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Les Rêves party de Paul-Tanguy de Ramonville
Les Rêves party de Paul-Tanguy de Ramonville
Les Rêves party de Paul-Tanguy de Ramonville
Livre électronique310 pages4 heures

Les Rêves party de Paul-Tanguy de Ramonville

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À propos de ce livre électronique

Qui est VRAIMENT Paul-Tanguy de Ramonville, représentant en tuiles de son état ? Un inspecteur de la crim', perdu dans un hôtel fantôme où un double meurtre réveille un passé qui ne passe pas ? Un photographe de mode surdoué, côtoyant (de très près) de troublantes et troubles top-models ? Un pilote de ligne naviguant entre ses hauts et ses bas mais toujours prompt à garantir le septième ciel ? D'une identité l'autre, et les cartes toujours rebattues, PTDR balade le lecteur dans ses aventures philosophico-drôlatiques " à la San Antonio", où la plume, piquante et salée bien souvent, dans un argot châtié mais non châtré, fait de son auteur le digne petit frère d’un certain Frédéric Dard.
LangueFrançais
Date de sortie8 avr. 2014
ISBN9782312021706
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    Aperçu du livre

    Les Rêves party de Paul-Tanguy de Ramonville - Philippe Jauréguiber

    cover.jpg

    Les Rêves Party de Paul-Tanguy de Ramonville

    Philippe Jauréguiber

    Les Rêves Party de Paul-Tanguy de Ramonville

    LES ÉDITIONS DU NET

    22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    © Les Éditions du Net, 2014

    ISBN : 978-2-312-02170-6

    « Fais de ta vie un rêve, et d’un rêve

    une réalité »

    ANTOINE DE SAINT-EXUPÉRY

    À mon paternel

    Sacré Bernie !

    Comme un usager du rail

    qui observe les vaches tranquilles,

    je regarde de la rive

    paresser les péniches immobiles.

    Le Canal du Midi a toujours ranimé le poète qui sieste en moi. La lenteur de ses eaux vertes et ses platanes centenaires exaltent à chaque fois mon âme bucolique.

    Bucolique. Quel étrange mot pour louer la nature et sa beauté ! Depuis la toute première fois où je l’ai lu, j’ai toujours imaginé une bouche grande ouverte par devant et une poire à lavement bien remplie par derrière. Bucolique… Non, vraiment, quel drôle de mot.

    Je trotte à bonne allure sur ce qui était autrefois les chemins de halage des berges du Canal du Midi. Je m’éloigne de Toulouse, faisant face à un vent d’Autan tiède et turbulent. Certes il ralentit ma course, mais il me procure une agréable sensation d’effort et de vitesse.

    Je vais à la rencontre d’une péniche dont la proue affiche fièrement son nom de baptême : « PRESENT ». Je remonte les trente mètres de bois et de fer, quand j’entends retentir la sonnerie d’un téléphone. C’est extrêmement désagréable et tellement vulgaire dans ce décor. Le timbre inopportun provient sans équivoque de la timonerie de l’embarcation. Il semble ne gêner personne, pas plus à bord qu’aux abords. Excédé, j’interromps ma foulée et casse mon élan. Je dois intervenir sans délai et mettre fin à cette insupportable agression auditive. D’un pas décidé mais prudent, je m’engage sur l’étroite passerelle en bois.

    Il y a là un vieux téléphone à cadran. Il est vissé de guingois sur le vieux bois cent fois verni de la marquise. Je décroche avec rage le combiné. Cette satanée sonnerie persiste ! Elle me vrille les tympans et le cervelas de part en part. Assommé par l’horrible télécacophonie, j’arrache sèchement l’unique fil qui se tortille et dépasse de l’antique appareil. Ça drelingue encore ?!

    Driiiiiiinnngggg !

    À plat ventre sur mon lit comme un naufragé rejeté par la mer, je tente à grand peine d’ouvrir un premier hublot. Sur la table, à mon chevet, carillonne un bigophone électronique. Le corps et l’esprit profondément envasés, j’élève mollement un bras que j’abats sur l’engin. Je l’agrippe et le tire vers moi à l’aveugle. Des trucs tombent sur le sol ; ça fait un boucan de tous les diables.

    – Allô !

    Grelot en pogne, bouche farineuse et paupières à mi-course, je réalise alors deux choses. La première, c’est que personne ne va me répondre puisque je viens de décrocher un téléphone dont la seule fonction est de sonner pour réveiller. Inutile donc que je tende l’oreille pour ouïr la voix douce de la réceptionniste qui vous susurrait jadis : « Bonjour Monsieur, il est six heures. Nous vous souhaitons une excellente journée ». Ça, n’y pensez plus, ne l’attendez plus, vous ne l’entendrez plus.

    La deuxième chose que j’aurais bien voulu partager avec vous et même vous refiler avec plaisir, c’est ce putain de mal de crâne qui me défonce le bulbe depuis que j’ai levé les rideaux. C’est au minimum du barreau neuf et demi sur l’échelle d’Alka Setzer. C’est un peu comme si on me jouait l’Angélus à six heures du mat’à grands coups de battant dans la cloche. L’horreur.

    Solitaire et nu comme un ver, j’utilise toute la force de mes bras pour me redresser et m’asseoir au bord du paddock. Les yeux clos, les coudes sur les cuissots, je pose lentement ma tête entre mes mains. Dans un immobilisme total, j’appréhende le prochain tir de boulet qui va me défoncer le casque.

    « Bong ! Bong ! Bong ! » Bon sang, ça ne finira donc jamais ?! Appelez-moi vite un toubib pour me prendre le pouls ou alors une infirmière diplômée d’Etat que je me pende à son cou. En dernier recours, mettez-moi un canon de 9 mm sur la tempe. Un « Bang » pour ne plus entendre de « Bong », que j’en finisse ! Mais s’il vous plaît, par pitié, sauvez-moi du « Bong », je n’en peux plus !

    Après d’interminables minutes de prostration et de souffrance crânienne absolue, j’observe un timide espacement des « Bong ». Certains même mutent en « Bing », plus supportables. La douleur s’estompe un peu, mais je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi je suis dans cet état. Il me semble pourtant qu’hier soir j’ai été sobre comme une image et sage comme un chameau, ou peut-être l’inverse, je ne sais plus. Quel boxon dans ma tête. Je la relève prudemment avec la lenteur d’un paresseux arthritique. Je grimace, craignant un énième sanctus entre les pavillons.

    Rassuré par l’amélioration de ma grosse céphalée du matin, je tourne doucement la tête en direction du coin salon de la chambrée. Dans la demi-obscurité, mes yeux devinent plus qu’ils ne voient une table basse flanquée de deux gros fauteuils en velours rouge. Celui de gauche est couvert de mes seuls vêtements et sous-vêtements de la veille. Je regarde de l’autre côté du lit. J’ai dormi seul. C’est déjà ça. Quant à la table basse, elle est couverte de petites boîtes rondes et métalliques. Des dizaines de petites boîtes de cirage.

    Cette information insolite peine à parvenir à mon cerveau-processeur fatigué. Je reprends calmement ma position de départ, la tête dans les louches, le regard hagard. C’est à ce moment précis que j’aperçois entre mes pieds, une de ces petites boîtes rondes débarrassée de son couvercle. Une partie de son contenu verdâtre s’est répandue sur le sol, colorant au passage mes chaussons d’hôtel. Du cirage vert, voilà qui n’est pas commun.

    Ne pouvant compter sur ma mémoire défaillante, j’envoie ma main gauche chercher le petit couvercle resté posé à l’envers sous la table de chevet. Je m’étire prudemment, craignant encore pour ma caboche douloureuse. Du bout de l’index, je parviens à atteindre l’objet convoité. J’applique une trop forte pression qui le fait bondir et partir en roulade sur le parquet de la piaule. Impuissant, je suis des yeux le parcours de la petite roue métallique. Contre toute attente elle revient lentement vers moi et finit sa course contre mes orteils. Un dernier bruit de métal blanc et le petit couvercle tombe, déséquilibré, à mes pieds, à l’endroit.

    – Snus !

    Le son nasal et monosyllabique résonne douloureusement dans ma pauvre tête en préchauffage. Si je n’avais pas lu le mot sur le couvercle, je serais encore en train de me faire des nœuds au cerveau.

    J’entrevois des bribes de souvenirs, quelques fragments des moments qui ont précédé à ce qui ressemble plus à un coma artificiel qu’à un sommeil paradoxal.

    J’ai débarqué hier soir dans cette chambre d’hôtel. Je suis là parce que j’ai un… J’ai rendez-vous… ce matin… Oui c’est ça, j’ai un rendez-vous avec… heu… un… un client. Qui ? On verra ça plus tard, je trouverai bien dans mon agenda. Je dois d’abord me souvenir de ce que j’ai fait hier soir avant de me pieuter. Me connaissant, je n’ai pas dû me coucher avec les pondeuses. Enfin je ne crois pas. Ah, ça y est, ça me revient, je suis sorti. Oui c’est ça, je suis sorti… pour aller manger. Je déteste manger dans les restaurants d’hôtels. Je suis allé dans un restau grec… euh non, c’était un libanais !? Ça aussi on s’en tape. Mais revenons à ces petites boîtes rondes dont le format m’a induit en erreur.

    Vous m’avez clairement entendu dire « snus » (se prononce [snus]), à ne pas confondre avec chnouf ; je ne fume ni ne mange de ce pain-là. Car ce sont bien des boîtes de snus et non de cirage de pompes qui forment ce petit tas rigolo sur la table du petit salon.

    Je devine que pour la plupart d’entre vous, « snus » ne veut pas dire grand-chose. Vous n’allez sans doute pas finir prix Nobel de chimie à la fin du bouquin, mais peut-être allez-vous apprendre deux-trois bricoles que vous pourrez servir frais à vos amis à l’occasion d’un apéro.

    Tout d’abord, inutile de chercher à vous en procurer en France ou même en Europe, cette poudre de tabac y est interdite à la vente. Vous n’en trouverez qu’en Suède ou au Danemark, berceaux historiques et culturels de la dite substance. Pour ne pas priver leurs sujets particulièrement friands de snus et pour éviter une bronca générale, les deux royaumes scandinaves ont demandé qu’une clause d’exception soit incluse dans leur traité d’adhésion à l’Europe. De ce fait, seuls ces deux pays peuvent aujourd’hui fabriquer et commercialiser la pâte folklo-nicotinique.

    Pour vous donner une petite idée, prohiber le snus dans ces deux royaumes nordiques équivaudrait à interdire le croissant au beurre en France ou la paella aux fruits de mer en Espagne ; c’est tout dire.

    Outre son apport au folklore scandinave, la véritable fonction du snus est de procurer à son consommateur sa ration de nicotine. Au Nord, rien de nouveau me direz-vous ; mais cramponnez-vous bien à vos briquets mes biquets ! Sans aucune production de monoxyde de carbone ! Avec le snus, on perd illico l’envie de cloper et on évite de déclarer un cancer du poumon à l’âge où l’on commence à compter ses points retraite ! J’appelle ça le cadeau « bosnus ».

    Vous vous doutez bien que si je suis aujourd’hui incollable sur le snus, sa composition et ses effets, c’est que je suis moi-même un fumeur assidu. Enfin, j’étais un fumeur assidu. Ma vie a changé quand j’ai découvert cette pâte miraculeuse le mois dernier lors d’un pince-fesses à l’Ambassade de France à Stockholm.

    Gavé de petits fours franco-suédois et du discours des officiels qui n’en finissaient plus de se congratuler et de se polir, je décidai de prendre l’air pour aller m’en griller une. Il y avait urgence à trouver un lieu pénard à l’écart. Je m’éclipsai discrètement vers les étages du bâtiment consulaire, à la recherche d’une ouverture pour me livrer à ma seconde pratique favorite…

    Je me suis tout de même farci quatre étages à pinces devant les tronches encadrées de mectons certainement devenus illustres en œuvrant pour l’amitié Franco–Suédoise. Enfin parvenu sur le dernier palier, je captai une bise plutôt vivifiante provenant de l’entrebâillement d’une porte vitrée ; j’étais sauvé. Je terminai mon ascension le paquet de clopes dans une main et le bricmon dans l’autre, prêt à faire feu.

    Enfin arrivé sur la petite terrasse, je vis que je n’étais pas seul. C’est ainsi que je fis la connaissance de Tiffany, une des Attachées Commerciales de l’Ambassade. La jeune femme était mi-Française, mi-Suédoise, mignonne. Je l’avais dérangée en pleine conversation téléphonique intime, si vous voyez ce que je veux dire. En temps normal je me serais éloigné, mais là, non, il fallait que je m’en grille une, mon cerveau n’en pouvait plus de réclamer.

    Ma voisine de terrasse n’en finissait pas de terminer sa communication par des « mon älskling » par-ci, « mon älskling » par-là, assurant son chéri suédois qu’elle rentrerait à temps pour sa leçon de flûte à bec. C’est en tout cas ce que j’avais compris par l’intonation de sa voix et le frémissement de ses jolies lèvres purpurines.

    La conversation de la flutiste bilingue terminée (deux langues ça peut toujours servir), je m’excusai platement de mon intrusion en présentant à la jeune femme mon paquet d’où se dressait fièrement une tige filtrée. Elle déclina mon invitation à fumer mais pas celle à me tenir compagnie.

    Alors que j’allumais enfin ma sèche, Tiffany sortit de son sac à main une boîte de snus dans laquelle elle choisit une petite boulette préfabriquée. Elle la prit du bout des doigts et la glissa discrètement dans sa jolie mouille. Surpris par la manœuvre, je tirai sur ma tige et interrogeai la jeune femme sur cette boulette qui maintenant gonflait légèrement sa lèvre supérieure. Dans les minutes qui suivirent, elle m’affranchit de tout ce qu’il fallait savoir sur ce produit typique et atypique de la culture suédoise, de sa fabrication à sa technique de consommation. Comme j’arrivais au filtre de ma cigarette, la jolie employée de l’Ambassade me proposa de passer de la théorie à la pratique.

    Je bénéficiai ainsi d’un accompagnement individuel et personnalisé pour mon premier snus en bouche. Et heureusement, car il faut avoir le geste sûr et discret pour que la substance tabagique tienne parfaitement et du premier coup entre la lèvre et la gencive. C’est une phase délicate et croyez-moi, il ne faut pas se louper. Imaginez que juste après avoir inséré maladroitement votre snus, un quidam vous demande tout de go votre avis éclairé sur l’impact de la consommation de hareng sur la diminution du risque de maladies cardiovasculaires. Eh bien moi je vous le dis, vous n’avez pas fini de vous baver sur la cravate et les godasses.

    Le lendemain, jour de mon retour en France, je me procurai trois boîtes de snus avant de me rendre à l’aéroport de Stockholm Arlanda. Ce n’est qu’une fois arrivé à Toulouse-Blagnac, juste avant de passer le poste de douane, que je réalisai que je venais de pénétrer sur le territoire gaulois avec trois boîtes de produits illicites. Une chance pour moi que ce jour-là le Stade Toulousain ait eu la bonne idée d’inviter les Tigres du Leicester en match préliminaire de la Coupe d’Europe de rugby ! Car il faut le savoir, les gabelous adorent le ballon ovale ; le rond aussi d’ailleurs. Ils avaient tous déserté leur poste de travail au profit d’un plus petit qu’on entendait brailler par la porte mal fermée de leur épicerie.

    C’est donc sur cette petite terrasse de l’Ambassade de France à Stockholm que j’ai fumé ma toute dernière cigarette. Depuis, j’ai repris le sport, j’ai une haleine de dentiste et je respire à pleins poumons. J’ai pu refourguer à des collègues ma réserve de cartouches achetées quelques semaines plus tôt en Andorre. Ils n’en revenaient pas que j’aie décroché de la piquette aussi facilement. Comment j’ai fait ? La volonté les gars, la volonté, il n’y a que ça ! Je n’allais quand même pas leur balancer ma découverte !? Et ne perdez pas de vue que mon astuce est complètement illégale, alors autant que ça reste entre nous.

    À propos de collègue, mon père en avait un qui lui aussi connaissait bien la route entre Toulouse et le Pas de la Case. Il fumait ses trois paquets de Peter Morris par jour. Ses potes cheminots, très admiratifs de sa performance l’avaient surnommé « La Loco ». À contrario, ses proches qui avaient beaucoup moins le sens de l’humour et plus le sens de la famille, l’encourageaient constamment à arrêter. Et lui, de répondre invariablement, et non sans une certaine philosophie : « … qu’il fallait bien mourir de quelque chose ! ».

    Et il avait bien raison le stoïcien du rail, à cela près qu’il avait oublié de prendre en compte dans ses calculs le facteur temps. Il a effectivement calenché de « quelque chose », et dans la grande tradition des chemins de fer, il est arrivé pile poil à l’heure de ses obsèques, à cinquante-cinq piges. Il a cané deux jours avant son pot de départ à la retraite, ce con. On lui a remis la médaille du travail à titre posthume, mais pas de pot quand même.

    Pour ma part, je compte bien profiter à plein gaz de ma vie présente et future grâce à ces petites boîtes de tabac-nicotine à tartiner. J’ai enfin réussi à décrocher de cette saloperie de fumette. Cette manie ne m’avait plus quitté depuis l’âge où j’avais commencé à avoir du poil au menton. Et puis on a beau dire, sur la durée, la clope, ça vous procure bien plus d’emmerdes que de parties de rigolade.

    J’en vois certains parmi vous qui sont déjà très séduits par le snus et ses effets. Mais il reste interdit de vente en France et en Europe, au même titre que le haschich, la coke, l’héro ou l’extasy. Alors bien sûr, vous vous dites : « Mais pourquoi ? » : « Men varför ? » (en suédois). Pourquoi cette substance tabanicotinique est-elle interdite alors qu’elle présente le formidable avantage d’arrêter de fumer, de préserver la couche d’ozone et de garder ses éponges propres ? D’ailleurs ne dit-on pas « Avoir des poumons de Suédois ! » ? Eh bien non, on ne le dit pas, et pourtant on devrait.

    Quant à la réponse à la question, vous la trouverez un peu plus loin. Un peu de patience, détendez-vous, allumez-vous une clope ! (Humour de non-fumeur).

    Mes maux de tête ont presque totalement disparu. Je me baisse prudemment pour remettre la pâte verte répandue dans sa boîte d’origine. Je nettoierai le sol plus tard et je mettrai les chaussons dans la galtouse avant de quitter les lieux. Alors que je vissais le couvercle sur sa boîte, venu de nulle part, un énorme « bong » me fracasse la tronche. Dans un flash hallucinatoire, je me revois distinctement en train de rouler entre mes doigts une boulette de snus grosse comme une cerise verte du Sénégal. Je la glisse et la place dans ma bouche. La technique n’est toujours pas très glamour mais c’est la seule connue et c’est bien plus fastoche que de se coller un suppo dans le dargif.

    Si j’ai acquis une bonne maîtrise de la mise en bouche du snus, il est possible que je sois moins précis dans le dosage de la boulette. J’en ai fait une, et une sacrée on dirait. J’ai dû m’auto-administrer une trop forte dose de nicotine ce qui a eu pour effet de m’exploser le bocal et son couvercle façon Hiroshigazaki mon amour, mais sans le moindre nuage de fumée.

    Le dîner ! Hier soir ! Ça y est, ça me revient. Avant de rentrer me pieuter à l’hôtel, je suis allé rendre visite à mon tout nouvel ami Bernie. Je l’appelle Bernie en hommage à Jean-Baptiste Bernadotte, Palois cher à mon cœur et qui, comme vous ne le savez sans doute pas, a été bombardé Roi de Suède et de Norvège un beau jour de février 1818. Autant vous dire qu’on devait royalement se geler les miches le jour de la cérémonie.

    Bien que Suédois d’origine, mon Bernie a un historique beaucoup plus modeste que Jean-Baptiste Bernadotte. Sa seule contribution connue est d’avoir créé en Allemagne un petit réseau clandestin et très lucratif de distribution de snus en poudre et en sachet. Sacré Bernie. Il n’a pas inventé la poudre de tabac, mais vous pouvez me croire sur parole, il a le business dans le sang, et pas mal de nicotine avec.

    Beaucoup de Suédois (et Suédoises) considèrent snus comme un simple substitut nicotinique, voire comme un médicament d’intérêt général. Bon, il ne faut quand même pas trop pousser mémé dans le névé. La nicotine reste quand même un puissant alcaloïde qui vous rend à coup sûr dépendant, à la clope, au snus, au choix. Il pourrait peut-être, mais ce n’est pas sûr, favoriser le cancer du pancréas. De toutes les façons, j’ai décidé d’y aller mollo. Et à bien y réfléchir entre un cancer du poumon à coup sûr ou un hypothétique cancer du pancréas, il n’y a pas photo ni radio.

    Dernière chose, avant d’acheter votre billet pour la Venise Scandinave. Méfiez-vous de ne pas vous retrouver un beau matin avec une ratiche au fond du bol de caoua. Il est possible que le snus vous aura attaqué les gencives jusqu’à l’os. Vous aurez des poumons nickel mais un sourire de corsaire qui n’a jamais vu de près les poils d’une brosse à dents.

    Il n’est pas question que je donne mes crocs à la petite souris ; j’ai passé l’âge. Il viendra bien un jour où quelqu’un va découvrir un substitut au substitut. Pour ça, je fais confiance à Bernie et à son centre de Recherche et de Développement intégré. Si vous ajoutez à cela qu’il a un redoutable sens du marketing, il pourrait rapidement mettre sur le marché un snus « gencives sensibles », ou créer toute une gamme enrichie en oméga 3, en probiotiques ou au béta-carotène.

    En attendant, me voilà plutôt rassuré d’avoir recouvré la plupart de mes fonctions vitales. Par précaution, je vais embusquer mes petites boîtes dans le fond de mon sac à linge. C’est plus discret et l’odeur de mes chaussettes sales devrait dérouter les meilleurs clébards de ces messieurs de la police ou des douanes, on ne sait jamais.

    Allez, je file sous la douche, cela devrait achever de me réveiller. Et vous savez quoi ? Je n’ai même pas envie de fumer !

    La serviette de bain nouée sur les hanches, j’observe le reflet de ma demi-nudité dans le miroir de la salle de bain. J’exécute quelques poses bien étudiées qui m’avantagent et occultent certains plis que je tente de maîtriser par une activité sportive régulière.

    Plutôt satisfait de la démonstration, j’extrais de ma trousse de toilette mon petit étui en simili cuir. Il contient l’outil aussi inoxydable qu’indispensable à ma toilette du matin ; ma pince à épiler. Certains voyagent avec dix valoches, d’autres avec des présos plein les poches, eh bien moi, je ne me déplace jamais dans les hôtels sans ma pince à épiler. L’éclairage y est très souvent supérieur à celui de ma petite salle de bain toulousaine.

    Dans une opération épilatoire, la lumière est primordiale. Une ombre mal placée, un mauvais reflet dans le miroir, et vous avez vite fait de passer à côté d’un poil qui se tortille ou d’un autre plus sournois qui s’est tapi dans une sinuosité ou un recoin oublié. Qu’ils soient durs ou souples, planqués ou bravaches, bruns ou blancs (ça commence), je les traque quotidiennement et les extirpe tous.

    Je ne pense pas être atteint d’un quelconque syndrome trichotillomaniaque, pas plus que d’un trouble obsessionnel comportemental à caractère hôtelier. Mais c’est un fait, je ne supporte plus de voir sur mon visage certains poils sourcilliens et oreilliens. Certains me contrarient autant par leur indiscipline que leur sournoiserie ; ça me hérisse le poil.

    Mais mon obsession ne s’arrête pas à mon seul visage. Car je bloque aussi à chaque fois que je me retrouve en présence d’un homme (rarement d’une femme, il faut bien le reconnaître) qui arbore avec une totale indifférence une pilosité faciale broussailleuse et incontrôlée. Et quand ça arrive, alors toute mon attention se focalise sur les phanères disgracieux de mon interlocuteur. Je ne l’entends plus et je ne l’écoute plus, tellement j’ai envie de le débarrasser de ses fils organiques dont il fait parfois l’élevage.

    J’approche mon visage fraîchement rasé de l’éclairage intégré au Saint-Gobain. Pince au garde à vous, j’entame mon inspection matinale, prêt à tirer du poil.

    Tiens, en voilà un. Sa couleur claire le camouflait habilement dans un repli du pavillon de mon oreille droite, le coquin. Vous voyez, un moment d’inattention et l’ennemi en profite pour envahir les zones vierges de votre épiderme. Ne jamais se relâcher, jamais !

    Maudite pince qui s’esbigne et tombe ! Le petit son qu’elle produit contre la porcelaine blanche de la vasque me chatouille les pavillons comme un carillon éolien agité par une brise légère. Étonnamment, mon palpitant s’emballe dans ma poitrine. Ai-je peur de voir mon outil disparaître dans la bonde ou ma serviette glisser de mes hanches ?

    Le souffle court, je parviens à coincer cette maudite pince anti-poils d’une main maladroite et tremblante. Mon équilibre devient soudain précaire, on dirait que mon corps entier s’échappe. Je me raccroche in extremis au bord de la cuvette. Elle se descelle presque sous mon poids. Un crack sanitaire et des couacs poitrinaires ; voilà qui ne présage rien de bon. Maudit tire-poils qui m’échappe encore, à moins que… À moins que ce soit ma vie qui file et se retire ? Ne tiendrait-elle plus qu’à un cheveu, qu’à un fin poil ténu ?

    Non, pas ma vie ? C’est impossible, j’ai rendez-vous ce matin ! Putain non, pas ma vie ! Qui va donner ses croquettes à mon chat ?! Et ma bagnole sur le parking P6 de l’aéroport ! Et Sabrina, on devait aller voir le dernier Woody Allen ! Merde, pas ma vie, j’veux pas… J’peux pas !

    Je m’adosse au mur pour calmer mes oreillettes et ventricules. Je sens le carrelage froid monter le long de mon dos nu, à moins que ce soit mon corps devenu lourd et gourd qui glisse et descend. Je me recroqueville, je ne sais plus si je respire encore, je n’en finis pas de descendre.

    Je suis assis cul nu sur le carrelage glacé, la serviette de bain en vacances. J’ai chaud, j’ai froid, je dois être encore vivant. Ce n’est rien, ça va passer, c’est juste une petite chute, une chute de tension.

    Je souris bêtement en regardant ma petite pince du coin de l’œil. Je m’y raccroche, la pinçant entre mes doigts. Quel choc, je ne pensais pas qu’une petite pince à épiler pouvait me mettre dans un pareil état.

    J’ouvre grand les yeux. La lumière de cette salle de bain est décidément parfaite. J’ai rarement vu pareille lumière, si blanche et pure, si diaphane.

    Je sens soudain mon petit outil me glisser des fourchettes. Je n’ai plus la force de lutter ni de le retenir, je ne l’entends même pas tomber. A-t-il chu sur le tapis

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