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La DIVERSITE ETHNOCULTURELLE DANS LE CONTEXTE SCOLAIRE QUEBECOIS: Pratiquer le vivre-ensemble
La DIVERSITE ETHNOCULTURELLE DANS LE CONTEXTE SCOLAIRE QUEBECOIS: Pratiquer le vivre-ensemble
La DIVERSITE ETHNOCULTURELLE DANS LE CONTEXTE SCOLAIRE QUEBECOIS: Pratiquer le vivre-ensemble
Livre électronique348 pages3 heures

La DIVERSITE ETHNOCULTURELLE DANS LE CONTEXTE SCOLAIRE QUEBECOIS: Pratiquer le vivre-ensemble

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À propos de ce livre électronique

La force de cet ouvrage réside dans le souci de traiter des enjeux propres à la diversité ethnoculturelle en conjuguant les points de vue de plusieurs acteurs des milieux scolaire et périscolaire – élèves, étudiants, parents, enseignants, gestionnaires et interve­nants communautaires. Il brosse un portrait nuancé de la situation actuelle et ses auteures, spécialistes des questions de diversité, d’équité et d’inclusion, présentent des analyses documentées et solides sur les conditions mises en place pour favoriser l’épa­nouissement des élèves issus de l’immigration, dans la perspective fondamentale du vivre-ensemble.

L’ouvrage met en lumière des aspects importants de ces enjeux : le vécu migratoire des jeunes, leur construction identitaire ; les relations entre les élèves, les enseignants, les parents et les inter­venants communautaires, ainsi que les perceptions de chaque groupe d’acteurs ; les approches pour promouvoir la réussite scolaire et consolider le sentiment d’appartenance. Il présente des pistes d’action pour améliorer ou transformer les pratiques, inspirer les politiques et contribuer à la formation de ceux et celles qui travaillent dans les écoles et auprès des familles.
LangueFrançais
Date de sortie18 mai 2018
ISBN9782760638839
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    Aperçu du livre

    La DIVERSITE ETHNOCULTURELLE DANS LE CONTEXTE SCOLAIRE QUEBECOIS - Fasal Kanouté

    PREMIÈRE PARTIE

    LA DIVERSITÉ

    DES EXPÉRIENCES

    CHAPITRE 1

    Le rapport à l’école de jeunes Montréalais

    d’origine haïtienne

    Gina Lafortune

    La perspective du rapport à l’école et au savoir tient compte du sens que l’élève accorde à l’école et à «l’acte d’apprendre». Cette perspective nous a semblé intéressante pour analyser l’expérience scolaire des élèves, car elle l’appréhende dans sa singularité et sa complexité. Au-delà des résultats scolaires plus ou moins satisfaisants et de la norme de réussite scolaire à partir de laquelle l’élève est classé, Charlot (2003) et d’autres considèrent qu’il est un sujet qui donne un sens au monde, aux autres et à lui-même. Le sens accordé à l’école et aux apprentissages émerge des interactions que l’élève entretient avec des contextes (p. ex.: école, famille et quartier) et des personnes (p. ex.: enseignants, parents, pairs), ainsi que des événements (déménagement, deuil, préoccupation, etc.) et des activités dont il fait l’expérience.

    Le rapport à l’école et au savoir des jeunes d’origine haïtienne est notamment marqué par les projets et la trajectoire migratoires de la famille, les modèles familiaux et ethniques ainsi que l’appartenance à une minorité racisée.

    Depuis que leur présence a commencé à être remarquée dans les années 1980, une perception s’est imposée au Québec que les jeunes d’origine haïtienne rencontrent plus de problèmes scolaires que les autres élèves. Les études réalisées notamment dans les années 1980-1990 on fait état du taux alarmant de leurs échecs scolaires et de leur retard (Barbier, Olivier et Pierre-Jacques, 1984; CSIM, 1981). On a expliqué ces difficultés par un ensemble de facteurs liés à l’immigration récente et à la défavorisation: divergences entre le système scolaire du pays d’origine et celui du nouveau pays de résidence et difficultés d’adaptation des élèves aux nouvelles stratégies d’enseignement et d’apprentissage, maîtrise insuffisante de la langue d’enseignement et précarité. Cependant, selon des recherches plus récentes, de nombreux élèves connaissent un parcours scolaire réussi. McAndrew et Ledent (2008) ont notamment mis en évidence que les élèves d’origine haïtienne nés au Québec présentent un cheminement semblable à celui de l’ensemble des élèves. Par contre, le taux de diplomation demeure faible parmi ceux qui sont nés à l’étranger. Un sous-groupe d’élèves serait particulièrement à risque d’échec: les garçons créolophones, nés hors Québec, ayant intégré l’école québécoise au secondaire avec du retard et fréquentant une école en milieu défavorisé.

    Des études qualitatives ont aussi montré l’influence sur l’expérience scolaire des élèves d’origine haïtienne des relations école-famille. Il ressort de ces études que les familles valorisent fortement l’école et la réussite scolaire. Toutefois, tous les parents ne se sentent pas outillés pour s’impliquer dans le suivi scolaire en raison d’emplois précaires et d’horaires difficiles qui leur laissent peu de temps, d’une maîtrise insuffisante du français, d’un faible niveau de scolarité, d’une méconnaissance du système scolaire québécois et d’une tendance à demeurer en retrait des «affaires» de l’école.

    Plusieurs défis que rencontrent les élèves semblent aussi être liés aux enjeux de prise en charge de la diversité ethnoculturelle dans le milieu scolaire. Rappelons que cette prise en charge doit se retrouver autant au sein du corps enseignant que dans la gestion scolaire des établissements. Selon Bouchamma et Tardif (2011), elle se traduit, par exemple, dans la promotion d’une éducation équitable pour tous et dans l’adoption de nouvelles méthodes et activités éducatives qui soutiennent la diversité culturelle et la mobilisation du personnel. Les élèves relèvent le manque de diversité ethnique dans les milieux scolaires, soulignent les préjugés inhérents à certaines pratiques institutionnelles (évaluation, classement et orientation) qui désavantagent les élèves issus de minorités ethnoculturelles. Ils font aussi état de situations marquées de préjugés, de discrimination ou de racisme dans les relations avec les pairs et les enseignants, bien que les relations sociales à l’école soient jugées globalement positives. Plusieurs jeunes s’inquiètent aussi au sujet de leur avenir et considèrent selon l’expérience de leurs proches que l’appartenance à une minorité racisée peut constituer un obstacle à leur insertion socioprofessionnelle future.

    Nous pensons que toutes ces composantes doivent être considérées dans l’analyse de l’expérience scolaire des élèves. La perspective du rapport à l’école et aux savoirs nous a semblé prometteuse en ce sens.

    Le rapport à l’école et aux savoirs

    Le rapport au savoir et à l’école est défini comme «une relation de sens, donc de valeur, entre un individu (ou un groupe) et les processus ou produits du savoir […] entre un individu (ou un groupe) et l’école comme lieu, ensemble de situations et de personnes» (Charlot, Bautier et Rochex, 1999, p. 29). Il s’agit d’un rapport indissociablement identitaire et épistémique, singulier et social.

    Rapport identitaire: l’école et l’acte d’apprendre prennent sens pour l’individu par rapport à des modèles, à des attentes, à des repères identificatoires, à la vie qu’il veut mener, au métier qu’il veut faire. Rapport épistémique: il renvoie à la nature de l’apprentissage ou de l’activité («apprendre, c’est faire quoi?»). Enfin, singulier et social: le rapport à l’école et aux savoirs engage l’élève, premier acteur de son apprentissage, mais aussi tous les proches de la famille, de la communauté et des institutions éducatives qui ont une part dans sa trajectoire scolaire. La dimension sociale du rapport à l’école et aux savoirs met aussi en évidence l’inscription du sujet et des savoirs dans un espace-temps, dans la «société structurée, hiérarchisée, inégalitaire» (Cappiello et Venturini, 2009, p. 2). L’école et les savoirs ne sont pas neutres sur les plans culturel et politique; la sélection et l’organisation des savoirs enseignés à l’école participent à la reproduction de la culture dominante. En contexte de diversité ethnoculturelle, on invite notamment à considérer l’influence des rapports sociohistoriques de pouvoir entre les individus et les groupes sur le rapport à l’école et aux savoirs des élèves (Thésée, 2003). Autrement dit, on s’interroge sur la place qui est faite à chaque élève dans le milieu scolaire, aux modèles, valeurs et expériences proposés dans le curriculum, aux relations qui ont cours entre les membres (enseignants/élèves et pairs) des minorités et ceux de la majorité.

    L’analyse de l’expérience scolaire des élèves a mis en lumière qu’ils développent des formes variées de rapport à «l’apprendre». Charlot, Bautier et Rochex (1999) ont dégagé trois idéaltypes en particulier: 1. l’attachement au savoir scolaire pour sa valeur intellectuelle et culturelle, 2. l’attachement au savoir scolaire pour sa valeur instrumentale ou «marchande», 3. le désengagement ou le manque de sens du savoir scolaire. Les deux premières formes caractériseraient les élèves en réussite scolaire. De leur côté, les élèves en difficulté présenteraient plus souvent «un rapport au métier, à la vie, à l’avenir» (p. 78) ou du désengagement.

    La méthodologie

    Nous avons eu recours à une étude multicas pour collecter les données. Onze cas ont été documentés, soit 4 cas de jeunes en situation de réussite, 4 cas de jeunes présentant des difficultés scolaires et 3 cas de jeunes en situation de décrochage. Chaque cas était constitué des protagonistes suivants: élève, parent, enseignant/autre membre du personnel et intervenant communautaire. L’élève était l’acteur principal auquel nous nous intéressions, mais nous avons croisé son discours avec celui de proches désignés qui ont, selon lui, joué un rôle dans sa trajectoire. Cela a conduit à un total de 37 participants.

    La collecte de données a été menée entre septembre 2010 et mars 2011 et les participants ont été recrutés par l’intermédiaire d’organismes communautaires (maisons de jeunes, organismes d’aide aux devoirs et centres d’insertion socioprofessionnelle pour jeunes décrocheurs). Nous avons d’abord réalisé deux entretiens individuels approfondis avec chacun des jeunes, puis un entretien individuel avec chacun des proches désignés par celui-ci. Dans ce chapitre, l’analyse repose essentiellement sur les données provenant des entretiens avec les onze jeunes.

    À la première rencontre, les jeunes étaient invités à raconter leur trajectoire «depuis la maternelle jusqu’à maintenant» en relatant leur histoire familiale, les épisodes importants de leur scolarité, les défis rencontrés et leurs stratégies pour les surmonter, ainsi que leur perception des relations sociales à l’école. Au second entretien, nous les invitions à discuter plus particulièrement du sens de l’école et des apprentissages scolaires, de l’enracinement de ce rapport à l’école et aux savoirs (modèles) et de leurs projets d’avenir. Chaque entretien durait autour de 60 à 75 minutes.

    Tous les entretiens ont été conduits par la chercheuse et la plupart ont été enregistrés. Ils ont été réalisés dans la langue souhaitée par l’interviewé: en créole ou en français. La plupart des entretiens ont été effectués dans les organismes communautaires ou à la bibliothèque de quartier dans un local fermé (deux entretiens ont eu lieu à domicile). Au terme des entretiens individuels, les jeunes étaient invités à un entretien de groupe pour discuter des résultats préliminaires de la recherche et d’enjeux communs de réussite à l’école. Quatre d’entre eux y ont participé.

    Tous les enregistrements audio des entretiens ont été retranscrits dans un compte rendu intégral et codés avec le logiciel d’analyse qualitative ATLAS-TI. Les données ont ensuite été analysées à la lumière du cadre conceptuel en portant attention aux thèmes émergents.

    Un rapport singulier à l’école

    Le premier point que nous souhaitons souligner est la grande diversité des trajectoires de jeunes. Les 11 cas mettent en évidence la diversité des situations que recouvrent les expressions «élève en réussite scolaire», «élève en difficulté» ou «décrocheur». Selon Charlot (2003), au-delà des catégorisations sommaires, il est surtout question d’individus présentant une configuration unique de caractéristiques personnelles qui sont plongés dans des contextes et des dynamiques scolaires, familiaux et sociaux particuliers. L’agencement de ces éléments dessine la trajectoire et le rapport à l’école et aux savoirs.

    Toutefois, certains éléments transversaux émergent dans chaque catégorie de trajectoires.

    On remarque chez les élèves en situation de réussite une assimilation du métier de l’élève et du travail de l’apprenant (temps consacré au travail scolaire, valorisation de l’effort et de la persévérance, stratégies de remédiation en cas de difficulté) et une mobilisation active du capital humain familial pour la réussite scolaire. Le rapport à l’école et aux savoirs de ces jeunes est complexe et comporte une reconnaissance de la valeur intellectuelle et instrumentale des apprentissages ainsi que des vertus socialisantes de l’école.

    Dans les quatre trajectoires des élèves en difficulté scolaire, on note les éléments suivants: la résonance de problèmes d’apprentissage au primaire couplés dans certains cas à des problèmes de comportement qui brouillent la relation avec les enseignants; une mobilisation familiale dans la scolarité qui semble limitée par divers facteurs (tensions et conflits dans la famille, deuils et précarité). Le rapport au savoir est à dominance instrumentale et les jeunes mettent le plus souvent l’accent sur la qualification (le métier futur) et la socialisation.

    Quant aux élèves en situation de décrochage scolaire, on remarque aussi des difficultés scolaires au primaire dont les jeunes font difficilement l’aveu; un réseau des pairs expérimentant la même problématique du décrochage; une mobilisation familiale freinée par un cumul de vulnérabilités sociales; divers écueils dans la vie qui ramènent constamment sur le tapis la perspective du raccrochage, sans une vision claire des moyens pour la rendre effective. Le rapport à l’école et aux savoirs est marqué du sceau de l’ennui et du désengagement.

    Parallèlement, il n’y a pas de rupture entre les trois catégories de trajectoires. Celles-ci se situent sur un continuum allant de la réussite au décrochage, en passant par des étapes intermédiaires de difficultés moyennes à élevées, circonstancielles à chroniques, et plus ou moins étendues (une ou plusieurs matières de base). Aussi, il existe parfois de fortes similarités entre un jeune en situation de réussite et un autre qui a fini par décrocher. Ce qui fait la différence dans un parcours semble parfois tenir à un concours de circonstances (moindre disponibilité des parents, changement d’école et nouveau réseau de pairs) ou à une forme de résilience personnelle. Par exemple, Laura (14 ans, en réussite) et Vanessa (15 ans, en difficulté) évoluent toutes deux dans un contexte familial jugé contraignant (tensions parents-enfants, contrôle parental serré des sorties et des fréquentations) qui a des effets négatifs sur la scolarité. Mais Laura manifeste un plus grand détachement concernant sa situation (sens de l’humour) et un relatif sentiment de contrôle sur son vécu et se montre proactive dans la recherche d’aide et de soutien, là où Vanessa démontre plutôt de la passivité, de la nonchalance et une estime de soi chancelante.

    Dans le même sens, il n’y a pas de relation causale entre le rapport à l’école et aux savoirs et la situation scolaire de réussite, de difficulté ou de décrochage. On trouve les trois idéaltypes (rapport culturel, instrumental, non-sens et désengagement) à des degrés divers chez les jeunes. Dans tous les cas, le rapport à l’école et aux savoirs scolaires prend sens par rapport à un projet d’avenir, à des modèles et à des valeurs scolaires/familiaux/sociaux. Ce rapport est notamment influencé par le projet et la trajectoire migratoires, et l’appartenance à une minorité racisée.

    L’influence du projet migratoire familial

    On perçoit l’influence de la trajectoire migratoire familiale chez tous les jeunes. Ces derniers sont très conscients que la réussite du projet migratoire familial passe par leur réussite scolaire et ils reprennent volontiers le discours de leurs parents à cet égard. Les élèves en réussite en particulier expriment une volonté de réussir pour eux-mêmes et pour leurs parents qui ont consenti à d’importants sacrifices dans le cadre de l’immigration. On remarque que le projet migratoire et l’importance accordée à l’école au sein de la famille semblent constituer un rempart contre le décrochage pour les élèves en difficulté scolaire. Quitter l’école est jugé «impensable» pour les jeunes qui évoquent une «trahison», «un coup de couteau dans le dos» des parents. Julien (16 ans, en difficulté) souligne la lourde sanction que ce comportement entraînerait: «Je crois que si je lâchais l’école… ma mère n’aurait plus confiance en moi. [Silence grave], puis euh… elle allait m’ignorer.» C’est l’occasion de souligner que les jeunes en situation de décrochage n’ont en fait jamais vraiment quitté l’école à proprement parler, malgré les nombreuses absences et la «rupture de l’intérieur». Ils y sont restés jusqu’à 18 ans, contraints de quitter le secteur jeune (Joël et Nadia) ou parce qu’ils ont été orientés vers le secteur de l’éducation des adultes (Jimmy).

    Cependant, si le projet migratoire semble fournir un élan supplémentaire et représenter un tuteur de résilience, on a l’impression qu’il peut devenir une source de stress pour les jeunes en difficulté scolaire ou en situation de décrochage qui peinent à réussir et qui ressentent de la gêne, de la déception et de la honte de ne pas être à la hauteur des attentes parentales et familiales. Julien (16 ans), par exemple, se désole de ne pas être en mesure d’entreprendre les études de médecine dont rêve sa mère à cause de ses difficultés en mathématiques. Chez d’autres jeunes, la déception et le sentiment de honte sont d’autant plus forts qu’ils ont l’impression d’être «à la ramasse» par rapport aux autres membres de la parenté qui ont réussi:

    C’est genre… c’est comme si c’est moi le méchant. Moi de tous les cousins qui ne va pas à l’école, qui ne fait rien, pis tout. […] On dirait que c’est moi qui n’avance pas… On dirait que c’est juste pour moi là que l’école n’est pas importante… (Joël, 19 ans, en situation de décrochage)

    Ils ont réussi. Ils ont leur diplôme, ils ont eu leur secondaire cinq. Ils ont leur permis, ils ont leur voiture. Ils ont la voiture de l’année et moi je n’ai rien […]. C’est pas comme une compétition, mais moi, ça fait un bout de temps [rire gêné]. (Jimmy, 26 ans, en situation de décrochage)

    L’influence de la migration

    La migration a des impacts directs sur le cheminement scolaire, le rapport à l’école et aux savoirs des jeunes de première génération. Dans certains cas ou sur certains aspects, elle est porteuse de changements positifs. Gaëlle (18 ans, en réussite) et Olivier (17 ans, en réussite), par exemple, relèvent que les rapports enseignants-élèves sont moins stricts/autoritaires au Québec par rapport à Haïti, et les apprentissages sont en outre jugés plus motivants et plus intéressants au Québec, car on met davantage l’accent sur le sens et la compréhension comparativement à l’école haïtienne davantage axée sur la mémorisation. Gaëlle en particulier développe une nouvelle passion pour les mathématiques et les sciences au Québec alors que ces deux disciplines suscitaient de l’ennui dans son pays d’origine.

    Mais par ailleurs, la migration a aussi des répercussions négatives sur le rapport à l’école et aux savoirs. Les déclassements scolaires à l’arrivée au Québec, les orientations en classe d’accueil ou de cheminement particulier entraînent de la frustration et une démobilisation scolaire. Olivier (18 ans, en réussite), par exemple, est rétrogradé d’une année à l’arrivée au Québec. Ce classement était inapproprié selon plusieurs enseignants et le jeune s’ennuyait en classe de refaire des activités déjà vues dans son pays d’origine. Frustré, il se désengage dans tous les apprentissages, ce qui a entraîné un redoublement en fin d’année scolaire, donc la perte de deux années au total. Ainsi, si les processus de classement sont utiles et nécessaires à de nombreux élèves, ils peuvent se révéler inéquitables et dommageables pour d’autres lorsqu’ils sont appliqués de façon systématique et sans réelle prise en compte des acquis scolaires antérieurs.

    De son côté, Nadia (19 ans, situation de décrochage) semble avoir eu besoin d’un soutien particulier à son arrivée au Québec. Néanmoins, elle a très mal vécu le classement en classe spéciale et elle explique: «J’ai travaillé pour avoir mes notes et sortir de là parce que ce n’était pas ma place. Les gens n’étaient pas comme moi. Ils n’avaient pas la même intelligence que moi…» De manière générale, tous les jeunes qui ont été orientés dans des classes spéciales en ont gardé des souvenirs amers, du ressentiment et de la honte (Nadia, Patrice et Andy). Ces classes ne leur ont pas permis de se mettre en projet et leur ont plutôt donné l’impression de s’enliser et d’être relégués au second plan.

    La migration entraîne aussi des ruptures familiales qui ont des conséquences néfastes sur la trajectoire scolaire. Chez les jeunes de première génération, dans quatre cas sur cinq, les membres de la famille n’immigrent pas tous ensemble. Et, dans trois cas, les retrouvailles prennent plusieurs années en raison de complications liées aux charges financières et aux procédures administratives. Entre-temps, le lien affectif s’amenuise et parents et enfants deviennent des étrangers les uns pour les autres. Joël (19 ans) et Nadia (19 ans), par exemple, découvrent au Québec un parent méconnu, une famille reconstituée, avec un beau-père/une belle-mère et de nouveaux frères et sœurs à apprivoiser. Les attentes des deux jeunes sont déçues et un ensemble de problèmes familiaux s’ensuit (tensions, disputes et conflits). Pour les deux jeunes, ces situations sont la cause principale de leurs difficultés et décrochage scolaires. Ces dynamiques de séparation et de recomposition familiale que produit l’immigration mériteraient d’être mieux documentées au Québec afin de sensibiliser la communauté à leurs effets et d’offrir un meilleur soutien aux élèves et aux familles.

    L’influence des modèles familiaux et ethniques

    Peu de jeunes se sont prononcés directement sur l’influence des modèles ethniques en milieu scolaire. Néanmoins, on perçoit très clairement l’importance de ces modèles dans la fréquente référence (7 fois sur 9) de personnes d’origine haïtienne désignées comme ayant «joué un rôle important dans la trajectoire scolaire». Lorsqu’on les interroge à ce sujet, les jeunes soulignent que les enseignants et les membres du personnel scolaire de même origine «ont fait la différence» dans leur vie par l’intérêt et le soutien qu’ils leur ont accordés. Les garçons de deuxième génération en particulier soulignent que les modèles de même origine ethnoculturelle en milieu scolaire les confortent dans leur identité et les stimulent à faire des efforts (Labelle, Salée et Frénette, 2001):

    J’ai jamais eu de profs d’origine haïtienne au primaire. Ça m’aurait vraiment plu quelqu’un de ma couleur de temps en temps. Ça apporte une fierté. C’est un genre de modèle parce que tu te dis si un Haïtien a réussi à être un professeur, alors moi, je peux

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