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Le souffle des trois lunes
Le souffle des trois lunes
Le souffle des trois lunes
Livre électronique295 pages3 heures

Le souffle des trois lunes

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À propos de ce livre électronique

Enfin, une lueur blême apparut dans l’échancrure des collines soulignant leurs contours noirâtres. Les faces des deux lunes s’estompaient peu à peu jusqu’à devenir empreintes évanescentes. Noglaâ soulagée hocha la tête. À son réveil elle avait guetté les prémisses du jour, craignant que l’obscurité demeurât. Une lassitude inhabituelle l’avait saisie à la suite de ses déplacements nocturnes. Ces temps difficiles sollicitaient davantage ses forces.
Dans un temps d’avant l’histoire et l’écriture, des ancêtres morts tiennent sous influence les vivants d’un peuple, les Ambres. Péripéties, amour, haine, admiration, attachement sont distillés au long de ce roman d’initiation dont l’objectif, s’affranchir de la soumission envers des croyances morbides, est porté par une jeune femme, qui rencontrera le pouvoir inflexible incarné par trois matriarches dont chacune représente un des aspects mère/femme.

Le fantastique entraînera la lectrice, le lecteur, dans une société structurée par des rites et des rituels exigeants. Concentration, courage, détermination, pérennisent la formidable puissance contenue dans une personne mais aussi le chemin parsemé d’embûches pour parvenir à se libérer de la soumission.
LangueFrançais
Date de sortie17 mars 2022
ISBN9782312119670
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    Aperçu du livre

    Le souffle des trois lunes - Marie Simonet

    Altération

    Enfin, une lueur blême apparut dans l’échancrure des collines soulignant leurs contours noirâtres. Les faces des deux lunes s’estompaient peu à peu jusqu’à devenir empreintes évanescentes. Noglaâ soulagée hocha la tête. À son réveil elle avait guetté les prémisses du jour, craignant que l’obscurité demeurât. Une lassitude inhabituelle l’avait saisie à la suite de ses déplacements nocturnes. Ces temps difficiles sollicitaient davantage ses forces.

    La température ayant sévèrement fraîchi au milieu de la nuit, il fallut assembler toutes les fourrures disponibles sur les corps recroquevillés des jeunes.

    À la lueur émanant de cette voûte livide, la Mère s’aperçut qu’une mince couche opaline festonnait les rochers comme la végétation. Cela ne la surprenait pas. Les hivers rudoyaient la nature comme les êtres. Au lieu de céder devant l’apparition de la saison chaude et humide, les saisons enneigées et glaciales perduraient sévèrement.

    Depuis deux cycles, des signes visibles amorçaient une mutation. Une brève montée de sève annonçait prématurément un renouveau moribond. De la floraison des végétaux subsistaient seuls des embryons de minuscules feuilles dont la couleur jaunissante se devinait déjà. Elles se rabougrissaient à vue d’œil. Les ramures des grands arbres des aires demeuraient quasiment dénudées. Les herbes abondantes des prairies se limitaient à quelques rares toupets fripés. Des arbrisseaux dont on ramassait les baies en une cueillette généreuse subsistaient quelques fruits flétris. Les mousses séchaient en s’effritant. Aux copieuses pluies se substituait un froid précoce et sec. On cherchait dans les sources les maigres filets d’eau souillée par une abondance de plantes séchées trop tôt. Les vents du nord, nord-ouest, forcissaient. Enfin, une couverture filamenteuse voilait en permanence les quelques rais d’un soleil sans éclats.

    La faune se raréfiait et il devenait difficile de consommer de la viande fraîche. Quelques petits gibiers se laissaient attraper dans les pièges. Quelques oiseaux à la chair dure. De temps à autre, des poissons dans les rivières aux eaux basses. L’œil blafard des frimas pâlissait la lumière dorée ordinairement éblouissante en ce début de saison chaude.

    Dès l’éveil, une aura maléfique rodait autour de la Mère. La repoussant à la lisière de ses pensées Noglaâ reprit le contrôle des constats. Le ciel de la terre nouvelle se transformait. Durablement. Cela ne semblait pas relever des caprices du ciel. Non. Les conséquences ne concernaient pas seulement les passages des saisons. Elles mettaient en péril la vie même.

    Cette terre prodigue ! Que se passait-il ?

    Afaê la rejoignit, le visage creusé par la faim, les rondeurs plaisantes qui singularisaient sa silhouette, affaissées. Elles se tinrent toutes deux en silence devant le foyer ranimé, tressant leur longue chevelure ternie par les privations. Puis Afaê se dirigea vers la pierre creuse recouverte d’une pellicule de gel qui se liquéfia au seul contact de ses mains imposées. Longuement elle prit un peu d’eau et la passa sur son visage aux traits tirés. Noglaâ tisonnait les braises, rajoutant le bois ramassé par les jeunes.

    Oâmi a été malade toute la nuit. Ils ne tarderont pas à aspirer son souffle.

    Noglaâ renchérit.

    C’est la troisième ! Öl se met à avoir un souffle étrange. Il marche à petits pas, le regard fixé au sol, envoyant des images brouillées. Il refuse de manger et de boire.

    Dort-il la nuit ?

    Difficilement. Non seulement les êtres vont mal mais la terre aussi. Cette terre si généreuse ! Sommes-nous voués à migrer jusqu’à notre disparition ? Qu’allons-nous faire ? Nous délaissent-ils ?

    L’esprit d’Afaê déroulait ses visions qu’elle partageait avec sa compagne, tout comme, d’une main adroite, elle égrenait à longueur de temps des perles d’ambre enfilées sur une cordelette en cuir assoupli.

    Nous devons nous assurer d’une descendance en bonne santé.

    Noglaâ approuva.

    Les nouveaux nés deviennent de plus en plus faibles. Il faut prendre des décisions.

    Toutes les nuits elles avaient tenté de se connecter aux vibrations de leurs pairs. Les seuls conseils exhalés furent contradictoires. La marche à suivre, floue.

    À l’évidence une seule explication, nous entrons dans le cycle des temps éteints. Ceux-là même inscrits dans la tradition depuis les lointains voyages. Il faut se contenter de suivre le seul conseil qui nous paraît détenir une solution de survie.

    Noglaâ ne paraissait pas pressée de prendre une décision.

    Faut-il attendre le retour des guerrières ?

    La vieille Mère opina.

    Dernièrement, elle avait envoyé Glaïs et ses guerrières en éclaireuses. La troisième Mère se joignait à ses aînées dans leurs vibrations nocturnes.

    Sa dernière information contenait des nouvelles mitigées. Les guerrières ramenaient de la viande en quantité. Il avait fallu la fumer sur place. Ayant dû traverser les obstacles qui bornaient la terre nouvelle, elles s’en éloignaient de plus en plus. De plus, le chargement s’alourdissait, ralentissant leur marche. Le transport avait nécessité l’élaboration de palettes. Le groupe devait manger aussi tout en cheminant, ce qui, malgré leur chasse quotidienne, grevait leur chargement. Pour finir avec les nouvelles, une des guerrières, fort mal en point après une attaque surprise d’un goar, s’affaiblissait. Les fièvres ne tarissaient pas.

    Une dernière information leur parvint alors qu’elles se déconnectaient des images de Glaïs : les chasseresses avaient traversé une terre qui paraissait propice à l’installation du peuple Ambre. Afin que la blessée se reprenne, elles avaient installé leur campement. On y rencontrait des bois en abondance. Le terrain présentait plutôt du relief avec toutefois une étroite plaine. À priori la saison chaude se révélait à l’identique de la terre nouvelle, mais il ne semblait y avoir nulle trace des changements du ciel. Une zone marécageuse en accaparait une partie. Seul inconvénient aux yeux de Glaïs, la surface peu étendue de cette nouvelle terre.

    Les évocations de Glaïs laissaient espérer une solution. Étrangement les Aïeux semblaient indifférents. Aucun avis sur les images collectées par la troisième matriarche.

    Noglaâ et Afaê avaient l’une et l’autre transmis leurs savoirs à Glaïs. En retour, celle-ci leur vouait une admiration et une reconnaissance infinies.

    Elle était si jeune quand Afaê l’avait découverte affamée, dans un groupe de juvéniles enlevées plus tôt par des indigènes toujours à la recherche de futures porteuses. Vêtue de lambeaux de peaux mitées, elle mâchait un vilain bout d’écorce pour tromper sa faim arrachant quelques fibres et les fourrant dans sa bouche. Afaê intriguée par le regard droit des yeux noirs, le bas de son visage contracté par ce qui semblait être plus de la fureur que de la peur, alla chercher Noglaâ.

    Ce n’est pas de la peur.

    Noglaâ était revenue la traînant de force par la main. La discussion fut âpre avec les hommes qui menaient le groupe, mais elle l’échangea contre un lot de peaux.

    Par la suite, la matriarche visita son esprit. Elle y vit une force physique et mentale peu commune.

    Les Mères la nommèrent Glaïs, « Force » et lui avait rapidement emprisonné les deux seins les empêchant de grossir. Afaê avait cherché dans le groupe un chasseur qui l’avait formée. La fillette démontra des aptitudes de précision et d’attention surprenantes. Elle possédait une détermination exceptionnelle. Glaïs pouvait apprendre et transmettre. Son admiration, sa loyauté indéfectible, faisaient d’elle une personne entièrement soumise à leur influence, tout en leur apportant une énergie nouvelle.

    Les deux matriarches burent l’eau brûlante dans laquelle infusaient des simples. Dans l’espoir de trouver des solutions au dépérissement de la terre nouvelle, Noglaâ avait également envoyé un groupe d’hommes vers le cours d’eau sans fin au-delà des roches blanches. Aucune image n’avait filtré de l’expédition. À croire que tous avaient succombé aux dangers ou aux maladies.

    Insuffler un esprit mort nécessitait une vibration singulière. L’étiolement de leur propre énergie guettait alors les vieilles Mères. Malgré leur grande expérience, sans celle de Glaïs, leurs énergies ne suffisaient pas pour se connecter aux esprits disparus de ce groupe. Oui, il fallait attendre le retour des guerrières.

    Allons faire notre tour. Les jeunes ne se disputent pas. La faim les rend silencieux.

    Conflits

    – Au nom de notre amitié ancienne, Noglaâ, ne peut-elle écouter les mises en garde des Sombres ?

    – Vos mises en garde, Dolhen, sont imprégnées de mépris pour nos croyances et nos cultes.

    – La matriarche se trompe. De tristesse, oui, d’inquiétude pour ce qui nous apparaît de l’obstination.

    – Nous nous appuyons sur notre fidélité dans l’expérience de nos Aïeux.

    – L’expérience n’est pas pérenne. Noglaâ n’a-t-elle pas acquis un autre savoir ? N’a-t-elle pas des sens, pour constater le délitement général ?

    – Dolhen tisse un lien entre les changements des cieux et nos cultes. Méprise.

    – Ignorance, Noglaâ, aveuglement, terrifiant aveuglement. Le règne des morts exige tristesse du vivant, engourdissement de l’esprit, sans quoi il ne peut s’installer.

    – Nos coutumes bafouées, enfin rétablies, recouvrée notre éthique, pure d’entre les pures.

    – Vous avez tué le règne d’Amïa, luminescente origine des cieux, des astres, de la terre, des eaux. Vous avez tué l’aïeule-mère ! En s’emparant de ses rites vous les avez dévoyés.

    – Amïa et ses lunes n’existent que dans vos images. Crois-tu un peuple issu de sagesse immémoriale se vouer à cette illusion ? Oh non, le culte que nous leur rendons nous va bien.

    – De qui parle la matriarche ?

    – Ne sous-estime pas les formidables puissances des souffles disparus.

    – Quels sont leurs intérêts ?

    – L’influence. La distraction. L’ennui de l’éternité.

    – Mais qui sont-ils ? Qui ? Montre-les-moi.

    – Les montrer. Ah ah ! Les ombres des ténèbres. Puissante omniprésence. Ils peuplent les esprits sans relâche…

    – Pénètrent l’intime…

    – Pas de plus mystérieux ascendant que celui dont ils usent…

    – Dans les rêves…

    – Les Ambres aiment cela. Ils acquiescent.

    – Les Sombres ne peuvent te croire. Nous leur opposerons la lumière, la sérénité. Nos buts sont différents et il n’est pas certain que nos expériences ne valent pas les leurs.

    – Elles sont terriblement plus ennuyeuses. Étroites vos visions !

    – Il doit bien y avoir une faille dans leur emprise.

    – Une faille ? Quelle arrogance. Quelle faille dans la force de l’invisible ? Quelles tentations pourraient rivaliser avec leur puissance ? Comment un peuple faible, empressé par l’innocence et l’oubli, préfèrerait-il s’abîmer dans tes pâles initiations ?

    – Ne néglige pas la force de nos investigations, Noglaâ. Nous débusquerons leur détermination. Les pulvériserons. Alors l’énergie vitale inépuisable vaincra et le renouveau sera.

    – Des mots, des mots vides contre l’insondable.

    Temps lointains (1)

    Rencontres

    Noglaâ et Afaê naquirent à deux saisons près au temps de la première migration. La sécheresse désertifiait alors les forêts, vidait les cours d’eau d’Ambrée, la terre qui avait vu des générations de leur peuple naître et mourir. La chaleur devenue écrasante s’imposa.

    Le nomadisme s’organisait en fonction de la chasse, des cueillettes et des saisons. Le groupe suivait les cours d’eau, pistait les traces animales. Pour la première fois de leur existence, les Ambres durent voir plus loin que leurs habituels territoires saisonniers.

    Ainsi s’aventurèrent-ils vers l’inconnu. Que cherchaient-ils ? Un nouveau sol où se poser. Le peuple Ambre rassemblait à ce moment-là plusieurs groupes d’individus. Les souffles des morts demeurés en contact avec les vivants, les accompagnaient.

    Le grand mouvement dura tant de saisons que la mémoire de ceux et celles qui y participèrent ne put les contenir. Les agressions des indigènes, les rapts de femmes, les vols de nourriture, ou des lieux accueillants et paisibles, marquèrent leurs pérégrinations.

    Ils traversèrent nombre de reliefs, de cours d’eau, de prairies, s’arrêtant le temps qu’il fallait aux chasseresses pour ravitailler, aux femmes pour accoucher, aux rituels pour s’installer, aux lois pour recentrer, aux sous-groupes pour asseoir leurs activités.

    Aguerri par les combats, le clan des chasseresses grossit pour finalement devenir le clan des guerrières. Les hommes chassaient, pêchaient, raclaient, tannaient, taillaient.

    Mais les nouveaux nés mouraient en nombre d’un mal mystérieux et aucune des potions, aucune des incantations n’enrayait ce fait. Les sages conseillèrent alors, outre la recherche d’une terre propice à une définitive installation, un métissage avec des natifs.

    Dans ces temps incertains, les Ambres, peuple nomade, accueillirent les naissances de Noglaâ et d’Aphaê avec joie. Une fois le sevrage passé, on put constater la vigueur certaine des deux fillettes. Elles s’entendaient comme deux personnes jumelées, toujours prêtes à participer aux tâches, toujours vives dans l’éveil de leur curiosité. Elles ne se quittaient jamais, s’aidant mutuellement, partageant tout ce qui pouvait l’être.

    Plus tard, les deux femmes enfantèrent tant qu’une béance creusa le centre de leur corps. Il fallait repeupler alors. Les délestant des charges éducatives, les guides du groupe les initièrent aux croyances et aux rituels transmis depuis leur départ d’Ambrée.

    Noglaâ et Afaê firent preuve d’une implication rare. Elles apprirent à visiter les rêves, ce qui fut acquis sans trop de difficultés.

    Lorsqu’elles rencontrèrent les Sombres, Noglaâ et Afaê venaient tout juste d’entrer dans leur saison d’enfantement.

    La première kibelâ, Yola, avait été intronisée sans attendre. Née d’un couple Ambre dont la pondération avait été remarquée par les sages d’Ambrée, « Celle qui sait », elle se disait messagère, guidait, conseillait, voyait les présages dans ce qui l’entourait. Dans ses expériences de transe, elle se connectait aux êtres disparus. Que faisait-elle alors ? Tous l’ignoraient. Ses vagues réponses ne semblaient concerner que le vivant. Les déceptions se répétaient. Aucune réponse ne venait éclairer l’étrange chose qu’était mourir.

    Le groupe qu’elle conduisait pratiquait le parler sans les mots.

    Le voyage se poursuivait. Quand fallait-il décider de s’installer ? Lorsque seront réunis forêt, rivière, abris rocheux, répondait invariablement la kibelâ. Elle s’isolait à certains moments de la nuit, s’adonnant à quelque pratique secrète. Ils percevaient sa concentration. Quelques fois, elle sollicitait l’attention de tous les adultes. Et chacun, chacune, donnait son avis sur le lieu où ils s’arrêtaient. À cette époque, on s’adonnait à l’écoute respectueuse des avis.

    Le lendemain, ils repartaient.

    Un jour pourtant, des nouveaux paysages se présentèrent. Était-ce l’atmosphère paisible du couvert nuageux ? Ou bien l’espace agrandi ? Ou la diversité des reliefs ? Ou les pépiements des bandes d’oiseaux ?

    Même si l’on ne pouvait exclure tout danger potentiel, cette terre semblait propice à une sédentarisation.

    La première nuit, ils virent la magnificence des trois lunes alignées dans le ciel nocturne. Yola souligna l’heureux présage.

    Cela faisait maintenant tant de nuits qu’ils se traînaient sur les chemins empierrés, gravissaient les pentes escarpées, s’écorchaient mains et pieds à s’arcbouter dans les passages rocheux, dévalaient sans plus de force une fois passés les cols, les vallons abrupts. Entre les pauses agitées, la traque de quelque gibier n’apaisant d’aucune façon leur faim, les mourants laissés sous des abris grossiers, les femmes ensevelissant les mort-nés, la nostalgie les happait dans ces rares moments diurnes de repos inassouvi.

    Alors, au cours de leurs jeux innocents, les Ambres lançaient le plus haut possible vers les cieux, des pierres blanchâtres perforées en maints endroits. Comme ils n’ignoraient pas que les pierres allaient immanquablement retomber, ils inséraient dans leurs cavités de minuscules duvets pris sur des oisillons dénichés. En suivant des yeux leur danse aérienne, leur mélancolie s’allégeait. Noglaâ, Afaê et Lissâe y participaient avec fougue.

    À la suite de la dernière attaque indigène encore plus féroce que les antécédentes, le groupe se décida pour les marches nocturnes. La froidure habituelle tendait à s’adoucir. Les derniers reliefs passés à grand-peine semblaient laisser place à une plaine.

    C’est Nâté qui l’a vue ! Il est monté là-haut sur la colline et l’a vue !

    Oui, Lissâe, descendons à présent, rejoignons cette eau.

    Les pieds n’en peuvent plus de ces cailloutis !

    Réjouis-toi les chasseresses ont rapporté du gros et nous allons enfin pouvoir nous restaurer.

    Que les sages t’entendent et qu’ils soient remerciés !

    Les trois femmes rassemblèrent leurs ballots épars afin d’entamer la descente vers les prairies dont les herbes flottaient. Harassé, le groupe aménagea le campement.

    Le jour point au-dessus des arbres, tout juste feuillus. Les braises palpitent délicatement, parfois avivées par le frôlement d’une brise sur les corps étendus, serrés les uns contre les autres, taquinant les chevelures rousses emmêlées de rameaux, feuilles, brins d’herbes. Amas de fourrures et de peaux écorchées. Arcs, frondes, lances, pieux, lampes à huile, calebasses, carcasses sanguinolentes. Des lanières de viande pendent, accrochées à des bouts de bois verts au-dessus du large foyer. Visages salis. Doigts écorchés. Parfois un ronflement jaillit du tas informe. Puis un remuement geint.

    Depuis un moment déjà, ils les regardent. Saisis par leur profond sommeil. Curieux.

    – Ils ne semblent pas agressifs.

    Dilê grogne. Oli ajoute :

    – Pour l’instant nous avons l’avantage.

    Lana se penche :

    – Il y a un petit.

    – Où ?

    – Là, désigne-t-elle, pointant son doigt vers un paquet plus rond que les autres.

    Dilê grogne à nouveau.

    – Dilê réfléchit.

    – Il fait jour.

    – Dilê a remarqué.

    Lana fait le tour du cercle des dormeurs. Elle revient vers ses compagnons et chuchote :

    – Il y en a un autre. Il ne dort pas celui-là. Oh Dilê, j’ai tellement envie de…

    – Lana ! Non !

    – Chut ! Tu vas les réveiller !

    – Il faut le faire. Il faut les éveiller. Trop longtemps que nous les observons.

    Dilê sait qu’il le faut. Il s’approche du corps qui lui apparaît le plus massif et le touche du bout de son pieu.

    – Dilê, ce n’est pas prudent, murmure Oli. Le feu dans leurs cheveux, là… Peut-être une force maléfique.

    Dilê continue son manège.

    L’œil d’une aube jaunâtre perce l’agrégat nuageux en rais obliques. La brise jusque-là discrète pousse ses rafales, telles des éclaireuses.

    Ballotté par les coups légers mais fermes du pieu, un buste se dégage mollement dessous son amas de peaux, sursaute, empoigne sa lance posée tout à côté de lui, se dresse sur ses pieds. Le souffle court, les yeux exorbités, la bouche ouverte, l’homme s’apprête à riposter.

    Dilê, Oli et Lana reculent. Ils se contemplent. La taille de l’homme les impressionne malgré son extrême maigreur. Des zébrures rougeâtres ornent sa peau nue couleur de résine. Sa toison emmêlée piège les minuscules fragments de lumière. Ils n’ont jamais vu une telle longueur. Ni une telle couleur. Souillé de terre, son visage oblong est pourvu des mêmes choses qu’eux. La surprenante teinte de ses yeux les trouble un peu. À ses oreilles, pendent des os que l’on croirait ciselés. À son cou, des colliers incrustés de pierres colorées.

    Un oiseau crie. Une forme bouge. L’haleine du ciel allonge les herbes. Les Sombres, Dilê, Oli et Lana restent immobiles. Silence. Quelques légers pépiements. La cadence inchangée du glouglou de la rivière plus bas.

    D’un capuchon où il est enfoui, un second visage surgit. La bouche émet un hoquet de surprise. Un corps un peu plus épais jaillit de sous les couvertures. Stupéfait, devant les regards qui le contemplent narquois.

    Naté doit se vêtir ! lance Safous.

    Sans quitter des yeux les trois indigènes, Naté se baisse et ramasse une peau dont il se vêt à la hâte.

    – L’inconnu est un homme, nous avons, nous aussi des hommes.

    Ainsi parla Dilê. Rires. Les éclats de sa voix font sursauter à son tour Afaê qui secoue Noglaâ, qui pousse Lissâe, qui s’empare aussitôt de la nouvellement née. Peu à peu remue le reste du groupe. Ils se lèvent les uns aux côtés des autres. Les chasseresses prêtes à tirer les flèches de leurs immenses arcs. Balourds, engourdis, hirsutes, sales, ils baillent, chassant les mèches de leurs fronts. Les deux petits gémissent puis rapidement mis au sein, se taisent.

    Dilê, Oli et Lana ne bougent toujours pas d’un pouce. Leurs armes restent contre leurs jambes. Les inconnus peuvent les tuer un à un. Ils se défendront courageusement. La situation ne leur paraît pourtant pas menaçante.

    – Ceux qui arrivent sont sur les terres des Sombres. Les Sombres accueillent les peaux claires.

    La main sur le thorax, Dilê s’incline. Oli, Lana font de même.

    – Nous suivons les cheveux de feu depuis deux fois le jour et la nuit.

    – Ainsi parle Dilê, ajoute Lana.

    Un sourire étire sa bouche. Elle tend les bras vers la petite pressée contre le flanc de celle qui a le ventre plein et dont la jolie frimousse émerge d’un tas de fourrures. Intensément ces deux-là s’observent. Comme les bras de Lana ne s’abaissent pas, Lissâe, hésite, quémande l’avis d’une très vieille femme à la peau plus claire, au visage fendillé de rides, restée accroupie un peu en retrait.

    – Qu’en pense Yola, notre kibelâ ?

    La vieille femme se hisse tant bien que mal, se redresse, crache ce qu’elle mâchonnait, renifle, tousse.

    Tous les étrangers attendent gravement.

    Elle s’avance vers Lana, enjambant avec

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