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Le RIRE DE JESUS
Le RIRE DE JESUS
Le RIRE DE JESUS
Livre électronique260 pages3 heures

Le RIRE DE JESUS

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À propos de ce livre électronique

Le héros de ce nouveau Jasmin fut le meilleur ami de Jésus et Aran veutnarrer sa jeunesse avec son drôle d'ami, le crucifi é célèbre. Le romancierquébécois illustre des lieux, des gens, des loisirs, des jeux sur un ton léger,moderne et vivant. Jasmin s'est amusé ici à jouer une sorte de rôle grave, celui,en apôtre apocryphe d'un cinquième évangéliste.Agnostique, mais fervent croyant, le romancier s'est rapproché de Jésus deNazareth, qu'il dit toujours admirer énormément. Le rire de Jésus est aussi unconte oriental. Le rire de Jésus fait rêver. Jasmin, avec ce roman néo-christianiste,joue de fi ction et d'histoire. Les lecteurs vivront là-bas aujourd'hui en des tempsanciens. Le rire de Jésus est une légende vraisemblable qui fait du fameux crucifi éun jeune être humain tout à fait ordinaire. Voici donc une fable, mais voiciaussi toute une série de péripéties quotidiennes au temps d'Hérode et dePilate.Après avoir lu ce livre, on verra Jésus autrement, plus vrai, moins « céleste »,plus vivant, moins grandiose, mais plus attachant. Lisez ce documentaireétonnant. Il s'accompagne d'un récit captivant à propos d'un pêcheur deNazareth qui va à sa croix.
LangueFrançais
Date de sortie6 juil. 2011
ISBN9782897261009
Le RIRE DE JESUS
Auteur

Claude Jasmin

Comme le héros du roman, Jasmin a eu un père marchand, importateur de « chinoiseries », rue Saint-Hubert, dans les années 30. Écolier, pieux servant de messe dans sa petite patrie Villeray, étudiant de latin, amateur de musique grégorienne, fasciné par Jésus, il souhaite même devenir prêtre. Devenu romancier et scénographe, il sera un Québécois farouchement anticlérical, pamphlétaire acharné contre « nos curés ». Il écrit ce bouquin sur l’enfance d’un Jésus plausible, vraisemblable. Un cinquième évangile ?

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    Aperçu du livre

    Le RIRE DE JESUS - Claude Jasmin

    Amomis.comAmomis.com

    roman

    Amomis.com

    Données de catalogage disponibles sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

    Marcel Broquet Éditeur

    55 A, rue de l’Église, Saint-Sauveur (Québec) Canada J0R 1R0

    Téléphone : 450 744-1236

    marcel@marcelbroquet.com • www.marcelbroquet.com

    Révision : Andrée Laprise

    Conception de la couverture et mise en pages : Christian Campana

    Illustrations : Claude Jasmin

    Distribution :

    MESSAGERIES ADP*

    2315, rue de la Province

    Longueuil, Québec J4G 1G4

    Téléphone : 450-640-1237

    Télécopieur : 450-674-6237

    Internet : www.messageries-adp.com

    * filiale du Groupe Sogides inc.,

    filiale de Québecor Média inc.

    Diffusion – Promotion :

    Amomis.com

    r.pipar@phoenix3alliance.com

    Dépôt légal : 1er trimestre 2009

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque et Archives Canada

    © Marcel Broquet Éditeur, claudejasmin@cgocable.ca 2009

    ISBN : 978-2-923715-88-9

    Version ePub réalisée par:

    www.Amomis.com

    Amomis.com

    Quand irons-nous, par de là les grèves et les monts,

    saluer la naissance du travail nouveau, la sagesse nouvelle,

    la fuite des tyrans et des démons, la fin de la superstition, adorer — les premiers ! — Noël sur la terre !

    « Le chant des cieux, la marche des peuples ! »

    Arthur Rimbaud

    ~

    Prologue

    ~

    Il y a quelque temps, une équipe d’amateurs d’archéologie qui travaillait aux «arènes romaines de Poitiers» , un des plus grands amphithéâtres antiques de la Gaule, a fait une étrange découverte.

    Cette équipe, piochant, creusant et tamisant les sols, là où la municipalité veut agrandir le «Parking Carnot», aurait trouvé des amphores antiques. Dans l’une d’elles, des rouleaux sur papyrus contenant une série de textes en grec ancien.

    Bientôt, on entendra sans doute parler davantage du contenu de ces écrits qui dateraient du temps de Jésus de Nazareth. Il s’agirait d’une série de témoignages sur le célèbre Galiléen.

    Le lot contient une vingtaine de rouleaux qui sont numérotés, mais sans aucune chronologie normale. Il s’agirait de souvenirs, de «Mémoires» spontanés, rédigés par un exilé de Jérusalem, un négociant important, converti et monté en Gaule.

    Ce Aran, élevé à Nazareth, s’y déclare le grand ami d’enfance de Jésus.

    ~

    Premier rouleau

    ~

    le suivre?

    Ça ne s’arrangeait pas pour mon ancien ami, les autorités, civiles comme militaires, le faisaient suivre. Partout. On le guettait, on surveillait ce drôle de type, prédicateur, au début hébergé à Capharnaüm, qui attirait des foules de plus en plus grandes et comme subjuguées par ce tribun étonnant, ce fabuleux orateur.

    Mon ami d’enfance était en danger.

    Nous étions séparés depuis longtemps. J’étais encore assez jeune lorsque ma famille avait déménagé à Jérusalem. De loin, il m’est arrivé de le suivre deux ou trois fois, en cachette. Ma situation de marchand important me permettait d’apprendre des choses. Ainsi, j’avais su que ceux qui l’espionnaient faisaient souvent du zèle, tentant d’infiltrer les rangs de ses fidèles disciples.

    Parmi ses partisans, je reconnaissais des camarades de jeunesse. La popularité de mon ami le mettait en danger. Je craignais même un attentat et je voulus prévenir certains de ses apôtres des périls qui le menaçaient. Mais ils n’aimaient pas mes réticences, mes craintes et on ne m’écouta pas. Ils ne comprenaient pas, je le voyais bien ; ils ne percevaient pas cette haine farouche des conservateurs, des traditionalistes.

    Je l’avais aimé moi aussi ce chef qu’ils entouraient d’affection totale, d’un amour véritable, et à qui ils vouaient une admiration sans borne. Mon grand ami était devenu un homme épié, cerné, étroitement surveillé.

    Certains des suiveurs, qui n’écoutaient ses prédications que d’une oreille, profitaient de lui. Ces hypocrites espéraient tirer un jour des avantages de cette popularité grandissante. Des jeunes fous jouaient les brigadiers zélés, miliciens désarmés d’un service d’ordre inexistant. Pour certains vauriens, fainéants intéressés, sans métier, désœuvrés, incapables de gagner leur vie, protéger le jeune maître était un refuge pratique. Au fond, tous ces parasites étaient des voyous.

    J’ai vite abandonné ce rôle d’«alerteur». J’étais un homme réaliste, lucide, les deux pieds sur terre, comme on dit. J’étais Aran, simple marchand, fils de marchand. Un ambitieux ordinaire qui brassait des affaires un peu partout dans la région, très loin parfois.

    Bref, j’avais réussi.

    Mes aptitudes avaient surpris mon père, Éliézer, le vieux patron de notre affaire d’exportation, lorsque je m’étais joint à lui. Fils négligent, longtemps absent du foyer, curieux de connaître le monde qui m’entourait et plutôt fainéant, j’avais tardé à me ranger. Mon père, plutôt sceptique, réticent et froid, avait fini par m’initier à son métier et je fis mes débuts en petit négociant en fruits, pistaches et épices variées à ses côtés.

    Enfant, à Nazareth, je m’étais lié au jeune voisin du même âge que moi et qui deviendrait ce populaire et si impétueux prêcheur.

    Nous étions comme les deux doigts d’une même main, malgré nos caractères différents. Comme si nous avions besoin l’un de l’autre.

    Qui a dit: «Les contraires s’attirent»? Les voisins lançaient en nous apercevant: «Les deux inséparables». Ou encore: «Quand on voit l’un, on voit aussitôt l’autre.»

    Mes parents aimaient bien mon ami, le fils du charpentier. Nous avons tant joué ensemble, que d’excursions vers le mont Thabor et vers le lac de Génésareth ou le fleuve Jourdain, là où des Israélites moins pieux se procuraient les poissons à écailles qui nous étaient pourtant interdits.

    Puis, à l’adolescence, nous avons offert nos services un peu partout sur des petits chantiers divers dans les alentours de Nazareth. Son père, ouvrier fort habile, nous confiait également des petits travaux, plus souvent à moi qu’à son propre fils qu’il imaginait de santé fragile. Vrai qu’il était bien maigre et qu’il était souvent malade. Malgré cette allure gracile, il faisait montre d’une sacrée force, d’une résistance physique étonnante. Je me débrouillais pas mal du tout en menuiserie, mieux que Jésus.

    Et puis, un bon jour, mon ami décida de quitter Nazareth. Il avait fait son bagage. L’air très grave, le visage d’un sérieux pesant, il se tenait devant la grille de notre logis. Il était venu m’embrasser. Une dernière fois.

    J’étais étonné. On disait qu’il se rendait très loin, dans un lieu d’étude au sud de Nazareth et de Jérusalem, du côté de la mer Morte.

    Ses parents, Joseph et Marie, au bord du chemin, semblaient tristes mais fiers. Aminadab, le maraîcher ambulant, ami de son père, attendait avec deux ânes couverts de bagages. Ils firent leurs dernières recommandations. Monté sur son âne, Jésus me jeta un dernier regard, me fit ses derniers saluts. Je n’y répondis pas.

    Je l’aimais. Il s’en allait.

    Comme tout le monde, je croyais qu’il deviendrait rabbin. Il était si travailleur, si brillant. Je ne lui en voulais pas vraiment puisque nous allions partir bientôt, nous aussi. Notre famille s’installait à Jérusalem, «ville phare», selon mon père dont l’entreprise se développait à toute vitesse. Il disait: «C’est joli Nazareth, mais c’est un trou. Un trou de province.»

    Mon enfance prit fin ce jour-là. Perdu de vue, l’ami inséparable. La vie. La vie réelle et rêvée.

    Évidemment, un jour ou l’autre, la plupart des gens perdent les amis d’enfance. Pas vrai?

    Malade, mon père avait fini par m’accorder pleine confiance. Bientôt, j’héritai du gouvernail de cette «grosse barque» qu’était devenue notre entreprise.

    Le bonheur pour moi, l’ambitieux. Rapidement, je brassai de grosses affaires, établissant des comptoirs dans d’autres contrées et signant des ententes compliquées. J’installai peu à peu des comptoirs jusqu’en Égypte. Puis en Grèce, pays dont j’avais appris la langue. Je n’avais pas vraiment le choix, le grec étant la langue des gens instruits et cultivés. Et je rêvais de Rome. Eh oui, Rome, pourquoi pas?

    J’ai toujours beaucoup rêvé.

    Bien établi à Jérusalem, j’ai d’excellents contacts avec les occupants romains et surtout avec de hauts gradés romains qui sont devenus des intimes. Ce qui m’oblige à me protéger de ces organisations de résistance armée et clandestines établies dans toute la Judée. Certains patriotards me considèrent comme «le traître des traîtres». Un homme à abattre. Des gens armés protègent ma famille.

    Rome est partout, son empereur est tout-puissant. Les Romains sont les plus riches, donc les plus forts. Que faire face à cette puissance universelle?

    Rien.

    Alors, j’entretiens de bonnes relations avec eux et ils me font confiance. Un jour l’un d’eux, jeune capitaine ambitieux et sympathique, s’est rendu chez moi, au nord-ouest de Jérusalem, du côté de la colline du Gareb. Sa famille s’intéressait à mes affaires.

    Brutus, officier trop gras, déjà chauve, aimait m’entendre lui raconter mes aventures de jeunesse. Mes frasques. Nos tours pendables à Nazareth. Il aimait rire. Nous nous entendions bien. Évidemment, je ne parlais pas de Jésus devenu ce célèbre prédicateur.

    Je lui fis visiter nos officines, mes quartiers d’affaires, les entrepôts, toutes nos installations et puis nous avons bu du vin de qualité, importé il va sans dire, sur la grande terrasse.

    Soudain, à ma grande surprise, Brutus me lança: «On m’a dit que vous aviez été amis  ; il paraît que tu aurais de l’influence sur ce petit magicien de Nazareth. Ce semeur de rêves? Est-ce vrai?»

    «Nous avons été, c’est la vérité, de grands amis.»

    Il a enchaîné aussitôt: «Tu dois lui parler, l’avertir qu’il cesse, qu’il prêche ailleurs, n’importe où, le monde est grand! Compris? Notre procurateur s’énerve beaucoup.»

    Je restai muet. Je n’en revenais pas. J’ajoutai que je m’inquiétais moi aussi et que je lui parlerais.

    Comme l’heure du repas vespéral approchait, Brutus devint bizarre, caressant nerveusement son crâne luisant. Il devait se rendre au marché acheter du poisson. Il se leva brusquement, me cracha de sa voix de fausset:

    «Pour le prédicateur fou, ton ami, explique-lui qu’en promettant le changement, la liberté et tout le reste, il joue à un jeu dangereux.»

    Il descendit l’escalier et marcha vers la cour. Je le suivis.

    «Ton drôle de rabbin menace la pax romana, l’ordre établi.»

    Pressé, il n’arrivait pas à ouvrir la grille, je l’aidai. Il disparut en me criant : «N’oublie pas de lui parler. C’est urgent!»

    Je savais qu’il existait des organisations, des groupes de révoltés clandestins, formés d’une jeunesse qui détestait les soldats romains. Mais lui, Jésus? Brutus, revenu sur ses pas, insista : «S’il ne quitte pas le pays, mes supérieurs vont se fâcher. Nous nous comprenons? Qu’il sache que Rome alertée n’aime pas, mais pas du tout, ni ces rassemblements gigantesques, ni ses propos, ni ses enseignements.»

    ~

    Je n’arrivais pas à obtenir une rencontre. Depuis qu’il avait sa garde de dévoués disciples, il était devenu très difficile de l’approcher.

    Je venais de rentrer au pays. J’avais été absent assez longtemps, allant d’Athènes jusqu’à Syracuse en passant par Byzance, afin d’ouvrir de nouveaux comptoirs. Dans cette dernière ville, des associés avaient voulu fêter mon anniversaire.

    33 ans déjà!

    Des parents de Nazareth me rapportaient sans cesse les succès du grand prédicateur des «temps nouveaux». On me recommandait d’être fier d’avoir été son ami. «Votre ami d’antan fait des tours de magie incroyables, il multiplie les poissons et le pain nourrissant des Multitudes. Il a guéri un aveugle et puis un sourd et aussi un paralysé. Même qu’il parvient à ressusciter des morts.»

    Une certaine faction d’insurgés le percevait comme une sorte de chef de guerre, le libérateur, le grand sauveur de la nation juive.

    «Ce guérisseur nous délivrera de ces pillards de Romains», murmurait-on de plus en plus. D’autres disaient qu’à cause de lui, de l’espoir qu’il faisait naître, des gens s’armaient secrètement, formant des milices qui s’entraînaient à combattre dans la plaine de Zabulon. Des militants pressés parlaient de mettre ce Jésus de Nazareth en avant, d’en faire le chef absolu, «tout le peuple le protégera», affirmaient-ils du fond de leurs repaires.

    Je pensais «danger», car ces rumeurs devaient énerver les autorités impériales.

    Je voyais Jésus vieillir en paix. Je l’imaginais toujours calme, prudent, pacifique, prêchant ses fameux «aimez-vous les uns, les autres» dans tout le pays et les alentours, vieillissant sagement, augmentant lentement au fil des décennies sa bonne influence.

    Tôt ou tard, j’en étais certain, nous allions renouer, nous rencontrer, nous rappeler en souriant notre enfance commune à Nazareth. Et puis, Jésus prendrait épouse un jour, il aurait de beaux enfants. Il mourrait très très vieux, entouré des siens, reconnu de tous comme un important philosophe sage et tranquille.

    Dans ce pays, nous n’avions jamais manqué de sorciers en tous genres et de magiciens de tout acabit. Sans parler de ces prophètes à la petite semaine, des prétendus astrologues, des faussaires, rarement doués, vieux barbus ou jeunes et jolies femmes de racement diverses, baragouinant l’araméen. Tous se proclamaient extralucides, sachant deviner l’avenir dans… dans tout. Marmites de vinaigre, bave de crapaud, jus de certaines treilles, lie de vin. Et quoi encore?

    Pour bien des nôtres, Jésus n’était qu’un charlatan de plus. Plus doué et plus habile, meilleur orateur et plus bel homme, certes. Deux jours après mon retour s’amenaient un quidam bizarre et son compagnon, louche loustic, bossu, aux yeux hagards. Le meneur du duo, un certain Adad, affirmait traîner avec lui «son mort»! Nachor, ce bossu, il avait pu le ressusciter. Le menteur jouant l’envoyé illuminé, affirmait-il, par les trois vénérables «pères de la nation», Abraham, Jacob et Isaac, collectait des oboles. Un cirque. Des vagabonds fumistes. Adad, sébile tendue, m’affirma avec culot avoir été un ami d’enfance de Jésus, ajoutant effrontément que «le fameux Nazaréen», qu’il avait initié, lui devait une grande part de ses pouvoirs.

    Je le chassai de mon domaine à coups de pied au derrière. Un adjoint riait, parla de «suppôts de satan» et ajouta : «J’ai su que le Galiléen aurait questionné le Belzébuth d’un possédé, lui demandant son nom et la bouche du démoniaque aurait répondu : Légions. Mon nom est légions.»

    On reprit le travail. Des olives nous arrivaient de partout, du raisin aussi, des dattes à pleins chargements des quatre horizons. L’entrepôt de Jérusalem débordait. Je devenais de plus en plus riche et je songeais davantage aux plans d’une nouvelle piscine qu’aux sorciers, aux astrologues ou aux… légions du grand satan. Je nageais dans les profits.

    De nouvelles menaces se précisaient et j’ai encore essayé de le prévenir. Je l’aimais encore. Oui, je l’aimais toujours. Nous nous étions tant aimés.

    Se méfiait-il de moi ou quoi? J’avais contacté ses fidèles et on me fit dire qu’il refusait cette rencontre. Je questionnai Jacques un jour, un autre, Thomas: «Se sauvait-il de moi?» On me répondit : «Mais non. Il a tant à faire. Il doit préparer un séjour au Golan du nord. Il doit aussi se rendre à l’ouest, à Gaza.»

    Et quoi encore? Des excuses, des prétextes qui ne tenaient pas debout.

    Un bon jour, je prévins carrément ses gens :

    «J’arriverai dans son camp, telle place, tel jour et à telle heure. Veut, veut pas!»

    Quand je me suis amené au-delà de la porte de Sterquiline, pour me rendre dans la vallée de la Géhenne, il n’y était plus. Il n’y avait personne. Tout au plus, quelques petites tentes vides!

    Il me fuyait?

    Pourquoi?

    Un autre jour, je l’aperçus d’une berge du lac de Génésareth, à Coronaïn. Il était dans une barque, sur l’eau. Il aimait, on me l’avait dit, parler aux gens rassemblés sur une grève, lui au large, dans la barque.

    Sermon terminé, je voyais bien qu’il s’en allait. Une grande foule de badauds bienheureux se dispersait peu à peu. Je me cachai. Quelques jeunes gens enthousiastes, vraiment très énervés, tentaient de capter son attention, mais des disciples les contenaient, les repoussaient. Jésus fit signe qu’il allait s’adresser à eux. Je m’approchai un peu. J’observai, j’écoutai et je fus soufflé. Mon ami jadis timide, réservé et solitaire, mon ami semblait habité d’une énergie, d’une force terrible. Sa voix aimée, assez faible jadis, était devenue forte, grave, chaude, solide et convaincante. Elle s’envolait au-dessus de tout ce jeune monde.

    Il parla longtemps. Pendant une pause, cette belle jeunesse chantait et riait. Tous buvaient une citronnade fraîche. Au loin, d’autres jeunes gens dansaient de folles farandoles. Cette allégresse si simple, bon enfant, me frappa.

    J’étais bien tout à coup. J’éprouvais l’envie de sortir de ma cachette et de me joindre à eux. Avec Jésus. Comme quand nous avions cinq ans, dix ans. Fou non? Un tel rassemblement tourné en fête populaire, j’en fus troublé. La foule s’étant éloignée, je me suis rapproché, j’ai questionné un des fidèles, vieillard épanoui au sourire édenté.

    «Que se passe-t-il ici, tant de liesse, vous fêtiez quoi?»

    «C’est qu’il a ressuscité un mort, un certain Lazare. On l’a bien vu, tous, qui sortait de son tombeau.» Il regarda au loin et me fit des gestes : «Regardez là-bas, près du bouquet de joncs, le voyez-vous? C’est lui, il marche. Il vit de nouveau.»

    J’ai voulu m’approcher de ce Lazare, mais c’était impossible tant ses parents et ses amis étaient nombreux. L’édenté m’a sorti cette phrase qui m’a jeté à terre :

    «Vous savez monsieur, cet homme n’est pas n’importe qui, il est le fils de Dieu, il nous l’a dit, il parle de Yahvé comme étant son père là-haut.»

    Son père. Je songeais au vieux charpentier Joseph, sans doute mort aujourd’hui.

    Le vieux tirait sur ma robe  : «Il affirme aussi que c’est mon père à moi, Jésus le répète : ll est votre père à tous et il vous aime. Cela nous change d’un Yahvé plutôt terrifiant.»

    J’ai marché un peu sur la rive. Comment aborder un ami perdu de vue depuis si longtemps? Dans de hauts herbiers, s’arrosant de l’eau du lac, on a voulu m’entraîner dans une danse frénétique. Je me suis éloigné en vitesse.

    Sur le chemin du retour, je me suis dit, triste intuition : «Il se fera tuer. Un jour, on va le tuer.» Puis je me suis retourné. Au loin, ce Lazare, silhouette noire dans l’horizon si bleu, que tout le monde entourait, voulait toucher.

    Je suis parti rapidement. On aurait dit que je me sauvais et c’était un peu vrai. Je ne voulais plus lui parler, l’avertir. J’ai regardé l’aveuglant soleil au zénith, je ne rêvais pas, un mort marchait, il était midi. J’ai pressé le pas encore, j’étais mal, j’étais nerveux, pas bien du tout dans ma peau, inquiet.

    Tout semblait irréel autour de lui, mon si cher ami. Oui, c’était le bon mot, irréel. J’avais bifurqué vers un chemin étroit et, soudain, je le revis entouré de son monde, au bord de la route vers Capharnaüm et Magdala. J’ai pressé le pas. J’ai traversé ce chemin, je me suis approché de Jésus qui caressait la tête d’une petite fille, aveuglée de soleil, qui riait à gorge déployée.

    Lui, non, il était sérieux, méditatif. J’ai dit à voix forte : «Jésus! C’est moi, Jésus, moi.»

    Il s’est retourné, m’a fait un petit salut de la tête, un geste de la main. Comme si nous nous étions vus une heure plus tôt. Juste un petit sourire, après tant d’années, juste cela, un maigre petit salut de la main.

    Je l’ai pris par le bras, il se lassait faire, il me souriait. Je l’ai amené dans un coin ombragé par des cyprès. Certains membres de son entourage savaient pour notre vieille amitié et on nous a laissés seuls. Je l’ai entraîné sur une butte sablonneuse là où il y avait quelques palmiers rabougris ; une brise toute légère venant du lac Génésareth s’était levée. Il m’a enfin regardé dans les yeux : «Tu viens pour me quereller, me chicaner? pour me prévenir, me gronder?»

    J’ai ri. Faisait-il allusion au passé? Vrai qu’à Nazareth, chef de notre bande, je l’engueulais souvent. Quand, par exemple, il refusait, si souvent, trop souvent, de se joindre à nos jeux.

    «Tu sais, je n’ai pas vraiment voulu cela, tout cela. Ce Lazare sortant vivant de son tombeau, je me suis laissé

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