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Les LES AFFAMES
Les LES AFFAMES
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Livre électronique405 pages5 heures

Les LES AFFAMES

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À propos de ce livre électronique

Mina Kovicha, une jeune femme avide de liberté, est emprisonnée sous terre à l’autre bout du monde. Son crime : un coup d’État manqué contre l’empereur Kova, dont la famille oppresse son monde depuis bientôt trois cents ans.  Elle s’évade quelques mois plus tard et, au milieu d’une jungle hostile dans un pays qui n’est pas le sien, aux côtés des pires criminels de tout l’empire, elle va mettre au point un plan afin de réaliser l’impossible : renverser la dictature de la famille Kova. Entre deux attaques de chimères mangeuses d’hommes et d’armées privées qui luttent pour le contrôle d’une drogue locale appelée le Spark, Mina sera-t-elle en mesure de concrétiser ce projet aux proportions démesurées ? Sans compter les phénomènes surnaturels de plus en plus inquiétants, qui changent la personnalité des gens autour d’elle… 
LangueFrançais
Date de sortie6 mars 2023
ISBN9782897757427
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    Aperçu du livre

    Les LES AFFAMES - Marilyn Boissonneault

    1.

    Mina emplit ses poumons de l’air de la nuit. La jeune femme aimait le silence de la ville endormie et s’imprégna de cette légèreté d’exister qu’elle ressentait jusqu’au fond de ses os, alors qu’elle marchait à travers les rues de son quartier. Le ciel étoilé lui rappelait les soirs d’été passés à boire de la bière dans la cour avec sa mère et à essayer de la convaincre qu’il valait la peine de se battre pour bâtir un monde différent, meilleur, un monde où, au moins, elles ne seraient pas surveillées en permanence.

    Mina pressa le pas pour s’en retourner vers sa maison, consciente que la police militaire allait probablement la repérer et l’arrêter très bientôt pour être sortie après son stupide couvre-feu. Depuis l’épidémie qui avait ravagé le pays près de trois cents ans plus tôt, Efitra était sous le contrôle de l’armée impériale et dirigée par la main de fer de la famille Kova, de père en fils, dont les ramifications du pouvoir s’étendaient maintenant à la quasi-totalité du globe. Rien ne laissait présager un retour à un système démocratique dans un futur proche. Et pourtant, même si elle avait toujours vécu sous le joug de l’empereur Deni Kova, Mina ne pouvait s’empêcher d’imaginer, dans son jeune esprit avide de liberté, ce que serait le monde sans des gardes armés à chaque coin de rue.

    Un son étrange, provenant de la cour arrière d’une des résidences et semblable à celui que produit quelqu’un qui fouille énergiquement, attira son attention. Elle ralentit le pas et tenta un peu naïvement de l’identifier.

    Serait-ce un chien abandonné en train de gratter ? Le bruit d’un moteur rugi au loin. Elle savait qu’elle se ferait coincer par des soldats et jeter en prison s’ils la surprenaient. Mina décida d’aller se planquer dans l’arrière-cour clôturée d’une maison en attendant que la patrouille passe. Les occupants de la maison étaient d’ordinaire plutôt bruyants et on pouvait les entendre se crier des bêtises à toute heure du jour, mais aujourd’hui, la maison était silencieuse et plongée dans le noir. Même s’ils ne possédaient pas de voiture pour se déplacer, Mina en déduit qu’ils étaient sortis. Ils avaient dû laisser le chien dehors et c’était lui qui creusait des trous.

    Mina s’assura qu’elle avait toujours le petit pistolet dans son étui sous son aisselle, caché sous son manteau, et se dirigea vers la porte en bois donnant sur la cour de la résidence quelques mètres plus loin. Les grains de sable transportés par le vent froid du désert lui égratignaient le visage et la forcèrent à garder ses yeux mi-clos. Le son d’un glissement se fit entendre derrière la porte et Mina hésita à la franchir. Le chien n’aboyait pas. Le vrombissement du moteur se rapprochait de plus en plus et elle n’avait plus le temps d’aller chez un autre voisin.

    Elle agrippa la crosse de son revolver, souleva le loquet et poussa la porte du jardin. La jeune femme la referma au moment même où les phares de la voiture de patrouille illuminaient la rue. Elle serra dans le creux de sa main la pierre précieuse qui pendait à son cou.

    On l’a échappé belle encore une fois, papa.

    Un craquement sec provenant du jardin la fit sursauter et elle se retourna vivement. Pistolet devant elle, la jeune femme avança avec précaution vers la source du bruit, qui ressemblait à s’y méprendre à quelqu’un mastiquant quelque chose de dur.

    C’est pour ça que le chien n’a pas aboyé ? Il est trop occupé à gruger un os ?

    La silhouette d’une créature énorme, mesurant au moins deux mètres de large et autant de haut, assise dans la pelouse brûlée par le soleil, se matérialisa alors entre deux cèdres rabougris. Une longue queue semblable à un serpent géant se tortillait au sol, et la silhouette massive, rappelant celle d’un homme au torse et aux épaules trop larges pour le reste de son corps, était accentuée par une crinière de longues et fines épines. Des dizaines de dards pointus prenaient racine au sommet de son crâne et descendaient sur ses épaules, et d’énormes épines dorsales, larges comme la jambe d’un adulte, se dressaient dans son dos. La créature qui lui tournait le dos ne semblait pas avoir encore remarqué la présence de Mina, car elle était en train de dévorer un animal mort. La jeune femme réprima un violent haut-le-cœur.

    Cette horreur a mangé le chien des voisins !

    Mina rebroussa chemin, à petits pas feutrés, sa priorité étant de déguerpir, le danger de la police ayant été écarté. Et elle n’avait aucune intention d’interrompre le souper du monstre qui avait élu domicile chez les voisins.

    Elle marcha sur ce qu’elle crut être une motte de terre durcie et faillit perdre pied. Malheureusement, ce n’était pas de la terre ou une pierre, mais un pied humain dans son soulier, arraché à la cheville. Mina reconnut la chaussure de l’adolescent qui vivait dans la maison. Elle échappa un cri de surprise et mit sa main devant sa bouche trop tard. La créature assise dans la cour cessa de manger et se retourna. Deux yeux reptiliens brillants comme des lucioles fixaient la jeune femme.

    Le profil du monstre lui évoquait celui d’un félin, même si elle ne pouvait pas vraiment en distinguer les traits dans l’obscurité.

    Mina rassembla toutes ses forces pour que ses mains cessent de trembler, puis souleva lentement son bras et pointa son pistolet sur la créature. Celle-ci ne sembla pas vraiment ennuyée par cette intrusion et continua plutôt à lécher les os dispersés sur le sol et à se nettoyer les dents avec ses longues griffes noires. Mina était couverte de sueurs froides. Elle comprit avec effroi que les propriétaires de la maison gisaient maintenant dans l’estomac du monstre, à l’exception du pied qu’elle avait trouvé, et peut-être d’une main oubliée dans la haie par mégarde. Les parents, les enfants, le chien, le hamster, ils y étaient tous passés. L’air de la nuit était maintenant glacial et ses mains moites tremblaient. Elle aurait voulu, non, il aurait vraiment fallu qu’elle appelle la police ou les services d’urgence, mais Mina ne pouvait que tenir son revolver.

     Je m’en vais et on oublie tout ça, d’accord ? Je n’ai rien vu ! balbutia-t-elle à l’intention de la créature.

    Le monstre se releva ; il devait bien faire trois mètres de haut. Sa silhouette imposante à elle seule signalait clairement la nature violente du carnivore. Il s’étira puis se gratta le ventre, ignorant la balle qui ricocha sur lui. La détonation fit un vacarme assourdissant dans le quartier résidentiel et quelques lumières s’allumèrent dans les maisons.

    La chimère géante se traîna nonchalamment vers la jeune femme qui jurait en silence, en enlevant avec une griffe, d’un mouvement presque insolent, un dernier morceau de quelqu’un pris entre ses molaires.

    Je… je vais crever ? C’est ça, la mort ?

    Mina vida son chargeur sur la créature, dont tout le contenu ricocha chez les voisins, qui s’agglutinaient aux fenêtres.

    Ses yeux se remplirent de larmes et elle serra son pendentif dans le creux de sa main.

    Je ne peux rien faire !

    Le visage de la jeune fille prise de sanglots hystériques, déformé par la peur viscérale d’être dévorée vivante, semblait amuser grandement la chimère. Pour peu, Mina jura qu’elle avait souri, mais sa vision était embrouillée par ses pleurs et elle était à un cheveu de se pisser dessus. La chimère s’accroupit devant elle et approcha son museau de son visage, la reniflant comme un chien. Ses dents acérées étaient bien évidentes et son haleine de viande hachée frappa Mina au visage. La créature grogna et empoignait son manteau par le collet quand la porte de bois se fracassa et qu’une dizaine d’hommes se précipitèrent dans la petite cour. Chaque soldat était vêtu d’une combinaison sombre et protégé par un plastron, des protège-tibias, des protège-coudes et un casque de moto aux visières rabattues. Ils tenaient dans leurs mains gantés de longs bâtons dont la pointe crépitait d’éclairs bleus.

    Une dizaine de pointes électrifiées s’enfoncèrent dans la chair de la créature, qui relâcha Mina. Le monstre rugit en donnant de grands coups de griffes et de queue. Quelqu’un déposa une couverture sur les épaules de Mina, abasourdie. Confuse et aveuglée par les décharges électriques grésillant à quelques mètres d’elle, un policier dut l’aider à se remettre sur pied.

    Les hommes luttèrent bravement contre le monstre et d’autres se joignirent à eux, assaillant la chimère d’une vingtaine de pointes électrifiées qui l’obligèrent enfin à plier des genoux.

    Un hélicoptère traçait des cercles dans le ciel au-dessus de leurs têtes et des dizaines de voitures de patrouille noires aux gyrophares rouges tournoyants étaient stationnées dans la rue à l’avant de la maison, bloquant toute circulation, ce qui ajoutait à l’atmosphère surnaturelle de la scène. La jeune femme épongea la sueur froide de son front avec un coin de la couverture et un agent l’escorta vers les voitures.

    Le monstre, maîtrisé et enchaîné, fut dirigé à coups de fouets électriques vers un grand conteneur métallique posé au milieu de la route. Mina pu voir en détails sa silhouette robuste, les plaques de métal ornant son corps comme une armure, sa crinière éparse, ses épines dorsales tranchantes, sa longue queue massive et ses jambes incurvées vers l’arrière. Ses pieds se terminaient par de longues griffes noires qui s’enfoncèrent dans le métal de la passerelle sur laquelle les soldats le forçaient à monter. Son visage rappelait définitivement celui d’un félin. Mina se demandait vraiment d’où une telle monstruosité pouvait bien sortir et comment elle avait réussi à se rendre aussi loin en ville sans se faire repérer.

    Les pales tournoyantes de l’hélicoptère en marche soulevaient allègrement le sable et l’envoyaient valser dans tous les sens. L’hélicoptère quitta le sol et emporta le conteneur, soutenu par de gigantesques câbles d’acier. Toute cette commotion faisait tache dans la nuit si calme quelques instants auparavant. Les gens étaient toujours collés à leurs fenêtres, mais n’osaient pas sortir, car ils avaient vu le monstre, eux aussi. Et ils l’avaient vu, elle. Une dame de l’âge de la mère de Mina parlait au téléphone tout en observant la scène avec grand intérêt. Mina ne put s’empêcher de lui tirer la langue quand leurs regards se croisèrent.

    Pas besoin d’appeler la police, madame Noversky, elle est déjà là. Ma mère sait que je suis sortie, ne vous inquiétez pas. Et non, je n’apprendrai jamais. Allez vous faire voir et mêlez-vous donc de vos putains d’oignons, madame Noversky !

    Un militaire dans la cinquantaine, petit et trapu, aux favoris poivre et sel, vint à la rencontre de Mina et du policier qui l’escortait. Comme en témoignait les quatre lignes noires cousues à chaque épaule de sa chemise, ce devait être sans aucun doute un colonel ou même un général, et il n’était clairement pas enchanté par la situation. Son visage était rouge et il transpirait abondamment dans son uniforme militaire beige plein de poches.

    — Vous, vous êtes dans un sérieux pétrin ! déclara-t-il en la pointant sévèrement du doigt.

    Un garde impérial empoigna brusquement le bras de Mina en l’entraînant vers une des voitures. Elle aurait voulu que quelqu’un lui confirme qu’on l’amenait au poste de police, comme chaque fois, qu’elle pourrait appeler sa mère, comme chaque fois, et qu’elle s’en sortirait avec quelques jours de détention et des travaux communautaires, comme chaque fois. Elle n’avait rien fait de grave, après tout. Mais Mina avait le pressentiment que ce ne serait pas comme les autres fois, à cause de ce monstre étrange. Sa gorge se noua car elle avait l’horrible impression qu’elle ne reverrait pas sa mère de sitôt.

    Le garde menotta la jeune femme et la poussa à l’intérieur d’un des véhicules de police stationnés dans la rue sans plus de cérémonie. Le chauffeur, le visage caché lui aussi sous un casque, démarra la voiture.

    Alors que l’auto se frayait un chemin entre les autres véhicules, le cœur de Mina se serra, car ils n’allaient pas en direction du poste de police.

    2.

    Andrei avait le même visage que trois jours auparavant, rouge et en sueur, confirmé par son reflet dans le miroir de la salle de bain. Il prit une fiole qui se trouvait en permanence dans la poche droite de son pantalon et goba un comprimé. Il ouvrit le robinet et y but directement quelques gorgées d’eau fraîche.

    — Allez mon vieux, tu fais la bonne chose. 

    Il remit son chapeau de général de l’armée impériale, revigoré, s’empara du dossier qui l’attendait à l’autre bout du comptoir et s’en alla d’un pas assuré vers son bureau. Il avait fière allure, malgré son uniforme beige blanchi à force d’être exposé aux éléments et les longues marques foncées de sueur qui tachaient les côtés de sa chemise. Il avait oublié de demander à sa femme de faire la lessive tellement il avait été submergé par le boulot dans les derniers jours… quoiqu’elle ne l’aurait probablement pas fait de toute manière. Nata ne lui avait pas adressé la parole depuis leur dernière dispute d’il y a trois jours. C’était ce qui l’avait poussé à sortir de la maison et à aller bosser ce soir-là, le nagarr errant en ville lui donnant par ailleurs le prétexte parfait.

    Le spectacle qui l’attendait à son bureau était des plus pathétiques. La jeune femme, qui devait être proche de la trentaine, semblait avoir perdu dix kilos en trois jours tellement elle se faisait petite sur la chaise où elle était assise. Elle avait les yeux rouges de fatigue, et probablement aussi à force de pleurer.

    Son estomac gargouillait et elle léchait ses lèvres fendues continuellement, comme si sa salive allait la réhydrater. Ses vêtements étaient déchirés, elle sentait la merde et la pisse, et devait rêver de prendre une douche. Elle avait été interrogée durant les trois jours précédents et, entre autres, rouée de coups et privée de nourriture. Ses cheveux courts étaient un tapon de mèches entremêlées et huileuses semblables à une bestiole morte. Ses mains étaient noircies et ses ongles brisés, et son épaule droite était démise, comme en témoignait l’écharpe de fortune qui lui maintenait le bras en place. Les ecchymoses sur son visage et les rougeurs qui lui parsemaient les bras trahissaient son entêtement à garder le silence. Il se doutait aussi que ses vêtements devaient cacher un arc-en-ciel. Le matin du troisième jour à se faire questionner, elle avait craqué et balancé tout ce qu’elle savait sur les groupes rebelles dont elle connaissait l’existence. Il avait été surpris d’en apprendre autant, pour être honnête.

    Le bureau non plus n’était pas un exemple de propreté, l’équipe de ménage ayant été la première victime des compressions budgétaires. La poussière et le sable s’empilaient depuis un bon moment déjà et il dut essuyer un bon trois centimètres de cochonneries pour que son nom inscrit sur la plaque posée sur le coin droit du petit bureau soit lisible : « Général A. Prostova ».

    Il lança le dossier dans la poussière avant de s’asseoir mollement dans un large fauteuil. Le général ouvrit la chemise posée sur le bureau et lut son contenu sans dire un mot. Il jeta quelques coups d’œil furtifs à la jeune femme entre la lecture de deux chefs d’accusations, découragé. Son dossier était épais malgré son jeune âge.

    Comme elle a grandi.

    Il leva les yeux, croisa les bras et dit, l’air grave :

    — Mina Kovicha.

    Il fit une pause avant de poursuivre. Ses orteils qui lui démangeaient accentuaient l’inconfort de la situation.

    — Tu t’impliques beaucoup depuis plusieurs mois au sein de groupes rebelles. Vous aimez déclencher des petits soulèvements ici et là, casser des vitrines et parfois même mettre des bombes dans des voitures, ce qui constitue des actes terroristes.

    Il se racla la gorge.

    Tu fais la bonne chose.

    — Les actions de ces groupes deviennent de plus en plus extrêmes et nous obligent maintenant à intervenir. Toi-même, personnellement, tu as enfreint la loi de nombreuses fois. Tu es un des suspects qui avait été identifié concernant l’explosion d’un commerce la semaine passée. Vous êtes allés trop loin cette fois, tu réalises que des gens sont morts dans cette explosion ? Tu pensais sûrement t’en tirer encore, mais cette fois, tu étais au mauvais endroit au mauvais moment, déclara-t-il.

    — C’était quoi, ce monstre ? demanda-t-elle faiblement sans lever les yeux.

    — Un nagarr.

    — Ah, comme dans les livres… très effrayant… 

    Le général se racla la gorge encore et poursuivit :

    — Je suis ici aujourd’hui pour t’aviser qu’à la lumière des informations que tu nous as fournies, nous allons procéder au démantèlement de l’organisation criminelle dont tu faisais partie. Pour démontrer notre bonne foi en échange de ces informations, tu seras transférée au centre de détention offrant le programme de réhabilitation et de réintégration des délinquants dangereux, à Osnar.

    — Ah, vous m’envoyez à l’autre bout du monde… déglutit-elle.

    — Tu préfères que je donne l’ordre de te faire fusiller ?

    Mina se tut et fit signe que non de la tête. Le général demanda une escorte au moyen d’un interphone sur son bureau.

    Elle a à peine réagi quand je lui ai dit que des gens étaient morts à cause d’elle.

    Deux soldats vêtus de noir et dont le visage était caché sous des casques de moto entrèrent presque aussitôt. Ils remirent un casque semblable à la jeune femme.

    — Pourquoi je dois me cacher ? demanda Mina en enfilant avec difficulté le casque avec sa main libre.

    Andrei poussa un long soupir.

    — Tu n’as pas compris ? Tu tiens vraiment à te faire fusiller ? Dégage maintenant ! Amenez-la !

    Aussitôt les gardes et leur prisonnière partis, Andrei composa le numéro de téléphone de Sasha, la mère de Mina. Il retira ses chaussures et ses bas et se gratta les orteils, tout en songeant à la manière dont il annoncerait la nouvelle à sa vieille amie. Sa voix douce mais ferme résonna dans son oreille et son cœur fit plusieurs bonds dans sa poitrine. L’image de la plantureuse blonde lui revint en mémoire et le morceau de viande dans ses culottes s’agita. Il défit le bouton du haut de sa chemise, pris d’une soudaine bouffée de chaleur.

    — Salut Sasha, j’ai quelque chose à t’annoncer. J’espère que tu es assise. 

    — Ah ! Andrei ! Ton enquête avance ? 

    — Je ne veux pas te parler de ça aujourd’hui. Ta fille… Mina vient de partir à Osnar, pour aller dans une prison à sécurité super maximale. C’est une prison souterraine où on enferme les gens qu’on veut faire disparaître sans faire de vagues, si tu vois ce que je veux dire. 

    — Oh ! Andrei… Tu as empêché son exécution ! Merci ! Merci ! Merci ! Il y eut un léger trémolo dans sa voix et il l’entendit renifler.

    Il imagina des larmes glisser le long des joues dorées de cette femme et il ne put empêcher ses yeux de s’emplir d’eau aussi, tant l’image l’émut, en tant qu’homme, et en tant que parent également.

    J’ai fait la bonne chose.

    — Elle a eu une chance incroyable que je sois de service et que son dossier soit tombé entre mes mains, Sasha. J’ai dû la faire interroger, par contre, c’est pour ça que tu n’as pas de nouvelles depuis trois jours. Mina est mal en point. Je suis sincèrement désolé. 

    — Andrei, tu me dis que ma fille est vivante et en un seul morceau, je ne peux que t’en être éternellement reconnaissante ! Sergei doit sourire aussi d’où il est, je ne te remercierai jamais assez, tu sais !

    — Sasha, si elle n’était pas sortie après le couvre-feu, elle serait chez toi à l’heure qu’il est. Vous vous êtes encore disputées, n’est-ce pas ? interrogea le militaire.

    — Oui, mais elle revient toujours d’habitude, d’elle-même ou en voiture de police. Que s’est-il passé cette fois ? Si c’est possible pour toi de me le dire, évidemment. 

    — Il y avait un nagarr en cavale et on était à sa recherche. Quelqu’un a entendu des coups de feu et on est aussitôt accourus sur les lieux. Ta fille se trouvait là, à deux secondes de se faire dévorer. Elle a vraiment eu de la chance. Qu’est-ce qu’elle fichait avec un pistolet, d’ailleurs ? 

    — Aucune idée ! Elle me cache un tas de choses, tu sais. Je la reconnais à peine. J’ignore ce qui se passe avec elle et les gens qu’elle fréquente sont inquiétants… À l’âge qu’elle a, je n’ai plus vraiment mon mot à dire non plus, même si j’essaie quand même de lui en parler, tu comprends ? dit Sasha d’une voix douce-amère.

    — Elle ne te causera plus de soucis où elle s’en va, si ça peut te rassurer. 

    Sasha soupira très fort dans le combiné.

    — Elle a vraiment une bonne étoile.

    — Je vais quand même garder un œil sur elle, juste au cas. La prison où elle va a beau avoir des pavillons séparés pour les hommes et les femmes, on n’est jamais à l’abri d’un accident fâcheux, l’informa le général.

    — Merci, Andrei, je te le revaudrai. Passe quand tu veux, OK ? J’aimerais qu’on prenne le temps de se parler en personne, ça fait longtemps. Je ne me souviens même pas de quoi tu as l’air !

    Le général Andrei Prostova promit d’aller rendre une petite visite à son amie, dès qu’il aurait moins de travail, et raccrocha. Il devra inventer une excuse pour que sa femme ne le sache pas. Nata connaissait Sasha depuis longtemps elle aussi, mais leur amitié s’était effritée à la suite d’une dispute forcément idiote parce qu’Andrei ne se souvenait même plus du sujet.

    Leurs enfants avaient donc arrêté de jouer ensemble et s’étaient rapidement oubliés. Andrei avait continué d’aller voir Sasha et son mari en cachette jusqu’à la mort de celui-ci, il y a une vingtaine d’années, mais appelait sa veuve une fois de temps en temps, et prenait des nouvelles d’elle et de sa fille, Mina. Il se sentait quelque peu responsable de la mort de Sergei, même si dans les faits, il n’en était rien. Il n’aurait pas pu empêcher son ami archéologue de faire aussi bien son travail ni d’être aussi curieux.

    3.

    Damien but avec précaution une gorgée de son café bien chaud. Il ne faudrait pas tacher un si bel uniforme blanc, surtout en début de quart de travail.

    — Brock, qui a été affecté au nouveau prisonnier ? demanda-t-il à son collègue.

    — Hum, je n’ai pas encore vérifié. Comme son arrivée est prévue pour cet après-midi, celui qui ira le cueillir sera désigné ce matin, répondit Brock en se grattant la tête.

    — Je vois.

    Damien replaça sa casquette blanche sur ses épais cheveux blonds coupés en brosse, déposa sa tasse de café vide et se dirigea vers son poste, suivi de son collègue.

    — Tu vas aller aux caméras pour le voir débarquer ? 

    — Bien sûr ! s’exclama Damien.

    — Je ne comprends pas ce que tu trouves intéressant. Moi, ça me rappelle juste quand je suis arrivé ici. J’étais en panique, comme à peu près tout le monde. Pas vraiment un bon souvenir. 

    Le gardien haussa les épaules. C’était pour le spectacle peut-être. Ou peut-être parce qu’une fois de temps en temps, l’un des prisonniers s’enfuyait et que les gardes pouvaient alors le pourchasser, pour le sport. Une seule fois, une fille s’était sauvée. Il ne se souvenait pas vraiment de son visage, mais il sait qu’elle en avait eu pour plusieurs jours à se remettre de ses blessures et des assauts des gardiens. Il sourit à ce souvenir agréable.

    *

    Plus tard dans la journée, dans la salle de surveillance, Damien constata que le nouvel arrivant, Till Volckaert, parlait très mal la langue de l’Empire. Il baragouinait quelques mots avec un terrible accent. Lorsque l’homme chargé d’aller le chercher fit un pas vers lui pour lui mettre des menottes, Till l’évita avec souplesse et lui flanqua un méchant coup de pied sur le tibia qui le fit plier à terre. Il n’y avait pas de son, mais Damien savait qu’il hurlait de douleur. Till avait de la chance qu’un homme ordinaire soit son adversaire ; il n’aurait certainement pas pu faire plier Jean-Claude aussi facilement. Il asséna un coup de poing sur le nez de l’homme qui cessa de bouger. Ayant immobilisé son assaillant, il le fouilla et fit un tour visuel rapide de son environnement. Ne perdant pas de temps avec l’homme aux poches vides, Till se mit à courir en direction du couvert de la végétation.

    Damien ne put réprimer un sourire. Le gardien reçut alors un message sur son portable : la chasse débuterait dans une heure. Survolté, il se précipita vers l’armurerie. Quelques autres gardiens se retrouvèrent également devant la porte de l’armurier un quart d’heure plus tard.

    — J’espère que ça durera plus longtemps que la dernière fois ! dit l’un d’eux.

    — J’espère aussi ! Il n’était pas très combatif… quel était son nom déjà ?

    — Bof ! Aucune importance ! Il lave sûrement notre vaisselle maintenant ! ricana un autre.

    Ils rirent tous en cœur tandis que la porte s’ouvrit enfin et que l’armurier et son aide, l’air grave tous les deux, distribuèrent les rations, les gourdes d’eau, les couteaux et les arcs ainsi que les carquois remplis de flèches aux dix gardiens présents. L’armurier, un homme à la carrure imposante, s’éclaircit la gorge.

    — Vous connaissez les règles, messieurs, mais je dois vous les rappeler. Le prisonnier doit être ramené vivant et ses blessures ne doivent être que superficielles. Aucune blessure menant à une incapacité ou à un handicap permanent ne sera tolérée. Ciblez les gros muscles et évitez les organes vitaux. Visez bien et visez juste. Vos puces seront désactivées pendant vingt-quatre heures. Si vous ne revenez pas avant la fin de ce délai, vous savez ce qui vous attend. Et n’oubliez pas : chasser est un privilège. Enfreindre ces règles vous privera de vos points VIP et vous serez rétrogradés au rang de détenus ordinaires ! Est-ce bien compris ? tonna l’armurier.

    — Oui, monsieur ! dirent-ils tous à l’unisson, salut militaire à l’appui.

    — Une dernière chose : la récompense pour ce mec a été établie à dix mille points VIP. Vous savez ce que ça signifie pour celui qui le ramène. Bonne chasse, messieurs !!! déclara-t-il, le poing sur le cœur.

    Les dix hommes en blanc, armés jusqu’aux dents, rugirent en chœur en s’élançant au pas de course dans le couloir. Ils furent tous devant la porte de l’unique ascenseur permettant de remonter à la surface lorsqu’il resta cinq minutes au décompte. La porte s’ouvrit et les hommes s’y engouffrèrent avec empressement. Damien avait déjà mis son plan en marche dans sa tête et son excitation s’ajoutait à celle des autres. Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent sur la jungle luxuriante et le compte à rebours afficha zéro. Damien laissa ses collègues se précipiter dans la forêt. Bridant son envie de les suivre tant bien que mal, il accéda grâce à son téléphone portable aux caméras cachées dans la jungle, espérant apercevoir du coin de l’œil un indice du passage de sa proie quelque part. Il crut voir du mouvement un peu plus au nord et décida de suivre cette piste.

    Après s’être assuré que son arc à poulies était en parfait état, et qu’il pouvait facilement saisir ses flèches dans le carquois accroché à sa taille, Damien but une gorgée d’eau et se faufila dans l’épaisse végétation sans plus tarder. Il trouva un trou de boue et se roula copieusement dedans, enduisant le blanc de son uniforme de terre mouillée. Quelques feuilles collées par-ci par-là sur son chapeau et le visage crotté de boue, il sentait le fond de vase et se confondait désormais parfaitement avec son environnement. Il jeta à nouveau un coup d’œil aux caméras et « son » homme passa devant l’une d’elles.

    Quelle chance !

    Il le rejoindrait dans quelques heures tout au plus, le temps de poser quelques pièges pour ralentir ses charmants collègues. La gloire et les points étaient pour lui ; en gagner dix mille équivalait à être riche. Il dut se ressaisir pour ne pas déclencher un de ses propres pièges. Bien camouflé dans la jungle, Damien était un traqueur et un chasseur redoutable. Il était chez lui.

    Il rattrapa le fugitif au bout de trois heures de traque méticuleuse. Il s’était assuré de ne pas se faire importuner pendant qu’il se concentrait et ajustait son tir, du haut d’un arbre. À trente mètres de son gibier, le derrière confortablement installé sur une branche d’arbre à cinq mètres du sol, le dos bien droit, il encocha une flèche et

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