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Le piano brisé
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Livre électronique163 pages2 heures

Le piano brisé

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À propos de ce livre électronique

La rencontre entre le pare-chocs d’une automobile et Morgane Belair, pianiste soliste, met un terme à tous les rêves de cette dernière. Après un long coma, elle tente alors de réparer son corps, soigner son esprit et essayer de reprendre goût à la vie. Une rencontre aussi incroyable qu’inattendue va apporter du baume sur ses souffrances physiques et morales. L’air de l’ile d’Orléans près de Québec arrivera-t-il à guérir ses maux ?
LangueFrançais
Date de sortie2 août 2022
ISBN9782312124247
Le piano brisé

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    Aperçu du livre

    Le piano brisé - Jean-Christophe Guelpa

    Chapitre I

    Épuisée, mais heureuse !

    C’était la sensation que Morgane ressentait dans sa loge. Le concert s’était bien passé. Évidemment, comme toute musicienne digne de ce nom, elle savait qu’elle aurait pu mieux faire à certains endroits que quelques notes n’étaient pas sorties aussi bien qu’elle l’aurait souhaité. Elle n’ignorait pas que certains phrasés manquaient légèrement de profondeur, pourtant dans l’ensemble, elle était fière de sa prestation. On frappa à sa porte. Son gérant Carl entra en trombe et se précipita vers elle en désirant la prendre dans ses bras. Morgane le repoussa avec diligence.

    – Tu sais bien qu’il nous faut garder de la distance.

    – C’était trop beau pour que je me tienne à deux mètres !

    La pandémie était derrière eux depuis quelques mois, mais la crainte restait encore latente, surtout pour elle. Morgane avait difficilement traversé le confinement. Comment vivre en tant que pianiste de concert enfermée chez soi ? Comment exprimer son art devant une salle vide ? Des amis musiciens avaient envahi les réseaux sociaux, mais pas elle. Au départ de sa jeune carrière, elle avait toujours détesté les enregistrements et les vidéos, alléguant que seul le direct était l’unique transmission de ce qu’elle avait à proposer. Il lui fallait le contact humain, l’ambiance feutrée ou même brûlante de l’auditoire pour laisser s’épanouir toute l’âme de son jeu. Sans cela, elle avait l’impression de ne servir qu’une sorte de copié-collé de ce que le compositeur avait écrit. Elle ne pouvait pas offrir sa propre vision des notes inscrites en noir sur la portée. Les partitions tout comme les textes des acteurs pouvaient vite devenir des prisons si on n’y prenait pas garde. Il fallait extrapoler, magnifier ce que l’auteur voulait exprimer. Pour elle, sans ce public, pas de contact donc pas d’échange, résultat : un manque d’inspiration. Carl avait néanmoins réussi à la convaincre de faire des disques en lui proposant d’enregistrer ses concerts. Là, l’émotion qu’elle désirait apporter était bien présente. Gravés à jamais, ces récitals faisaient revivre cette vague de sensibilité que ses mains exprimaient avec tant de finesse et d’élégance. Grâce à ces seuls trois CD, elle connaissait une belle carrière de soliste depuis sept années. Morgane voyageait de salle en salle, privilégiant les moins grandes, car elle n’appréciait pas spécialement ces immenses auditoires qui ne parvenaient pas à lui insuffler le contact dont elle avait besoin pour donner le meilleur d’elle-même. Elle aimait sentir la proximité du public. Ainsi aujourd’hui, elle avait eu un vrai plaisir de jouer dans ce joli théâtre du Petit-Champlain au cœur du vieux Québec. Elle avait trouvé amusant d’observer cet espace à présent si habituel, séparant chaque spectateur de son voisin. L’expression « distanciation physique » était rendue à la mode et avait envahi le quotidien des hommes. Au départ, ce siège vide qui semblait un trou béant entre chacun avait troublé autant le public que les artistes, maintenant c’était tellement ancré dans les mœurs qu’il était presque choquant de voir deux personnes assises côte à côte. Tout voisin inconnu devenait un ennemi potentiel avec pour seule arme des micros particules de salive, véritables billes mortelles. Quelle incroyable réalité !

    La race humaine s’était adaptée comme toujours. Heureusement que dans cette brume de peurs abstraites il restait la musique. Pourtant au début de cette pandémie qui avait frappé la terre entière, les dirigeants n’avaient pas cru utile de se soucier des arts. La survie de l’humanité n’était possible que dans la santé et l’économie. Certes, Morgane n’ignorait pas que ces deux composantes étaient des priorités, manger et avoir les moyens de le faire était une évidence, mais elle savait que la musique était une bonne soupape pour supporter l’insupportable. Au début, nombreux étaient ceux qui pensaient que le confinement était la pire des choses. Rapidement, il s’avéra que ce qui était le plus difficile à vivre n’était pas le fait de rester enfermé, c’était le manque de contact. Toute cette réalité virtuelle tant vantée, censée rapprocher la population, ne suffisait pas à satisfaire l’humanité qui aimait profondément le concret. À l’apparition du virus, tous les spectacles, de la danse au théâtre en passant par les grands shows, avaient disparu en un clin d’œil. Interprètes et public se sont trouvés orphelins. Très vite, l’absence de création devint terrible, car il sembla évident qu’il fallait de l’art pour alimenter son âme.

    Morgane était persuadée que la musique était un des piliers de la vie des hommes depuis la nuit des temps, sinon, comment expliquer la présence d’autant d’instruments de musique aussi variés lors des fouilles archéologiques, et ce, dans quelques coins du globe que ce soit ? Elle s’était toujours sentie privilégiée d’être née dans un pays où elle fut si choyée et surtout d’avoir pu découvrir et profiter de son merveilleux instrument. Morgane existait devant son piano. Elle vivait grâce à Chopin, elle respirait avec Brahms. Ses meilleurs amis étaient Rachmaninov, Bach et Beethoven.

    – T’es là ? demanda Carl.

    – Je pensais.

    – Allez, viens vite. On va aller boire un verre sur Grande Allée.

    – Pas envie. Moi, les bars avec les plexiglas, ça ne m’attire pas.

    – T’es incroyable, tu n’arrives toujours pas à vivre avec ton temps !

    – Pourquoi devrais-je tant m’adapter ? Tu as bien vu les résultats de toutes ces capsules vidéo pendant la pandémie. On les visionne et cinq minutes plus tard c’est oublié, on passe à autre chose. OK, tu vas me dire que la musique live c’est un peu pareil, mais le présent te donne tort. As-tu observé le regard de ces gens qui sortaient du concert ce soir ? Il était lumineux et toutes les mélodies que je leur ai offertes résonnent encore dans leur cœur.

    – D’accord ma petite philosophe, mais il n’y a pas de rapport avec un verre dans un bar.

    – J’y viens. Et puis il n’y a rien de philosophique dans ce que je te dis. Ce sont des constatations, des évidences. Dans le bar, on va être séparé des autres par une vitre. Encore une sorte de virtuel où l’émotion se heurte à un écran. Pourquoi devrais-je sortir avec un masque et des gants et te fixer en souriant bêtement après avoir fait « santé » tout en cognant mon verre sur le plastique transparent déjà rayé par de multiples chocs ? Tu parles d’un contact ! Alors, laisse-moi le plaisir de revivre à tête reposée mon concert joué devant des êtres faits de chair et d’os qui me regardaient sans filtre et m’écoutaient religieusement. Je n’ai pas envie de briser ce petit lien qui me rapproche des gens. Je vais retourner à l’hôtel et téléphoner à mon chum. Voilà pour ma soirée.

    – Tu n’exagères pas un peu ? T’es un ermite, tu sais ma chérie.

    – Stop ! Je ne suis pas ta chérie ! T’es mon agent, OK ? Je te ferai remarquer que je viens de jouer devant un public, il n’y a rien d’antisocial à cela ! Allez, salut !

    Morgane prit son manteau et sortit brusquement en empoignant son sac en cuir usé où dormaient les partitions du concert. Comme d’habitude, elle n’en avait pas eu besoin, car elle exécutait les œuvres de mémoire, mais c’était son rituel. Elle emportait systématiquement avec elle les morceaux qu’elle allait interpréter. C’était au cas où elle aurait eu la tentation juste avant d’entrer en scène, de jeter un dernier coup d’œil sur un doigté, un accord ou un phrasé. Pourtant, depuis qu’elle jouait de salle en salle, même avant la pandémie, elle n’avait jamais eu la nécessité d’ouvrir le sac. Carl disait que c’était son amulette. Une grosse amulette certes, néanmoins indispensable à sa concentration et à sa future prestation.

    L’air était frais sur la rue du petit Champlain. Ce quartier du vieux Québec était pittoresque de jour comme de nuit, hiver comme été. Il était presque dix heures trente et les pavés étaient toujours foulés par les pieds flâneurs de nombreux passants. En ce début mai, les Québécois, fatigués par les longs hivers, se précipitaient dehors dès que la température devenait clémente. Les restaurants, malgré les mesures drastiques des règles de distanciation, étaient encore ouverts et les derniers clients se parlaient en riant. Morgane ne comprenait pas du tout le plaisir de manger entouré d’un plexiglas. Thibault, son chum était du même avis et ils avaient opté sans réellement le décider de restreindre leurs sorties. Ils trouvaient cela trop déprimant. Morgane disait se sentir comme un tétra ou un poisson rouge dans un aquarium. Elle avait l’impression que les serveurs aux mains gantées et aux visages masqués ressemblaient à des chirurgiens prêts à la découper en place à son propre morceau de poulet. Parlant de nourriture, là aussi, tout avait changé. Le scepticisme sanitaire s’était installé dans les assiettes et l’origine des aliments préparés ailleurs que chez soi devenait une sempiternelle et préoccupante question. De toute façon, Morgane ne souffrait pas de ce manque de sorties, car elle était fréquemment hors de chez elle pour les concerts. Thibault, analyste financier, partageant son travail entre le bureau et la maison, avait plus de mal à supporter une vie casanière. Le nez collé en permanence sur son écran d’ordinateur, il aurait aimé s’évader plus souvent dans les bars ou même les restaurants tout en comprenant tout à fait le besoin de Morgane de cocooner à l’appartement au retour de tous ces déplacements. Un amour sincère et respectueux les unissait et elle faisait parfois un effort pour l’accompagner à une soirée ou un dîner en ville.

    Je n’en fais peut-être pas assez…

    Mettant en veilleuse cette pensée qui ne correspondait pas avec son état d’esprit plutôt joyeux, elle grimpa les marches raides de l’escalier Casse-Cou dont le nom était autant amusant que révélateur. Elle appréciait tellement la ville de Québec. Elle habitait Montréal et cela uniquement pour deux raisons. D’abord, Thibault y travaillait sur un poste enviable et, elle-même, bénéficiait du bouillonnant centre culturel de la métropole dont les avantages et les échos dépassaient les frontières du Canada. À choisir, elle préférerait pourtant cent fois résider ici dans la capitale. Elle aimait ce calme, l’air plus pur et la nature si proche, sans compter les vieilles pierres qui lui rappelaient ses voyages en Europe.

    Elle monta la pente raide qui menait au château Frontenac. Carl lui avait réservé une chambre dans cet emblème de la ville. C’était probablement la plus petite et la moins « cosy » de cet hôtel où elle n’avait aucune vue de sa minuscule fenêtre.

    Erreur. Si je me penche vers la droite, j’ai le privilège de bénéficier de la vision sombre d’une arrière-cour aux relents de cuisine, certes de qualité, noblesse du lieu oblige, mais de cuisine quand même.

    Elle appréciait cette belle bâtisse avec cette entrée majestueuse au charme surannée et ses portes-tourbillons juste à côté de ses valets costumés, signes d’un autre temps. D’un temps révolu où on pouvait encore se serrer les mains, donner de franches accolades, tournoyer dans la grande salle de bal aux lustres scintillants sans craindre d’être contaminé par cet ennemi invisible qui se plaisait toujours à rôder.

    Une fois dans sa chambre, elle appela Thibault. Elle lui narra le concert avec fougue et lui, de son côté, raconta brièvement son quotidien beaucoup plus banal. Elle lui expliqua que le lendemain, elle allait bénéficier d’une journée de repos bien méritée avant la matinée scolaire prévue le jour suivant au Cégep de Sainte-Foy. Elle dit à son chum qu’elle allait peut-être en profiter pour faire un jogging si le temps le permettait ou tout au moins se promener en ville. Le vieux Québec est toujours plein de charme. Elle avait bien besoin de se détendre après son intense prestation.

    Elle s’endormit sans s’en rendre compte tant elle était épuisée. Sur scène, elle se donnait corps et âme pour son public, puisant toute son énergie pour l’offrir au service de la musique. Elle brillait littéralement derrière son clavier, mais une fois la dernière note jouée, elle sentait la fatigue l’envahir. Pour beaucoup d’artistes, l’adrénaline du concert les empêchait de se calmer. Ils devaient sortir, boire, fumer, prendre un joint ou même sniffer un peu de « neige » afin d’endormir cette énergie ou encore de la prolonger pour faire perdurer cette sensation incroyable qu’est la scène. Pour elle, c’était l’inverse. Elle était une vraie boule de nerf avant sa prestation. Pas extérieurement. À la voir, elle paraissait d’un calme olympien, mais à l’intérieur c’était tout autre chose. Une véritable bombe prête à éclater. Thibault l’avait d’ailleurs bien compris. Il devait se faire tout petit avant ses récitals. Au début, il avait tenté une approche douce et tendre. Idée farfelue, car elle supportait encore moins cette attitude mielleuse et ça l’énervait d’autant plus. Non. Il devait simplement accepter ces quelques heures de lourd silence où elle avait besoin de se concentrer. C’était les rares moments où il perdait sa Morgane naturellement aimable et souriante.

    Par contre, dès

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