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Et la Mémoire créa l'oubli…
Et la Mémoire créa l'oubli…
Et la Mémoire créa l'oubli…
Livre électronique210 pages2 heures

Et la Mémoire créa l'oubli…

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À propos de ce livre électronique

Résultat de multiples rencontres et d’un passionnant travail d’enquête, ce roman nous entraîne dans un voyage étonnant au cœur de la mémoire. Des côtes sénégalaises aux paysages héraultais, nous suivons des personnages attachants dont les destins s’entrecroisent dans une intrigue aux enjeux très actuels.
LangueFrançais
Date de sortie3 avr. 2013
ISBN9782312009483
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    Et la Mémoire créa l'oubli… - Soline Paycheng

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    Et la Mémoire créa l’oubli…

    Soline Paycheng

    Et la Mémoire créa l’oubli…

    LES ÉDITIONS DU NET

    22 rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    À Grannie,

    À Jean-Philippe.

    © Les Éditions du Net, 2013

    ISBN : 978-2-312-00948-3

    Avant-propos

    Voici un petit résumé de ce que vous pourriez trouver comme information dans le guide des aidants, réalisé par Alzheimer Europe, à l’attention des familles touchées par cette maladie si particulière.

    La maladie d’Alzheimer est une maladie neurodégénérative qui détruit les cellules cérébrales de façon lente et progressive. Elle porte le nom d’Aloïs Alzheimer, neuropathologiste allemand, qui, en 1907, a fait le rapprochement entre le syndrome démentiel et les lésions neuropathologiques caractéristiques : plaques séniles, et dégénérescence de neurones à l’intérieur desquels se forment des filaments spécifiques.

    Les causes exactes de la maladie d’Alzheimer restent encore floues. Des facteurs génétiques et environnementaux contribueraient à son apparition et à son développement. Il existe cependant des facteurs de risques connus : certaines anomalies génétiques, des facteurs de risque cardio-vasculaires ou encore l’intoxication à certains métaux lourds.

    Cette maladie affecte la mémoire épisodique, celle qui permet l’intégration des événements récents, et le fonctionnement mental, se manifestant initialement par des distractions mineures, qui s’accentuent avec la progression de la maladie. Les souvenirs plus anciens sont cependant relativement préservés. L’atteinte neurologique s’étend par la suite aux cortex associatifs frontaux et temporo-pariétaux, se traduisant par des troubles cognitifs plus sévères (confusions, irritabilité, agressivité, troubles de l’humeur et des émotions, des fonctions exécutives et du langage) et la perte de la mémoire à long terme. La destruction des neurones se poursuit jusqu’à la perte des fonctions autonomes, entrainant progressivement un état de dépendance complète puis la mort.

    Le diagnostic de la maladie d’Alzheimer repose essentiellement sur des tests neuropsychologiques et sur la mise en évidence d’une atrophie corticale qui touche d’abord le lobe temporal interne et notamment l’hippocampe, régions importantes pour la mémoire. Elle est généralement diagnostiquée à partir de l’âge de 65 ans. Des formes précoces, plus rares (moins de 5 % des patients), peuvent cependant apparaître beaucoup plus tôt.

    La vitesse et l’évolution de la maladie sont variables d’un individu à l’autre, ce qui rend difficile tout pronostic précis. L’espérance de vie varie ainsi en gros de 3 à 8 ans selon l’âge du patient au moment du diagnostic.

    À ce jour, il n’existe pas de traitement efficace de cette maladie.

    ***

    La dernière goutte hésita un court instant, suspendue quelques secondes encore au bec verseur de la cafetière, avant de tomber dans la tasse fumante. Ambrine s’absorba dans la contemplation des cercles concentriques qui résultèrent de l’impact. Elle était engourdie et ne se sentait pas la force d’affronter cette journée. Toute énergie semblait l’avoir abandonnée. Elle devait se ressaisir.

    Le bruit de l’eau couvrait en partie la voix qui assenait les informations du matin. Événements susceptibles d’intéresser l’Audimat, entremêlés de résultats sportifs. L’eau coulait toujours, le jet se fracassait dans l’évier vide. Le bruit noyait la voix sérieuse du speaker ainsi que sa propre volonté. Elle se secoua ; pourquoi le robinet était-il ouvert ? Et si fort ? Elle était plutôt du genre économe, enfin « écolo ».

    – « On ne gaspille pas l’eau les enfants !

    – Pourquoi maman ?

    – Pensez à tous ceux qui ont soif dans le monde… »

    Cela faisait longtemps qu’ils étaient partis, ses enfants. À l’autre bout du monde, pour vérifier si les petits assoiffés de la planète profitaient des pseudo-économies des mondes civilisés. Elle ferma le robinet. Et voilà pour le Sahel…

    La radio se fit nettement plus audible. Le prix Nobel de médecine était remis à Robert G. Edwards pour ses travaux sur la fécondation in vitro. Elle tendit l’oreille. Le Vatican faisait part de sa désapprobation, montrant une fois encore son large esprit d’ouverture…

    Quoi que…

    Bien sûr, le père médical de Louise Brown, premier bébé éprouvette, avait apporté l’espoir à de multiples couples éprouvés par la stérilité. Mais il était évident que cette avancée avait également sa part d’ombre. L’intention était louable, cependant elle était bien placée pour savoir que sur ce sujet, les frontières vaticanes entre le Bien et le Mal devenaient fragiles. L’ombre et l’oubli ont du bon quand ils permettent de protéger ceux qui nous sont chers.

    Elle éteignit le poste et sortit de la cuisine.

    ***

    Ambrine maudit intérieurement la capacité des clés à disparaître avec autant d’opiniâtreté ; les chercha sur la console de l’entrée, dans les poches de sa veste, les retrouva au fond de son sac à main. Elle sortit de la maison et monta dans sa voiture, une vieille Audi au compteur vénérable et à la susceptibilité affirmée. Son fils lui conseillait d’en changer depuis un moment déjà. Elle prit une profonde inspiration et mit le contact. Elle passa le vieux portail qu’elle laissa ouvert. De la rue, on ne devinait qu’à peine la façade de l’authentique vigneronne, à moitié cachée par de prolifiques lauriers roses. Quand elle l’avait achetée, le marché n’avait pas encore connu cette ahurissante flambée des prix, et il lui avait vraiment semblé s’exiler à la campagne en choisissant Saint Georges d’Orques.

    Situé à huit kilomètres à l’ouest de Montpellier, c’était un village à la solide tradition vigneronne. En léger surplomb par rapport à la région alentour, il offrait depuis les endroits dégagés une vue sur la mer, ligne scintillante à l’horizon par temps clair, et qui s’étalait du mont Saint-Clair à l’ouest jusqu’aux pyramides plus contemporaines de la Grande-Motte à l’est.

    L’endroit présentait des traces d’habitations qui remontaient au moins à la période gallo-romaine. De certains de ces vestiges, grands et beaux vases en terre cuite ressortis du passé et de la terre des vignobles, les « orcas », le village avait tiré son nom d’origine, sanctifié ensuite, vers le XVIe siècle, dans la chantante langue d’Oc, en Sant Jordi d’Orques.

    Il ne reste plus trace aujourd’hui des anciennes fortifications moyenâgeuses de cet ancien fief de l’évêché de Maguelonne, rattaché ensuite à la maison seigneuriale de Murviel, racheté au XIIe siècle par Guillaume, seigneur de Montpellier, puis offert en dot à Pierre, roi d’Aragon, lors de son mariage avec Marie, fille de Guillaume, et enfin vendu à Philippe de Valois et tombant ainsi dans l’escarcelle des rois de France…

    Aujourd’hui, Saint Georges d’Orques présente le visage souriant de ces villages du midi : de vieilles maisons de pierre massées autour d’un clocher gris, des rues dans lesquelles on lâche encore des taureaux, dans la pure tradition de la course camarguaise, à la grande joie des gamins ; un terrain de tambourin qui résonne du bruit sec de la balle sur la peau tendue et des exploits de l’équipe locale ; un calendrier rythmé par la vie de la vigne et l’odeur si particulière des vendanges à la fin de l’été.

    Ambrine avait jeté son dévolu sur ce village dont elle savait que les aïeux de Julien étaient originaires, et elle n’avait jamais regretté son choix. Sa maison avait le charme des vieilles pierres, et ses enfants avaient eu une enfance »  au vert ».

    Elle quitta la quatre-voies qui avait fait de son paisible petit village viticole une quasi-banlieue de Montpellier, et s’apprêta à contourner la ville par le nord. Elle tenta de visualiser son trajet.

    La circulation à Montpellier était un non-sens permanent. L’itinéraire emprunté la veille encore, zigzaguant entre bulldozers et tractopelles, pouvait se révéler le lendemain la plus parfaite des impasses. Elle ne pouvait presque plus prendre la voiture sans se perdre. Conduire devenait une source d’angoisse.

    Il fallait qu’elle se concentre, elle ne pouvait pas se permettre d’être en retard à son rendez-vous. Nicolas avait téléphoné la veille, proposant de l’accompagner, elle avait refusé mais lui avait proposé de passer ensuite prendre un café chez elle.

    Sans qu’elle se l’avoua vraiment, le résultat l’inquiétait. Elle avait fait la démarche et passé ces maudits examens, scanner et IRM compris, poussée par Nicolas et quelques signes relativement isolés, maintenant il fallait affronter le diagnostic.

    Depuis quelques jours, pour mettre sa mémoire à l’épreuve et se rassurer, elle se récitait des poèmes qu’elle avait appris au collège.

    Sa voiture amorça une série de ronds-points et elle prit la direction des facs, heureusement indiquée de manière assez visible entre deux monceaux de gravats. L’hôpital Gui de Chauliac était situé à côté de la fac de sciences. Elle y avait travaillé un peu, cela faisait longtemps maintenant.

    « Mon enfant, ma sœur,

    Songe à la douceur

    D’aller là-bas vivre ensemble…

    … Aimer à loisir, aimer et mourir

    Au pays qui te ressemble… »

    Celui-là revenait sans difficulté, même s’il n’était pas en adéquation avec son état d’esprit de ce jour. Ce chant d’espoir, cet idéal chanté par Baudelaire, cette douce vision d’une fin heureuse n’était pas à l’image de ce qu’elle ressentait.

    Ambrine rentra dans le parking de l’hôpital, elle n’avait dû faire qu’un ou deux petits détours et était presque à l’heure. Elle fit le tour du parking sans trouver de place, finit par se garer sur un emplacement discutable, deux roues mordant assez franchement la pelouse. Elle ne gênait personne.

    « Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle

    Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis,

    Et que de l’horizon embrassant tout le cercle

    Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits… »

    Plus difficile, celui-là. Toujours Baudelaire, mais qui exprimait cette fois toute sa mélancolie. Ce poème, Spleen, était plus révélateur de son propre état d’âme, pensa-t-elle en entrant dans l’unité de neurologie comportementale et dégénérative. Elle se présenta à l’accueil, déclina son identité auprès d’une jeune secrétaire en blouse, puis prit place dans la salle d’attente, entre un porte-revues déplumé et une plante verte anémique.

    « Quand la terre est changée en un cachot humide

    Où l’espérance, comme une chauve-souris,

    S’en va battant les murs de son aile timide

    Et se cognant la tête à des plafonds pourris… »

    Ambrine pensa aux patients qu’elle-même avait dirigés dans ce service à des fins d’analyse. Mais ceux-ci ne présentaient que peu de points communs avec son propre état : des pertes de mémoire sévères, des troubles marqués du langage, leurs proches véritablement inquiets devant des changements d’attitudes inhabituelles… Un ensemble d’éléments qui justifiait scanner et bilan neuropsychologique.

    Mais l’établissement du diagnostic, et la révélation de la maladie prenait du temps, ceux-là aussi avaient dû commencer de la même façon, cumulant de petits signes anodins, sans signification apparente. Elle entendit son nom, elle se leva et se dirigea vers le bureau dont la porte venait de s’ouvrir sur un homme entre deux âges et en blouse blanche. Il lui serra la main et lui fit signe d’entrer.

    « Quand la pluie étalant ses immenses traînées

    D’une vaste prison imite les barreaux

    Et qu’un peuple muet d’infâmes araignées

    Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux… »

    Après quelques mots d’usage qu’elle entendit à peine, l’homme la fit asseoir, rassembla des papiers sur son bureau, croisa ses mains sous son menton. Son regard plein de compassion lui figea le sang. « Je suis désolé… »

    Son esprit se ferma.

    « Des cloches tout à coup sautent avec furie

    Et lancent vers le ciel un affreux hurlement

    Ainsi que des esprits errants et sans patrie

    Qui se mettent à geindre opiniâtrement… »

    L’homme continuait à parler : « …Rare d’établir un diagnostic aussi précoce. Vous êtes médecin, vous savez ce que nous avons pour ralentir son évolution. Certaines molécules sont reconnues actives comme la tacrine, la rivastigmine, et le donepezil. Utilisés aussi tôt, elles peuvent donner de bons résultats et ralentir l’évolution de la maladie de façon significative. Nous ferons notre possible pour vous offrir la meilleure prise en charge… »

    La suite se perdit dans le vide effarant qu’elle sentait grandir en elle. C’est à peine si elle se rendit compte qu’elle prenait congé, refaisait le chemin jusqu’à sa voiture et s’installait derrière le volant. Elle avait l’étrange impression de se regarder faire.

    Elle mit le contact, fit sortir la voiture de son emplacement et refit le trajet dans un état second. Ignorant les coups de klaxon, son esprit cherchait désespérément la strophe manquante, refusant encore d’affronter la réalité. Être capable de se souvenir, maintenant, de ce dernier quatrain, lui semblait être le meilleur moyen de contrer le sort. Se souvenir pour conjurer la malédiction, se souvenir pour nier la maladie, se souvenir pour faire renaître l’espoir. Oui, il y était question d’espoir… Mais que disait-il ?

    Ambrine se gara devant sa maison et ses yeux se perdirent, sans y trouver le réconfort habituel, sur le jardin qui l’entourait. Espoir ? Non, ce n’était pas la tonalité du texte de Baudelaire. Espoir… vaincu. Oui, c’était cela.

    « … L’espoir vaincu, pleure, et l’angoisse atroce, despotique,

    Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir. »

    Et son esprit, reprenant le fil d’une vieille récitation, commença à réaliser l’affreuse vérité.

    ***

    Je m’appelle Ambrine Desbroise, Je pense, donc je suis. Je m’appelle Ambrine Desbroise et j’ai envie de hurler.

    Écrire pour me libérer de cette révolte énorme, réfléchir, mettre à plat…

    À quoi peut-on penser lorsque nous n’avons plus de mémoire ?

    De quoi peut se nourrir l’esprit s’il est privé de ses souvenirs ?

    Je pense, donc je suis… mais après ?

    Je m’appelle Ambrine Desbroise, mais je suis condamnée à l’oublier…

    Je suis médecin, je vais lutter, écrire, travailler, ralentir le processus… mais je suis trop jeune, l’évolution va être rapide…

    Mes enfants… j’ai envie de hurler… mes jumeaux inespérés… je ne veux pas les oublier…

    Il va falloir leur annoncer.

    Je voudrais les voir heureux, pourquoi cette impression lancinante qu’ils passent à côté de leur vie ? Mon dieu, aidez-moi, je voudrais les rendre heureux…

    Chloé, Colin… je me souviens de l’émotion lors de votre naissance, de vos petites figures fripées mais mignonnes déjà… Cette vague de bonheur quand on vous a mis dans mes bras. Cette lente et irrésistible lame de fond, noyant tout le reste, submergeant tout autre sentiment pour ne laisser que la volonté farouche de vous protéger du monde entier…

    Comment est-ce possible ? Peut-on oublier ses enfants ?

    Il faut leur annoncer, comment vais-je faire ? Je voudrais tant les protéger, de tout… de cette amnésie rétrograde et dégradante, de ce chemin de croix, je ne veux pas leur imposer ça.

    Mon Dieu ! L’oubli brise-t-il le silence ? … Ce serait trop dur, après tant d’années… Je veux les protéger ; je voudrais tant les savoir heureux… S’il vous plait, par pitié,

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