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Les douze travaux de Midoli
Les douze travaux de Midoli
Les douze travaux de Midoli
Livre électronique178 pages2 heures

Les douze travaux de Midoli

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À propos de ce livre électronique

Dans les montagnes du nord du Laos, au début du vingtième siècle.
Midoli, adolescente surdouée, ne supporte plus les conditions de vie miséreuses de son village. Elle parvient à quitter sa famille et son peuple. Elle découvre la ville, ses attraits et ses pièges, la civilisation occidentale, l’amour aussi. Elle connaît les horreurs de la guerre qui sévit en Indochine. Doutes, sacrifices et douleurs sont le prix à payer pour construire la vie qu’elle rêve.
LangueFrançais
Date de sortie20 nov. 2019
ISBN9782312070636
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    Aperçu du livre

    Les douze travaux de Midoli - Loïc Kergroac’h

    978-2-312-07063-6

    I

    1925

    Quelque part dans un village de montagne, au nord du royaume de Luang Pra bang.

    Midoli n’a pas de frères. Elle a une grande sœur, qui s’appelle Shu-Shu. Et plusieurs petites sœurs. Combien exactement ? Difficile à dire… Sept, dit Maman. Mais aujourd’hui seulement trois vivantes. La mortalité infantile est élevée à Konsali, le village de Midoli. L’humidité du climat, le manque d’hygiène, la consanguinité…

    Ses sœurs sont malingres. Midoli ne leur ressemble pas. Elle est solide et très jolie. Elle aime beaucoup son aînée, Shu-Shu, qui est triste, pensive et maladive.

    Tout le monde vit à l’étage de la maison à pilotis. Des nattes sont disposées sur le caillebotis de bambou. Au rez-de-chaussée, c’est le débarras, le feu pour la cuisine, le métier à tisser de Grand-mère.

    Il n’y a plus d’hommes dans la maison. Midoli n’a jamais connu son père. Sa mère continue à être enceinte et à faire des bébés année après année. Le géniteur habite la maison voisine. Il tresse des paniers avec des lamelles de bambou. Il est un peu demeuré. Et sale. Mais prolifique. Il a une épouse à qui il fait aussi un enfant de temps en temps. Quand il l’a prise pour épouse, il avait vingt ans et elle avait huit ans. Il s’appelle Hong, il est le chef du village.

    Midoli entend le bruit des flèches qui se fichent dans la balle de paille de riz. Ça fait tchouf, tchouf, tchouf…

    Les garçons du village s’entraînent au tir à l’arc. Ils tuent toutes les petites bêtes qui peuvent se manger. Il n’y a plus d’oiseaux. Les rats vidés de leurs tripes sèchent écartelés pendus sur un fil au-dessus du toit de la maison. Il reste beaucoup de rats qui courent dans le village. Il faut entourer d’une plaque de tôle les poteaux qui soutiennent les maisons. Les rats sont intelligents. Ils ont compris que c’était inutile d’essayer d’y grimper, ça glisse !

    Les plus riches familles de Konsali possèdent une truie et une chienne qui font régulièrement des petits. Les porcelets et les chiots sont élevés sous la mère, indifféremment chienne ou truie, les petits s’y trompent. De toute façon, ils finiront de la même manière, à la marmite. Avant six mois, on mange les petits chiens. Ils sont encore tendres. On attend un peu plus longtemps pour les cochons. Midoli aime se vautrer dans la nichée de porcelets et de chiots. Ils sont joueurs et la peau de leur ventre est douce au toucher. Surtout celle des chiens.

    Grand-mère passe ses journées à tisser. Depuis des années, on dit qu’elle est âgée de 101 ans. On l’a toujours connue au village, même avant le grand déménagement, quand on a été chassés de Chine et que les ennemis ont tué tous les hommes valides.

    Tant qu’il y a assez de lumière, la vieille travaille. Le matin et le soir, elle descend et gravit l’échelle sans rampe qui monte à la salle commune, au premier. Lentement, prudemment, échelon après échelon, avec un pied tordu. Les seuls moments de tendresse que Midoli connaît, c’est auprès de sa Grand-mère et de sa sœur Shu-Shu. Mais c’est rare. Dans ce monde, on ne s’embrasse pas, on ne se caresse pas, on ne se câline pas.

    Guan est un brocanteur. Il vient de temps en temps acheter aux villageois le fruit de leur travail, qu’il paie avec un peu de nourriture, des perles ou du coton, de la soie parfois. Il apporte dans sa petite carriole de la verroterie, des casseroles, des bouts de métal qui brillent. Il propose aussi du camphre, des huiles essentielles, du tabac, du sel. Quand on n’a pas de sel, on fait cuire la viande sous la cendre, avec des herbes. Guan est un tout petit bonhomme, marcheur infatigable, sec comme un fétu de paille de riz. Il a les cheveux raides et gris, coiffés au bol, les dents écartées et un éternel sourire.

    La vieille qui a 101 ans a le visage fripé. Ses dernières dents sont noires d’avoir mâché du bétel. Elle fabrique des longues étoffes qui peuvent servir à tout. Vêtement, couverture, décoration. Toute la journée elle tisse. Son pied tordu est tout ramassé sous le métier. Mieux que le chaman, elle connaît toutes les médecines qui guérissent les plaies, les brûlures, les maux de tête ou de ventre. Elle possède un assortiment de potions et de poisons dans un coffret de rotin, près de sa couche, dans la chambre commune à l’étage.

    Il y a au village un aveugle. À l’aide d’un long tuyau de bambou plongé dans une jarre de terre, il sirote à longueur de journée de l’alcool de riz, qui ressemble plus à de la pisse de truie fermentée qu’à de l’alcool de riz. Il n’émerge jamais de son ivresse.

    Le chaman ne boit jamais d’alcool. Nuit et jour il est abruti par l’opium qu’il ingère et qu’il fume.

    Un jour un homme est passé dans le village. Il s’appelle Bounkong.

    Bounkong est un ancien moine. Il est devenu ensuite commerçant et s’est enrichi. Il n’a jamais profité de sa richesse pour lui-même. Il est devenu bienfaiteur des pauvres. Il ne vient pas ici faire du commerce. Il ne vend rien aux villageois. Il parcourt les montagnes pour aider les peuplades pauvres des villages. Il prodigue des conseils et répand la sagesse. Il offre des images et des statuettes de Bouddha. Son langage est un peu différent de celui des villageois, mais on le comprend quand même. Sa façon de parler bizarre ajoute à son prestige. On écoute cet homme, on l’appelle « Monsieur Bounkong ». Il s’est donné pour mission d’améliorer la condition des paysans.

    Midoli entend le bruit de coups qu’on porte sur un piquet, au milieu de la place du village. Ça fait tac, tac, tac… Le chaman opiomane prépare une cérémonie qu’elle connaît bien. Il attache un chien à ce piquet. La pauvre bête devient bouc émissaire de tout le mal de la communauté. Chaque habitant du village à son tour frappe le chien avec le pied pour se décharger de ses mauvais esprits et les transmettre à l’animal. Quand le chien aura cessé de couiner, quand il sera mort (son supplice est parfois long !), c’est que les mauvais esprits l’auront investi. On le jettera sur les ordures du village.

    – Monsieur Bounkong, dit Midoli, pourquoi faut-il faire souffrir ce chien, sur la place ? Quand on le frappe, il me semble que c’est moi qui reçois les coups qu’on lui donne.

    Bounkong a réfléchi. Il est allé voir le chaman. Ils sont entrés dans sa maison et ils ont parlé longtemps.

    Bounkong est ressorti et a détaché le chien. La bête a remercié d’un regard et s’est enfuie. Boukong a appelé un garçon et lui a demandé de disposer à la place une botte de paille. Les habitants se sont défoulés sur cette botte de paille si bien que tous les mauvais esprits sont partis en poussière.

    Les villages voisins cultivent le pavot.

    Ici, à Konsali, on cultive le riz. Les hommes préparent le terrain. Ils labourent. C’est dur ! Les femmes repiquent les plants, elles restent des heures les pieds dans la boue, le dos cassé à angle droit. C’est dur ! Tous participent à la récolte, une seule par an. Hommes, femmes, enfants fauchent, vannent, transportent des poids plus lourds qu’eux dans des hottes ou dans des sacs. Le riz est l’essentiel de la nourriture. Ils pratiquent la culture sur brûlis. Ils essartent chaque année un espace nouveau. Arrachent, coupent, brûlent arbres et les buissons.

    – Vous faites une grosse bêtise, dit Bounkong. Vous détruisez la terre.

    – Faux, dit Hong, le chef du village un peu demeuré. Regardez, Monsieur Bounkong, comme la récolte est bonne sur la cendre de nos nouvelles parcelles !

    – Tu as la vue courte, Hong. La première année, la récolte est bonne. Mais la deuxième année, elle est moyenne. Et les années suivantes, la terre est épuisée. Elle est lavée par l’eau du ciel. Vous n’en tirez plus rien. Si vous continuez ainsi, bientôt il vous faudra déménager, installer le village plus loin. Apprenez à travailler la terre, elle vous le rendra.

    Rares étaient ceux qui entendaient cela. On voyait le profit immédiat. Midoli, elle, écoutait Bounkong. Il a raison, cet homme, pensait-elle.

    Bounkong a dit que le village n’était pas propre.

    – Vous souillez l’eau du ruisseau que vous buvez.

    C’est vrai, pensait Midoli. Tout le bas du village pue. Nous marchons dans nos ordures. Nous y jetons tout ce que nos poules et nos cochons ne veulent pas.

    Bounkong a promis des cadeaux si les villageois se donnaient la peine de nettoyer et de ne plus salir.

    – Quand je reviendrai, je ne veux plus voir sur le chemin vos ordures, les cacas des animaux et les vôtres.

    Il est revenu, l’ancien moine. Ses cadeaux, c’étaient du papier, des crayons et un ballon. Il les a donnés à Hong, le chef du village, pour qu’il les distribue. Le ballon fit plaisir à tout le monde, surtout à Hong, qui était un peu simplet.

    Bounkong regardait Midoli. Qu’elle était jolie, forte, propre et vive ! Elle paraissait en bonne santé. Les autres enfants du village avaient de la morve dans les yeux et sous le nez. Ils toussaient. Ils fumaient une longue pipe en bois. Même les tout petits. C’était, disaient-ils, pour calmer les maux de dents. Plusieurs ne cessaient de se gratter, parce qu’ils avaient la gale.

    Bounkong a pris à parti le chaman, qui était toujours complètement abruti par la drogue.

    – Chaman, tu ne t’occupes pas de ton peuple ! Je reviendrai avec un moine, qui fera l’école aux enfants. Vous tous, vous devrez lui construire une maison et le payer.

    Construire une maison ne posait pas de difficulté. Quatre pilotis de bois, des claies de bambou pour les murs, une natte de bambou pour plancher à l’étage, des tuiles canaux de bambou pour toiture, une échelle pour monter à la pièce de vie, et l’affaire était faite. Le moine serait logé comme tout le monde, ni mieux ni pire.

    – Il faudra aussi le payer.

    – Le payer ? Mais avec quoi ? Vous savez, Monsieur, nous ne possédons rien.

    – Vous le paierez avec ce que vous pourrez. Quand on veut on peut.

    – Du riz ?

    – Du riz, bien sûr. Mais vous devrez aussi lui préparer un petit jardin pour les plantes aromatiques et les légumes. Et fournir son habillement.

    Le travail occupa les jeunes pendant deux semaines.

    II

    1927

    La maison royale de Luang Prabang accueille des notables français : un vice-consulat permanent et un Résident Supérieur.

    Le royaume garde un régime spécial de protectorat. Le roi Sisavang Vong a le pouvoir de légiférer, entouré d’un conseil de dignitaires. Mais il est flanqué d’un commissaire du gouvernement et de fonctionnaires français, qui représentent le gouvernement général. Luang Pra Bang, comme les autres provinces d’Indochine, est sous la responsabilité d’un Résident, assisté d’un fonctionnaire chargé de l’administration et des finances. Le Résident vient d’accorder un permis de coupe gratuit de 150 stères de bois, plus la main d’œuvre pour la restauration d’une pagode de Luang Prabang. Un militaire français commande le contingent provincial de la garde indigène.

    Patrice de Saint-Aignan est l’un de ces fonctionnaires. Il est logé dans une belle maison coloniale en face du palais royal. Il a une trentaine d’années et une jolie moustache. Toujours sanglé dans un costume blanc, il a belle allure. Il mène grand train, profitant largement de l’ascendant qu’il a sur les populations locales. On connaît son goût pour les jolies femmes et pour les soirées arrosées de cognac – eau gazeuse.

    Le Laos a adopté le système d’imposition français. Les taxes sont payées en piastres. Mais certaines peuplades ne connaissent pas la monnaie. Qu’à cela ne tienne ! Ces arriérés paieront en nature.

    En nature ? C’est-à-dire ?

    En sacs de riz. Ou en journées de corvée. Il y a tant à faire ! On a besoin de bras pour construire routes, ponts, chemins de fer…

    L’administration indigène qui aide au recouvrement de l’impôt reçoit un pourcentage sur les taxes ou les amendes. C’est là qu’intervient Hubert Breuil.

    Hubert Breuil est l’ami de Patrice de Saint-Aignan. Un copain de foire et de débauche. Il est le fils naturel d’un militaire français et d’une domestique laotienne. Il en impose par sa taille, sa beauté, son collier de barbe et sa voix de velours. C’est le rabatteur de Patrice. Il fournit à son ami, pour ses soirées privées, les plus jolies des jeunes indigènes, sans oublier d’en profiter lui-même.

    En échange, Saint-Aignan a chargé son compère de la collecte des impôts. Tâche lucrative ! Hubert connaît parfaitement le français, un peu l’anglais et suffisamment de langues tai pour se faire comprendre des différentes communautés du Laos. Pour lever les taxes, il parcourt le pays à cheval, accompagné de quatre sbires laotiens qui eux vont à pied. Il accomplit sa tâche avec zèle. Il ne recule pas devant l’usage du fouet, les sévices divers,

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