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La loi, expression de la volonté générale: Étude sur le concept de la loi dans la constitution de 1875
La loi, expression de la volonté générale: Étude sur le concept de la loi dans la constitution de 1875
La loi, expression de la volonté générale: Étude sur le concept de la loi dans la constitution de 1875
Livre électronique314 pages5 heures

La loi, expression de la volonté générale: Étude sur le concept de la loi dans la constitution de 1875

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À propos de ce livre électronique

"La loi, expression de la volonté générale", de Raymond Carré de Malberg. Publié par Good Press. Good Press publie un large éventail d'ouvrages, où sont inclus tous les genres littéraires. Les choix éditoriaux des éditions Good Press ne se limitent pas aux grands classiques, à la fiction et à la non-fiction littéraire. Ils englobent également les trésors, oubliés ou à découvrir, de la littérature mondiale. Nous publions les livres qu'il faut avoir lu. Chaque ouvrage publié par Good Press a été édité et mis en forme avec soin, afin d'optimiser le confort de lecture, sur liseuse ou tablette. Notre mission est d'élaborer des e-books faciles à utiliser, accessibles au plus grand nombre, dans un format numérique de qualité supérieure.
LangueFrançais
ÉditeurGood Press
Date de sortie6 sept. 2021
ISBN4064066338183
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    La loi, expression de la volonté générale - Raymond Carré de Malberg

    Raymond Carré de Malberg

    La loi, expression de la volonté générale

    Étude sur le concept de la loi dans la constitution de 1875

    Publié par Good Press, 2022

    goodpress@okpublishing.info

    EAN 4064066338183

    Table des matières

    AVERTISSEMENT

    CHAPITRE PREMIER

    CHAPITRE II

    CHAPITRE III

    CHAPITRE IV

    CHAPITRE V

    CONCLUSION

    00003.jpg

    AVERTISSEMENT

    Table des matières

    La présente étude n’a point pour but de discuter et d’apprécier des idées ou des doctrines, mais seulement de constater et d’établir, d’après les données fournies par le droit positif en vigueur, l’un des points capitaux du système constitutionnel français actuel. Je me propose de montrer que la Constitution de 1875 a appliqué et s’est par conséquent approprié, touchant la notion de loi et de pouvoir législatif, le concept énoncé dans le célèbre article 6 de la Déclaration des Droits de 1789, et je voudrais surtout mettre en clarté l’influence que ce concept a exercé sur les institutions consacrées en 1875.

    Pour fournir cette démonstration, j’utiliserai — en les rassemblant, en les coordonnant et en les mettant au point — les observations et les résultats que j’ai déjà eu occasion de recueillir sur le même sujet dans diverses études antérieures , auxquelles je me permets, pour maints détails, de renvoyer par avance le lecteur.

    (Juillet 1930.)

    CHAPITRE PREMIER

    Table des matières

    LES DIVERSES CONCEPTIONS ÉMISES DANS LES TEMPS MODERNES TOUCHANT LA LOI ET LE POUVOIR LÉGISLATIF

    1. — Un seul texte est consacré directement par la Constitution de 1875 au pouvoir législatif. C’est l’article 1er de la loi du 25 février, qui dit de ce pouvoir qu’il «s’exerce par deux assemblées, la Chambre des députés et le Sénat».

    Nos auteurs passent devant ce texte comme si son dispositif n’avait qu’une portée banale. Cela tient à ce que, dans cette phrase, ils mettent l’accent uniquement sur le mot «deux» : à leurs yeux, l’article 1er ne fait que consacrer, dès le départ, l’institution du Parlement en deux Chambres, à laquelle les constituants de 1875 ont attaché une si grande importance. Pour le surplus, a-t-on dit, les auteurs de la Constitution ne se sont pas souciés de dégager les éléments d’un corps de doctrine touchant le concept de pouvoir législatif: ils n’étaient nullement portés à se perdre en de telles spéculations. Mais ils ont employé le terme «pouvoir législatif» comme une expression usuelle, entrée dans le langage traditionnel et n’ayant point besoin qu’on s’attardât à en préciser la signification.

    Nous croyons cependant que la Constitution de 1875 n’a pas pu dire que le pouvoir législatif était réservé aux Chambres, sans qu’elle se soit implicitement attachée à un certain concept touchant le fondement de l’idée de loi ou touchant les conditions qui font que telle ou telle opération se rapportant à la législation est ou non un acte de puissance législative.

    De fait, et indépendamment de l’adoption du système bicaméral, la disposition précitée de l’article 1er n’est nullement négligeable: elle contient, en tout cas, au sujet du pouvoir législatif, de multiples notions, dont la portée est considérable. Elle consacre, en effet, ce principe que, seules, nos Chambres peuvent faire soit une loi véritable, soit un acte de puissance législative proprement dite. De là découlent maintes conséquences notables:

    Par exemple, l’article 1er condamne irrévocablement la théorie, si longtemps prépondérante, qui prétendait que les prescriptions édictées par un décret réglementaire ont nature de loi et que les règlements forment une législation secondaire, consécutive ou juxtaposée à la législation principale. Ce point de vue est inconciliable avec notre texte: car, puisque l’article 1er spécifie que les Chambres seules peuvent légiférer, il est manifeste qu’une règle décrétée par le chef de l’Exécutif ne peut, à aucun degré, être qualifiée loi; et de même, le pouvoir réglementaire exercé par le Président de la République ne peut aucunement être considéré comme une faculté de puissance législative.

    Autre exemple: Certains auteurs ont soutenu que par la promulgation le chef de l’Exécutif fait acte de puissance législative, attendu qu’il confère à la loi, en la promulguant, une force qu’elle ne possédait pas encore, la force en vertu de laquelle la loi pourra être mise à exécution. La promulgation, d’après cette doctrine, aurait donc pour effet, de même que la sanction dans les monarchies d’autrefois, de parfaire la loi; et elle apparaîtrait ainsi comme un élément de la formation des lois, donc comme une manifestation de pouvoir législatif. L’article 1er oppose à cette thèse une objection péremptoire. Car, en disant que le pouvoir législatif est exercé par les Chambres, il exclut la possibilité d’admettre que le Président de la République participe à l’exercice de ce pouvoir. Au sortir des Chambres et une fois la loi adoptée par elles, l’œuvre de la législation est achevée entièrement et l’exercice du pouvoir législatif est épuisé. La promulgation ne peut pas être une des opérations qui concourent à la confection des lois.

    De même encore, c’est bien à tort que l’on rangerait parmi les actes de puissance législative l’initiative des lois. 11 suffit que le droit d’initiative appartienne concurremment, d’après la Constitution de 1875. aux membres du Parlement et au chef de l’Exécutif, pour que nous puissions affirmer que l’initiative n’est pas une attribution de pouvoir législatif. Car, selon l’article 1er, il n’y a de pouvoir législatif que dans les Chambres. L’initiative met bien en mouvement le pouvoir législatif: elle n’implique point participation à ce pouvoir. Cela est bien évident d’ailleurs, vu que proposer n’est pas disposer. Il n’y a, comme le donne à entendre l’article 1er, que les Chambres qui disposent: et c’est pourquoi le pouvoir législatif commence et finit en elles, ou plus exactement il se confond avec le pouvoir d’adoption des lois, qui est leur monopole exclusif. L’adoption seule est acte de puissance législative. Toutes les opérations qui la précèdent, ne font que préparer la confection de la loi; toutes celles qui la suivent, ne sont que la conséquence de la naissance d’une loi qui, du seul fait de son adoption, est parfaite.

    2. — Ainsi, il résulte immédiatement et formellement de l’article 1er que les Chambres seules sont capables de faire œuvre législative. Mais ce texte, qui est décisif sur ce premier point, laisse dans l’ombre une seconde question dont l’intérêt pratique et théorique est tout aussi considérable et qui est de savoir dans quels cas une loi est nécessaire. Cette question se pose spécialement dans les rapports entre les Chambres et l’Exécutif: quels sont les objets, ou encore quelles sont les sortes de règles, décisions ou mesures, qui forment la matière propre du pouvoir législatif et pour lesquels l’article 1er entend, par suite, exiger une intervention de l’organe de la législation, statuant au moyen d’un acte législatif? quels sont, au contraire, les objets ou les prescriptions que l’article 1er n’entend pas réserver à cet organe et pour lesquels il suffit d’un décret présidentiel? En d’autres termes, quel est le critérium de la distinction entre pouvoir législatif et pouvoir exécutif, entre puissance qui n’est reconnue qu’au Parlement et compétence ouverte à l’Exécutif, entre matières législatives et matières qui ne font pas partie du domaine de la législation?

    3. — S’il était vrai, comme on l’a prétendu, que la Constitution de 1875 a parlé du pouvoir législatif en s’en rapportant au sens usuel de ce terme et sans vouloir engager aucune conception précise ou particulière touchant la notion de la loi, il faudrait rechercher en dehors de nos textes constitutionnels la solution du problème qui vient d’être posé et qui se pose, d’ailleurs, chaque jour dans la pratique. C’est ce qu’ont fait la plupart de nos auteurs. Ils définissent la loi, le pouvoir législatif, le domaine de la législation, sans se préoccuper ni du langage des textes de 1875, ni davantage du système général qui se dégage de ce langage quant à la distinction et à l’organisation actuelles des pouvoirs. La méthode employée par les auteurs consiste donc à puiser les éléments de la notion de loi dans les précédents fournis par la littérature traditionnelle, dans certaines théories célèbres venues du passé, et notamment dans des considérations tirées de la doctrine de Montesquieu, qui, on le sait, construit son système de classification et de séparation organique des pouvoirs en partant de la préoccupation de procurer aux citoyens une garantie tutélaire de la «sûreté » de leur statut juridique individuel (Esprit des lois, liv. XI, ch. (i).

    Ces définitions classiques de la loi sont si connues qu’il suffira de peu de mots pour les rappeler.

    4. — La première, celle qui a toujours tenu une place prépondérante dans les ouvrages de droit public, caractérise la loi comme une règle générale, c’est-à-dire une prescription qui ne vise ni un cas particulier et actuel, ni telles personnes déterminées, mais qui est édictée d’avance pour s’appliquer à tous les cas et à toutes les personnes rentrant dans les prévisions abstraites du texte régulateur. Ceci ne veut pas dire que la règle générale doive concerner tous les citoyens: une loi fixant les conditions d’éligibilité et d’élection du Président de la République, pose une règle générale, par cela seul qu’elle statue in abstracto et sans acception de personnes. De même, une loi qui établit un impôt extraordinaire à percevoir une seule fois, statue generaliter, bien qu’elle soit une loi de circonstance, parce qu’elle statue ergaomnes.

    5. — Ce n’est assurément pas dans la Constitution de 1875 que les auteurs qui définissent la loi par la généralité de la disposition, ont trouvé les éléments de cette définition. Nulle part, nos textes constitutionnels ne laissent entendre que le pouvoir législatif réservé aux Chambres consiste en émission de règles générales. Bien au contraire, il ressort de la Constitution que nombre de mesures d’espèce ou d’exception ne peuvent être adoptées que par la voie législative, c’est-à-dire au moyen d’un acte législatif émané des Chambres. Et inversement, la Constitution de 1875 donne ouverture à un pouvoir réglementaire du Président de la République, qui permet à l’Exécutif d’édicter par décret un grand nombre de règles générales.

    Il est donc visible que la théorie de la loi règle générale n’a pas été bâtie avec des matériaux fournis par notre droit constitutionnel positif. On la justifie par des considérations d’ordre rationnel, et en particulier par l’une des idées qui ont servi de base, dans les temps modernes, au régime dit de l’État de droit. Dans l’État de cette sorte, il a paru indispensable, en effet, que le droit applicable aux citoyens soit créé, non par voie de mesures actuelles et individuelles, qui pourraient être arbitraires ou partiales, mais au moyen de prescriptions préfixes, communes à tous les membres du corps national, et qui, par là même, offriront à ceux-ci des garanties d’impartialité ; en outre, les citoyens trouveront une garantie de sécurité dans le fait qu’ils savent par avance le droit qui pourra leur être appliqué par les agents administratifs ou qui devra leur être dit par le juge. Ainsi, la généralité du droit déterminant le statut individuel des citoyens apparaît comme la condition même d’un régime de légalité et comme un postulat essentiel du système de l’État de droit. Et l’on est amené, par suite, à concevoir la loi comme une institution dont la destination même est de fonder les règles générales, étant entendu que le contenu de la législation liera, avec une force supérieure, les administrateurs et les juges. Telle est l’idée directrice dont s’inspire Montesquieu (loc. cil.), lorsque, dans sa théorie séparatiste, il fait allusion à la généralité de la loi comme à quelque chose qui va de soi. La Révolution, de son côté, a fait à cette idée une large part, en posant en principe dans l’article 6 de la Déclaration des Droits de 1789 que la loi «doit être la même pour tous, tous les citoyens étant égaux à ses yeux».

    Selon Rousseau, le concept de généralité de la loi a une base plus large encore. Il procède de l’identification établie par Rousseau entre le pouvoir législatif et la souveraineté populaire, celle-ci coïncidant à son tour avec le pouvoir inhérent à la volonté générale. Rousseau définit la loi «l’expression de la volonté générale», en ce double sens qu’elle est l’œuvre du peuple entier et qu’elle statue pour ou sur le peuple entier. Elle est souveraine à raison de son origine populaire. Mais cette origine ne suffirait pas, à elle seule, à lui imprimer le caractère de souveraineté : le peuple ne fait acte de puissance souveraine que lorsqu’il édicte des règles appelées à former l’ordre juridique de la communauté en son ensemble; une décision ou mesure particulière, même si elle a le peuple pour auteur, n’est plus qu’un acte de magistrature et non de souveraineté (Contrat social, liv. II, ch. 6; liv. III, ch. 1er). La loi doit donc être une volonté générale, à la fois, par son origine et par son contenu. Peu importe, d’ailleurs, l’objet auquel ce contenu se rapporte. Le concept de loi, dans la doctrine de Rousseau, ne répond plus seulement à la préoccupation d’assurer aux citoyens les bienfaits du régime de la légalité. Il repose sur l’idée que le souverain, c’est-à-dire le peuple, doit intervenir pour édicter, à titre de volonté et sous forme de règles générales, toutes les prescriptions qui commanderont l’activité des autorités subalternes préposées au gouvernement, à l’administration et à la justice. Et ceci s’étend aussi bien aux prescriptions relatives aux affaires publiques de la communauté, notamment au fonctionnement des services publics, qu’à celles qui visent soit le droit des particuliers et leurs relations mutuelles, soit leurs rapports avec l’État et ses agents.

    6. — Ce sont ces vues séparatistes de Montesquieu ou démocratiques de Rousseau qui provoquent, de nos jours encore, la persistance de la doctrine qui voit dans la généralité de la disposition le signe distinctif de la loi et l’élément essentiel de sa définition. A côté de cette doctrine, il en est une seconde, fort répandue aussi et qui, pas plus que la précédente, n’est tirée des textes constitutionnels en vigueur, mais qui repose, elle aussi, sur des traditions léguées par le passé. Ici, l’on définit la loi par sa matière, c’est-à-dire au moyen d’une distinction entre des matières qui sont du ressort de la législation et d’autres qui peuvent être traitées par décret. La matière propre de la loi, dit-on, c’est la règle de droit. Et par suite, l’article 1er de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 qui réserve le pouvoir législatif aux Chambres, doit être entendu en ce sens que l’adoption des règles de droit forme le domaine propre de la compétence législative des assemblées parlementaires. Qu’entend-on, dans cette seconde théorie, par règle de droit?

    7. — La propagation du concept qui identifie la loi avec la règle dite de droit, est due à des causes historiques, qui datent de l’époque où se sont établies sur le continent européen les monarchies constitutionnelles, c’est-à-dire de la première moitié du XIXe siècle. A cette époque où les monarques ont limité leur puissance antérieure par des Constitutions octroyées, dans lesquelles ils se soumettaient notamment à la condition de ne sanctionner que des lois qui eussent été, au préalable, adoptées par le Parlement, il devenait fort important de discerner les objets pour lesquels une loi, c’est-à-dire un vote parlementaire, était nécessaire, de ceux qui, ne rentrant pas dans la législation, pouvaient être réglés par de simples ordonnances du chef de l’État, sans intervention des Chambres. Cette question a surtout été discutée et développée dans la littérature allemande. Les Allemands ont pu naguère lui trouver une base de solution dans certaines de leurs Constitutions qui, dans la période de 1814 à 1830, avaient spécifié que l’assentiment du Landtag est requis «pour toutes les lois qui touchent à la liberté et à la propriété des personnes» : langage qui impliquait qu’il y a lieu de considérer comme matière de loi toute règle, prescription ou mesure, qui apporte une modification ou une innovation dans le statut juridique des particuliers, en créant pour eux des charges ou des facultés nouvelles. En d’autres termes, il ne peut être touché au droit des citoyens, à celui qui fixe leur état et le régime de leurs biens, ou qui régit soit leurs relations mutuelles, soit leurs rapports avec les autorités publiques, que par une loi faite avec le concours des Chambres. En sens inverse, le monarque gardait le pouvoir de décréter par lui seul, en forme d’ordonnance, toutes les prescriptions ou mesures qui visent autre chose que le droit des citoyens: et ceci s’appliquait notamment à la réglementation des services administratifs, en tant que les règles à édicter pour l’organisation et le fonctionnement de ces services ne devaient produire effet qu’à l’intérieur du service et ne s’adressaient, par conséquent, qu’aux fonctionnaires comme tels, sans être opposables aux administrés, ni invocables par eux. En somme, toute cette théorie se rattachait aux principes monarchiques, suivant lesquels le monarque, titulaire primordial de tous les pouvoirs d’État, conserve le libre usage de tous ceux de ces pouvoirs dont il ne s’est pas dépouillé ou dont il n’a pas limité l’exercice entre ses mains par la Constitution. C’est pourquoi la distinction qui vient d’être rappelée, s’est accréditée en France, à l’époque des Chartes, tout comme dans les États monarchiques de l’Allemagne.

    Mais cette théorie sur la matière respective du pouvoir législatif et du pouvoir d’ordonnance ne répondait pas seulement aux concepts de la monarchie. Elle concordait aussi avec la doctrine de Montesquieu sur la séparation des pouvoirs. La doctrine de l’Esprit des lois présuppose, en effet, essentiellement une distinction établie ratione materiae entre les fonctions de puissance: c’est en raison même de leur objet matériel que Montesquieu demande que les trois pouvoirs soient remis séparément à des titulaires distincts. En ce qui concerne le pouvoir législatif notamment, la matière en est déterminée par le but que vise Montesquieu et qui est. selon ses propres déclarations, de mettre les citoyens à l’abri du danger qu’ils courraient si l’autorité appelée à leur appliquer les lois était maîtresse de les faire ou de les changer. Il résulte ainsi logiquement de la pensée de protection dont s’inspire l’auteur de l’Esprit des lois, que le pouvoir législatif, en tant qu’il s’agit de sa séparation d’avec le pouvoir d’ordonnance, doit s’entendre comme comprenant tout ce qui touche au droit régissant les citoyens et comme ne comprenant pas ce qui laisse intact leur droit individuel. La distinction qui s’est établie dans les monarchies du XIXe siècle entre ces deux pouvoirs envisagés quant à leur matière respective, se relie donc par un lien de filiation directe aux vues de Montesquieu.

    8. — C’est sous l’influence combinée de ces vues libérales et des principes d’ordre monarchique que s’est formée la théorie qui fait coïncider la notion de loi avec celle de règle de droit, celle-ci étant entendue elle-même dans un sens spécial et tendancieux; car, selon les préoccupations qui ont présidé à la formation de cette théorie et qui étaient de sauvegarder en faveur du monarque un large pouvoir de libre ordonnance, la portée du mot «droit» se trouvait singulièrement rétrécie, le nom de «droit» ne devant s’appliquer qu’aux règles, prescriptions ou mesures, qui déterminent la condition juridique des particuliers. Encore convient-il d’ajouter que la terminologie courante réservait le nom de règles de droit à celles-là seulement qui créent du droit d’une façon initiale. Une décision d’administrateur, la sentence d’un tribunal, engendrent bien un état de droit à l’égard des personnes sur qui elles prononcent; toutefois, ces décisions n’étaient pas considérées comme donnant naissance à des règles créatrices de droit: elles passaient pour ne point créer du droit nouveau, attendu que le droit élaboré par ces autorités subalternes se trouve déjà contenu virtuellement dans l’ordre juridique préexistant; il est élaboré, en effet, en vertu de principes qui ont été posés par les lois en vigueur ou en vertu de pouvoirs que l’administrateur et le juge tirent de la législation préétablie. En revanche, la notion de règle de droit ne supposait pas nécessairement une règle émise par voie de disposition générale. Une mesure créant du droit nouveau ou dérogeant au droit antérieur, ne fût-ce qu’à l’égard d’une seule personne déterminée, rentrait dans la catégorie des règles de droit et devait faire l’objet d’une loi, s’il n’existait pas, dans l’ordre juridique en vigueur, de prescription conférant à une autorité autre que le législateur le pouvoir de l’édicter.

    9. — De la théorie de la loi règle de droit, qui a été longtemps accréditée dans la littérature et la jurisprudence et dont l’influence y persiste aujourd’hui encore, de multiples conséquences ont été déduites:

    D’abord — et c’est là le grand intérêt pratique que lui attribuent ses défenseurs — elle fournit un critérium très simple et très sûr, en apparence du moins, pour discerner ce qui relève du domaine de la législation et ce qui, au contraire, est accessible à la réglementation par décrets. Sera matière de loi, dépendant comme telle de la puissance de l’organe législatif, toute règle ou mesure, générale ou d’espèce, qui implique une modification dans l’ordre juridique applicable aux citoyens. Sera matière de décret toute-prescription ou mesure, générale ou d’espèce, qui ou bien ne doit pas produire effet à l’égard des particuliers, ou bien ne fait que mettre en œuvre à leur égard le droit qui les régissait précédemment.

    On a dit de ce principe de répartition des matières entre lois et décrets qu’il ne comporte d’autres exceptions que celles qui résulteraient d’un texte de loi, constitutionnelle ou ordinaire. D’une part, il est des règles ou mesures qui ne visent ni n’atteignent dans la sphère de leur droit respectif les particuliers et pour l’adoption desquelles cependant un texte exprès spécifie qu’une loi est nécessaire: le législateur a, en effet, la faculté d’évoquer à lui et de se réserver en propre tel ou tel genre de matière, bien que celle-ci ne soit pas législative d’après la classification qui vient d’être indiquée. D’autre part et inversement, il est au pouvoir du législateur, selon les Constitutions modernes, d’habiliter par un texte spécial l’Exécutif à édicter par décret des règles qui touchent au droit même des particuliers. On serait porté à déduire de cette double constatation qu’il n’est pas vraiment exact de caractériser les règles de cette dernière sorte comme la matière propre et réservée de la législation: mais il semble qu’au lieu de parler ici de principe et d’exceptions, il serait plus conforme à la réalité juridique de résumer l’ensemble du système du droit positif, quant à la répartition des matières entre lois et décrets, en disant, dans une formule principielle unique, que le pouvoir décrétai de l’Exécutif a pour matière les règles ou objets qui lui sont attribués par les lois en vigueur. Telle n’est point la position adoptée sur cette question par les théoriciens qui définissent la loi une règle de droit. En partant de cette définition, ils soutiennent que toutes les fois qu’un texte de loi habilite l’autorité exécutive à décréter des règles applicables aux citoyens, le législateur en cela fait passer à cette autorité sa compétence législative: l’habilitation, dès lors, est présentée par eux comme une délégation de pouvoir législatif faite par les Chambres à l’Exécutif. En effet, disent-ils, la règle de droit est, en principe, matière de loi, une matière qui relève du pouvoir législatif du Parlement; pour que des décrets soient devenus capables d’édicter des règles de droit qui dépendent de la puissance législative, il faut donc supposer que leur auteur a été investi de cette puissance même, tout au moins au point de vue de la compétence matérielle. Ainsi se dégage la doctrine suivant laquelle les décrets réglementaires habilités à toucher au droit des particuliers seraient fondés sur une délégation législative, venue du Parlement: doctrine qui a joui d’un grand crédit en France et en Allemagne; doctrine d’où il résulte aussi que les règlements de cette espèce, puisqu’ils se fondent sur une transmission de puissance législative matérielle, sont eux-mêmes, de par leur matière ainsi déléguée, des lois. Toute cette doctrine de la délégation législative est une conséquence directe de la théorie de la loi règle de droit. Par contre, lorsque le Parlement légifère sur des points qui n’engagent pas du «droit» au sens précité, du droit concernant les individus et leurs formations corporatives privées, on a affirmé que, sous ces apparences légiférantes, le Parlement ne fait point acte de puissance législative véritable.

    La théorie de la loi règle de droit a eu aussi pour conséquence de provoquer, quant au pouvoir réglementaire du chef de l’Exécutif, la division des règlements en deux classes, que l’on distingue d’après le contenu de l’acte réglementaire. Il y a des règlements qui édictent des prescriptions ayant le caractère de règles, de droit: tel est le cas notamment des règlements de police, qui ont pour objet direct de mettre à la charge des administrés des obligations et qui concourent, par conséquent, à créer, quant à eux, de l’ordre juridique. Assurément, du point de vue de sa forme, aucun règlement ne peut prétendre à la qualification de loi, puisqu’il est l’œuvre de l’autorité exécutive et non des Chambres. Mais, du moins, l’on a dit des règlements de cette première espèce que par leur objet, par les caractères intrinsèques de leur dispositif, ils ont nature de lois; et l’on a fait valoir, en ce sens, que leurs prescriptions participent aux vertus foncières des règles de droit législatives, en tant qu’elles sont applicables, de la même façon que celles-ci, aux personnes qu’elles concernent. C’est pourquoi, même parmi les auteurs qui répudient la théorie de la délégation législative. il s’en est trouvé qui ont assimilé, ratione materiae, de tels règlements aux lois, comme aussi ils assimilaient en pareil cas le pouvoir réglementaire au pouvoir législatif. En sens inverse, les règlements qui ne portent point création de droit nouveau pour les citoyens et dont les prescriptions ne s’adressent qu’aux fonctionnaires à titre de règles de service, ne sont plus considérés comme législatifs: on dit d’eux qu’ils ne sont, quant au fond comme en la forme, que

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