L'énigme Syllivan Solto: Complot au Saguenay-Lac-Saint-Jean
Par Marius Tremblay
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À propos de ce livre électronique
Quelle énigme se cache derrière le sourire enjôleur de Syllivan Solto ?
Marius Tremblay
Originaire du Saguenay, Marius Tremblay a complété sa formation musicale à l’École Vincent d’Indy, aux conservatoires de Montréal et de Québec et à l’Université d’Ottawa. Il a parfait sa formation, par des sessions d’études aux conservatoires de Paris et de Nice, de même qu’au Centre d’Études et de recherches dramatiques de l’Université de Nancy. En 2010, Marius Tremblay a entrepris sa scolarité de doctorat à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) en Études et pratiques des arts. Sa recherche porte sur les structures de légitimité de l’opéra dans le système culturel du XXIe siècle. Ses outils de recherche étant : l’histoire sociale, la sociologie ainsi que l’analyse politique, esthétique et musicologique. Les romans : L’ombre de la Colline ainsi que : Le cycle des sylphides - Lohengrin ont été publiés par la maison d’édition Les mots en toile de Montréal. Le catalogue des œuvres de Marius Tremblay est riche et varié. Il comprend des symphonies, de la musique électronique, une Messe, des sonates pour divers instruments et plusieurs pièces vocales. Un disque compact de ses œuvres lyriques, La saison inachevée, a été salué par la critique. Dans le cadre de sa thèse, il a écrit le livret et composé la musique d’un opéra pour illustrer son propos : La Diva, la Star et le politique.
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Avis sur L'énigme Syllivan Solto
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Aperçu du livre
L'énigme Syllivan Solto - Marius Tremblay
Première partie
Chapitre 1
Un détour par Ottawa
Le vol LH 684 de la Lufthansa en partance de Francfort pour Montréal a été très agréable. Bien sûr, Syllivan Solto voyage toujours en classe affaires. Ce qui lui évite les files d’attente et, comme il est passager de la catégorie « classe ÉLITE », il profite des très chics salons aéroportuaires.
Son travail l’oblige à beaucoup voyager. Dans les vingt-cinq dernières années, il a dû faire une dizaine de fois le tour du monde. Il a séjourné dans de très chics endroits, dans de grandes capitales comme : Vienne, Milan, Paris, Hong-kong, Pékin, Londres et Berlin, aussi il faut l’avouer, dans des endroits plus rustiques comme en Afrique, en Inde et au Moyen-Orient. Peu importe l’endroit, il s’y est rendu comme un bon serviteur de son gouvernement.
Cette fois-ci, il est en vacances et non en service commandé. Après un bref passage à son ministère à Ottawa, il louera une voiture et montera dans « son pays bleu », comme le chantait Roger Whittaker.
Quel beau souvenir ! Il revoit le sourire de sa mère quand cette chanson émergeait de la radio, une petite boîte en plastique brune, qui occupait un coin du comptoir de la cuisine. Elle était convaincue que le « pays bleu » était son magnifique lac Saint-Jean et que l’auteur de cette chansonnette était un gars de Chicoutimi.
Le voilà aux douanes. Quelle surprise désagréable pour lui, qui doit faire la ligne pour voir un agent. Il n’a jamais rien vu de pareil ! Il maugrée et présente son pire visage au fonctionnaire qui, sans le regarder, prend son passeport et sa carte d’embarquement.
— Votre nom ?
— Syllivan Solto.
— Lieu de naissance ?
— Saint-Léonard.
— Nom de votre père ?
— Camillo Solto.
— C’est bien monsieur Solto, je vous souhaite un bon séjour au pays.
Alors, il fait signe à un type qui s’approche de lui en souriant.
— Monsieur Solto, dit-il en inclinant la tête, je suis le chauffeur qui doit vous conduire au ministère. Le sous-ministre¹ Lafleur vous attend aux environs de seize heures.
— C’est bien. Et vous, quel est votre nom ?
— Jimmy Turcotte, je suis chauffeur attitré pour le ministère du Commerce international depuis cinq ans. Je fais surtout la navette entre l’aéroport Trudeau et la colline Parlementaire. Si vous voulez me suivre, la voiture est juste devant la porte « 7 ».
Il prend ses bagages et se dirige d’un pas leste vers la sortie. Dès l’ouverture des portes, il respire un air qui sent un mélange de poussière et d’essence brûlé. Il trouve ça curieux, car il s’attendait à respirer la fraîcheur d’une bleuetière². Mais non ! Il est dans le stationnement de l’aéroport de Montréal, le lieu le plus pollué de la ville. Il s’empresse de monter dans la voiture qui file vers l’autoroute 40 Ouest en direction d’Ottawa.
La route étant monotone, il feuillette les journaux locaux, puis se laisse couler dans une rêverie où, devant ses yeux, défilent les souvenirs de ces vingt-cinq dernières années. Vingt-cinq ans, qu’il n’a pas remis les pieds au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Il se rappelle qu’il y a passé du bon temps avec la bande de Pointe-Bleu, quand sa mère vivait à Roberval. Il se demande, s’il ne pouvait pas revoir ses amis Norm et Ginette. Ginette qui fut l’instigatrice de l’amour pour tous ces ados pleins d’hormones et sans inhibition.
Oh ! Là ! Là ! Que c’est loin tout cela ! Il ne serait pas surpris que Ginette soit maintenant une bourgeoise de Roberval et que Norm soit maire de Saint-Prime. Quelle belle époque ! L’insouciance, avec ces nuits torrides sur les plages du lac appelé par nos ancêtres les Innus : Piékouakami (lac peu profond ou lac plat) qui, longtemps avant nous, se rassemblaient sur ces berges pour y passer la saison chaude ! C’était le temps des folies, des petits boulots, jusqu’au jour où il a rencontré son mentor Auguste Lapierre qui lui a enseigné le grand monde et lui a ouvert les portes du ministère où maintenant il officie à titre de « coordonnateur des services spéciaux à l’étranger ».
La voiture pénètre dans un parc de stationnement souterrain, ce qui le sort de sa torpeur.
— Nous voilà arrivés, monsieur Solto. Je vais vous accompagner au poste de sécurité, là on vous donnera une carte « Visiteur », puis nous irons au bureau du sous-ministre Lafleur, me propose mon chauffeur.
Comme il est accompagné de Jimmy Turcotte, les vérifications sont vite faites et ils se retrouvent dans un ascenseur express qui les conduit, le temps d’un soupir, du sous-sol au vingt et unième étage. Il a peur que ses pantalons ne lui tombent sur ses chevilles, tellement l’accélération est fulgurante. Il lui faut quelques secondes pour reprendre ses esprits. Il faut dire que ça ne lui est pas arrivé souvent.
Jimmy discute avec le garde de sécurité qui vérifie sa carte de visiteur. Malgré les protestations de son accompagnateur, il se doit d’aviser le bureau central de mon arrivée.
— I have in front of me a guy named : Syllivan Solto. Hum. Hum. It’s OK.
Il lui remet sa carte, et l’invite à passer les grandes portes vitrées en lui disant dans un français teinté d’un fort accent. « Vous m’excuserez, c’est la procédure. »
Le voilà dans un vaste hall d’entrée dans lequel trône un immense pupitre en plexiglas occupé par une élégante réceptionniste qui lui sourit.
— Veuillez vous asseoir, monsieur Solto, le sous-ministre vous recevra dans quelques minutes.
Il se dirige vers un sofa en cuir noir placé devant la porte au nom de R. Lafleur (deputy minister³). En s’assoyant, il remarque les noms inscrits à côté des deux autres portes : C. Lemaire (assistant deputy minister), et W. Schutt (assistant deputy minister). Cela lui rappelle un souvenir d’enfance. Oui, c’est ça, le fameux trio du Canadien : Lafleur – Lemaire – Schutt ! Comme c’est drôle. Il se demande si monsieur Lafleur a pensé à cela quand il a choisi ses lieutenants. Au même moment, la porte s’ouvre.
— Solto, je suis heureux de vous revoir !
Le sous-ministre lui tend la main et après une chaleureuse accolade, il l’invite à prendre place devant son bureau. Après s’être assis, il remonte ses lunettes et lui demande à brûle-pourpoint :
— C’est sérieux cette idée de passer du temps au Saguenay ?
Il est étonné du ton et de la question. De quoi il se mêle, aurait-il envie de lui répondre du tac au tac, mais il sait se contenir et placer sur sa figure un sourire diplomatique. Il lui demande innocemment :
— Monsieur, je me demande pourquoi vous avez cette question. Je ne suis pas allé au Lac depuis… Il réfléchit.
— 1991, déclare sèchement monsieur Lafleur. Ça fait vingt-cinq ans, mon cher Solto, si on compte vos années bohèmes à Québec et à Montréal sous la houlette d’Auguste Lapierre auxquelles on additionne vos années de services avec nous.
— Vous avez raison, monsieur, vingt-cinq ans sans revoir mon patelin d’origine, c’est long et je crois que je suis peut-être dans une période de nostalgie.
— Ce n’est pas surprenant, vous avez passé le cap de la cinquantaine, demande-t-il avec un sourire en coin ?
— Pas encore, mais c’est pour bientôt. Pour en revenir à mes vacances, je pense bien que je ne risque pas de rencontrer des fantômes de mon passé. À cette époque, j’étais une grande échalote aux cheveux frisés, tandis qu’aujourd’hui, mon poids frôle les cent quatre-vingts livres, mes cheveux sont courts et clairsemés et je porte des lunettes. Je ne pense pas que l’on pourrait me reconnaître… De toute façon, je vais me balader, faire du vélo autour du Lac.
Le sous-ministre dépose ses mains sur son bureau et fait reculer son fauteuil. Solto s’attend à ce que Lafleur se lève, mais il tire vers lui un dossier qu’il ouvre.
— Vous savez, nous avons beaucoup investi pour vous former et pour vous donner une nouvelle identité et ce serait désastreux que tout ce travail soit anéanti par une rencontre fortuite. Nous allons vous donner un chauffeur qui s’occupera de toute l’intendance de votre voyage. Si quelqu’un semble vous reconnaître, il interviendra. Ne vous inquiétez pas, nos agents sont formés pour cela. Vous préférez un homme ou une femme pour vous accompagner ?
Il est pris de court. En haussant les épaules, il répond :
— Je préférerais un homme, ça serait plus décontracté si c’était un Québécois.
— Je vous comprends, il fait une courte pause, ça fait du bien de se ressourcer dans le terreau de ses origines. Installez-vous à l’hôtel pour la nuit et demain matin, votre accompagnateur ira vous chercher. Avez-vous une préférence pour l’automobile ?
— Oui ! Je veux une Buick LaCrosse.
Son hôte se lève et le raccompagne vers la sortie. Il demande à la secrétaire de réserver pour Solto une chambre au Lord Elgin⁴. Il lui serre la pince une dernière fois et referme la porte derrière lui.
La jolie réceptionniste dépose l’acoustique du téléphone et lui annonce avec son plus beau sourire :
— Votre hôtel est réservé, monsieur, et vos bagages sont en route pour le Lord Elgin. Désirez-vous que j’appelle une voiture pour vous ?
— Ce n’est pas nécessaire, madame, je vais marcher. J’aime longer le canal Rideau, c’est si pittoresque.
— Vous avez raison, c’est un endroit magnifique.
Il sort du domaine des sous-ministres et des sous-ministres adjoints par la grande porte vitrée. Là, un autre garde de sécurité l’escorte jusqu’à l’ascenseur et au niveau du rez-de-chaussée, il remet sa carte d’identité à un autre agent de sécurité. Enfin, il est sur le trottoir de la rue Queen. Il est dix-sept heures et une forte faim le tenaille. Il remarque une voiture taxi stationnée devant le Centre National des Arts. Il suit son impulsion et monte à bord.
— Êtes-vous libre ?
— Bien sûr ! Où voulez-vous que je vous conduise ?
— J’ai une grosse faim, je pense que je pourrais engouffrer n’importe quoi.
Il n’oserait jamais avouer qu’il ressent le goût d’une poutine⁵, son standing en prendrait un coup. Mais qu’importe, il n’est pas en fonction.
— À la Pataterie Hulloise⁶, sur le boulevard Saint-Joseph, me lance le conducteur. Vous arrivez de l’étranger et la poutine vous a manquée ? Est-ce que je me trompe ?
— Vous l’avez dans le mille. Disons que ça va me changer de mon ordinaire.
Il a à peine le temps de terminer sa phrase que déjà le pont du Portage est traversé et que la voiture roule vers le boulevard Saint-Joseph. Il aperçoit l’enseigne du restaurant. À son grand étonnement, il salive à l’idée de déguster une poutine graisseuse.
Son séjour sur la rive québécoise de la rivière des Outaouais se limite à son indigeste repas, car, bien que ses papilles gustatives soient comblées, son système digestif ne tarde pas à manifester son mécontentement, tant pis ! Il hèle un taxi et rentre au Lord Elgin pour une bonne nuit de sommeil. Il a dû dormir d’une traite douze heures. Pourtant quand il s’est couché, il avait des craintes que son repas hors-norme ne trouble son repos.
À huit heures, le téléphone sonne, c’est la réceptionniste qui lui annonce l’arrivée de monsieur Patrick Beauregard.
— Faites-le monter dans vingt minutes.
— C’est bien monsieur.
Il a le temps de prendre une douche, de s’habiller et de feuilleter le journal local : LE DROIT. Beauregard frappe à la porte au moment convenu.
— Entrez !
La porte s’ouvre, il se retrouve devant un homme bien baraqué, à l’allure sympathique et dont le crâne est décoré d’une chevelure grisonnante, clairsemée, coupée très courte. Comme lui, il est vêtu d’un bermuda et d’une chemise aux couleurs estivales. Je suis tout de même en vacances, se dit-il en lui faisant signe de s’asseoir.
— Monsieur Solto, je m’appelle Patrick Beauregard. J’ai reçu l’instruction de vous accompagner durant votre séjour au Saguenay-Lac-Sain-Jean et de vous servir de chauffeur. Je dois aussi m’occuper de l’intendance de vos vacances, c’est-à-dire : les réservations d’hôtels, de restaurants et tous autres besoins que vous me ferez connaître. (Il sourcille… est-ce une proposition ?) Aussi, je dois vous accompagner dans vos déplacements au cas où vous feriez des rencontres fortuites.
— Mais, voyons ! Ça n’a pas de bon sang ! Je viens relaxer dans ma région natale et vous allez me coller aux basquets comme un garde du corps. Avez-vous le numéro de Lafleur, je veux lui parler tout de suite.
Le fonctionnaire sort de sa poche son cellulaire et se met en communication avec le sous-ministre.
— Monsieur le sous-ministre, dit-il avec déférence, je suis avec monsieur Solto, il aimerait discuter des détails de mes services auprès de lui.
Il entend un rire jaillir du petit appareil.
— Passez-le-moi, je vais lui expliquer, mais mettez le téléphone sur le haut-parleur. Je veux que vous entendiez.
Beauregard pose le cellulaire sur la petite table entre deux fauteuils.
— Solto, vous êtes là ?
— Oui ! répond-il sur un ton sec pour bien démontrer son mécontentement.
— Écoutez-moi bien, la mission de Beauregard est de vous conduire et de vous accompagner quand vous sortirez en ville. Pour vos balades à vélo, je ne lui impose pas de vous suivre, mais il doit toujours être en mesure de vous localiser. Si vous avez l’impression de reconnaître quelqu’un de votre ancienne vie, vous le prévenez, son rôle est de protéger votre nouvelle identité. De plus, vous allez voir, c’est un chic type, ses parents vivent à Grande-Baie⁷. Ainsi, ce sera un peu des vacances pour lui aussi. Y a-t-il d’autres questions ?
— Monsieur le sous-ministre, vous me connaissez, dans mon travail, je jouis de beaucoup de liberté et maintenant que je suis en vacances, je me sens un peu limité sans mes mouvements…
— C’est que nous tenons énormément à vous et que nous ne voulons pas que votre secret soit dévoilé. Sur ce, je vous souhaite du bon temps et beaucoup de repos. Profitez de la fin de votre été, votre agenda commence à se remplir pour cet automne.
La communication se coupe, il regarde son accompagnateur qui est suspendu à ses lèvres.
— Comme je n’ai pas le choix, je vais faire ma tournée au Royaume du Saguenay avec vous. Il paraît que vous êtes un chic type, alors je pense que nous pourrons nous entendre. Si vous êtes prêt, je le suis moi aussi. Mes bagages sont là. Alors en route !
Chapitre 2
Arrivée au Pays Bleu
Sous la marquise de l’hôtel, une magnifique Buick LaCrosse noire les attend. En ouvrant le coffre, des effluves de voiture neuve se dispersent dans les narines des deux hommes qui hument avec délectation cette odeur, un mélange de peinture et de cuir neuf. Évidemment, ils sont les premiers locateurs de ce véhicule. Solto s’empresse de demander à Beauregard :
— Je te laisse conduire jusqu’à Québec, mais c’est moi qui traverserai le parc des Laurentides.
— C’est comme vous voudrez, mais nous ne passerons pas par Québec. Nous prendrons l’autoroute 40, puis la 55 vers Shawinigan, pour tomber sur la 155, la route La Tuque – Lac Saint-Jean. C’est plus rapide et tellement plus pittoresque ! À moins que vous préfériez arriver par Alma ?
— Non, je n’y avais pas pensé, c’est un très beau trajet qui suit les rives de la rivière Saint-Maurice. Je suis bien content, je réalise que Lafleur a fait le bon choix en vous assignant la responsabilité de m’accompagner.
Beauregard ne répond pas, mais le gratifie d’un chaleureux sourire. Au bout de la rue Wellington, ils traversent le pont conduisant à Gatineau, puis roulent vers l’autoroute 50. Sans prévenir, le conducteur prend une sortie à l’entrée de Buckingham.
— Où allons-nous ?
— Je vais me chercher un bon café, en voulez-vous un ?
En effet, à l’extrémité de la bretelle se trouve un Tim Hortons avec un service à l’auto déjà très achalandé.
— Bonne idée, je vais prendre un muffin aux bleuets, je me souviens que jadis ils étaient très bons. Ça va me mettre dans l’ambiance du Lac.
Leur commande passée, ils avancent au guichet où les attendent les cafés et les muffins. Ils placent leurs gobelets dans un réceptacle conçu à cet effet dans la console de la voiture, puis Solto commence à déguster son gâteau les yeux fermés, petit morceau par petit morceau. Son chauffeur a repris l’autoroute en direction de Montréal.
— C’est la première fois que j’emprunte l’Autoroute 50. C’est bizarre qu’elle soit appelée ainsi, car dans les faits, ce n’en est pas une.
Le voyageur fait cette remarque d’un ton badin, en regardant le paysage qui défilait devant lui. À la hauteur de Fassett, ils surplombent les rives de la Rivière des Outaouais, c’est comme un avant-goût de la splendeur qui l’attend en descendant la côte de Chambord. Mais la vision est fugitive, comme celle de tous les panoramas et scènes qui filent trop rapidement devant leurs yeux. Puis ils passent devant l’aéroport de Mirabel. L’éléphant blanc de Trudeau qui est en démolition. Solto ressent un malaise. Il se demande si le Québec n’est pas en train de se désagréger. Il s’informe auprès de son chauffeur.
— Dis-moi Patrick, me permets-tu de t’appeler par ton prénom ? (Il acquiesce d’un sourire.) Que se passe-t-il dans la belle province ? J’ai l’impression qu’il n’y a plus cette vitalité que l’on ressentait partout il y a vingt-cinq ans ? Est-ce que je me trompe ? La démolition de Mirabel, je ne comprends pas, Montréal, comme métropole, pourrait être desservie par deux aérogares. C’est comme cela partout dans le monde.
— Vous ne vous attendez tout de même pas, monsieur Solto, que je vous fasse un breffage⁸ de la situation socioéconomique du Québec des dernières années, répond Beauregard en riant ?
— Pourquoi pas ? Mais à bien y penser, je suis en vacances, je n’y tiens pas vraiment. Je commence à avoir faim, as-tu une idée où nous allons manger ?
— Nous sommes sur la 640 en direction de la 40, je pensais arrêter soit à Repentigny ou à Berthierville, qu’en pensez-vous ?
— J’espère que le Saint-Hubert⁹ de Berthierville existe toujours, une bonne cuisse de poulet rôtie avec des frites et de la sauce, ça ferait mon bonheur. Il y a si longtemps que je n’en ai pas mangé. Je me souviens qu’alors, ce restaurant était notre halte avant d’entrer à Montréal. Que d’eau a coulé sous les ponts depuis lors !
Syllivan espère que son compagnon de route ne ressent pas la mélancolie qui croît en lui, au fur et à mesure qu’ils approchent de son beau pays bleu. Après leur repas à la rôtisserie, il prend le volant de leur magnifique Buick Noire, il ne manque que le petit drapeau sur l’aile pour lui donner une allure de voiture officielle. Il faut bien qu’il l’admette, malgré son