête de fer. Cela prendra des méninges et du cran et tu en as aucun.

    - Fils de… pouding, répondis-je. Allez-vous-en.

    Tu n’es qu’une fille ordinaire, avec tes cheveux décolorés blancs et tes dents de lapin. C’était une chance que ma personnalité compensait amplement. Avec mon mètre soixante-dix-neuf, j’étais une force à ne pas sous-estimer.

    Je baillai, pour essayer de faire entrer de l’air dans mes poumons. C’est ton cœur, imbécile, tu en mourras ! Non, cela n’avait rien à voir avec mon cœur. J’avais seulement 24 ans et j’étais solide comme le roc. Mon psy à Campbell River m’avait dit que l’anxiété me coupait le souffle, alors je baillais.

    Je repensai à l’appel reçu il y avait quelques minutes. Ils ont besoin de toi, Annie. Le médecin était aussi mort qu’une morue salée. Meurtre effroyable. Bouge-toi. Alors, je mis mon jean et mon chandail, puis je secouai Samir.

    Chapitre

    Deux

    - Les enfants, appela Mme Powolski de la cuisine. Le déjeuner est prêt et c’est le moment du paiement pour la chambre.

    Samir et moi payions à l’aide de mon salaire du ministère de la Justice et de sa pension. J’avais aussi mis un peu d’argent de côté. La pension de Samir était en fait une prestation du Régime de pensions du Canada pour les handicapés graves. Même s’il n’avait que 21 ans, il en recevait à cause de ses mauvaises jambes.

    À mon avis, Samir n’était pas handicapé. Il était d’une certaine façon invalide, comme moi, mais ce n’était pas un handicap, à moins de le laisser le devenir.

    - J’ai du travail aujourd’hui, à l’instant ! criai-je de la chambre. Je paierai ma part quand je serai de retour.

    Vous devez probablement vous demander quel était mon travail au ministère de la Justice. Je ne nettoyais pas et je ne travaillais pas non plus dans une cuisine. J’avais un emploi à temps partiel mais c’était une bonne place. Après tout, j’étais diplômée grâce au programme d’équivalences secondaires. J’avais survécu à l’école secondaire Central High de Vancouver à la dure, on pourrait dire que j’étais allée à l’école de la vie. Si ce n’était pas de l’agent Tom, qui m’avait arrêté pour vol l’an dernier, ainsi que le tribunal qui m’avait donné une seconde chance, je ne sais pas où je serais.

    J’avais fait des travaux communautaires pour Lorne O’Halloran, détective privé, pendant six mois. Puis, ils m’avaient engagé, tout naturellement, pour travailler sur l’île de Serendipity pour le ministère de la Justice. Oui, j’étais aussi bonne que ça. Je connais beaucoup les gens de la rue et ça m’était utile. Je n’avais aucun problème à dire que le salaire était généreux et que j’aimais mon travail.

    Je devais toujours rendre des comptes à Lorne, car c’était stipuler dans mon contrat. Ils pensaient que je ne pourrais travailler aussi bien avec quelqu’un d’autre qu’avec ce bon vieux Lorne O’Halloran, détective privé et adepte des machines à sous. Toutefois, c’était à ce moment que mes voix avaient pris le dessus.

    L’île était l’endroit parfait pour vivre et travailler, après le décès de ma mère suite à notre départ de Vancouver. Serendipity était grand pour un endroit dans les îles Gulf, avec une population florissante au compte de 1 200 âmes vigoureuses, dont cinq itinérants à ma connaissance et un problème de consommation de drogues et d’alcool à travers la population en général. On y retrouvait aussi une réserve indienne plus bas près du phare à Modge Bay et aussi près du la maison flottante que ma mère m’avait laissé. Je ne pouvais en faire ma résidence permanente à cause du jugement rendu au tribunal quatorze mois plus tôt, quand le juge m’avait ordonné d’aller vivre avec les Powolski.

    - Quoi, c’est encore le jour du paiement ? Satané loups-garous, vampires et propriétaires.

    Le crapaud grisâtre dans le lit à côté gigota et devint mon séduisant compagnon noir des six derniers mois. Samir frotta ses yeux injectés de sang.

    Je tirai sur le drapeau canadien épinglé à la fenêtre et je jetai un coup d’œil à l’extérieur. Il n’y avait que ce fidèle vagabond, attaché à un poteau au milieu de la cour, et il ne dormait pas plus que moi.

    Parfois, je voyais le soleil se lever à l’ouest, et non à l’est, telle une énorme orange tachetée qui mettait le ciel en feu. C’étaient les moments où Dieu me parlait. Ou que le Diable me faisait signe.

    Samir me disait alors que j’hallucinais et que j’entendais des voix car j’étais foldingue et qu’un détective privé ne devrait pas l’être. Je voyais les voix et les visions comme une aide précieuse : les visions m’éclairaient et les voix me permettaient de sortir des sentiers battus. J’avais conscience que les voix et les visions provenaient de mon propre ego et, quelques fois, du plus profond de mon subconscient. Dans un sens, je me parlais à moi-même et mon subconscient était une force puissante. C’était ce que dirait Jung.

    Chapitre

    Trois

    Samir avait enfilé une paire de jeans et il portait encore une chemise de nuit surdimensionnée. Il boitilla jusqu’à la toilette. Si j’avais été sa mère, la première chose que j’aurais fait, ça aurait été de lui faire faire de la physiothérapie après que les soldats lui avaient cassé les jambes. Ou, du moins, voir un médecin. Je supposais que les médecins et les physiothérapeutes se faisaient rares au Soudan. J’aurais tout de même essayé.

    Maintenant, il se retrouvait, à vingt-et-un ans, à devoir se faire recasser les os et poser une attelle pour que tout guérisse correctement, chez un ostéopathe à Campbell River ou peut-être même dans une clinique raffinée de Vancouver.

    Samir grogna quelque chose en retour, mais je ne compris pas bien. Un papillon bleu d’un mètre cinquante volait sur la porte de la salle de bain. C’était magnifique. Merci, visions. Puis, Mme Powolski appela à nouveau.

    J’entendis la chasse d’eau, puis des jurons africains provenant de la pièce voisine. Les jurons s’intensifièrent et mes voix répliquèrent faiblement. Je me mis à compter les taches sur le mur.

    - J’ai trébuché sur mon maudit jean.

    - Surveille où tu les descends alors, mon ange.

    - Mes jambes ne servent plus à rien. Je devrais juste me tuer. Bon matin.

    Puis, j’entendis la douche couler.

    Je lâchai le drapeau qui servait de rideau.

    - Bon, commençai-je à sa sortie de la douche, comment te tueras-tu cette fois ?

    Le sourire de Samir illumina de blanc son visage foncé.

    - Aucune idée. Je trouverai bien quelque chose, Annie.

    - Pourquoi as-tu pris une douche si tôt ce matin ? En général, tu attends après le petit déjeuner.

    - Ça ne te regarde pas, mon ange.

    Il me prit dans ses bras.

    - Tu sens tellement bon. Tu es sûr que ça va ? Tu as dormi comme une bûche toute la nuit.

    Je me dis qu’il serait temps de prendre mes médicaments, la moitié du moins. Alors, je me dirigeai vers la cuisine sur la pointe des pieds pour taire le murmure de mes voix durant quelques heures.

    Samir enfila un chandail sur son corps long et mince.

    - Comment devrais-je le faire à ton avis ?

    Je ne répondis pas.

    Il se pencha pour attacher ses Nikes boueux. Ce qu’il était beau.

    - Tu viens ?

    Je balayai une grosse peluche de ma chemise en flanelle.

    - Oui.

    Il attrapa sa canne.

    - Je suis prêt si tu l’es, Tin Pan Annie.

    J’avais réellement peur qu’il ne se tue un jour et que je ne pourrais l’en empêcher. Mes voix gardèrent le silence. Je me dis qu’elles étaient plutôt heureuses.

    Si seulement ces maudites voix pouvaient disparaître. Mon médecin m’avait aussi diagnostiqué un TOC, soit un trouble obsessionnel compulsif pour les gens non familiers avec les termes de psychiatre. Donc, en gros, je ruminais beaucoup et je comptais. Je comptais à peu près tout, sur mes doigts, sous la table si possible.

    - Il est temps de descendre prendre le petit déjeuner, annonçai-je à Samir, qui boitilla derrière moi dans les marches recouvertes de tapis. Et temps de commencer la journée.

    - Oh, bon sang, marmonna-t-il en donnant un coup avec sa canne.

    - Et temps de rejoindre les Powolski et les regarder nourrir leurs maudits animaux avant que ce ne soit nous qui mangent dans l’auge.

    - Mme Powolski est une bonne cuisinière.

    - Et moi, je veux en finir.

    - Je peux t’arranger ça.

    - Ha, ha. Très drôle, Annie. J’étais sérieux cette fois.

    - Tu as une gueule de bois, Samir. Tu passeras au travers.

    En descendant l’escalier, je me mis à siffler. Il grogna au moment où l’on atteignait la dernière marche.

    Chapitre

    Quatre

    Dehors sur la pelouse brunâtre, des feuilles séchées tournoyaient et s’envolaient. On entendait le chien aboyer derrière. Le café était prêt et le bacon sautait dans la poêle. Mme Powolski agita les tranches graisseuses et ouvrit quelques œufs. Son mari en surpoids était assis, ses pouces accrochés à ses bretelles.

    - Bon matin, les enfants.

    Je souris.

    - Pourrais-je avoir mes médicaments, je vous prie, Mme P.

    Elle devait garder un œil sur nous et cela incluait de me donner mes pilules. Les règles d’une maison d’accueil. Je les détestais.

    Samir tituba à son entrée dans la pièce et il s’assit sur une des vraies chaises antiques qui arrivaient à soutenir le poids de M. Powolski.

    - Je dois sortir tôt ce matin, dis-je. Je me sens bien et j’ai du travail.

    - Habille-toi chaudement, me répondit Mme Powolski. Tu vas mourir de froid, sinon.

    - Ça va.

    Samir rejeta la tête en arrière et rit.

    - Puis-je y aller aussi ? J’aimerais bien mourir aussi.

    - Il veut se tuer, expliquai-je.

    Pour terminer ma routine matinale, je comptai jusqu’à vingt avec mes doigts, deux fois, sous la table, avant d’attaquer mon petit déjeuner.

    - Quelqu’un va se faire attraper ! explosa M. Powolski.

    - Quelqu’un a passé l’arme gauche. Sinon, tu n’aurais pas l’air aussi heureuse, jeune fille. J’ai entendu ton portable sonner tôt ce matin. Ça ne pouvait signifier que des mauvaises nouvelles pour quelqu’un.

    - Ça signifie que notre détective privé ici présente a du travail.

    Samir se lécha les doigts.

    - Plus de bacon, s’il vous plaît.

    - Oui, j’ai reçu un appel tôt ce matin du poste de police, dis-je. Tu as raison, mon ange Samir, je dois aller travailler.

    - Je l’ai su bien assez tôt, répondit-il.

    Je ne peux m’en empêcher, mon esprit analytique entrait en action et je faisais des liens auxquels la plupart des gens ne penseraient pas. Je n’y pouvais rien si mes amis se confondaient avec les ennemis.

    Tu ne peux pas lui faire confiance. Il ne dort dans la même chambre que toi que parce qu’il veut l’argent des services sociaux, il n’en a rien à faire de ton corps moche, ma jolie. Personne n’en voudrait. Il a probablement discuté avec le coroner la nuit dernière, ils sont de mèche, exactement comme le bureau du ministère de la Justice, ils sont au courant de tout ce qu’on fait.

    Je recommençai à compter sur mes doigts. Je pouvais assurément compter sur Samir. Il était la seule personne sur laquelle je pouvais compter dans ce trou à rats de ville. Pourquoi dis-tu ça, petite sorcière ? Tu sais bien que tu l’aimes cette ville. Elle est exactement comme toi, étroite d’esprit et vilaine.

    - Je ne suis pas petite, répondis-je aux voix. J’ai de gros os et je suis grande.

    - Quoi ? s’enquit Mme Powolski.

    - Je suis ce qu’on appelle une amazone, dis-je.

    Je vérifiai sur mon portable si j’avais reçu d’autres appels, puis j’allai prendre une douche. Samir fut prêt avant moi et il sortit avant même que j’eus enfilé mes chaussures. Il faisait toujours des mouvements rapides. Tout comme un liquide, il était là puis il ne l’était plus.

    Bon sang, Samir était un soudanais très séduisant. Si nous avions des bébés, ils seraient bien plus adorables que moi.

    Chapitre

    Cinq

    Samir était à l’hôtel Serendipity, en train d’avoir sa première querelle de la journée, quand mon scooter Vespa et moi klaxonnèrent devant le vieil immeuble blanc, puis passâmes devant l’insigne disant « Crêpes et steaks, les mardis à volonté ». Je remarquai qu’ils avaient arraché des trottoirs à nouveau et une odeur d’asphalte fraîche flottait dans l’air. J’arrivai en trombe au bureau de Lorne O’Halloran, détective privé. Il était mon patron depuis que j’avais volé ce butin et que j’avais été condamné à des travaux communautaires avec liberté conditionnelle sous sa supervision.

    J’avais rencontré Samir et ses amis soudanais lors d’un cours d’anglais, seconde langue, que j’enseignais volontairement. Un heureux hasard ! Puis, j’avais été envoyée dans la maison d’accueil des Powolski et Samir y était. Étant donné que ma mère m’avait légué sa maison flottante après sa mort, j’étais contrariée qu’ils ne me laissent pas y rester, mais j’avais de grands espoirs qu’ils me laissent tranquilles, et éventuellement, d’être graciée par Erna du ministère de la Justice à Victoria. Ma liberté conditionnelle était terminée, maintenant je recevais un salaire pour travailler sous les ordres de Lorne, car j’étais une méchante bonne détective.

    Je garai le scooter et je montai l’escalier quatre à quatre jusqu’au bureau de Lorne. Il ne parut pas surpris de me voir. - Le médecin, dit-il. - Vous êtes au courant.

    Il replaça quelques papiers sur son bureau.

    - Oui. Que sais-tu ? s’enquit-il.

    Lorne prit une gorgée de café noir et écrasa son cigare dans un cendrier en forme de fer à cheval. Edmonton, Alberta était gravé dans le demi-cercle en métal. Le visage de Lorne était rond ainsi que tout son corps. Lorne était obèse, chauve et bruyant. Il me faisait penser à M. Powolski.

    - Le médecin est aussi mort qu’un insecte écrasé. Mais tu as reçu l’appel, non ? Quelqu’un est très dérangé, à mon avis. La sécurité, ou peut-être le concierge, a trouvé la porte ouverte et a appelé la police. Le médecin était sur le sol et les verrous étaient intacts. Le ministère de la Justice à Victoria nous a refilé l’enquête, car il cherche quelqu’un en qui les gens de la rue ont confiance. L’agent Tom et le sergent ont travaillé dessus toute la nuit.

    - Hmm, il y a peut-être deux ou trois personnes que je connais, quand elles ont pris trop de drogues, qui pourraient être dangereuses, mais nous n’avons aucun psychopathe dans cette ville à part moi, pour ce que j’en sais. Et ça prendrait vraiment un psychopathe pour faire ça. C’est une enquête vraiment tordue, vous avez raison. Donnez-moi un instant pour rendre mes œufs et mon bacon gras.

    Je ne vomis pas, bien entendu, mais cette enquête me rendait malade chaque fois que j’imaginais le cerveau visqueux du médecin répandu sur le plancher et le trou dans son crâne.

    La victime n’était pas un ami, mais je le connaissais. Tout le monde connaissait le D r Hubert, trafiquant haut-de-gamme de pilules, mais il ne méritait pas ça. Je redressai mon corps robuste un peu plus et je souris. D’un autre côté, c’était du travail pour Lorne et moi. J’avais la résistance d’un camion Peterbilt et j’adorais salir mes mains d’un blanc immaculé. Mais on parlait bien d’une perceuse chirurgicale dans le crâne ? C’était épouvantable !

    Même mes voix restèrent silencieuses, probablement consternée qu’une autre personne y ait pensé avant elles. Je n’aurais pas été étonnée si elles l’avaient suggéré, mais ce n’était jamais arrivé. Je frémis, puis je comptai les taches de rousseur sur le dos de la main de Lorne. Et maintenant ?

    - L’impossible prend seulement un peu plus de temps. L’enquête est à nous, Annie. Victoria nous a appelé, comme je te l’ai mentionné, et ils ont spécifiquement demandé à ce que ce soit toi.

    - Les patients de la victime étaient des toxicomanes et des accros à la métamphétamine qui essayaient de se reprendre en main. N’importe lequel d’entre eux pourrait l’avoir tué après une bonne dose de méthadone.

    - Oui. Un des cinq itinérants. Ou c’est ça que nous sommes censés croire. C’est à nous de sortir pour découvrir qui a commis ce meurtre.

    L’île de Serendipity était une île assez vaste pour la région des îles Gulf, elle possédait une petite ville située à travers des falaises, des montagnes et des berges.

    - C’est à moi de jouer, vous voulez dire.

    Je me grattai une dent avec le coin d’un ongle et je soupirai.

    - Où devrais-je commencer ? continuai-je. N’importe lequel des mecs vivant dans la rue, cherchant leur prochaine dose, ayant besoin d’argent et tombant sur un médecin décidé à ne pas leur donner plus de méthadone, pourrait l’avoir frappé sur la tête avec... quoi donc ?

    - Un objet contondant pour l’assommer en premier et la perceuse ensuite.

    Je réfléchis. Longuement. Les voix ont murmuré dans ma tête. Idiote. Tu ne résoudras jamais l’enquête. Comment as-tu pu croire que tu réussirais dans ce métier ? Je parlai fort dans le but de les noyer et de faire croire que je ne les entendais pas.

    - D r Hubert avait toutes sortes d’instruments qui auraient pu servir à l’assommer. Il était âgé, gras comme une tranche de bacon d’un magasin à un dollar et il était une proie aussi facile qu’un taureau sans cornes.

    - Aucun des instruments n’a disparu. L’infirmière a déclaré qu’aucun ne manque à l’appel, incluant la perceuse ensanglantée, et qu’elle a quitté tard hier et que le médecin se préparait aussi à partir.

    - Vraiment ? demandai-je en m’assoyant.

    Peut-être que cela s’annonçait moins compliqué finalement.

    - Non, répondit Lorne, en lisant dans mes pensées. L’infirmière n’a rien à voir avec le meurtre de son patron. Le gardien de sécurité Eddie nous a affirmé qu’il l’a vu rentrer chez elle avant vingt-deux heures et le concierge l’a confirmé. Le médecin légiste place l’heure de la mort juste avant minuit.

    - Peut-être qu’elle est revenue, dis-je, en pensant à toutes les options. Est-ce qu’Eddie a un alibi ?

    - Je sais ce que tu penses, répondit Lorne en s’allumant un autre cigare. Le gardien a les clés.

    - Oui.

    - Il a un alibi. Le concierge était aussi avec lui cette nuit-là, à l’heure de la mort, établie par la police scientifique à quelques minutes avant minuit.

    Ce sont deux amis à moi.

    Je soupirai de soulagement. Ce n’était pas un métier pour les âmes sensibles, mais c’était mieux quand les suspects étaient des étrangers ou des connaissances que des amis. Mes émotions n’interféraient jamais dans mon travail, mais j’étais une amazone humaine après tout. Je souris.

    Chapitre

    Six

    - Le mieux serait d’aller examiner la scène de crime, grogna Lorne. Cela te donnerait une idée de ce à quoi nous avons affaire.

    Nous montâmes dans sa fourgonnette, avec ma Vespa planquée à l’arrière. Nous arrivâmes rapidement à l’immeuble du D r Hubert. Tout était à environ dix minutes dans cette ville.

    Nous prîmes l’ascenseur pour grimper au deuxième étage. Lorne avait la clé pour entrer. Il nous ouvrit. Les agents avaient laissé des rubans fluorescents pour délimiter la scène de crime et des marques de craie sur le plancher. Une personne avait essayé de nettoyer le sang. Il restait tout de même des taches sur le sol, ainsi que sur le dessus et le côté du comptoir, où la perceuse brillait et dégoulinait.

    - La police reviendra plus tard, dit Lorne. J’ai l’autorisation, alors tu peux y aller, Annie, tu es avec moi.

    - Merci, marmonnai-je, en réfléchissant tout en comptant dans ma respiration. Heureusement, le corps avait été emporté, ne laissant qu’une tache sur le tapis. Environ un mètre plus loin, une trace humide avec quelques nouilles rouges enroulées laissait croire à un restant de dîner.

    - Du cerveau ? demandai-je.

    J’étais curieuse. J’en voyais pour la première fois.

    - Pourquoi les agents ont-ils laissé l’arme du crime ici ?

    - Ils attendent la GRC qui reprendra l’enquête.

    La gendarmerie royale du Canada signifiait qu’on jouait dans la grosse ligue, plus la même que celle de l’agent Tom et du sergent.

    Je regardai tout autour de la pièce. - À quelle heure l’infirmière commence-t-elle généralement son travail ?

    - As-tu déjà vu son infirmière ? Elle a la grandeur d’un passereau. Elle n’aurait jamais la force d’assommer ce vieux Hubert, même en le prenant par surprise. Tu as raison, par contre, elle aurait les connaissances nécessaires pour retirer son cerveau.

    - C’était un homme imposant, répondis-je en signe d’approbation.

    - Il aurait fallu qu’il soit déjà inconscient. Quelqu’un devait être très en colère ou complètement fou pour faire tout ça.

    - Premier indice, soufflai-je en comptant. Une personne est entrée malgré la porte verrouillée et les clés ont disparu.

    - C’était la routine du médecin de verrouiller les portes avant de partir, ainsi que de faire un peu de rangement, comme verrouiller la méthadone, fermer les rideaux, vérifier toutes les portes et allumer l’alarme. Il rentrait chez lui ensuite. N’importe qui pouvait connaître ses habitudes et son heure de départ chaque soir, il était réglé comme une horloge, expliqua Lorne.

    D’une main, je comptai avec mes doigts sous la table pour ne pas qu’il le remarque.

    - Mince alors, j’avais oublié l’alarme. Pourquoi n’a-t-elle pas sonné ?

    - Car il était encore à l’intérieur quand le meurtrier est entré. Il attendait toujours d’être prêt à sortir de l’immeuble avant d’enclencher l’alarme. Aucune trace d’effraction n’était visible. Nous savons qu’il gardait toujours ses clés dans le tiroir de son bureau.

    - Et malheureusement, tout le monde le savait aussi, ajoutai-je. D r Hubert fait partie des meubles depuis cent ans. Ses habitudes sont de notoriété publique. Et c’est bien dommage pour lui. Pauvre homme.

    - Je pense qu’on avait déjà décidé qu’il connaissait l’intrus, dit Lorne.

    Il fronça les sourcils à la vue de mes ongles rongés, du moins, c’était mon impression.

    - On ne discute pas les goûts. Mais il avait vraiment l’air d’attendre après quelqu’un.

    La cafetière dans le coin était allumée et encore pleine. Je m’y dirigeai pour l’arrêter, contournant la perceuse du même coup. Je frémis.

    Le détective privé renifla.

    - Nous devons faire mieux que ça, Annie. Le ministère de la Justice veut ma peau.

    - Seulement parce que tu te présentes aux prochaines élections en tant que maire.

    - J’ai une réelle chance de gagner également. Ils sont jaloux. J’ai une bonne réputation avec le personnel médical et les cliniques et je suis reconnu dans la communauté.

    J’avais déjà entendu tout ça. Le mieux était de lui lécher les bottes.

    - Je pourrais être en train de discuter avec le prochain maire, Lorne.

    Le contour de sa bouche esquissa un sourire.

    - Si nous résolvons cette enquête pour le ministère, je suis persuadé que la ville sera très reconnaissante. Le médecin faisait partie des meubles depuis plus de vingt ans. Il donnait généreusement à chaque campagne et il était bien connu. Il sera regretté. Je pourrais tout naturellement faire une arrestation et une inculpation avec succès.

    Correction. Si moi, je résolvais cette enquête.

    - Il ou elle, tu veux dire. Quelqu’un l’a abattu, puis lui a transpercé le crâne.

    - Ça prenait quelqu’un de fort, acquiesça Lorne. Le vieux n’était pas un poids plume.

    - Oui. Un ami peut-être ? Ou un toxicomane qu’il essayait d’aider ?

    Les doigts tachés par la nicotine de Lorne parcoururent le Rolodex placé à côté des casiers postaux.

    Je cherchai dans les armoires, espérant trouver un carnet de rendez-vous.

    Mes voix hurlèrent. Qui tient encore des traces papier de nos jours, Annie Tin Pan Alley ? Cherche plus loin. Tu n’essaies pas assez fort. On est au vingt-et-unième siècle.

    - Il gardait sa liste de clients privée. Ton travail est d’aller dans la rue pour y retrouver le coupable, me dit Lorne.

    Il se dandina jusqu’à l’autre bout de la pièce pour se verser du café tiède dans une tasse sale.

    - Moi ? Je dois risquer ma vie pour un trafiquant haut-de-gamme ?

    Lorne cogna sa tasse de café sur le bureau.

    - Tu es payée pour suivre mes ordres. Tout comme tu es payée pour aller dans la rue.

    - Oui, patron.

    Je regardai autour. Un rhinocéros rose flottait dans le coin derrière le classeur. Je clignai

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