PRIMAIRE

« Ton vaporisateur, ne le laisse pas traîner. C’est une preuve du délit. »

Gabrielle ramassa le spray d’un air contrit, même si l’opacité de la nuit empêchait le reste du groupe de déchiffrer son expression. Le produit qu’elle et ses compagnons venaient de s’asperger neutralisait leurs odeurs. Un bon camouflage pour échapper aux capteurs chimiques des drones de surveillance. À condition, bien sûr, de ne pas se faire voir.

— Et maintenant, la ferme, termina Malthus.

— Je croyais qu’on pouvait parler…, glissa Elon, un autre garçon.

— À l’intérieur de la forêt, et entre ses dents. Pas tant qu’on reste en lisière.

La barrière enfermant la forêt était tangible : un grillage épais, bardé de capteurs et de systèmes anti-intrusion. Passé celle-ci, les humains étaient proscrits – c’était même le fondement du projet : enclore soixante mille hectares à cheval entre la France et la Suisse, afin de créer une forêt néoprimaire. Les forêts abondaient en Europe de l’Ouest, mais aucune ne s’était développée hors des atteintes humaines depuis le Néolithique, et la biodiversité qu’elles abritaient n’avait cessé de chuter. L’extinction massive de la vie sauvage, partout sur le globe, avait permis au projet de voir le jour.

Ce n’était pas la première incursion de Malthus en zone interdite. Gabrielle avait tenté de lui tirer les vers du nez à ce sujet, mais le jeune homme avait éludé.

Il paraissait le plus âgé du groupe, avec ses cheveux en bataille. Son pantalon semblait entièrement constitué de rapiéçages.

Il s’acharna de longues minutes à sectionner le grillage. À chaque clac, Gabrielle contractait involontairement les épaules. Mais aucune alarme ne retentit. Lorsqu’il s’écarta, un large sourire aux lèvres, une brèche triangulaire s’ouvrait sur le sous-bois. De minces fils reliaient certaines mailles coupées.

Gabrielle se glissa à la suite d’Elon. La trace de ses genoux s’imprima dans une terre humide et noire. Les deux derniers du groupe n’avaient jamais révélé leur

identité. Un garçon, et sans doute une fille… même si ce n’était pas certain, car elle portait un masque qui détimbrait sa voix. Gabrielle avait essayé de se la représenter sans masque, mais n’avait obtenu qu’un visage lisse, androgyne. Le garçon anonyme érafla son sac à dos contre les mailles. Il se redressa en soufflant.

« Tu t’es équipé pour partir en forêt, ou sur la Lune ? plaisanta à mi-voix l’autre sans-nom, s’attirant un regard courroucé de Malthus.