Le cœur en Asie: Roman
Par Daniel Lacouture
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Daniel Lacouture aime se projeter dans des histoires où la vraie vie n’est pas forcément en adéquation avec la société. Dans Le cœur en Asie, il invite les lecteurs à voyager dans un univers atypique.
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Aperçu du livre
Le cœur en Asie - Daniel Lacouture
Crise cardiaque à Montréal
Branle-bas de combat à l’institut de cardiologie de Montréal, monsieur l’ambassadeur de France, Roger Letailleur, mon père, vient d’être admis pour une suspicion d’infarctus du myocarde et dirigé directement vers les soins intensifs, afin de confirmer le diagnostic et de le traiter rapidement. Je m’appelle Danh et connais bien le service de cardiologie, car j’y suis moi-même affecté en tant que chirurgien spécialisé dans les affections cardiovasculaires, ayant fait mes études en France et acquis à mon arrivée l’agrément du Collège des médecins du Québec, au vu de mon expérience professionnelle et de mes compétences, certifiées par mon chef de service de l’hôpital Bichât à Paris. Cela n’a pas été facile car les Canadiens ne voient pas vraiment d’un bon œil l’arrivée de médecins étrangers, mais le statut de mon père a peut-être eu un certain poids.
Mon père, Pierre Letailleur, né en 1930, après avoir obtenu le grade de sous-lieutenant à la sortie de l’Académie Militaire de Saint-Cyr à Coëtquidan en 1953, est envoyé, l’année suivante, comme attaché militaire à Saïgon, afin d’assister le général commandant des forces françaises, en but avec la rébellion d’une partie de la population vietnamienne, désireuse de recouvrer sa liberté. Avant de partir, il rencontre ma mère et se marie afin de pouvoir l’emmener dans ses bagages. Ils débarquent le quinze février 1954 au Vietnam et sont aussitôt pris en charge par une escorte armée qui les conduit dans leur nouvelle demeure, située dans le quartier du Banc de Sable, sorti de terre quelques années auparavant sous l’égide des architectes de la ligue Ánh Sáng. Leur maison est agréable et est posée sur une surface d’environ mille deux cents mètres carrés, dans un ensemble de quatre maisons jumelles, toutes occupées par des militaires. Un espace semi-commun, avec dépendances, agrémente l’ensemble, sécurisé par des gardes armés qui patrouillent jour et nuit. Un cuisinier et un intendant général leur sont affectés, afin de faciliter leur vie dans un pays où les nuages s’amoncellent et où il fait de moins en moins bon d’être français et militaire de surcroît.
Mon père vient d’avoir vingt et un ans. Comme je le relate plus haut, il rencontre ma mère Lee Alanna, née en 1930, pendant ses études, un an avant de partir au front, au cours d’une soirée relativement arrosée, donnée par ses pairs au château de la Glestière, érigé sur la commune de Pacé. Pour le bal des débutantes, les filles de la Légion d’honneur ont été conviées et, sur une valse de Vienne, il invite une ravissante Eurasienne, fille d’un officier Français et d’une mère Laotienne. Le coup de foudre qui les réunit alors les conduit, six mois plus tard, avec le consentement des parents de Lee et celui de son père, à convoler en justes noces.
À peine débarqués, ils installent rapidement leurs affaires, arrivées un peu plus tôt par bateau, font connaissance avec le cuisinier dénommé Dûng (courage) et l’intendant Guôc (Patrie) et au fil des jours qui suivent, ma mère arpente la ville, accompagnée de monsieur Guôc, empruntant le boulevard Bonard au pied du théâtre municipal, jetant un œil intéressé sur la rue Catinal, grouillante et enfiévrée, et le boulevard Charner emprunté par de nombreux pousse-pousse, transbahutant des européens, implantés là pour des affaires plus ou moins douteuses. Elle prend l’habitude de se reposer à la terrasse d’un café, sur la place Eugène Cuniac, à deux pas de la gare ferroviaire puis, désassoiffée, emprunte alors la rue Bourdonnet pour flâner dans les halles de la place Cuniac, près des jets d’eau de la grande vasque du rond-point Bonard-Charner. Parfois, elle chemine dans la rue d’An-Binh, continue jusqu’à Cholon, puis longe la rivière Saïgon, en empruntant l’arroyo chinois, cordon mouillé qui relie Cholon à cette dernière. Elle croise alors des milliers de sampans et de jonques qui stationnent où se déplacent en quête de commercer, transportant le riz vers des cargos amarrés dans le port de Saïgon, ou bien de prendre en charge des touristes venus pour se fondre à ce peuple bruyant et avide de se faire quelques sous. Quant à mon père, dès sept heures du matin, une jeep de l’armée l’emmène au quartier général où il est affecté dans les transmissions, service mis en place pour décrypter les informations et les communications venant de tous azimuts afin de parer à toutes éventualités de menaces contre notre armée.
Dring ! Dring ! Je saisis mon téléphone d’une main tremblante et décroche :
« Danh, peux-tu me rejoindre aux urgences, nous avons fini de réaliser les examens complémentaires ordonnés pour ton père. L’électrocardiogramme, pratiqué à son entrée, montre un sus-décalage du segment ST confirmant l’occlusion d’une artère qui semble être postérieure. La coronarographie et le doppler artériel confirment qu’il s’agit d’un thrombus. La répercussion hémodynamique est importante et indique soit une désobstruction en urgence, soit un pontage. Je t’attends, ton père veut te voir avant de prendre sa décision. »
Tandis que je me dirige vers le service de réanimation cardiaque, je ne peux m’empêcher de penser que mon géniteur n’est pas chanceux, car présenter un accident cardiaque à cinquante-cinq ans, sans ne présenter aucun facteur de risque : pas de diabète, pas de tension artérielle élevée, pas de cholestérol, pas de tabac et que, de plus, il n’a jamais été sédentaire, relève de l’impensable. Seul le stress généré par une carrière mouvementée, tant sur le plan militaire que diplomatique, pourrait éventuellement expliquer la formation de ces plaques d’athéromes obstruantes. L’inquiétude me gagne. Habillé de pied en cap, ganté et masqué, je me dirige vers le lit de réa où gît mon père, ventilé et perfusé dans les deux bras. Il me fait signe d’approcher, attrape l’ardoise blanche posée près de lui et commence à écrire :
« Mon fils, je ne sais pas ce que j’ai fait au bon Dieu pour développer une telle saloperie. Enfin, je suis bien obligé d’accepter et de m’en remettre aux mains des médecins et en particulier des tiennes. Le professeur a confirmé le diagnostic d’infarctus postérieur et propose de m’opérer afin de pratiquer un pontage visant à remplacer, en partie, l’artère malade. Qu’en penses-tu ?
— J’ai bien regardé les examens qui te concernent et l’indication opératoire semble idéale : thrombus localisé, isolé et siégeant sur un seul vaisseau. Le pontage s’impose comme la meilleure solution pour te permettre de guérir sans séquelles, en sachant que comme toute intervention majeure, il existe un risque non négligeable d’y laisser sa peau.
— De ce côté-là, ne te tracasse pas, j’ai été, tout au long de ma vie, confronté à des risques vitaux bien plus élevés que celui-là et je m’en suis sorti. Alors, je ne m’en fais pas. Si toi tu es en osmose avec tes pairs, alors je donne mon accord pour cette intervention. Peux-tu prévenir ta mère de la situation, car je crois qu’elle n’est pas encore au courant, son téléphone semble coupé ou inactif dans la zone où elle doit se trouver.
— Bien, je vois que tu as le moral. Je suis de repos cet après-midi, je vais me rendre chez maman afin de lui apprendre ce qui t’est arrivé. J’espère qu’elle sera là. À bientôt, papa. »
Mes parents habitent à Saint-Jean-de-Richelieu, petite ville limitrophe de Montréal sur sa rive sud, très célèbre pour son festival des montgolfières et ses sites architecturaux réputés. Elle est nichée dans un îlot de verdure magnifique, où la rivière Richelieu étale ses méandres voluptueux. Leur maison de trois étages, dominant la vallée, offre une vue splendide et un calme olympien que seuls troublent les oiseaux et les hiboux au petit matin. Une grande terrasse, à claire-voie, permet de se détendre au soir couchant ou au décours d’un repas gastronomique sur des rocking-chairs majestueux et centenaires. Ma mère est une femme extraordinaire, remplie de qualités et de génie. Elle est intuitive, peintre et musicienne, maniant le violon avec dextérité pour le plus grand bonheur des amis qu’elle reçoit régulièrement chez elle, compensant ainsi l’absence d’un mari occupé en permanence par ses tâches au consulat. Elle s’occupe aussi d’associations caritatives venant en aide aux plus démunis, logeant certains d’entre eux, lorsque le besoin s’en fait sentir, dans une dépendance aménagée avec goût sur sa propriété. Elle détient depuis peu la double nationalité canadienne et française, ce qui lui permet de participer à la gestion de la ville, au sein du conseil municipal. Pourtant, elle vient de nulle part, si je puis dire, née au Laos en 1930, pays passé sous protectorat français, à la suite des traités signés entre le Siam et la France entre 1902 et 1904, dans un joyeux flou artistique. Ce pays, composé alors de trois royaumes (Celui de Luang Prabang, de Ventiane et de Champassak), passé sous le contrôle du Siam, ne doit son identité relative qu’aux échanges de territoires que la France lui a extorqués contre l’établissement de ce statut bâtard. Le Laos oriental, dirigé par le vice-consul de France, passé dès lors sous la gouvernance française, est finalement intégré, un peu plus tard, à l’Union de l’Indochine française. Ma mère vit, à cette époque, avec ses parents et ses grands-parents dans la partie occidentale de Lan Xang, région occupée par le Siam. Ils tiennent un commerce de tissus, ce qui leur assure de bons revenus dans un pays divisé, soumis à des guérillas incessantes et à une insécurité de tous les instants. La Deuxième Guerre mondiale éclate en Europe en 1939 et, malgré la pression des politiques visant à maintenir, dans la région, le rôle colonial de la France, dès l’année 1941, la Thaïlande guerroie pour récupérer les territoires situés à l’est du Mékong, aidé en cela par le Japon qui, conscient qu’il est en train de perdre la guerre, fomente un coup de force contre l’administration Française, afin de favoriser l’indépendance de l’Indochine française. Mais les Japonais capitulent en 1945 et les troupes françaises reprennent la main, provoquent la chute du gouvernement du Laos libre et instaurent son autonomie au sein de l’Union Française.
Ma mère, âgée de dix-huit ans, fait un secondaire brillant et ses parents, jugeant le climat politique instable, lui proposent alors de partir en France effectuer ses années de formation universitaire, sa tante lui proposant de l’héberger et de la nourrir pendant le temps de ses études. Aussitôt dit, aussitôt fait, elle débarque à Paris courant 1948 et s’inscrit en faculté de droit international où elle obtient trois ans plus tard sa licence. Elle postule alors à un poste de traductrice, parlant couramment trois langues et est engagée dans une entreprise d’import-export international où elle s’épanouit et devient vite indispensable à l’entreprise. Elle rencontre mon père, comme je l’ai dit plus haut, au cours de la soirée du bal des débutantes, organisé par les filles de la Légion d’Honneur où elle a été conviée par la directrice, laquelle souhaitait l’engager pour compléter la formation de ses pensionnaires aux langues étrangères et au droit international. Mais, elle n’aura pas le temps d’étudier cette proposition, mon père l’ayant embarqué dans une valse endiablée et conquis son cœur au cours de cette soirée, après avoir validé son cursus d’officier comprenant quatre semestres de formation académique, deux d’enseignement militaire et pour terminer un stage en Guyenne d’aguerrissement lui conférant un brevet de moniteur des techniques de commando.
J’arrive chez mes parents et constate que la cour est envahie par un certain nombre de véhicules automobiles. Des voix fortes s’élèvent de la grande terrasse, témoignant d’une discussion animée. Ma mère se précipite vers moi, m’embrasse gentiment, ne laissant transparaître aucun sentiment, attitude accentuée par son visage asiate où les traits figés cachent à tout un chacun une quelconque émotion sous-jacente. Nous nous isolons dans le bureau de mon père et je lui annonce l’accident cardiaque dont il a été victime :
« Maman, papa a voulu te joindre mais il n’a pas pu le faire, ton téléphone étant muet. Est-ce que cette coupure est intentionnelle ?
— Oui, Danh, j’avais programmé une réunion de mon équipe d’animation cet après-midi afin de définir les moyens à mettre en œuvre pour organiser le festival des montgolfières car, comme tu le sais, ce n’est pas une mince affaire et, de plus, tout doit être bouclé pour le premier août.
— Je te prie de m’excuser si je te dérange mais ce que j’ai à te dire est grave. Papa a fait un infarctus du myocarde et est hospitalisé en réa cardiaque…
— Mon Dieu, comment va-t-il, son pronostic vital est-il engagé ? Je m’en veux de ne pas l’avoir eu directement au téléphone. Il doit penser que je ne me soucie que peu de lui. Que va-t-il se passer maintenant ?
— Écoute, nous avons fait le point avec