Confidences sans filtre et autres nouvelles
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Diplômée de sciences politiques, Jacqueline Giroud a poursuivi une carrière de documentaliste au sein d’un grand cabinet d’avocats parisien. Passionnée depuis toujours de nature et de poésie, elle observe la réalité du monde – dépassant souvent la fiction – quelle transforme en récits tendres, drôles et amers.
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Aperçu du livre
Confidences sans filtre et autres nouvelles - Jacqueline Giroud
Des mots pour écrire
C’est au détour d’une sinueuse route de campagne, jalonnée de champs de blé, de prairies que se découvre le village de Montfatum. Ce gros bourg de 2500 âmes semble tout droit sorti d’un décor de cinéma. Le guide touristique de la région signale de deux étoiles ce lieu d’exception qui mérite, en effet, que l’on s’y attarde. Trois pages lui sont consacrées, mentionnant la présence de maisons remarquables, trois fois centenaires, d’une halle et d’une chapelle du XIVe siècle ; patrimoine dans un parfait état de conservation, comme si le temps ne s’était préoccupé que de tourner les aiguilles des horloges, survoler les pages des calendriers, égrener les décennies, oubliant de s’attaquer aux murs des édifices. Pour parachever ce décor romantique, une petite rivière traverse le village, mêlant son chant mélodieux aux pas hâtifs de ses habitants, pressés de rejoindre leurs activités quotidiennes. Mais de quelles activités peut-il s’agir ? Ce lieu semble si factice, hors du temps comme un lieu où l’on feint de travailler pour faire vrai. L’eau vive est aussi pressée que ses riverains, impatiente de se jeter plus bas dans une grande vasque au rivage sablonneux. Sous les grands arbres paressent des bancs accueillants, sans oublier les géraniums vivaces, les fuchsias dégoulinant des balcons en surplomb sur la rivière. Le visiteur émerveillé aime s’attarder dans les ruelles, sur le pont, musarder le long de l’eau, retardant son retour dans sa propre réalité ; foule, embouteillages, maison en béton gris, appartement exigu, cadre de vie ne ressemblant en rien à ce paysage féérique. Mortelle comparaison qu’il conjurait en se disant pour se rassurer : « comme on doit s’ennuyer dans ce petit patelin ».
C’est ainsi qu’il y avait ceux qui ne s’attardaient pas et ceux qui voulaient s’imprégner de ce lieu rare, comprendre comment, pourquoi ce bourg a été ainsi épargné. Aline et Daniel faisaient partie de ces derniers.
Suivant pas à pas les conseils du guide, ils avaient déambulé dans les ruelles, admiré les surélévations en pan de bois, les halles, l’église, flâné dans les moindres recoins. Il ne leur manquait plus qu’à découvrir une boutique unique dans son genre, brièvement signalée dans un nota bene, au bas de la page cent deux du guide. Après s’être rapidement désaltérés au café de la place de l’église, Aline et son compagnon entreprennent de découvrir la fameuse boutique. Quête qui se révèle hasardeuse. Les ruelles se ressemblent, s’entrecoupent, la plupart des plaques des rues effacées. Nos deux curieux persistent et tombent enfin sur elle. Aline se voit déjà faire ses achats, artisanat de qualité, produits de la région. À la croisée de deux rues étroites se dresse, en effet, devant eux une petite maison de trois étages qui avait encore son toit d’ancelle ; ladite boutique devrait normalement se trouver au rez-de-chaussée. La vieille bâtisse s’imposait à la curiosité du visiteur tant sa devanture semblait surannée, prête à s’effondrer. Des pierres usées par le temps, le lierre entravant l’ouverture de la porte d’entrée en bois d’origine, le panneau du bas décoré de clous. Des carreaux jaunis sur sa partie supérieure empêchaient de deviner ce qui se passait à l’intérieur. Un chat noir paressait sur le rebord extérieur d’une fenêtre, ajoutant au mystère des lieux. Si le guide n’avait pas signalé la présence de cette devanture, il aurait été impossible d’imaginer qu’il s’agissait d’un commerce. Un commerce de quoi ? Il ne le précisait pas. La boutique donnait sur deux rues, la rue des Échevins et la rue des Pupitres. Deux fenêtres à croisée laissaient entrevoir de grands bocaux de verre opaques, comme dans les échoppes d’autrefois. Étaient-ce des bonbons, des friandises de toutes sortes ?
Le magnifique chat noir angora, à moitié assoupi, sans doute le chat de la maison, si peu dérangé par les allées et venues de clients inexistants, se gardait bien de le dire.
Aline pousse la porte. Une clochette au timbre léger accompagne l’ouverture de celle-ci, signalant au maître des lieux qu’un client vient de pénétrer dans sa boutique. Le chat, soudain réveillé par le bruit de la sonnette, étonné de voir du monde, profite de cette occasion rarissime, vu le peu de fréquentation, pour s’engouffrer, à son tour, à l’intérieur. Les visiteurs se trouvent alors enveloppés par une atmosphère étrange, studieuse, qui rappelle celle des bibliothèques. Aucune odeur de sucrerie, plutôt une odeur d’encre, de papier. Une multitude d’urnes fermées par des couvercles de couleur différente. Il y en avait partout, sur des étagères, par terre, dans la pièce d’entrée qui se prolongeait par une enfilade d’autres pièces où s’entassaient sans doute d’autres urnes. Apparemment rien d’alléchant pour Aline, toujours en quête de la dernière nouveauté vestimentaire ou de nouveaux produits gourmands.
Personne pour les accueillir.
Ils attendent. Toujours personne. Les deux visiteurs ne comprenaient pas en quoi cet endroit méritait un paragraphe dans le guide touristique. Pour Aline, la tentation est grande de découvrir le contenu de ces pots. L’attente se faisant de plus en plus longue, elle cède à sa curiosité, s’approche des bocaux exposés dans la devanture, tente d’en dévisser le couvercle.
Tseu, tseu, pas touche. On demande, ma petite dame !
Un monsieur sans âge était soudainement apparu. Grand, maigre, étrange, vêtu d’une blouse grise, il s’approche de ces éventuels clients, leur demande quel était l’objet de leur visite.
Mais qu’est-ce qu’il y a dedans, qu’est-ce que vous vendez ? demande la curieuse.
Vous ne savez pas lire ? Le nom de ma boutique ? Vous l’avez lu ?
Non, on a surtout admiré votre devanture, sa très ancienne façade, son toit. Ce lieu est remarquable, rempli de nostalgie. On a l’impression de remonter le temps.
Mon magasin s’appelle : « Des mots pour écrire ».
Des mots pour écrire ? quels mots, pour quoi faire ? ça ne se vend pas, les mots ! s’exclame Aline, complètement interloquée.
Qui peut bien venir dans votre magasin ? On s’attendait à de l’artisanat, des produits de la région, mais « des mots ! » poursuit-elle.
Mais, on ne vend pas que des mots, on vend aussi des titres, rajoute le vendeur, fier de son activité, ne saisissant pas l’incompréhension de ces interlocuteurs.
Des titres, des titres de quoi ? ne peut s’empêcher de penser Daniel, courtier de son état, pour qui des titres ne peuvent être que financiers.
Le vendeur, pensant qu’il avait à faire à des illettrés, leur demande de le suivre dans la première pièce, tout en expliquant que les urnes de la devanture sont factices, afin d’éviter toute tentative de vol, c’est si vite volé, un bon mot. Les deux visiteurs se regardent complètement médusés, se demandant sur quelle planète ils ont atterri. Daniel rentre dans le jeu du vendeur, démontre par un hochement de tête sa totale compréhension. « Oui, il faut se méfier de tout le monde en ce moment. » Cette soudaine remarque teintée d’approbation pousse le guide à changer d’avis à leur encontre et l’incite à leur donner toutes les explications qu’ils méritent, vu l’intérêt grandissant qui se lit dans le regard médusé de ses visiteurs. Ahurissement que l’étrange personnage interprète comme une sincère curiosité.
Le chat s’associe à la visite. Il n’y a pas de doute, c’est le chat de la maison ; il les devance, très à son aise.
Comme j’ai du temps et que vous paraissez vraiment intéressés, je vais vous faire faire le tour du magasin. En effet, je stocke plus de trente mille mots, un peu moins de titres. Vous savez, la langue française est pauvre en comparaison de la langue de Shakespeare qui doit en compter dix fois plus ! Quand on côtoie à longueur de journée « les mots », on finit par se poser beaucoup, beaucoup de questions. D’où viennent-ils ? Et les verbes ? Ah, les verbes. Une phrase sans verbe, c’est une phrase sans vie, n’est-ce pas ! Et la richesse des conjugaisons, l’abondance des adjectifs, la diversité des adverbes ! Ce sont autant de nuances qui donnent à notre langue sa musicalité, sa diversité, sa beauté. Ce sont,