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La Reconnaissance
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Livre électronique295 pages5 heures

La Reconnaissance

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À propos de ce livre électronique

Jan Sikora, veuf, ancien athlète, aujourd'hui entraîneur de judo, élève seul son fils Michal, âgé de 16 ans. Celui-ci est loin d'être l'idéal dont il rêvait. Jan fait ses preuves en tant qu'éducateur auprès des jeunes, mais en tant que père, il essuie échec sur échec. Un jour, il rencontre Karolina, avec qui il nourrit l'espoir d'une relation. Mais il sait qu'elle aime les enfants, et sa relation difficile avec son fils ne le met pas en valeur. Parviendra-t-il à établir une vraie relation avec Michal et à conquérir le cœur de la femme qu'il a choisie ?

Une vivisection émotionnelle d'une relation difficile entre un père et son fils.

LangueFrançais
ÉditeurOPENER BOOKS
Date de sortie29 déc. 2023
ISBN9788367837187
La Reconnaissance
Auteur

W. & W. Gregory

Author of the dystopian series Dualverse, Gregory is a man of science and humanities. A graduate of the University of Technology and of screenwriting at the AMA Film School in Krakow, he also enjoys cooking and immersing himself in other cultures. He indulges in a variety of written genres. With a strong distaste for hypocrisy, Gregory’s work is assuredly void of it. He fascinates himself with people, and finds in them a perfect literary muse. The Dualverse series is a captivating tale involving the social issues and drama of two parallel worlds

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    Aperçu du livre

    La Reconnaissance - W. & W. Gregory

    À tous les parents

    Hajime ! Un ordre en japonais dont je rêve presque toutes les nuits. Je le crie, défiant mon adversaire en duel, mais pourtant, lui, il ne se présente pas. Je n'ai pas l'impression d'avoir eu une victoire facile. Seul, je me tiens sur le tapis dans le grand hall et j'attends. Mon corps est encore chaud, mais je ne transpire plus. Je suis aussi tendu que la corde d'un arc. Tout ce que j'ai à faire, c'est de détendre cette corde et en une fraction de seconde, toutes les cellules de mon corps font leur travail. Le silence résonne dans mes oreilles, et la blancheur de l'armure légère reflète les rayons du soleil qui entrent par petits filets à travers les fenêtres protégées par des grilles.

    Hajime ! Ça ne vous dit rien. Hajime ! C'est le début, le début d'un combat, un combat honorable.

    Hajime !

    Je suis réveillé par la sécheresse de ma gorge. C'est la gueule de bois, une gueule de bois unique en son genre. La toute première, et pourtant, elle est déjà d’un niveau exceptionnel. Retour en arrière. C'est la somme de toutes les gueules de bois qui, selon la tradition polonaise, auraient dû arriver mais ne sont jamais arrivées. Mon œsophage brûle, ma langue se hérisse et je me souviens très peu de la nuit précédente. L’expression gueule de bois me semble étrangère, me semble provenir d’un autre pays, comme si elle n'avait pas réussi à être une expression concrète pour moi, mais ses effets le sont bel et bien. Une douleur sourde cachée dans mon crâne essaie de sortir de moi depuis un bon moment, se cognant contre ses parois comme un gros joueur de tambour. Un grand coup à la tempe gauche, un grand coup à la tempe droite. Puis une série de coups au front, en fait à l'intérieur du front, comme une mitraillette. Et enfin un grand coup dans l'occiput. Je lui cris dessus et je me bats, mais je suis dans une position perdante. Cela devrait me surprendre, car si j’étais sobre, il n'aurait aucune chance avec moi, mais dans cet état, mon ambition ne peut pas se relever de sa position allongée. J'ouvre les paupières supérieures, qui sont collées à mes paupières inférieures, et je les soulève avec effort jusqu'à une légère hauteur. Comme c'est pénible, putain.

    Le gris de l'aube de ce matin s'avère trop lumineux, alors je plisse les yeux comme un matou paresseux. En vain, car le mal de tête ne faiblit pas. Je décide de chasser les pensées liées à cette dégénérescence. Je veux que mon cerveau s'occupe de quelque chose au lieu de se concentrer sur le chemin de croix que je suis en train de parcourir. Allez, mets-toi au travail, allez, feignasse, je vais t'en trouver, moi, des occupations, suis-je en train de lui crier, ou du moins en ai-je l’impression. Apparaît alors une première pensée, pas trop intrusive, mais c’est plutôt un rappel de mon ulcère. Purée, ça pique. Je tente de repousser la douleur, en utilisant une force excessive, en m’accrochant parallèlement comme un rasoir à d'autres pensées improductives, juste pour occuper mon esprit. Je parviens à maîtriser le jugement non formulé selon lequel il y a clairement quelque chose qui pue ici. C'est bien, je suis content de ma petite victoire, bien qu'avec la quantité d’alcool qui sommeille en moi, je peux difficilement appeler ça une relation de cause à effet. Malgré l'humidité qui a élu domicile dans mon nez depuis un certain temps, je parviens à isoler quelques détails sur cette odeur intrusive. C'est un nouveau compagnon autrefois inconnu, mais aujourd’hui bel et bien présent dans ma modeste chambre. Au début, je ne ressens que les premiers effluves, puis, au bout d'un moment, je sens toute la profondeur composée de plusieurs couches. L'odeur n'est pas agréable, plutôt aigre, suffocante. J'essaie de trouver comment ouvrir la fenêtre sans bouger du lit, mais rien de logique ne me vient à l'esprit. Je balaie du regard tout le bordel qui s'est accumulé depuis quelques jours, en essayant de me souvenir de quelque chose. Je vois des plantes séchées, en fait plutôt des souches dépourvues de vie, je les reconnais. Ce sont les miennes. Tant pis, tout peut être reconstruit, je peux y arriver. Je vois une bouteille de cidre pas tout à fait finie avec quelques petits insectes gorgés d'eau flottant à la surface, quel est leur nom ? Des mouches à fruits. Et des bouteilles, plein de bouteilles de vin, de liqueur et de cognac, des cadeaux qui ne m’ont été d’aucune utilité pendant des années et qui ont apparemment fini par servir à quelque chose. Je ne remarque pas tout de suite les petites bouteilles de vodka, car je me concentre sur les assiettes de restes de nourriture, les miettes de chips, les trognons de pomme, et même un os de jarret de porc. La mangeoire des mouches, c'est comme ça que je l'ai appelée hier, je m’en rappelle. Le tout arrosé de ketchup et d'une sauce au nom optimiste de Samouraï. Vraiment ? Putain, je n'en peux plus. Je ne devrais pas faire du shopping bourré. Je regarde la bouteille avec l'œil d'un détective, mais ma vision se trouble. Après tout, c’est de la mayonnaise ordinaire, peut-être avec un petit peu d’eau, mélangée à des épices inutiles, du moins c’est mon opinion. Puis il y a une douzaine de canettes de bière, parfaitement écrasées. C'est donc pour ça que je sens si bien mon talon gauche. Je suppose que c'est l'arme que j'ai utilisée pour faire face à la forme cylindrique des bières de la marque « Bison » en aluminium. Oh, et puis il y a la boîte de pizza avec quelques bords non mangés. Je cherche dans ma tête la réponse concernant la date limite de consommation. Je pense que c'est lundi, ou peut-être mardi. Et quel jour sommes-nous aujourd’hui ? Depuis combien de temps je traîne dans cet état ? Une pensée qui me vient à l'esprit me suggère que c’est depuis cinq jours. Ou peut-être quinze ? Je n'ai que quelques flashs, mais ce sont plus des photos en noir et blanc que des images en mouvement. Putain, comme j'ai soif. Il y a un arrosoir à côté du lit. Je l'attrape comme je peux, il a l’air vraiment léger, pas une seule goutte. Merde !

    La puanteur se fait sentir, alors je respire par la bouche. La sécheresse amère de ma gorge empoisonnant mes papilles gustatives recouvre tout l'intérieur de ma bouche, du palais au gosier en passant par le larynx. Je me gratte la joue au lieu de la tête, comme si je voulais trouver une solution. Je ne me souviens pas que mon visage n’ait jamais été couvert de poils de cette longueur dans ma vie. Je peux cependant estimer que c'est au moins l'équivalent d'une semaine de barbe, ce qui correspond à la durée pendant laquelle je suis resté coincé dans les mêmes vêtements : une chemise, autrefois blanche, désormais jaunie, ou peut-être qui a été beurrée, difficile à dire, et mon pantalon en velours préféré. Je vérifie la rigidité de mes chaussettes. Je crois qu’il va falloir aérer la pièce. Alors je me traîne hors du lit et je me dirige vers la fenêtre. Je me déplace au ralenti, mais je parviens à l'ouvrir même sans aucun effort, aspirant avidement l'air avec la bouche grande ouverte. Quel soulagement. L'air frais et, surtout, humide du matin désinfecte mon œsophage irrité par les brûlures d'estomac et se dirige directement vers mes poumons.

    Pendant ce temps, dehors, le jour se lève. Une légère brume estompe la fadeur habituelle du lotissement, à cette heure désert, situé presque au cœur de Mokotow, un quartier proche du centre de Varsovie. Malgré l'heure matinale, j'entends de temps en temps des bruits stridents, encore lointains. Au début, je les minimise parce qu'ils ressemblent à une querelle d'amoureux. Ils reviennent sans doute d'une fête : une femme hystérique, enfin plutôt une jeunette à la voix grinçante et un homme, un abruti, qui ne tient pas compte de sa situation désespérée et qui lui lance de courtes piques de machos acérées comme un fouet. J'ai envie de leur crier de fermer leur gueule, mais je ne peux pas m'y résoudre. Je n’en ai rien à foutre, ils n’ont qu’à s'entretuer. Je me consacre donc à la suite de ma célébration en absorbant des poignées de fraîcheur naturelle, ce qui me procure un soulagement relatif. En somme, pour la fin du printemps, la matinée est inhabituellement fraîche. Je remarque de la vapeur à chaque expiration. Je sens un frisson m'envelopper et finalement, l'humidité commence à m'agacer. J’en ai marre de m’aérer. Je ferme la fenêtre, mais ne bouge pas. Quelque chose m'empêche de me recoucher, alors je reste à fixer l'image derrière la vitre comme une amibe sans cervelle. Et soudain, je remarque quelque chose qui ne semblait pas évident au départ. Sur le trottoir, tout près de notre immeuble, un homme âgé marche à pas de soldat, concentré sur sa cible. Quelques pas derrière lui, un jeune homme mince trottine. Probablement. C'est à ça que ça ressemble pour moi. C'est seulement à ce moment que je serais prêt à parier que la voix tremblante et larmoyante que j'ai entendue il y a un instant appartenait à une femme. J'entrouvre la fenêtre pour m'en assurer. Tiens donc. C'était le garçon mince qui couinait comme ça, qui miaulait, peu importe comment on appelle ça, il gémissait, oui, il gémissait chimériquement. Est-ce que je vois bien ? Il est nu ? Le réverbère, devant lequel il passe m’en donne la certitude, en illuminant l'image. Le garçon mince et dévêtu marche pieds nus, couvrant son entrejambe avec ses mains. Finalement, il court vers l'homme et arrive à sa hauteur. Regardant avec insistance dans sa direction, il tente de forcer son intérêt pour sa situation dramatique.

    - Écoutez-moi enfin ! " crie-t-il, bien que sa voix semble peu virile.

    - Va-t'en " lui répond le vieux con d'une voix calme, en détournant délibérément la tête.

    - Mais pour aller où ? Vous ne voyez pas dans quel état je suis ?

    - Tu n'aurais pas dû boire.

    Je le reprends à mon compte, moi aussi j’ai bu comme un trou. Et du coup, des remords arrivent, comme si je n'en avais déjà pas assez.

    - Je n'ai pas bu ! Je vous l'ai déjà dit mille fois ! - Le jeune homme hurle, puis pleure d'impuissance comme tous ces sales gosses qui font des scènes dans la rue, poussant leurs parents à la frontière entre la gêne et la furieuse envie de leur donner une fessée déculottée.

    Le garçon se comporte de manière hystérique, comme s'il avait perdu la raison, l'espoir et, surtout, sa dignité. Mais qu’est-ce que tu fabriques, p’tit pédé ? Arrête de te comporter comme une gonzesse. Soudain, je me dis que ce pauvre petit jeune qui jappe comme un roquet pourrait avoir ton âge. Seize ans ? Non. Probablement un peu plus vieux, pas beaucoup, un an tout au plus. Je dessaoule immédiatement à cette idée. D'autres questions affluent, chacune d'entre elles imposant la nécessité d'une réponse spécifique. Je sens que mon organisme commence à se mobiliser, que mes cellules grises sont sollicitées pour produire des impulsions de vie, des étincelles qui sont à l’origine de pensées qui se forment laborieusement. C'est comme si je n'avais pas d'autres choix, que je devais réagir tout de suite et rejoindre ce cirque matinal dont je suis le seul témoin. Même ma tête cesse de me harceler et la gueule de bois passe du côté de l'ennemi et devient son allié câlin. Tu dois faire quelque chose, crient plusieurs gorges, passant par mes oreilles directement dans ma tête. Sauve-le !

    *

    Une série d'événements m'a conduit à cet endroit et à ces circonstances, alors qu'à peine un mois et demi plus tôt, je menais une vie ordonnée et heureuse selon ma perception des choses. Tu me connais assez bien pour comprendre ce que je veux dire. Autrefois sportif accompli, actuellement entraîneur de judo et éducateur. Une autorité. Toujours soigné, rasé de près, bien bâti, en forme. Cheveux coupés courts depuis l'enfance, ongles des mains et des pieds parfaitement coupés. Un moine vivant. Je ne fais pas attention à la mode, je m'habille de manière pratique. On peut dire que la fraîcheur émane de moi. Grâce à un régime alimentaire établi de longue date, j'ai une haleine saine et propre, ce qui est si utile pour moi qui suis en contact étroit avec mes élèves. Il n'y a rien de pire que la mauvaise haleine. J’ai horreur de la cigarette et de la viande qui reste longtemps dans les entrailles, je me brosse les dents longuement et je suis un abstinent endurci. Lorsque l'on interagit avec des jeunes, il faut briller, donner l'exemple, telle est ma devise, que je me répète après chaque petit-déjeuner sain. Il doit y avoir des règles. Autre chose - le judogi ne doit pas être confondu avec le kimono, car ça serait un blasphème. Un judogi doit être parfaitement blanc. Je ne comprends pas pourquoi la version bleue a été introduite. Soi-disant que l’on verrait mieux grâce au contraste ? Peut-être que c'est joli, mais à mon avis seulement à la télévision. En vrai, c'est une autre affaire. Pendant des décennies, ça n’a dérangé personne, et dans le berceau du judo, le Japon, rien n'a été changé jusqu'à ce jour, car pour quoi faire, Le judogi blanc comme neige est directement associé aux intentions pures, et le obi, qui est une ceinture d'une couleur dénotant le degré d'initiation, un cœur et un esprit purs. Rien d'autre. C'est la quintessence du judo. Tu dois savoir que je porte une ceinture noire, mais d’un niveau avancé. Je suis un sensei, titulaire du yondan, autrement dit un quatrième dan. Mon seul amour, je peux enfin le dire, appelé regrettablement sport de combat, a été inventé pour se défendre. C'est une philosophie de vie à laquelle je suis fidèle depuis l'âge de dix ans.

    Tu sais probablement qu'au club étudiant Yuko de la capitale polonaise, je donne des cours à des enfants et à des jeunes d’âges variés. Cependant, tu ne sais pas que ce sont les succès des cadets qui me procurent le plus de joie. Ce ne sont pas encore des professionnels, mais ce ne sont plus des enfants. Il s'agit d'un groupe solide précédemment dirigé par Robert. Tu le connais bien, il adore quand il y a des compétitions, c’est actuellement le directeur du club, c’est donc mon chef, et il t'aime beaucoup, tu l'appelles tonton. Pour en revenir aux garçons, depuis qu'ils sont sous mon aile, j'ai construit une équipe soudée et ambitieuse dont les membres s’émulent les uns les autres, tout comme notre équipe d'il y a quelques années. Au fil du temps, leur engagement a porté ses fruits et les différents succès qui en ont émané ont incité chacun à redoubler d'efforts. Il y a un effet boule de neige. Et pourtant, il ne s'agit que d'un club de jeunes, pas d'une sorte de forge de talents ni de candidats à devenir de futurs professionnels dans les clubs polonais prestigieux que sont le Czarni Bytom, le Slask Wroclaw, le Wisla Krakow de Cracovie ou le Gwardia Warszawa de Varsovie, disposant d’infrastructures importantes, de sponsors et d’une histoire riche en médailles. L'ambition de notre club est d'éduquer par le sport, pas de faire de l'argent. Si je devais donner un nom à mon travail, j'ajouterais certainement l'adjectif impossible au mot mission, en raison du manque perpétuel de fonds. Les emplois d'entraîneur, comme ceux d'enseignant, classés bien en dessous de celui de catéchiste, sont assortis d'un maigre salaire. Pour avoir un complément de revenu, je dois être arbitre de temps en temps. Néanmoins, j'aime mon travail. Je donne plus que je ne prends. Je n'ai pas de besoins exorbitants. Je dépense au moins la moitié de ce qui entre sur mon compte pour toi. Tu le sais bien.

    Les entraînements ont lieu dans un gymnase situé dans l'une des écoles primaires. Pendant toute la durée des cours, nous étalons des tatamis, des nattes de paille de riz, en les serrant bien les uns contre les autres, créant ainsi deux champs de bataille de couleur marron pâle avec des bandes bleu marine. Nous les avons achetés légèrement usagés à des collègues de Koszalin, une ville polonaise sur la Baltique, et ils sont parfaits pour l’usage que nous en faisons. Pour pimenter un peu l'entraînement, nous utilisons des matelas épais et pratiques, des échelles, une corde d'escalade suspendue au plafond et un panier de basket-ball, avec un filet perpétuellement déchiré. Le panier est particulièrement utile pendant les échauffements. Il y a quelques années, dans le cadre des compétitions locales pour les jeunes organisées par notre club, un tableau représentant Jigoro Kano, le fondateur du judo, a été accroché assez haut sur l'un des murs et y est resté. Puis un petit drapeau de la Pologne et un autre du Japon ont été ajoutés. Depuis lors, mes garçons se sentent chez eux dans cet endroit. C'est notre dojo, le berceau de la conscience, la salle d'entraînement.

    Je sais tout sur chaque garçon. Je tiens un journal dans lequel je note leurs résultats, leurs poids, leurs succès et leurs échecs, mais aussi l'attitude qu'ils adoptent à chaque entraînement, s’ils sont motivés ou pas, s'ils sont dans un bon ou dans un mauvais jour. Je dessine ensuite des graphiques de leur engagement au fil du temps, en le couplant à l’augmentation de leur sensibilisation à la discipline. Tu te moques de moi, me disant que je pourrais écrire tout cela et le chiffrer sur l'ordinateur, me rappelant au passage qu’il existe quelque chose qui s’appelle Internet. Je m'entête à ne faire confiance qu'à moi-même et à mon bloc-notes. Les ordinateurs et le web invisible, puisque désormais, ils sont obligatoires, qu'ils occupent ceux qui n'ont pas de vie propre. Moi, je n'ai pas besoin de plus pour être heureux.

    Pourquoi est-ce que je parle de ça ? Après tout, en tant que fils, tu devrais tout savoir sur moi. J'ai cependant l'impression que tu n’as pas le tableau complet. Tu n’es pas intéressé par ce qui me concerne.

    *

    Ce jour-là, je dirige l’entraînement avec mon groupe préféré, douze garçons de différents poids, tous de ton âge. Le principal d'entre eux est l'actuel champion de Pologne dans la catégorie des moins de soixante-six kilos, Pawel Galik, ma fierté, appelé par ses collègues Paolo, un brun aux cheveux courts, à la fois mince et musclé. Robert dit en plaisantant que c’est mon clone en version jeune, mais je ne lui en veux pas pour cette comparaison. En effet, visuellement, le garçon me ressemble un peu, il est très consciencieux, il possède un talent naturel et a de l'ambition. Comme moi à son âge. De toute façon, il n'a pas d'autre choix, il vient d'une famille pauvre et il doit se battre pour les siens. Il impressionne par son attitude et sa modestie, et parle gentiment de sa mère, à qui il apporte beaucoup d’aide. Il ne critique jamais son père, même si ce ne sont pas les raisons qui manquent. Il ne se comporte pas comme les autres jeunes de son âge, en particulier ceux comme toi, il est plus mature et religieux, ce qui signifie un attachement à la tradition. Je l'aime bien et je me soucie de son avenir, c'est pourquoi cela m'ennuie qu'il fasse équipe avec celui que l’on nomme Pélican. Celui-là, c’est juste un gars bavard et superficiel. Il a des cheveux longs, attachés en queue de cheval pour l'entraînement. Il s'est fait pousser des favoris et une sorte de barbichette composée de quelques poils fins et clairsemés, ce qui lui permet de paraître plus âgé qu'il ne l'est. C’est comme ça que je le vois, je trouve que ça craint, mais bon, après tout, c’est sa tête, pas la mienne. Une fois, il est arrivé avec une boucle d'oreille à l'oreille gauche, mais il m’a suffi d'un regard réprobateur pour que la boucle d'oreille ne réapparaisse plus jamais. C'est ainsi que fonctionne mon autorité. Je suis sûr de te l'avoir dit, mais peut-être tu ne t’en souviens pas, au judo, il est interdit d’utiliser, ni même de porter le moindre objet en métal, rien, pas même un fermoir sur un bandage, sans parler des boucles d'oreilles ou des chaînes. Pas même chez les femmes. Malheureusement, à mon avis, Pélican ne ressemble pas à un vrai sportif, mais plutôt à un rocker insouciant qui, avec ses pitreries, fait honte à un groupe qui est resté soudé pendant au moins sept ans. En dehors de ces deux-là, il y a un binôme assez particulier parmi les cadets : Godzilla et Poids Plume. Le premier mesure un mètre quatre-vingt-huit et fait partie de la catégorie des moins de quatre-vingt-dix kilos. Je lui rappelle régulièrement que s'il continue de manger autant, et qui plus est sans faire attention à son régime alimentaire, il dépassera les quatre-vingt-dix kilos, c'est-à-dire qu’il sera dans le groupe des plus lourds, la catégorie des plus de quatre-vingt-dix kilos, celle dont le poids des membres ne connaît pas de limite supérieure, mais apparemment il s’en fiche. Poids Plume, quant à lui, n'est pas du tout un petit squelette sur pattes, mais un garçon au comportement plutôt infantile qui fait partie de la catégorie des moins de soixante kilos. Tout le contraire de son ami Godzilla. Des petites merveilles, ces deux-là, mes petites merveilles à moi. Le reste du groupe a l'air assez fade, bien que chacun ait un surnom original, comme Papi, Angulator, Irena.

    - Fais un Hiza Guruma, s'il te plaît", dis-je un jour à Paolo.

    Le garçon acquiesce respectueusement, puis effectue presque parfaitement cette technique de projection sur Pélican, me permettant de me gorger de fierté. Les autres garçons regardent le spectacle avec curiosité.

    - Parfait " commenté-je en rayonnant. - Et maintenant dix fois de chaque côté. Ichi. Ni. San...

    Au fur et à mesure que je compte en japonais, les garçons exécutent la projection demandée, en alternant, une fois l'un fait une projection sur l'autre, puis l'inverse, et en changeant de gauche à droite, et à nouveau dans la direction opposée, malheureusement avec des résultats variables. Pendant ce temps, comme il sied à un entraîneur perspicace, mon regard saute d'un binôme à l'autre pour évaluer la qualité des exercices effectués. Lorsque je remarque que Poids Plume tient Godzilla de manière incorrecte, je m'approche, je corrige sa prise, je réarrange ses mains pour former une prise correcte, puis je m'écarte. Faisant semblant de saisir un adversaire invisible, je lui montre à quoi cela devrait ressembler. Ma leçon n'a servi à rien. Poids Plume, comme pour me contrarier, fait la prise à sa manière et tente à nouveau maladroitement une projection.

    - Stop ! Venez tous vers moi ! " lancé-je dans mon style de mentor favori, celui que tu détestes.

    Les judokas arrêtent immédiatement ce qu’ils étaient en train de faire, s'approchent et nous entourent tous les trois, moi et le binôme indiscipliné.

    - Quelle erreur fait-il ? " demandé-je, en envoyant un avertissement réprobateur aux jeunes amusés.

    Soudain, j'entends un terrible grincement de porte. Ne leur avais-je pas dit de la huiler ? Au lieu de me regarder, mes protégés tournent la tête vers l'entrée de la salle.

    - Que cherchez-vous, messieurs ? " demandé-je, voyant deux gars d'âge moyen qui non seulement sont entrés dans la pièce sans permission, mais qui sont maintenant en train de se dandiner sur le tapis.

    En chaussures !? Oh non !

    - S'il vous plaît, descendez du tapis.   C’est quoi ces manières ? " dis-je d'une voix relativement calme, même si l'écho renforce mes paroles.

    - Nous sommes venus pour jouer au ballon " me répond l'un d'eux, moustachu, vêtu d'un survêtement et de baskets dorés, avant de se mettre à sourire bêtement.

    - Vous ne voyez pas qu'il y a une séance d'entraînement ici ? " demandé-je.

    - Je vois, mais nous avons payé et....

    Le silence règne. C'est comme s'il hésitait à dire ce qui lui était venu à l'esprit.

    - Éventuellement, on peut partager la salle " termine-t-il.

    Je me dirige vers lui d'un pas décidé et les judokas me suivent. Nous faisons face aux deux intrus, les écrasant par notre nombre. Mais pas comme des voyous. Nous ne faisons que nous défendre. Un regard menaçant suffit, il n'est pas nécessaire d'utiliser la force.

    - Ici, c’est moi le chef et je dirige actuellement un entraînement avec des adolescents. Nous n’allons pas partager la salle. Mais peut-être que vous voulez vous joindre à nous ? demandé-je d'une voix encore calme mais ferme. - Et vous ? Je me tourne vers l'autre. - Vous êtes dans la catégorie des cadets ?

    Le deuxième gars a un petit ventre et ressemble à un cochon vêtu d’un jean et d’un pull coloré. Les judokas apprécient mon petit jeu, ils observent la scène avec curiosité. Quant à moi, je ne vais pas perdre mon temps avec des conneries sans intérêt.

    - Est-ce que vous avez la tenue adaptée et les pieds propres pour marcher sur mon tapis ? " demandé-je à nouveau au premier type.

    Le gars évite le contact visuel. Ils reculent.

    - C'est ce que je pensais. Au revoir. À l’avenir, pensez à frapper avant d’entrer.

    Ils ne s'en souviendront pas de toute façon, mais je dois le dire. Je leur tourne le dos. Je les entends fermer la porte derrière eux, alors les garçons et moi retournons là où nous nous étions arrêtés.

    - Le cirque est terminé. Je répète la question : quelle erreur   fait-il ?

    Malheureusement, les judokas n’arrivent pas encore à se concentrer. L'atmosphère est celle d'un marché aux

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